RENCONTRE AVEC MONSEIGNEUR THOMAS

Ashraf et Bernadette SADEK

Article paru dans le numéro 33 de la revue le Monde Copte

 

 

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Le Monde Copte : Père, qu'est-ce qui a suscité votre dévouement à l'Eglise et votre vocation monastique ?

Amba Thomas : Je n'étais pas un enfant très pieux, et ma famille, bien que pratiquante, n'était pas de celles qui donnent des moines et des prêtres à l'Eglise. Nous habitions le Vieux-Caire, et allions à la messe à l'église de Haret Zouweila; le curé était un brave homme sans prétention, que la bonne société copte trouvait peu intéressant : ni bon orateur, ni très mystique, ni intellectuel. Un jour, je suis passé à l'église, et il m'a hélé car il avait besoin d'un enfant de choeur pour servir la liturgie. Il célébrait dans l'église située au sous-sol, et qui souffrait des remontées de la nappe phréatique. Lui et le diacre avaient de l'eau jusqu'aux genoux, moi je devais marcher sur des bancs superposés, et faire attention à ne pas tomber car j'aurais pu me noyer. « Vois-tu, me dit le prêtre, il y a ici un autel que nous ne devons jamais abandonner ; il appartient au Seigneur, et nous devons le servir et l'adorer ici. » Jusqu'à aujourd'hui, je ressens la force de la foi qui habitait cet homme, de son amour indéfectible pour le Christ et pour l'Eglise. Ce témoignage à la fois simple et héroïque m'a bouleversé et a joué un rôle déterminant dans ma vie. Lorsque mes parents ont émigré - finalement, ils sont partis au Canada- j'ai refusé de les suivre. Je voulais rester dans ce pays, l'aimer et le servir.

Vous êtes entré au monastère Saint Pacôme, à Edfou, en Haute Egypte ; pourquoi ce choix ?

Je voulais m'éloigner le plus possible du Caire, des sphères politiques qui parfois empoisonnent même la vie de l'Eglise. Je voulais m'ensevelir dans une vie monastique authentique.

Que vous a apporté votre expérience au Kenya ?

Une grande ouverture et... une guérison. Je suis parti au Kenya avec un handicap : j'avais une peur maladive et obsessionnelle de la saleté. Un jour, un petit garçon est venu à moi : il était extrêmement sale, atteint d'une maladie de peau, et cependant d'une remarquable beauté. En le voyant approcher, j'étais partagé entre un dégoût maladif et la volonté de l'accueillir comme je le devais ; il portait sur moi un tel regard d'amour que j'ai finalement ouvert mes bras et il s'y est précipité. A cet instant, j'ai été guéri de ma phobie; j'ai pu l'embrasser et le caresser comme il le souhaitait, puis m'occuper de lui. Cet enfant m'a apporté une profonde libération, je rends grâce au Seigneur qui ce jour-là m'a délivré d'un véritable handicap !

Vous avez ensuite été ordonné évêque d'un diocèse de Haute Egypte. Pourquoi ?

Je l'ignore ! Je ne connaissais pas ce diocèse, je n'en avais jamais entendu parler, j'ignorais où il se trouvait! Le contact avec la Haute Egypte a été un choc pour moi ; au début, je ne comprenais pas même le langage des gens, et il y a eu de nombreux quiproquos. Mais peu à peu, j'ai découvert les traditions et l'âme de cette région. J'ai compris qu'il fallait être proche des gens, visiter les familles une à une. J'aime passionnément ce peuple dans son authenticité, et je cherche à recueillir de nombreuses traditions qui se perdent.

Qu'est-ce que votre accident et votre maladie ont changé dans votre vie ?

Après l'accident, j'ai été transporté dans un hôpital public d'une ville. Je me suis retrouvé par terre sur un matelas infâme, dans une salle contenant des dizaines de malades posés par terre comme moi. Je sortais de plusieurs heures de coma, j'avais des fractures et je grelottais de fièvre, et personne ne s'occupait de moi ! Un chrétien qui passait dans la salle a reconnu mon vêtement de moine et a signalé ma présence à l'évêché; on m'a reconnu et soigné ensuite au Caire. Mais j'avais découvert et expérimenté la misère extrême des soins hospitaliers en Haute Egypte ; par la suite, j'ai créé des dispensaires dans tous les villages de mon diocèse, en veillant à ce que l'hygiène soit respectée, et que chaque service dispose d'infirmières ayant reçu une véritable formation.
Les séquelles de mon accident m'ont enseigné l'humilité : j'ai perdu une partie de mes capacités et de ma mémoire.

Parlez-nous maintenant d'Anaphora que représente cette oeuvre pour vous ?

Une vision. La vision d'un ministère d'accueil, d'unité, de progression. Le matérialisme gagne beaucoup de terrain; les gens n'ont pas conscience qu'ils sont pris dedans, comme des grenouilles dans leur eau de cuisson.

Quelles grenouilles ?

Vous savez, pour faire cuire des grenouilles, ont les met dans l'eau froide elles nagent, elles sont dans leur élément ; peu à peu, on fait chauffer l'eau : elles se sentent bien, se détendent, se laissent aller; quand l'eau bout, elles meurent, sans même avoir essayé de s'enfuir. Lorsqu'elles ont commencé à souffrir, il était déjà trop tard. Ainsi en va-t-il de nos contemporains qui, confortablement installés dans le matérialisme, se rendent compte parfois trop tard qu'ils ont perdu leur vie et leur âme. Je voudrais donner à ceux qui viennent à Anaphora une chance de s'arrêter, et de se poser la question pourquoi ? c'est-à-dire : quel est le sens de ma vie ? C'est pour cela que les bâtiments d'Anaphora dessinent un point d'interrogation. Mais cette question ne peut se poser que dans la prière, car on n'est soi-même, dans la lumière et la vérité, que devant Dieu ; voilà pourquoi la rotonde, lieu de prière, est le point situé sous le crochet du point d'interrogation. C'est aussi le sens symbolique de la fenêtre en dalles de verre et en forme d'oeil qui éclaire le côté oriental de la grande salle de prière. Les Anciens Egyptiens utilisaient déjà ce symbole de l'oeil divin; cette fenêtre nous rappelle le regard plein d'amour et de miséricorde de Dieu, qui nous éclaire et nous réchauffe. Nous ne sommes pas seuls, Il est là.

Anaphora est donc un lieu de retraite, de recueillement, de réflexion; c'est aussi un lieu de rencontre ?

La rencontre vraie, au-delà des frontières culturelles, linguistiques, religieuses, est fondamentale à notre époque, en particulier pour les jeunes. Par le dialogue, l'écoute, la prière, on peut élargir son horizon, trier entre ce qui est important et ce qui ne l'est pas, enrichir son expérience de celle des autres, bâtir des ponts, construire l'avenir. Je pense en particulier aux jeunes Coptes de la diaspora, qui ont parfois du mal à se situer dans leur rapport avec leur pays d'adoption et leur Eglise-mère : entre conformisme et libéralisme, rigidité et ouverture, comment préserver une foi authentique, fidèle, et en même temps vivante et ouverte ? Il faut des lieux de dialogue, de réflexion, d'approfondissement. C'est l'une des vocations d'Anaphora.


Quels sont vos liens avec les monastères du Ouadi-Natroun, tout proches?

Nous sommes une étape pour certains pèlerins ou touristes, qui visitent les monastères en logeant ici, nous les encourageons à ne pas s'y rendre en simples curieux, touristes ou promeneurs, mais à y aller dans un esprit de chercheurs de Dieu, en prévoyant d'assister à un temps de prière liturgique, de rencontrer un moine, etc. Nous entretenons d'excellents rapports avec les moines ; nous essayons de présenter la spiritualité des Pères du désert et leurs enseignements de façon moderne, pour les rendre accessibles à nos contemporains.

Avez-vous des activités sociales ?

Dans notre ministère d'accueil, nous recevons des personnes qui souffrent nous essayons de les aider à en sortir. Le mot anaphora évoque aussi le terme égyptien actuel afora qui désigne le jaillissement de l'eau; la vie de certaines personnes est comme un désert de sable : il suffit parfois de creuser un peu et l'eau jaillit dans ce désert, la vie reprend un sens.
Nous rendons aussi des services : par exemple certains étudiants du Caire n'ont pas de lieu propice à l'étude, ils vivent dans des appartements exigus et surpeuplés ; nous leur offrons de venir réviser leurs examens à Anaphora, où ils peuvent s'isoler et trouver le calme. Enfin, nous travaillons auprès des familles pauvres de la région et de mon diocèse, en lien avec des associations caritatives égyptiennes.


Avez-vous d'autres projets ?

Nous souhaitons faire d'Anaphora un centre d'études, en particulier sur le christianisme primitif; nous sommes déjà en partenariat avec une université suédoise, et des séminaires de recherche sur le christianisme primitif sont organisés. Nous invitons divers intervenants spécialistes de la question. On peut envisager la tenue de séminaires sur des thèmes divers oecuménisme, musique, iconographie, théologie... Cela dépend beaucoup des demandes. Nous nous laissons conduire par l'Esprit Saint, sans Lui rien ne se fera, avec Lui tout est possible.

Propos recueillis par A. et B. Sadek Février 2003


1. Les « évêques généraux » ne sont pas attachés à un diocèse particulier.

Coordonnées d'Anaphora et d'Amba Thomas
Portables : 00-2-01 222 19 030,00-2-01011 41044,00-2-01 238 12 604 ou 00-2-01 223 03 829
Bureau à l'évêché de Quosseya : 00-2-088-75 11 77, 00-2-088-75 11 77 ou 00-2-08875 43 03 Fax :( ...) 751 099
Email : anafora_retreatfarm@yahoo.com ou anaphora@gega.net
Les dons pour aider à l'entretien et au développement d'Anaphora peuvent être transmis à l'adresse du Monde Copte, 11, rue Champollion, 87000 Limoges; chèques à l'ordre de «Le Monde Copte», en précisant au dos : Solidarité copte - Anaphora.

 
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