Pour
vous, qu'est-ce que l'iconographie copte, quelles sont ses caractéristiques
?
Je suis
absolument convaincu qu'il existe dans l'art égyptien une unité
fondamentale ; certains nient l'existence d'un lien entre l'art égyptien
ancien et l'art copte.
C'est
une erreur : l'art ancien est aux sources de l'art copte.
Un artiste
copte se doit d'étudier l'art de l'Egypte ancienne et de le reconnaître
comme legs.
Ensuite,
à partir de ce legs de l'Egypte ancienne et de l'art copte ancien,
l'artiste contemporain doit créer : si l'on conserve ce dépôt
dans un musée, il meurt.
Il convient
donc d'étudier les valeurs contenues dans ce legs et de les réinvestir
dans une création nouvelle : voilà le rôle de l'artiste
copte contemporain. Il doit s'approprier les valeurs reçues pour
une création vivante dans la continuité.
Quels
sont vos canons de proportion ?
Tout
se fait à partir d'une unité, le module, unité
de mesure, comme par exemple la colonne pour les Grecs.
Pour
l'art copte, il s'agit d'une construction - ce n'est pas seulement une
question de dimensions : il faut trouver les mesures d'une construction.
Les
éléments de base sont les longueurs et les largeurs et
non pas les surdimensions.
J'ai
établi les mesures avec lesquelles chaque étudiant peut
créer une icône copte.
Par
exemple, l'homme, qui est la création de l'art divin, est conçu
comme une colonne.
Le nimbe
du saint, l'auréole, constitue la largeur de la silhouette, de
la forme entière.
Le cercle
de l'auréole a un centre à partir duquel on peut tracer
un cercle plus petit pour la tête, puis les traits du visage.
La tête
n'est pas ronde, le crâne est ovale et la chevelure complète
le cercle.
On trace
ensuite la ligne des orbites et on place les yeux dans les orbites,
puis le nez et la bouche, le long des lignes géométriques.
On peut
trouver les dimensions du corps ; c'est le support le plus important
de la silhouette.
Tout
le personnage du saint tient en largeur dans le diamètre de l'auréole;
ensuite, je mets le squelette comme un système pour faire bouger
la silhouette, la forme, et je cherche les articulations du corps.
A partir
de ces points, je peux faire mouvoir tout le corps.
Cette
technique est-elle spécifique à l'art copte ou bien est-elle
utilisée dans tous les arts ?
Un artiste
doit nécessairement savoir cela ; or, les écoles d'art,
ici, négligent ce système alors que l'art mural égyptien
ancien utilisait cette technique, et nous sommes ses héritiers.
L'art
byzantin l'utilise aussi dans son legs grec.
La différence
entre le legs grec et le legs égyptien c'est que l'art égyptien
est envisagé comme une construction.
Les
iconographes russes et byzantins étudient le legs grec.
Dans
le style traditionnel grec, il y a plus de détails, et c'est
l'imitation de la nature qui est mise en avant, alors que nous, les
Egyptiens, nous utilisons l'abstraction pour exprimer notre vision d'éternité,
d'immortalité.
Quelle
est la part de nouveauté dans votre art ?
La nouveauté
c'est d'abord une redécouverte de ces proportions essentielles
; ce n'est qu'après avoir longuement étudié l'héritage
de l'Egypte ancienne que nous avons compris son utilisation du symbolisme,
de l'abstraction et du cubisme.
Or,
tous ces éléments sont repris dans l'art contemporain.
Si je
devais être reproducteur d'icônes, je devrais traduire ce
que j'ai reçu d'une école.
Mais
je suis créateur, je dois aller du statique au dynamique.
Je dois
toujours me placer dans la vision de l'art contemporain, cependant toujours
en lien avec la tradition.
Si la
tradition est conservée telle qu'elle est, elle doit mourir ;
mais si je prends cette tradition et vais dynamiquement dans le mouvement,
je regarde, je pense, je vis : j'ouvre Internet et voici que j'ai le
monde sous les doigts !
Le monde
bouge.
Alors
la tradition est vivante.
Il y
a vis-à-vis de la tradition comme une obligation de mouvement
perpétuel, une appropriation personnelle de la tradition qui
s'incorpore à cette nouveauté qui sort de moi.
Le christianisme
est parfois devenu intolérant, parce qu'il a été
en quelque sorte fossilisé dans la tradition, et la tradition
est morte.
Pourtant
si, comme je le crois, le Christ est vivant, il me renouvelle sans cesse
dans tous les domaines : philosophie, pensée, politique, économie,
etc.
Et l'art
n'est qu'une sorte d'effet qui le manifeste.
Oui,
l'art peut nous donner une lumière spéciale pour aller
toujours plus loin, vers l'avenir. Si nous devions en rester à
ce que nous avons appris à l'école, ce serait véritablement
une momification !
C'est
un problème en Orient, et en particulier dans les pays islamiques,
où certains cherchent à retourner au passé, à
vivre et se vêtir comme le prophète Mahomet, etc. : c'est
un facteur de déclin.
Il ne
faut pas se complaire dans l'obscurité, il faut sortir à
la lumière, accueillir toutes les découvertes, dans tous
les domaines, les intégrer aux valeurs traditionnelles et, à
partir de cela, créer.
Comme
la vie, nous devons être en mouvement, toujours, l'art doit aller
de l'avant, mais en restant toujours bien enraciné.
Il est
important de savoir comment se fit le monde pour la communauté
humaine : petit à petit.
Quelqu'un,
un jour, me demanda combien d'années de peinture d'icônes
j'avais à mon actif : cinquante ans ?
Non,
sept mille ans ! Je répète à mes étudiants
" Vous devez bouger ! ".
Pensez-vous
qu'il en soit de même pour la liturgie ?
C'est
un grand problème...
Pourquoi
le Christ s'était-il établi en Israël, que fit-il
? Il appela des pêcheurs et leur dit d'aller pêcher des
hommes ; il les a envoyés.
L'Eglise
Copte, j'en ai peur, a une attitude frileuse qui engendre parfois des
jugements hâtifs, sectaires. J'aime mon Eglise, mais il ne faut
jamais perdre de vue que l'Eglise est chrétienne et universelle.
Je voudrais
que mon Eglise d'Egypte, que toute Eglise chrétienne locale dépasse
ses particularismes et accède à sa dimension mondiale
; ai-je tort?
Vous
dites cela, mais d'autre part vous proclamez : " Je veux revenir
à mes racines égyptiennes, je veux être un iconographe
copte. " Comment
conciliez-vous ces deux aspects ?
Si je
veux accéder à la dimension universelle, je dois d'abord
me construire solidement, localement.
L'art
égyptien est un bon exemple d'universalité car il a connu
une extraordinaire stabilité ; or, c'est dans un environnement
local très précis qu'il s'est composé.
Je dois
construire ma personnalité dans un lieu précis, chez moi.
Si j'ai
des racines profondes, je peux produire des oeuvres accessibles à
tous, devenir ainsi universel. Si mon art est bon, il sera reconnu par
tout homme, n'importe où, et il durera ; si mon art est sans
valeur, il restera limité et passera ; si je nie contente de
reproduire les icônes anciennes, cet art se sclérosera
et disparaîtra.
On me
reproche parfois de créer de nouveaux types iconographiques ;
au VIIIe siècle, le mouvement iconoclaste a détruit la
presque totalité des icônes byzantines; il faut bien en
créer de nouvelles !
Il faut
aller de l'avant !
Eh bien,
pour la liturgie, c'est la même chose, car la liturgie n'est pas
seulement pour les Coptes, elle est pour tous les êtres humains
de toutes les cultures : pour vous et pour moi, pour l'Africain dans
la brousse, pour le musulman d'Indonésie... ; il faut utiliser
les rites pour aller à l'Esprit, car les rites sans l'Esprit
deviennent un carcan qui entrave la liberté.
Dieu
attend plus de nous qu'une pratique rituelle : il attend la sainteté
; c'est en étant fidèle à son enracinement humain
mais en dépassant les formes dans une dynamique de l'Esprit que
la liturgie peut transmettre au monde son message, dont la portée
transcende l'espace et le temps ; au fond, c'est le mystère de
l'Incarnation.
Propos
recueillis au Caire en avril 1999 par Marie-Gabrielle de Boncourt et
Bernadette Sadek