«
Le Christ idéal du moine »
(Dom Marmion)
Le monachisme tient une place
éminente dans de nombreuses religions.
C'est
le cas en particulier du bouddhisme.
Mais
on a noté qu'il était absent du bassin méditerranéen.
La
découverte du monastère de Qumran a révélé
une implantation tardive dans le milieu juif.
Certains ont vu dans le mouvement essénien un signe annonciateur
de l'avènement du christianisme.
Mais
il n'y a pas de lien entre ce monachisme israélite, effondré
avec la prise de Jérusalem par les Romains en l'an 70 et
le monachisme chrétien.
Il
faut chercher la source de celui-ci dans la vie de l'Eglise primitive.
Et
d'abord dans la vie et l'enseignement de Jésus. Sa vie cachée
dans le silence de Nazareth, sa quarantaine au désert, dans
la prière, le jeûne et la lutte contre la tentation
diabolique, en feront l'idéal du moine.
Pendant
sa vie publique, il prêche d'exemple : « Le Fils
de l'Homme n'a pas une pierre pour reposer sa tête ».
A
ses disciples il dit « Va, vends tout ce que tu as. Renonce
à toi-même. Suis-moi ».
Il
lance le Sermon sur la Montagne et énonce les Béatitudes
: « Heureux les pauvres, les doux, les coeurs purs...
»
Il
proclame la perfection adressée aux âmes d'élite.
Enfin
Jésus meurt sur la Croix, ultime étape de sa vie d'ascèse,
témoignage final de son obéissance à Dieu,
en grec son « martyre », et annonce du Royaume
restauré un appel à la victoire de l'esprit sur la
chair dans un monde nouveau.
Cela
devait être rappelé, sous peine de ne rien comprendre
au phénomène du monachisme chrétien.
Martyre
rouge et martyre blanc
Pendant les trois premiers
siècles de notre ère, c'est le temps des persécutions
contre les chrétiens.
Ceux-ci
doivent s'entraîner à être prêts à
verser leur sang pour le Christ.
Une
ascèse est mise en place par l'Eglise.
La
plus évidente est l'abstinence des sens dont l'Apocalypse
a loué la conformation à l'Agneau Mystique.
D'où
l'importance de la virginité consacrée.
Ce
courant ne va pas sans tomber parfois dans l'encratisme (continence
absolue), doctrine gnostique qui va jusqu'à la condamnation
du mariage que l'Evangile des Egyptiens (notons ici le pays d'origine)
appelle « l'herbe amère de l'Eden ».
Cette
mentalité restera plus tard sous-jacente à l'engouement
vers la solitude.
A
l'origine du monachisme on trouve la recherche de l'héroïcité
chrétienne qu'apportait autrefois la perspective du martyre
par le sang.
Les
moines l'appelleront le martyre blanc.
D'ailleurs
on leur donnera le nom réservé aux témoins
des cirques romains ; ils auront droit au titre de « confesseurs
de la foi ».
Et d'abord saint Antoine le Grand
Curieuse époque que
cette fin du Ille siècle où l'Eglise fait sa première
crise de croissance.
Elle
connaît sa place dans l'Empire qui, lui, vit les soubresauts
de son déclin.
Du
choc frontal des deux puissances éclate l'ultime persécution
de Dioclétien.
L'Eglise
meurtrie en sort gagnante par la paix constantinienne.
Gagnante
?Loin
du risque du martyre rouge les conversions se multiplient.
Le sel de l'Evangile s'affadit.
Et
voici un péril plus dangereux que la persécution :
le schisme.
On
a le loisir de faire de la théologie : on s'interroge sur
la nature du Christ.
Est-il
vrai Dieu, égal au Père, ou est-il la Première
Créature de Dieu ?
Le
ténor de la première opinion est Athanase évêque
d'Alexandrie, qui répond à l'hérésie
d'Arius, membre de son presbyterium, champion de la seconde.
Une
lutte gigantesque qui va casser en deux la chrétienté
pendant le IVe siècle : l'orthodoxie contre l'arianisme.
Le
sommet en est le Concile de Nicée en 325 qui proclame le
Fils consubstantiel au Père, engendré, non créé.
Où
est le salut pour l'Egyptien Antoine ?
Dans
la fuite du désert, loin du monde, loin des querelles des
intellectuels chrétiens et du christianisme facile.
Non
par abandon, mais pour participer à sa manière, à
la défense de l'orthodoxie.
Un
autre Jean-Baptiste dont la voix crie dans le désert.
Il
y mourra en 356, plus que centenaire.
Sa
vie sera racontée par saint Athanase dont il aura été,
de l'extérieur le plus ferme appui e cette « Vie
d'Antoine », traduite en toutes les langue d'alors, sera
lue dans tout l'Empire et confirmera le « Credo de Nicée
».
Dans une première période (271-290) Antoine mène
la vie de l'anachorète non loin de son village natal Querman,
dans la région de Memphis, vallée du Nil inférieur.
Il
y a choisi un tombeau abandonné à Pispir La seconde
période (290-305) le voit s'enfoncer dans le désert,
il se fortifie dans la prière.
C'est
le moment de fameuses tentations dont il sort vainqueur.
Alors
il si fait des disciples venus admirer ce lutteur aux trait émaciés
et doux.
C'est
la troisième période (305-312) où naît
le monachisme.
Mais Antoine sent le danger de perdre sa solitude.
Il
s'enfonce jusqu'au mont Qolzoum où on aura peine à
le rejoindre.
Il
s'enfonce aussi dans une prière contemplative.
Il
est le Saint qui rendra son âme à Dieu à 105
ans, le 17 janvier 356.
Son
exemple aura engendré les fondations monastiques dans toute
l'Egypte et au-delà.
Les
groupements d'anachorètes
L'
attrait vers Antoine a multiplié les anachorètes,
mais les a obligés à se grouper en centres.
Les
principaux ont noms : Pispir dans le désert de Nitrie (qui
compta jusqu'à 5000 moines), les «Kellia» qui
en rassemblèrent plusieurs centaines, Scété,
fondé par Macaire vers 330, où s'illustre Evagre le
Pontique.
Les
moines y mènent une vie érémitique, ponctuée
le dimanche par leur rassemblement où a lieu la synaxe qui
est l'Eucharistie.
Vie
partagée entre la prière et le travail : «
Ora et labora » sera en Occident la devise de saint Benoît
(529).
Trois ouvrages résumeront la vie de ces pères antoniens,
« Les apophtegmes » : « l'Histoire lausiaque
», « les Institutions cénobitiques »
et les « Conférences des Pères »
de Jean Cassien.
Saint Pakhôme et le cénobitisme
C'est le risque du succès.
Ce
qui se passait dans l'Eglise avec le nombre des conversions aux
dépens de la ferveur primitive atteignait les groupes d'anachorètes.
Avec
l'afflux des vocations se manifestaient des signes d'anarchie.
Le
moine Pakhôme eut l'idée d'un nouvel aspect de la vie
du désert.
Les
disciples d'Antoine peuplaient la Basse-Egypte.
Ceux de Pakhôme seront en Haute-Egypte, en Thébaïde.
En 315 à Tabernêse il fonde un couvent où les
moines vivront la vie cénobitique.
Puis
ce seront ceux d'Akmim et de Phnoum parmi d'autres.
La communauté est réalisée sous une règle
qui en détermine le rythme.
On pourrait la comparer à un village fermé qui a ses
services (cultures, boulangerie, cuisine, infirmerie, etc.) et dont
l'office ecclésial est le centre de ses activités.
A l'anarchie succède l'autarcie et une hiérarchie
régit le monastère sous l'autorité d'un abbé
qui tend à devenir un supérieur.
A sa mort en 346, Pakhôme a fondé neuf couvents d'hommes
et deux de femmes.
A
la fin du siècle, un couvent dit de la Metanoia (la Pénitence)
s'établit près d'Alexandrie.
Les couvents se groupent en une congrégation avec son supérieur
général et son chapitre qui gouvernent jusqu'à
10 000 moines et plus : un repeuplement du désert égyptien.
L'expansion monastique
L' exemple de l'Egypte aura
sa répercussion à travers l'Empire. En Asie Mineure
nous avons saint Basile et ses monastères de Cappadoce.
En
Palestine les monastères de S. Sabas et la Grande Laure.
En
Syrie et Mésopotamie, les disciples de Hilarion Jacques d'Edesse
et de S. Ephrem.
En
Occident, ce sont les premiers groupements de S. Jérôme
qui recrutent les nobles Romaines.
Saint Martin crée le premier monastère gaulois à
Ligugé.
Le
monachisme égyptien prend droit de cité avec Cassien
qui fonde Saint-Victor de Marseille.