Garde-nous de succomber à la tentation
par Rachel Goettmann


article paru dans la revue Le Chemin N° 67

 

C'est sur le Mont des Oliviers que le Christ a appris la prière du «Notre Père » à ses apôtres et notamment cette supplique: « Garde-nous de succomber à la tentation. »
C'est encore sur le Mont des Oliviers, juste avant son arrestation, alors qu'Il se trouvait dans les affres de la souffrance, voici qu'Il est abandonné par Pierre, Jacques et Jean ses disciples les plus proches: ils se sont endormis. Au sein de ce drame, Jésus nous initie à l'attitude fondamentale du disciple: Veillez et priez pour ne pas être pris par la tentation (Mt 26,41).

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QU'EST CE QUE LA TENTATION?

Soyons clairs: ne confondons pas l'épreuve et la tentation. L'épreuve est liée à la souffrance, elle touche les trois dimensions de notre être, aussi bien le physique que l'âme et l'esprit. Il en va de même pour la tentation, alors qu'est-ce qui les distingue ?

Toute souffrance est une épreuve, un déchirement initiatique, même la tentation peut devenir une épreuve, c'est au sein même de l'épreuve que Dieu éprouve, vérifie ma foi et ma confiance en Son Amour. L'épreuve nous fait grandir, la tentation veut nous démolir.

L'humanité entière est dans l'épreuve depuis que nos premiers parents se sont servis de « l'arbre de la connaissance du bien et du mal », en écartant la lumière et la sagesse divine. L'Homme ne peut, par ses propres moyens, distinguer la lumière des ténèbres, c'est dans cette béance que se glisse la tentation. Mais ce n'est pas Dieu qui nous soumet à la tentation

Que nul, s'il est tenté ne dise: c'est Dieu qui me tente (Jc 1,13).

Dieu ne veut jamais le mal. Il l'a en «horreur» nous dit la Bible, mais Il accepte que nous soyons tentés parce qu'Il nous a créés libres, Il nous respecte dans cette
liberté et Il tirera le bien du mal en nous donnant tous les moyens pour résister et nous libérer si nous nous tournons vers Lui.

Dans ma détresse, c'est au Seigneur que je crie et Il m'exauce
Seigneur délivre-moi de la lèvre mensongère et de la langue trompeuse
(Ps 120,1-2).

Même si nous sommes tombés dans la plus terrible des tentations, si nous en prenons conscience et revenons vers Lui, Il se tourne vers nous comme pour l'enfant prodigue

Des profondeurs je crie vers Toi Seigneur Seigneur écoute mon appel Que ton oreille se fasse attentive Aux cris de ma prière Si tu retiens les fautes Seigneur Qui donc subsistera ? Mais près de Toi se trouve le pardon Je te crains et j'espère... (Ps 130).

Le Christ a été tenté par Satan dans le désert, c'est l'Esprit Saint qui l'y avait conduit, et la tentation de Jésus est une pédagogie, une initiation divine: Dieu s'est incarné, Il a pris sur Lui toute la faiblesse de l'humanité, comment pouvait-Il échapper à la tentation alors que c'est l' accordance avec la tentation qui a failli anéantir l'humanité?

Mais qui dit tentation dit Tentateur, c'est lui, qui dans le désert propose au Christ les trois tentations responsables de l'adultère d'Adam, l'Homme, avec son Créateur: la Jouissance, le Pouvoir, l'Avoir. Quelle a été la réponse du Christ? Arrière Satan, il est écrit. Dans sa propre tentation le Christ nous apprend à résister à la tentation par l'obéissance, la connaissance et la foi dans les commandements divins.

La tentation, c'est la proposition de l'illusion de la vie, d'écarter l'Homme de l'Unique vérité, de l'Unique chemin qui conduit à la Vie. Cette Vie, c'est Lui, le Christ.

Hors de moi vous ne pouvez rien faire (Jn 15,5).

Le Christ est l'Image du Dieu invisible, c'est cette Image qui est imprimée, scellée en nous. La tentation veut conduire à la stérilisation de l'Homme, à l'empêchement de sa réalisation qui est sa divinisation, c'est-à-dire l'union de la conscience j humaine et divine, de la volonté humaine et divine.

Si le Christ n'est pas le Chemin, la Vérité et la Vie alors notre vie n'a pas de sens, ni d'avenir, nous ne comprenons pas et surtout ne pouvons assumer nos épreuves, nos difficultés, la souffrance, la mort. Dieu nous a créés pour être heureux, donc si Dieu ne nous comble pas, nous perdons l'écoute intérieure: Viens, suis-Moi! et c'est la voix extérieure qui nous conduira sur le chemin de la tentation. C'est la même voix qui a tenté Adam, qui a tenté Jésus dans le désert, qui nous dit aujourd'hui:

Je te donnerai toute cette puissance et toute la gloire de ces royaumes, car elle m'a été livrée, et je la donne à qui je veux. Si donc tu te prosternes devant moi, elle sera toute à toi (Le 4,6-7).

En résumé : «Viens, suis-moi, je suis la clef du bonheur.» C'est ainsi que des jeunes et des non jeunes, des hommes comme des femmes, de toutes les couches de la société se font leurrer par une certaine astrologie, voyance, magie qui, sous le couvert de la révélation d'un superbe avenir, ne cherchent qu'à éloigner de Dieu, donc conduire à la mort intérieure.

La plus grande tentation c'est de perpétuer et de céder, comme Adam, à la tentation d'exister sans Dieu, c'est-à-dire d'agir selon nos propres concepts; c'est pourquoi nous sommes une humanité dédoublée, nous portons tour à tour un visage d'ange, ou le masque de la bête. Nous pouvons raviver la flamme de l'amour et grandir dans la ressemblance ou bien approvisionner le feu de la géhenne et nous enfoncer dans la dissemblance, perdre notre visage humain.

Ce qui détruit surtout le monde ce n'est pas d'abord l'athéisme qui ne connaît pas Dieu, mais toutes les formes de religiosités qui prennent la place de Dieu et nous amènent à confondre l'épreuve avec la tentation, donc à croire que Dieu permet la tentation.

Affirmons à nouveau: ce n'est pas Dieu qui permet la tentation, notre Dieu n'est pas sadique, Il est Amour et Miséricorde, c'est Lui-même qui nous l'a dit et prouvé en son Fils

Car du fait qu'Il a souffert lui-même quand Il fut tenté, Il peut secourir ceux
qui sont tentés
(He 2,18).

C'est ainsi que le Christ est entré ouvertement en lutte contre le Malin au profit de la race humaine. Le Christ porte en Lui une double dynamique : le mouvement du Père qui descend dans l'humanité en s'incarnant dans le Fils au souffle de l'Esprit, et le mouvement de retour vers le Père qui passe par la souffrance de la Croix, afin d'élever vers le Père l'humanité retenue par le Malin.

Le Malin a tenté Adam, il a aussi tenté le Christ sur la Croix. Il a tenté de pousser le Seigneur Jésus jusqu'au désespoir:

Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'as-tu abandonné? (Mc 15,34).

Jésus est descendu au plus profond de l'épreuve que l'homme peut subir, car dans l'enfer de l'épreuve se niche la tentation : renier Dieu ! C'est dans cet enfer que le Christ a définitivement vaincu le Tentateur: ce n'est pas à ce dernier mais à son Père qu'Il remet son Esprit:

Père, entre tes mains, je remets mon esprit (Lc 23,46).

Et c'est dans le Souffle Saint qu'Il nous ouvre la voie de la libération: Gardez courage! J'ai vaincu le monde (Jn 16,33). C'est-à-dire le Prince de ce monde: le Malin.

Mais demeurons vigilants car nous ne sommes pas libérés de la tentation, sans cesse le Malin nous cherche, car il s'agit d'une affaire de vie ou de mort, suivre le Christ ou suivre Satan. Qui est mon Maître? Cependant le Malin ne peut rien si nous ne sommes pas complices.

La tentation peut revêtir mille facettes donnant les moyens d'acquérir le soi-disant bonheur après lequel soupire tout Homme: nous revêtir d'un semblant d'existence, ou de combler nos manques par les possessions du monde. Mais toutes ces joies ne sont pas durables: buée des buées, vanité des vanités dit l'Ecclésiaste. De même, sous le couvert des bonnes actions, nous pouvons nourrir notre vaine gloire, là encore il ne restera rien, car personne, ni rien ne m'appartient. Plus encore, nous pouvons être tentés dans nos instincts de violence et nous détruire, ou porter la guerre dans le monde.

Si nous ne demeurons pas dans la prière et l'écoute de la voix divine, nous succomberons à la tentation. Nous ne sommes pas responsables des pensées de tentation que nous suggère le Malin, mais nous sommes libres de consentir ou de refuser.


ÊTRE TENTÉ CE N'EST PAS SUCCOMBER

Nous ne sommes pas libérés de la tentation, mais le Christ a vaincu le Tentateur, cependant Dieu nous a créés libres, son Amour respecte mes décisions. Si je le décide, Dieu ne s'opposera pas à mon désir d'obéir au Démon, si c'est mon choix. Ne Lui demandons pas d'agir à notre place, nous pouvons être des marionnettes dans les mains de Satan, mais pour Dieu nous ne sommes pas des robots.

Adam a transmis à l'humanité le fruit de sa trahison et c'est la voix satanique qui l'a séduit lui et « Isha », l'autre côté de lui-même, le féminin de son être. Depuis nous sommes des êtres déséquilibrés, nous ne vivons plus dans le Jardin d'Eden, le Jardin des délices, c'est-à-dire notre profondeur. Nous avons perdu notre unité, nous sommes en déséquilibre : notre dimension psycho-biologique et notre vie spirituelle qui constituent notre structure humaine ne sont plus en harmonie

Car la chair convoite contre l'esprit et l'esprit contre la chair: ils sont opposés l'un à l'autre de sorte que ce que vous voulez, vous ne le faites pas
(Ga 5,17).

Comprenons bien le mécanisme anthropologique : si notre âme, notre psyché, vit dans l'esprit, c'est-à-dire dans l'écoute et la prière, elle est illuminée par l'Esprit Saint et spiritualise notre corps de chair; si au contraire, elle se détourne de l'esprit, elle opacifie le corps de ses propres ténèbres et tombe, comme Jésus l'a dit, dans la tentation.

Les conséquences de notre consentement à la tentation sont mortelles car derrière la tentation se cache le Prince de la mort: le Tentateur. C'est pourquoi Jésus nous confie à Son Père : « Garde-nous de consentir, de succomber à la tentation. » Seuls, nous sommes trop faibles, trop aveugles pour discerner, pour résister, parce que nous ne sommes pas encore accomplis. Qui d'autre que Dieu peut avoir raison du Tentateur?

Que le ciel nous préserve de croire que Dieu puisse nous tenter (Tertullien, IIIe s.).

Parce que Dieu est Amour il ne peut nous tenter, car l'accord à la tentation conduit à la mort; c'est ce que le Créateur a expliqué à nos premiers parents en leur interdisant de toucher à l'Arbre de la connaissance duquel ils n'étaient pas encore prêts de s'approcher, parce qu'ils n'étaient pas assez éveillés à la Sagesse divine. « Abba Père qui es aux Cieux, garde-nous de consentir à la tentation, et même si nous sommes tombés ne nous laisse pas nous enfoncer dans le gouffre, ne nous laisse pas périr. » C'est dans ce cri que Dieu éprouve notre foi et notre amour, et que la tentation devient un passage qui se convertit en épreuve.

Lorsque nous crions vers Dieu et que nous vivons dans le « Shema Israël », Dieu répond toujours à nos prières, peut être pas comme nous le souhaiterions, mais si notre foi est sincère, la lumière du Christ illuminera nos ténèbres. Les martyres de tous les temps, de tous les âges témoignent de cette réalité. L'expérience de la tentation-épreuve est une traversée du désert, un pèlerinage vers la Terre Promise: la profondeur de notre être. C'est une étape de mutation qui veut approfondir notre union avec Dieu, un lâcher-prise qui permet à Dieu en nous d'être Dieu, donc de nous donner la grâce de naître encore davantage à nous-mêmes.

Heureux l'homme, celui qui supporte l'épreuve! Devenu un homme éprouvé, il recevra la couronne de vie que Dieu a promise à ceux qui l'aiment (Jc 1,12).

Judas a sombré, il a confondu la tentation avec l'épreuve. Lorsqu'il a pris conscience de sa trahison, il est entré dans l'horreur de la culpabilité. Il a confondu le péché avec la culpabilité. Celui qui reconnaît son péché crie vers Dieu, celui qui se sent coupable se juge lui-même. C'est insupportable pour Judas mais c'est l'occasion pour le Tentateur de chercher à le séparer à jamais de Jésus, en d'autres mots : «Sors de cette vie, suis-moi.»

Job au contraire n'a pas laissé le dernier mot à Satan, pourtant il s'est tellement senti éprouvé par Dieu, c'était un homme bon et juste, et il le savait, il aurait pu renier Dieu comme sa femme le lui avait suggéré, mais

Les jours de peine se sont abattus sur moi...
Je ne suis plus que poussière et cendre...
Tu ne me réponds pas, O Dieu, quand je t'appelle... Je me tiens là et tu ne me regardes pas
(Jb 30,19).

Job ne se détourne pas, certes il discute avec Dieu, se justifie, questionne, et Dieu répond. Job découvre que le Dieu qu'il couvre de reproches n'est pas le vrai Dieu. Et lorsque Job se tait et laisse la parole à Dieu, son écoute et son regard retrouvent leur intériorité : Adonaï peut alors se manifester.

Mon oreille avait entendu parler de toi, Mais maintenant mon oeil t'a vu (Jb 42,5).

C'est en assumant l'enfer de la souffrance que Job mute et expérimente la Présence divine au sein même de l'inacceptable, et c'est le passage de la mort à la vie accomplie par le Christ sur la Croix

Tout est accompli (Jn 19,30).

Sur la Croix, Jésus est suspendu entre Ciel et terre, c'est là qu'Il relie le Ciel avec la terre, qu'Il réconcilie l'humanité avec le Père céleste, avec Abba, notre Père qui est aux Cieux. Par la Passion du Christ, le Sacrifice de Sa chair sur la Croix, la puissance de la tentation est vaincue, notre nature humaine est délivrée de l'asservissement au Tentateur. Par la glorieuse Résurrection du Christ jusque dans Sa chair, notre nature humaine est délivrée de la corruption et de la mort, et:

Si la nature recherche l'immortalité depuis les origines, elle ne l'a atteinte plus tard, que dans le Corps du Sauveur, car c'est Lui qui, ressuscité d'entre les morts pour la vie immortelle, est devenu le guide de notre race vers l'immortalité! (saint Nicolas Cabasilas, XVe).

Hallelou-Yah !

Alors, comment comprendre la dernière supplique du « Notre Père » Mais délivre-nous du Malin?

Nous essaierons de nous approcher de la réalité de cette demande dans le prochain «Chemin».

http://www.centre-bethanie.org


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