Matthieu,
grand écrivain juif de langue grecque tels Philon d' Alexandrie,
le platonicien juif et Flavius Josèphe, l'historien de la Guerre
des Juifs et des Antiquités Judaïques; enfin Luc, qu'Edouard
Meyer, à la première page de son Origines et debuts du
christianisme (Leipzig, 1922), n'hésite pas à mettre au
rang des grands historiens et biographes hellénistiques.
Marc n'est pas poète comme Jean, n'écrit pas un grec élégant
comme Matthieu, n'est pas un Hellène comme Luc. Il commet des
fautes de grec, des sémitismes et, curieusement, des latinismes.
Il est prosaïque et tout ce que contient son Evangile est ou pourrait
être appuyé par le témoignage d'une ou plusieurs
personnes. Il a le côté terre-à-terre, pourrait-on
dire, qui est comme fait exprès pour faciliter à l'homme
d'aujourd'hui l'accès à l'ensemble des Evangiles.
L'Evangile
selon Saint Marc est, de l'avis des savants, le premier en date. Marc
est le créateur du genre littéraire et aussi le premier
qui a employé le mot d'Evangile, non seulement pour la prédication
- cela se faisait déjà depuis une vingtaine ou une trentaine
d'années - mais aussi pour le récit écrit de la
Passion, de ce qui la précéda, et de la Résurrection,
récit contenant aussi les enseignements de notre Sauveur.
La Passion
occupe quarante pour cent du texte de Saint Marc et seulement vingt
pour cent du texte de Saint Luc. Saint Marc se consacre surtout à
la narration, surtout à la vie du Christ, à Sa personne.
Ce sont les deux autres synoptiques, Matthieu et Luc, qui nous transmettent
la majeure partie des enseignements du Christ.
Marc
s' attache à Sa présence immédiate. A travers son
texte, d'une brièveté, d'une simplicité extrêmes,
mais génial d' expressivité, nous percevrons le Christ,
nous vivons auprès de lui.
C' est
pourquoi j'ose affirmer que, dans le monde moderne, désemparé,
déchristianisé, irréligieux, Marc est la porte
d' accès aux Evangiles. Il est le modeste introducteur à
la personne et au message du Christ.
Mais,
ne nous y trompons pas, il est aussi comme infusé dans les deux
autres synoptiques " qui embrassent d'un même regard
" parce qu'ils sont nourris du texte de Saint Marc.
Sur
les 661 versets contenus dans le texte " authentique "
de Saint Marc (il y a quelques versets rajoutés, considérés
comme " canoniques ", mais non " authentiques
", c'est-à-dire acceptés par l'Eglise, quoique évidemment
" doublets " ou commentaires d'un copiste) - sur ces
661 versets plus de 600 sont reproduits ou utilisés chez Matthieu
et 350 chez Luc. Il n'y a que 31 versets sur 661 chez Saint Marc qui
soient absolument sans écho, soit chez Saint Matthieu, soit chez
Saint Luc. Les deux répètent le texte de Marc parfois
avec des variantes dues peut-être à une édition
de son Evangile dont ils disposaient et qui était plus ancienne
que la nôtre et légèrement différente de
celle-ci.
Matthieu
et Luc reprennent dans le même ordre que Marc les passages de
Marc 1, 1 à 15 et 39; 2,1 à 3 et 12; 4, 1 à 12;
6, 14 à 16 et 30 à 44; 8,29 ; 9,8-9 et 14 à 37;
10, 13 à 30; 11, 1 à 11, 15 à 19 et 27 à
33; 12, 1 à 27 et 35 à 40; 13, 1 à 20 et 24 à
32; 14 et 15, presque entièrement.
Il y
a des passages de Marc absents chez Luc mais présents chez Matthieu
- ainsi: Matthieu 14, 1 à 28,10 suit fidèlement, Marc
6,14 à 16, 8. Mais l'inverse arrive aussi. Ainsi Marc 1, 40 à
3, 12 et 4, 1 à 5, 23 est presque entièrement reproduit
par Luc 5, 12 à 6, 19 et 8, 4 à 56, alors que Matthieu
s' en écarte souvent.
Cet
état de choses ne saurait s'expliquer, sinon par l'hypothèse
que l'Evangile grec selon Saint Marc a été la source directe
des Evangiles selon Matthieu et Luc. Plus, évidemment, la collection
des Propos du Christ que les historiens du texte désignent par
le sigle Q (de Quelle, source en allemand) et dont Marc ne disposait
pas.
La langue
originale de l'Evangile selon Saint Marc est le grec, avec nombre de
tournures du langage quotidien non littéraire, plus des latinismes
difficilement explicables et quelques sémitismes dus aux sources
araméennes, ou à LA source araméenne, si Saint
Marc fut, comme le veut la tradition, effectivement le compagnon et
l' interprète (en grec et en latin ?) de Saint Pierre, le pêcheur
galiléen sachant seulement l'araméen.
L'
édition de Saint Marc dont se servirent Matthieu et Luc n'était
pas identique à celle dont nous disposons aujourd'hui : ils n'ont
rien qui corresponde aux passages de Marc 8, 22 à 26 14,26 à
29 et 51-52, passages qui ne se trouvent QUE chez Saint Marc.
Cependant,
s'il y a eu une " première version ", connue
des deux autres synoptiques, elle était très légèrement
différente de la nôtre.
Les
critiques et historiens du texte ont émis l'hypothèse
que l'Evangile selon Saint Marc fut écrit en Syrie ou en Asie-Mineure.
Cependant, rien ne nous interdit de croire ce que nous dit la tradition.
A savoir que l'auteur est en effet " Jean surnommé Marc
", le fils de Marie de Jérusalem, le cousin de Barnabé.
Et l'hallucinant " instantané photographique " du
jeune homme inconnu qui s'évade lors de l'arrestation du Christ
nous laisse rêveurs. Qui d' autre que lui-même aurait retenu
ce détail, l'aurait rendu comme une discrète allusion:
" j'étais présent " ?
En tous
cas, nous le voyons nommé dans les Epîtres à Philémon
(24) et aux Colossiens (4,10} et dans les Actes (12,12,25 -15,37 : "
Jean appelé Marc " 13,5,13 : " Jean ").
Actes
12,25 nous montrent que la maison de sa mère était un
centre de vie chrétienne. Dans Actes 12,25, Barnabé et
Saint Paul le prennent avec eux à Antioche; il devient (13, 5)
leur assistant en mission, mais, arrivée en Pamphylie, Marc les
quitte et retourne à Jérusalem. Ce qui entraîne
leur séparation, Barnabé désirant le garder auprès
d' eux contrairement à Saint Paul (15,37-39). Marc part par voie
de mer, via Chypre; les Actes n'en font plus mention.
Mais
la tradition nous le montre interprète de Pierre, sans doute
à Rome, ensuite fondateur de l'Eglise d' Alexandrie.
Il y a fait un premier séjour en 43, jusqu'en 49. Avant son départ
- et c'est après que se situent sans doute les circonstances
auxquelles font allusion les Epîtres et les Actes - il ordonne
l'évêque Anien (Annianos).
Suivent
ses pérégrinations avec Paul, Barnabé, Pierre.
Marc est de retour à Alexandrie en 61, trois ans avant la persécution
néronienne à Rome. Saint Pierre vit-il encore ?
En tout
cas, l'Evangile selon Saint Marc est rédigé et circule
de main en main et d'une Assemblée (ekklesia) à l'autre.
Dans la métropole égyptienne, il y a déjà
trois " Eglises ". Assisté de Saint Amen, Saint
Marc ordonne trois prêtres (presbyteroï - " anciens
" ) et sept diacres (diakonoï -" serviteurs "
).
Il mourra
martyr en 68. Si c' était bien lui le jeune homme, en vérité
un adolescent, du Jardin des Oliviers, il doit avoir entre la cinquantaine
et la soixantaine. Et, quelque part dans la moitié orientale
de l'empire romain, Saint Matthieu et Saint Luc, son Evangile devant
eux, composent les leurs. . .
A Jérusalem,
la Guerre des Juifs fait rage. . .
Il y
a quatre ou cinq ans depuis que Saint Pierre et Saint Paul ont été
suppliciés à Rome, quatre ans depuis que les chrétiens
servirent, torches vivantes, à l'illumination des jardins impériaux.
Quelques
dizaines d'années plus tard, Le Pasteur d'Hermas, ouvrage composé
entre 100 et 150 se réfère à lui. De même,
un peu plus tard, Saint Justin, philosophe, apologète et martyr,
exécuté autour de 170. Vers 17, Tatien compose une concordance
des évangiles en syriaque. Toujours au deuxième siècle,
Saint Irénée considère Marc comme un des quatre
Evangélistes canoniques. Mais, avant ces auteurs, nulle trace
de Saint Marc employé (lu, cité) indépendamment.
Si, pourtant: dans les Evangiles mêmes, selon Saint Matthieu et
Saint Luc et dans l'Evangile apocryphe attribué à Saint
Pierre.
Comme
un fleuve qui rentre sous terre pour reparaître sous d'autres
noms, Marc nourrit ses grands confrères. Mais on ne l'a jamais
méconnu: son scrupule d'honnêteté, d'exactitude,
sa sévérité digne de son deuxième nom, le
plus romain des noms romains (il vient du nom de Mars -le dieu national
!), sont reconnus et admirés. Toujours à l'époque
" critique ", au milieu du deuxième siècle,
autour de 140- mais peut-être déjà vers 130, voire
115- Papias, évêque d'Hiérapolis en Phrygie, un
des " Pères Apostoliques ", rédige
son Exposition des oracles du Seigneur. Il écrit - le passage
est cité par Eusèbe de Césarée, dans son
Histoire des Eglises, III, 39 - : " Marc qui était devenu
l'interprète de Pierre écrivit exactement les choses dites
ou accomplies par le Seigneur, quoique non dans l' ordre correct. Car
il n'avait ni entendu ni suivi le Seigneur... " (mais le jeune
homme qui s'enfuit nu ?)" ... mais avait, comme je viens de
le dire, suivi plus tard Pierre. . . (mais Barnabé ? mais
Paul ?) " . . . qui réunit l'enseignement selon ses besoins,
mais non en tant que collection des propos du Seigneur. Par conséquent,
Marc ne commit point de péché en écrivant certaines
choses exactement telles qu'il se les rappelait, car il n' avait qu'un
seul souci : n'omettre rien de ce qu'il avait entendu et n'inclure rien
de faux ".
Ne rien
ajouter et ne rien omettre. Quel plus grand titre de gloire ? Sinon
celui de l'écrivain de génie - modeste, discret, qui sait
photographier au passage le petit détail " ininventable
", inaperçu par le lecteur, mais qui nous met en présence
du Christ, nous fait entendre la voix même du Christ ? "
il dormait - à la poupe... sur un coussin "... "
l'herbe verte )}... " un jeune homme en blanc - assis.
. . à droite " " Ephphata " "
Talitha coumi " " Elahi, Elahi, lema sabacthani
? ".
il nous
transmet le Christ. Il nous Le donne à lire et à aimer,
comme s'il nous Le donnait, corps et sang, en Eucharistie. Il L' a donné,
pour ainsi dire, à Matthieu et à Luc, comme on donne l'Eucharistie
dans la bouche du communiant ; et par eux, il nous L' a donné
encore une fois à tous.
Son
animal symbolique est le lion ailé: le courage et l'élévation.
Il réunit l'Afrique et l'Europe : depuis, Alexandrie s'appelle
toujours " le siège de Saint Marc " - cathedra
Marci - et comme il fonda l'Eglise d'Aquilée, lorsque les Huns
d'Attila détruisirent en 452 Aquilée, les habitants se
sauvèrent dans la lagune et fondèrent Venise, dédiée
et consacrée à ce Juif au nom romain et qui écrit
comme quelque génial reporter du Time Magazine.
Marc
est le plus grand reporter depuis l'Antiquité. Même au
millénaire qui vient, il rendra cet humble et inestimable service:
nous mettre immédiatement en présence du Christ.
"
LE MONDE COPTE "
n° 13- 11 bis, rue Champollion - 87000 - LIMOGES
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