père
MATTA EL MASKINE (Matthieu le pauvre)
père
spirituel du Monastère de Saint Macaire
Nous avons beau parler de la prière, nous restons toujours en
deçà de ce que fournit l'expérience.
La prière
nécessite l'expérience.
La prière
est essentiellement l'expérimentation de la présence divine.
En dehors
de cette expérience de Dieu, il n'y a pas de prière.
Il nous
faut savoir que le droit d'accès à la présence
divine nous a été octroyé par l'accès du
Christ auprès du Père, par cette voie qu'il a inaugurée
le jour de sa crucifixion et qu'il a ouverte par sa résurrection
et son ascension, voie récente et vivante à travers son
corps, identifié au voile qui séparait dans le temple
les choses de Dieu du domaine des hommes (cf. He 10,19s).
Or, ce
voile a été fendu par la main de Dieu , "depuis
le haut jusqu'en bas" (Mt 27,51), là où nous
nous trouvions, et la vie a déferlé vers nous, la vie
éternelle qui était auprès du Père et qui
nous a été manifestée (I Jn 1, 2).
Désormais,
par son corps, nous avons une secrète puissance d'ascension,
et par son sang précieux, nous avons accès au sanctuaire
d'en haut.
Et l'Esprit
du Fils nous présente au Père, témoignant de notre
filiation et élevant en nous, et par nous, des gémissements
(Rm 8,26) connus de ceux qui en ont l'expérience, gémissements
chaleureux et ardents qui enflamment le corps tout entier, au point
que l'homme perd le sentiment de son incapacité et de sa finitude,
et se trouve sur le point de s'envoler, libéré de sa pesanteur
due à ses fautes qui l'attachaient durement à ce monde
terrestre.
Aussi n'est-ce pas sans raison que les saints qui en ont fait l'expérience
disent que la prière puissante confère à l'homme
des ailes par lesquelles il prend son envol (cf. saint Antoine, Lettre
XVIII, 2 ; SO 57, p. 182 ; Jean Colobos 14 (REGNAULT, Les Sentences
des Pères du désert, Coll. Alph. p. 126) ; saint Macaire,
Homélies spirituelles, 5,25).
Ces ailes
ne sont en réalité que le sentiment d'euphorie que provoque
la proximité du Christ, avec la certitude d'être libérés
des fautes qui pesaient sur notre conscience et nous empêchaient
de jouir de notre prière.
Au contact
de l'Esprit, la prière ardente procure, dans l'instant, une expérience
de mort au péché, de résurrection par l'Esprit,
d'ascension secrète, partielle et ponctuelle, suivie de l'accès
auprès du Père, avec l'assurance de celui qui nous présente
à son propre Père, marqués par son sang, entièrement
enveloppés de sa grâce qui ne laisse rien voir de notre
iniquité.
Ce que
nous dit saint Paul de l'accès auprès du Père (cf.
Ep 3,12; He 10,19.20) n'est pas la réaction spirituelle particulière
d'un apôtre choisi par le Seigneur, gratifié du privilège
de s'approcher et de contempler l'essence invisible; mais c'est plutôt
l'héritage du Fils unique, distribué à tous les
fils, avec l'abondance " d'une bonne mesure, tassée,
secouée, débordante" (cf. Lc 6,38).
Ce qu'a
vécu saint Paul nous a été accordé ; nous
l'attestons, et notre conscience en témoigne ; et nous avons
à l'appui le témoignage du disciple que Jésus aimait
: " Et notre communion à nous est avec le Père
et avec son Fils jésus Christ " (I Jn 1,3), communion
de vie et d'amour dans la chaude prière de l'Esprit qui nous
prend dans sa mouvance pour supprimer, un moment, notre opacité
en vue de nous faire sentir, toucher et voir ce qui est invisible.
Telle est
la joie qui a rempli le coeur du disciple bien-aimé et qu'il
a voulu nous communiquer pour parfaire notre participation au riche
héritage du Bien-aimé.
Père
Matta el-Maskîne 28 octobre 1995.
Extrait
de L'expérience
de Dieu dans la vie de prière par le Père Matta El
Maskine
(Spiritualité
Orientale, n° 71-Abbaye de Bellefontaine)
L'auteur
a écrit cet épilogue après un recul de plus de
quarante ans, à l'occasion de la 7e édition arabe de La
vie de prière orthodoxe, éditions de Saint-Macaire, 1995.