CIX. - La miséricorde est contraire à la justice. Celle-ci
égalise selon une mesure commune ; elle donne à chacun
ce dont î l est digne, sans admettre de faveur ni de partialité.
Mais la miséricorde due à la peine ressentie, se penche
sur chacun avec compassion ; elle ne rend point le mal à celui
qui le mérite, et restitue le bien avec une grande surabondance.
CX. - Il est une
humilité due à la crainte de Dieu et une autre à
l'amour envers Lui ; la première fait redouter le Seigneur,
la seconde a la joie pour principe. La première se montre toujours
modeste en toutes choses, tempérée dans la vie sensible,
contrite dans le coeur ; la seconde apparaît intensément
simple ; le coeur alors s'élève sans que rien ne puisse
le restreindre.
CXI. - Crains
les habitudes plus que tes ennemis.
CXII. - Souviens-toi
que le Christ est mort pour les pécheurs et non pour les justes.
C'est une grande chose que de s'affliger pour les méchants
et de faire plus de bien aux pécheurs qu'aux justes mêmes.
CXIII. - La justification de soi-même n'est point le fait d'une
vie chrétienne : on n'y trouve aucune allusion dans l'enseignement
du Christ.
CXIV. - Partage
le bonheur des heureux, les pleurs des affligés, c'est l'indice
de la pureté. Souffre avec ceux qui souffrent, verse des larmes
avec les pécheurs, réjouis-toi avec les repentants :
Sois ami de tous les hommes, mais isole-toi dans tes pensées.
Participe aux douleurs de chacun, mais corporellement demeure loin
de tous.
CXV. - Etends
ton habit sur le pécheur pour le recouvrir.
CXVI. - Si tu
n'obtiens point la solitude dans ta pensée, isole-toi dans
ton corps. Si tu ne peux soutenir l'effort corporel, que ce soit dans
ton esprit qu'il prenne quelque peine. S'il ne t'est point donné
de veiller debout, veille assis ou couché. Si tu es incapable
de jeûner pendant deux jours, fais-le jusqu'au soir ; si cela
même t'est trop dur, garde-toi pour le moins de la satiété
excessive. Si ton coeur n'atteint point la sainteté, que ton
corps demeure pur. Si tu ne pleures pas dans ton coeur, couvre de
larmes ton visage. Si tu ne sais pratiquer la miséricorde,
confesse que tu es un pécheur. Si tu ignores l'art de pacifier,
abstiens-toi d'attiser les discordes. Si le zèle te fait défaut,
évite, ne fût-ce que dans tes pensées, de te représenter
comme un oisif.
CXVII. - Ne nourris
point de haine pour le pécheur, car tous nous sommes coupables
; si, pour l'amour de Dieu, tu le blâmes, pleure sur lui. Pourquoi
le hais-tu ? Ce sont ses péchés qu'il convient de haïr,
tout en priant à son intention si tu veux ressembler au Christ,
qui, loin de s'indigner contre les pécheurs priait pour eux...
Quelle est donc, ô homme, la raison qui te fait haïr le
pécheur ? Est-ce parce qu'il est exempt de ta vertu ? Mais
où donc est la vertu si tu manques de charité ?
CXVIII. - Le pécheur
n'est pas en état de se représenter la grâce de
sa résurrection. Où est la géhenne susceptible
de nous attrister ? Où sont les tourments qui nous causent
tant de terreurs et l'emportent souvent sur la joie de l'amour du
Christ ? Et qu'est-ce que la géhenne, en présence de
la grâce de sa résurrection ?
CXIX. - L'infirmité
des sens n'est pas en état de saisir et de supporter la flamme
des choses.
CXX. - Venez,
raisonneurs, et admirez ! Quel est l'esprit sage et subtil qui admirera
suffisamment la miséricorde de notre Créateur ! Il est
une rémunération pour les pécheurs : au lieu
de celle qui leur convient selon la justice, il leur accorde la résurrection
; au lieu de la corruption des corps, eux qui ont méprisé
sa loi, il les revêt de la gloire parfaite et incorruptible.
Cette miséricorde qui nous ressuscite après le péché
est supérieure à celle qui nous appela du non-être
à l'existence.
Gloire, Seigneur,
à Ta Grâce qui ne connaît point de mesure !