Quand tu entends
parler d'éloignement du monde, d'abandon du monde, de la nécessité
de s'épurer de tout ce qui est dans le monde, - il te faut
d'abord comprendre, non point selon les conceptions de la terre, mais
selon celles de la raison réelle, le vrai sens de ce mot :
le monde ; alors tu seras à même de savoir à quel
point ton âme est éloignée du monde, et dans quelle
mesure elle y demeure attachée. Le mot monde est un mot collectif,
qui englobe ce qu'on appelle les passions. L'homme qui n'a pas su
ce qu'est le monde ne pourra savoir par quels côtés de
sa personne il s'en est écarté, et par quels autres
il lui est lié. Nombreux sont ceux dont deux ou trois membres
ont renié le contact avec le monde, et qui croient que leur
vie lui est devenue étrangère ;ils ne peuvent comprendre
que le reste de leur corps vit dans le monde. D'après les recherches
de l'esprit, le "monde" peut être considéré
comme un collectif, englobant les passions séparées.
Nous leur donnons, en effet, le nom de monde quand nous voulons les
désigner toutes ensemble, et celui de passions s'il s'agit
de les distinguer. Elles constituent les diverses parties de la tendance
prédominante dans le monde, et lorsqu'elles cessent, cette
tendance aussi connaît son point d'arrêt. Voici quelles
sont ces passions : l'attachement aux richesses, le désir d'amasser,
la jouissance du corps qui engendre l'intempérance de la chair
; l'aspiration aux honneurs, d'où découle l'envie-,
celle qui vise à commander; l'arrogance due à l'éclat
du pouvoir; le goût de se parer et de plaire; la recherche de
la gloire humaine, cause des rancunes ; la crainte corporelle... Là
où se brise le cours de ces passions, on voit périr
le monde. Vois quels sont ceux de ces membres dont tu vis, et tu sauras
pour lequel tu es mort au monde. Quand tu auras connu ce qu'est le
monde, toutes ces distinctions te permettront de déterminer
en quoi tu y demeures attaché, et dans quelle mesure tu t'en
es libéré. Pour résumer, le monde est la vie
de la chair et la sagesse charnelle.
XXXVIII. - N'est
pas pur en esprit celui qui ignore le mal (il s'assimilerait à
l'animal), ni celui dont la nature est à l'état de la
première enfance, ni celui qui adopte l'aspect seul de la pureté.
Pour être pur en esprit, il faut avoir l'illumination divine,
que l'on atteint par l'exercice actif des vertus.
XXXIX. - Ne prennent
pas seulement rang de martyrs ceux qui sont morts pour la foi chrétienne,
mais ceux aussi qui meurent pour l'observation des commandements du
Christ.
XL. - L'homme
qui abandonne les oeuvres accroissant la vertu se voit abandonné
par celles qui en constituent la sauvegarde.
XLI. - Les larmes
dans la prière constituent un signe révélant
que la prière est acceptée et guidée dans le
champ de la pureté.
XLII. - A la ruine
de ce siècle succédera sans transition le siècle
futur.
XLIII. - Qu'est-ce
que la connaissance ? C'est la vie immortelle, c'est-à-dire
la sensation de Dieu. L'amour pur dérive de la connaissance
de Dieu, elle-même reine de tous les désirs : pour le
cœur qui la reçoit, toute joie terrestre est superflue.
Aucune douceur n'est comparable à celle qui révèle
Dieu.
XLIV. - Un amour
d'origine matérielle ressemble à une faible flamme,
nourrie par l'huile qui soutient sa lumière, ou encore à
un ruisselet alimenté par les pluies et desséché
dès que le ciel en devient avare ; mais l'amour issu de Dieu
est comparable à une source jaillissant de la terre, dont les
flots ne tarissent jamais, dont l'essence même ne peut s'appauvrir.
XLV. - La vie
de ce monde peut être représentée par un nombre
limité de lettres, extraites de celles qu'on a tracées
sur un tableau: quiconque le désire peut en ajouter, en supprimer,
en échanger ; la vie future serait figurée par un manuscrit,
tracé sur un rouleau intact, scellé du sceau royal où
rien ne pourrait être ajouté ou retranché.