Le Monde Copte :
Père, qu'est-ce qui a suscité votre dévouement
à l'Eglise et votre vocation monastique ?
Amba
Thomas : Je
n'étais pas un enfant très pieux, et ma famille, bien
que pratiquante, n'était pas de celles qui donnent des moines
et des prêtres à l'Eglise. Nous habitions le Vieux-Caire,
et allions à la messe à l'église de Haret Zouweila;
le curé était un brave homme sans prétention, que
la bonne société copte trouvait peu intéressant
: ni bon orateur, ni très mystique, ni intellectuel. Un jour,
je suis passé à l'église, et il m'a hélé
car il avait besoin d'un enfant de choeur pour servir la liturgie. Il
célébrait dans l'église située au sous-sol,
et qui souffrait des remontées de la nappe phréatique.
Lui et le diacre avaient de l'eau jusqu'aux genoux, moi je devais marcher
sur des bancs superposés, et faire attention à ne pas
tomber car j'aurais pu me noyer. « Vois-tu, me dit le prêtre,
il y a ici un autel que nous ne devons jamais abandonner ; il appartient
au Seigneur, et nous devons le servir et l'adorer ici. » Jusqu'à
aujourd'hui, je ressens la force de la foi qui habitait cet homme, de
son amour indéfectible pour le Christ et pour l'Eglise. Ce témoignage
à la fois simple et héroïque m'a bouleversé
et a joué un rôle déterminant dans ma vie. Lorsque
mes parents ont émigré - finalement, ils sont partis au
Canada- j'ai refusé de les suivre. Je voulais rester dans ce
pays, l'aimer et le servir.
Vous êtes
entré au monastère Saint Pacôme, à Edfou,
en Haute Egypte ; pourquoi ce choix ?
Je voulais
m'éloigner le plus possible du Caire, des sphères politiques
qui parfois empoisonnent même la vie de l'Eglise. Je voulais m'ensevelir
dans une vie monastique authentique.
Que vous a apporté
votre expérience au Kenya ?
Une grande ouverture et... une guérison. Je suis parti au Kenya
avec un handicap : j'avais une peur maladive et obsessionnelle de la
saleté. Un jour, un petit garçon est venu à moi
: il était extrêmement sale, atteint d'une maladie de peau,
et cependant d'une remarquable beauté. En le voyant approcher,
j'étais partagé entre un dégoût maladif et
la volonté de l'accueillir comme je le devais ; il portait sur
moi un tel regard d'amour que j'ai finalement ouvert mes bras et il
s'y est précipité. A cet instant, j'ai été
guéri de ma phobie; j'ai pu l'embrasser et le caresser comme
il le souhaitait, puis m'occuper de lui. Cet enfant m'a apporté
une profonde libération, je rends grâce au Seigneur qui
ce jour-là m'a délivré d'un véritable handicap
!
Vous avez
ensuite été ordonné évêque d'un diocèse
de Haute Egypte. Pourquoi ?
Je
l'ignore ! Je ne connaissais pas ce diocèse, je n'en avais jamais
entendu parler, j'ignorais où il se trouvait! Le contact avec
la Haute Egypte a été un choc pour moi ; au début,
je ne comprenais pas même le langage des gens, et il y a eu de
nombreux quiproquos. Mais peu à peu, j'ai découvert les
traditions et l'âme de cette région. J'ai compris qu'il
fallait être proche des gens, visiter les familles une à
une. J'aime passionnément ce peuple dans son authenticité,
et je cherche à recueillir de nombreuses traditions qui se perdent.
Qu'est-ce
que votre accident et votre maladie ont changé dans votre vie
?
Après
l'accident, j'ai été transporté dans un hôpital
public d'une ville. Je me suis retrouvé par terre sur un matelas
infâme, dans une salle contenant des dizaines de malades posés
par terre comme moi. Je sortais de plusieurs heures de coma, j'avais
des fractures et je grelottais de fièvre, et personne ne s'occupait
de moi ! Un chrétien qui passait dans la salle a reconnu mon
vêtement de moine et a signalé ma présence à
l'évêché; on m'a reconnu et soigné ensuite
au Caire. Mais j'avais découvert et expérimenté
la misère extrême des soins hospitaliers en Haute Egypte
; par la suite, j'ai créé des dispensaires dans tous les
villages de mon diocèse, en veillant à ce que l'hygiène
soit respectée, et que chaque service dispose d'infirmières
ayant reçu une véritable formation.
Les séquelles de mon accident m'ont enseigné l'humilité
: j'ai perdu une partie de mes capacités et de ma mémoire.
Parlez-nous
maintenant d'Anaphora que représente cette oeuvre pour vous ?
Une
vision. La vision d'un ministère d'accueil, d'unité, de
progression. Le matérialisme gagne beaucoup de terrain; les gens
n'ont pas conscience qu'ils sont pris dedans, comme des grenouilles
dans leur eau de cuisson.
Quelles grenouilles
?
Vous
savez, pour faire cuire des grenouilles, ont les met dans l'eau froide
elles nagent, elles sont dans leur élément ; peu à
peu, on fait chauffer l'eau : elles se sentent bien, se détendent,
se laissent aller; quand l'eau bout, elles meurent, sans même
avoir essayé de s'enfuir. Lorsqu'elles ont commencé à
souffrir, il était déjà trop tard. Ainsi en va-t-il
de nos contemporains qui, confortablement installés dans le matérialisme,
se rendent compte parfois trop tard qu'ils ont perdu leur vie et leur
âme. Je voudrais donner à ceux qui viennent à Anaphora
une chance de s'arrêter, et de se poser la question pourquoi ?
c'est-à-dire : quel est le sens de ma vie ? C'est pour cela que
les bâtiments d'Anaphora dessinent un point d'interrogation. Mais
cette question ne peut se poser que dans la prière, car on n'est
soi-même, dans la lumière et la vérité, que
devant Dieu ; voilà pourquoi la rotonde, lieu de prière,
est le point situé sous le crochet du point d'interrogation.
C'est aussi le sens symbolique de la fenêtre en dalles de verre
et en forme d'oeil qui éclaire le côté oriental
de la grande salle de prière. Les Anciens Egyptiens utilisaient
déjà ce symbole de l'oeil divin; cette fenêtre nous
rappelle le regard plein d'amour et de miséricorde de Dieu, qui
nous éclaire et nous réchauffe. Nous ne sommes pas seuls,
Il est là.
Anaphora est
donc un lieu de retraite, de recueillement, de réflexion; c'est
aussi un lieu de rencontre ?
La
rencontre vraie, au-delà des frontières culturelles, linguistiques,
religieuses, est fondamentale à notre époque, en particulier
pour les jeunes. Par le dialogue, l'écoute, la prière,
on peut élargir son horizon, trier entre ce qui est important
et ce qui ne l'est pas, enrichir son expérience de celle des
autres, bâtir des ponts, construire l'avenir. Je pense en particulier
aux jeunes Coptes de la diaspora, qui ont parfois du mal à se
situer dans leur rapport avec leur pays d'adoption et leur Eglise-mère
: entre conformisme et libéralisme, rigidité et ouverture,
comment préserver une foi authentique, fidèle, et en même
temps vivante et ouverte ? Il faut des lieux de dialogue, de réflexion,
d'approfondissement. C'est l'une des vocations d'Anaphora.
Quels sont
vos liens avec les monastères du Ouadi-Natroun, tout proches?
Nous
sommes une étape pour certains pèlerins ou touristes,
qui visitent les monastères en logeant ici, nous les encourageons
à ne pas s'y rendre en simples curieux, touristes ou promeneurs,
mais à y aller dans un esprit de chercheurs de Dieu, en prévoyant
d'assister à un temps de prière liturgique, de rencontrer
un moine, etc. Nous entretenons d'excellents rapports avec les moines
; nous essayons de présenter la spiritualité des Pères
du désert et leurs enseignements de façon moderne, pour
les rendre accessibles à nos contemporains.
Avez-vous
des activités sociales ?
Dans
notre ministère d'accueil, nous recevons des personnes qui souffrent
nous essayons de les aider à en sortir. Le mot anaphora évoque
aussi le terme égyptien actuel afora qui désigne le jaillissement
de l'eau; la vie de certaines personnes est comme un désert de
sable : il suffit parfois de creuser un peu et l'eau jaillit dans ce
désert, la vie reprend un sens.
Nous rendons aussi des services : par exemple certains étudiants
du Caire n'ont pas de lieu propice à l'étude, ils vivent
dans des appartements exigus et surpeuplés ; nous leur offrons
de venir réviser leurs examens à Anaphora, où ils
peuvent s'isoler et trouver le calme. Enfin, nous travaillons auprès
des familles pauvres de la région et de mon diocèse, en
lien avec des associations caritatives égyptiennes.
Avez-vous
d'autres projets ?
Nous
souhaitons faire d'Anaphora un centre d'études, en particulier
sur le christianisme primitif; nous sommes déjà en partenariat
avec une université suédoise, et des séminaires
de recherche sur le christianisme primitif sont organisés. Nous
invitons divers intervenants spécialistes de la question. On
peut envisager la tenue de séminaires sur des thèmes divers
oecuménisme, musique, iconographie, théologie... Cela
dépend beaucoup des demandes. Nous nous laissons conduire par
l'Esprit Saint, sans Lui rien ne se fera, avec Lui tout est possible.
Propos recueillis
par A. et B. Sadek Février 2003
1. Les «
évêques généraux » ne sont pas attachés
à un diocèse particulier.
Coordonnées
d'Anaphora et d'Amba Thomas
Portables : 00-2-01 222 19 030,00-2-01011 41044,00-2-01 238 12 604 ou
00-2-01 223 03 829
Bureau à l'évêché de Quosseya : 00-2-088-75
11 77, 00-2-088-75 11 77 ou 00-2-08875 43 03 Fax :( ...) 751 099
Email : anafora_retreatfarm@yahoo.com
ou anaphora@gega.net
Les dons pour aider à l'entretien et au développement
d'Anaphora peuvent être transmis à l'adresse du Monde
Copte, 11, rue Champollion, 87000 Limoges; chèques à
l'ordre de «Le Monde Copte», en précisant au dos
: Solidarité copte - Anaphora.