LE
DANGER DU " MOI "
Si nous passons en revue l'histoire du péché dans le
monde, nous voyons que le moi se mêle à tout péché.
C'est
pourquoi l'homme qui en triomphe sort vainqueur de chaque combat spirituel.
Tant
que son moi ne le trahit pas et n'ouvre pas ses portes aux ennemis,
l'adversaire extérieur ne l'inquiète pas. Saint Jean
Chrysostome dit avec raison :
Personne ne peut porter atteinte à un homme si cet homme ne
se porte préjudice à lui-même.
Le vrai préjudice est celui de la perte du Royaume céleste
et de la paix intérieure.
Or
cela ne peut atteindre l'homme extérieur, tant que son âme
est forte de l'intérieur. On peut se demander si la cause d'une
chute ne peut pas venir de l'extérieur ?
Séduction ... passion ... assaut extérieur ?
Nous
répondons que les combats extérieurs aussi bien que
les causes de chute peuvent vous assaillir, mais n'ont aucun empire
sur nous, car c'est notre volonté qui détient le pouvoir,
c'est notre moi qui constitue l'ultime autorité.
Acceptons-nous, oui ou non, à l'intérieur de notre coeur,
la séduction ou l'occasion du péché ? Résistons-nous,
oui ou non, à l'attaque qui vient de l'extérieure ?
Joseph le juste fut exposé à un combat acharné
de la part de la femme de Potiphar, mais il ne faillit point, car
il refusait intérieurement le péché.
Il
rejeta la séduction et ainsi triompha.
Satan
nous fait des propositions, mais il ne peut nous obliger à
les exécuter.
LE MOI ET LE PECHE
C'est le moi qui est donc la cause de la chute dans le péché,
les séductions extérieures n'étant que des propositions
que le moi peuvent accepter ou refuser.
Il est vrai que le harcèlement de ces séductions affaiblissent
intérieurement le moi qui finit par se rendre et par succomber
au péché.
C'est
la faiblesse du moi qui est la cause directe de la chute, alors que
les occasions de péché n'en sont que la cause indirecte.
Ainsi,
le moi intérieurement fort s'éloigne des causes de chute
extérieures, pour ne pas se laisser influencer par ces séductions
et faiblir...
Pour
cela le premier psaume nous met en garde contre la voie des égarés
et le banc des moqueurs , et Saint Paul dit : Fuis les passions de
la jeunesse (2 Tm 2, 22).
La fuite dans ce cas est une preuve de la pureté du moi qui
refuse les mauvaises influences extérieures...
Ainsi
Joseph le juste a bien fait de fuir. Sa fuite n'était pas une
preuve de faiblesse mais de force ...
Cette
force qui fut capable de refuser le péché et de s'en
éloigner.
Un moi pur repousse même la pensée mauvaise et non seulement
la cause de chute extérieure.
Il
refuse de traiter avec cette pensée mauvaise et il la chasse
immédiatement, pour ne point lui permettre de prendre pied
et de l'affaiblir intérieurement.
La force du moi émane ici de sa détermination à
fermer les portes de sa pensée et de son coeur à toute
mauvaise proposition de Satan.
C'est
pour cette raison que le psalmiste loue Dieu en disant :
Jérusalem, célébre le Seigneur,
Sion, loue ton Dieu !
Car il a affermi les barres deTes portes,
Il bénit tes fils au milieu de toi ! (Ps 146, 12-13).
Le livre du Cantique des Cantiques loue le moi qui est un jardin bien
clos, une source scellée
(Ct
4, 12).
Les Proverbes disent avec justesse :
Vous ne pouvez empêcher les oiseaux de voler autour de votre
tête, mais vous pouvez les empêcher de faire leur nid
dans vos cheveux.
Les occasions de péché peuvent arriver, mais quelle
attitude votre moi adopte-t-il à leur égard ?
Jusqu'à
quel point votre moi accepte-t-il ou refuse-t-il ces causes de chute
?
Vous rencontrerez sûrement un jour quelqu'un qui vous dira des
paroles irritantes ...
Mais
l'important est de savoir si vous allez vous laisser impressionner
et vous irriter à l'intérieur de votre coeur, ou si
vous serez plus fort que toute provocation, de sorte que les paroles
qui suscitent la colère des autres ne soulèvent pas
la vôtre, mais que vous les accueilliez avec calme, pondération
et sagesse.
Il s'agit là d'une épreuve pour le moi : une épreuve
de sa pureté, de sa force et de sa résistance face aux
provocations.
Quand
l'homme succombe au péché, nous ne pouvons pas dire
que la cause en est uniquement les combats extérieurs, mais
il y a aussi le combat intérieur avec le moi.
Si
celui-ci trahit Dieu et accueille les ennemis extérieurs, les
ennemis de Dieu et les siens propres, nous ne pouvons pas le décharger
de sa responsabilité...
A ce propos une question s'impose : Votre moi est-il votre ami ou
votre ennemi? Est-il pour vous ou contre vous ?
Saint
Isaac dit avec raison :
Si vous vous réconciliez avec votre moi, le Ciel et la terre
se réconcilieront avec vous.
Si vous arrivez à établir à l'intérieur
de vous-même une réconciliation entre votre corps, votre
intelligence et votre esprit, au point que tous les trois s'engagent
sur un seul chemin, celui de l'esprit, et que le corps ne désire
rien contre l'esprit, ni l'esprit contre le corps, dès lors
le Ciel et la terre se réconcilieront avec vous, et vous ne
commettrez plus de péché contre Dieu ni contre vous-même...
Un homme pourrait-il dire qu'il aime son moi et que son moi l'aime
et qu'il cherche toujours à le satisfaire ? Cela nous conduit
à relever un point important, celui du faux amour du moi.
LE FAUX AMOUR DU MOI.
Que signifie aimer son moi ?
Cela
signifie-t-il que vous le gâtiez et que vous lui accordiez tout
ce qu'il demande et tout ce qu'il désire ?
L'amour
du moi signifie-t-il que vous le louiez, que vous le glorifiiez et
que vous le préfériez à tout le monde ?
Si
vous vous comportez ainsi cela prouve que vous aimez votre moi d'un
faux amour ...
L'amour véritable du moi consiste à l'engager dans la
voie spirituelle, à l'attacher à l'amour de Dieu et
à le mener au Royaume divin.
L'amour véritable du moi exige de le corriger quand il commet
une faute, de le redresser quand il dévie du bon chemin, et
de le punir quand il faut, ou de s'opposer à tous ses mauvais
désirs.
Mais parfois le moi voudrait s'adonner à la vie de volupté,
qu'il s'agisse des plaisirs charnels ou sensuels, ou de la jouissance
de ce monde et de ses convoitises...
Dans
ce cas, votre moi devient une source de combats contre vous...
Votre
devoir serait alors de s'opposer à lui de toutes vos forces...
vous rappelant sans cesse ces paroles du Seigneur :
Si quelqu'un veut venir à ma suite, qu'il se renie lui-même,
qu'il se charge de sa croix chaque jour, et qu'il me suive (Lc 9,
23).
Notre Seigneur nous présente la vertu de l'abnégation
comme une vertu primordiale dans la vie en Lui, même si cela
exige de l'homme de se charger, chaque jour, de sa croix.
Or
celle-ci pourrait être la résistance à son propre
moi et son assujettissement. Cependant, nombreux sont ceux qui s'aiment
d'un faux amour dont l'un des aspects est le gonflement du moi.
LE GONFLEMENT DU MOI.
L'homme voudrait que son moi soit toujours grand et magnifique, mais
il cherche à y accéder d'une façon erronée.
Il
voudrait que son moi soit grand de l'extérieur et non de l'intérieur.
Il
voudrait qu'il soit grand de l'extérieur, c'est-à-dire
par les apparences, tels que les postes, les titres, la richesse,
la renommée, les louanges des hommes.
Or
ces choses n'ont aucun rapport avec la nature de l'âme et avec
sa pureté, mais elles sont contre elle, plus encore, elles
sont une preuve de l'ignorance et de l'incompréhension de l'homme.
Car
la Révélation divine nous signale dans le psaume :
Toute la gloire de la fille du roi est en elle-même (Ps 45 selon
la traduction arabe), bien qu'elle soit vêtue de brocart (Ps
45).
En quoi consiste cette gloire intérieure pour celui qui voudrait
que son moi soit vraiment grand selon les moyens spirituels ?
La gloire intérieure du moi c'est d'être à l'image
et à la ressemblance de Dieu, comme Dieu l'a déjà
créé à Son image (Gn 1, 26-27).
La
gloire intérieure du moi l'incite à se parer des fruits
de l'Esprit qui sont la charité, la joie, la paix, la douceur
etc... (Ga 5, 22), ce qui exige du moi d'être pur, saint, chaste,
sans reproche en toutes choses, humble, calme, miséricordieux
et avisé ...
Voilà
bien la vraie gloire.
Celui
qui oriente son moi vers l'acquisition de ces vertus, l'aime réellement
d'un amour spirituel véritable.
Quant à acquérir la louange du moi et sa glorification
de l'extérieur et à chercher à obtenir des hommes
le respect et l'appréciation de ce moi, ce ne sont là
qu'apparences extérieures que l'homme spirituel devra transcender.
Quel
profit spirituel pourrait bien tirer le moi si les autres le louent
?
Quelle
est la valeur de ces louanges par rapport à son éternité
?
La
dignité extérieure est-elle un moyen spirituel pour
agrandir le moi, ou est-elle une guerre spirituelle où défaillent
bien des gens ?
Un des aspects de cette guerre est ce qu'on appelle l'adoration du
moi ou l'amour passionné du moi
...
L'homme voudrait alors que son moi soit beau, sans défaut et
sans faiblesse à ses propres yeux et aux yeux des autres...
comme s'il croyait à l'infaillibilité de son moi et
à l'impossibilité pour lui de commettre le péché.
C'est
un homme infatué de son moi, comme celui qui aime à
se regarder dans un miroir et à y contempler sa beauté.
Un
tel homme ne peut supporter un affront, si minime soit-il, ni une
critique ni une parole franche. Il estime que tout cela défigure
son image qu'il veut garder toujours belle et admirable aux yeux des
gens...
Et comme il refuse toute franchise et critique, il persiste dans ses
fautes, il ne rectifie pas sa voie, il ne change pas ses traits de
caractère.
Ainsi, l'amour du moi l'éloigne de la pureté intérieure.
Cet amour du moi devient alors un danger pour l'éternité
de l'homme, car il n'est point un amour vrai.
C'est
un attachement à la réputation de ce moi, de son image
devant les gens, et non à son éternité ni à
sa pureté.
C'est
un attachement qui n'est pas spirituel, qui représente un danger
pour le moi et qui lui porte préjudice.
Nous
pouvons dès lors dire qu'il n'est point un amour vrai mais
une guerre spirituelle.
Cependant, la tentative de gonfler le moi en attirant la louange d'autrui
est un des combats spirituels où bien des gens sont vaincus.
Celui
qui aime les louanges ne se contente pas d'être loué
par les autres, mais il parle beaucoup de lui-même et se loue
devant les autres.
En parlant de lui-même, un tel homme ne peut être juste,
car il ne signale pas toute la réalité, il ne parle
que des qualités de son moi, de ses victoires et de sa gloire
et, en même temps, il cache ses faiblesses.
Et si quelqu'un lui signales ses points faibles ou quelques-uns d'entre
eux, il cherche à les justifier ou à les défendre.
C'EST UNE GUERRE BIEN ANCIENNE
C'est
le combat auquel furent exposés nos Premiers Parents, lorsque
Satan les a séduits en disant : Vous serez comme des dieux
(Gn 3, 5).
L'orgueil
par lequel l'homme fut assailli n'était autre que le péché
qui entraîna la chute de Satan.
C'est
pour cette raison que l'Ecriture Sainte le blâme en disant:
Toi qui avais dit dans ton coeur : J'escaladerai les Cieux au-dessus
des étoiles de Dieu, j'élèverai mon trône...
Je
monterai au sommet des nuages, je m'égalerai au Très-Haut
(Is 14, 13-14).
La
répétition des termes "je monte", "au-dessus"
et "sommet" prouve la tentative de gonflement du
moi. Plus encore, l'orgueil a atteint ici la déification...
Je m'égalerai au Très-Haut.
Estimez-vous
qu'il y ait un danger plus grave pour le moi que ce gonflement ou
plutôt cette dégradation du moi ?...
Hérode
fut exposé à un tel combat, et l'Ange de Dieu le frappa...
et, rongé des vers, il rendit l'âme (Ac 12, 23-24).
L'un
des aspects du gonflement du moi est d'être juste à ses
propres yeux.
Cette
expression figure dans le livre de Job : Ces trois hommes cessèrent
de répondre à Job parce qu'il s'estimait juste (Jb 31,
1).
Plus
encore, Elihu lui dit : Crois-tu assurer ton droit, affirmer ta justice
devant Dieu (Jb 35, 1)?
La
tour de Babel fut aussi, dans le passé, un des aspects du gonflement
du moi. Les hommes se dirent : Allons ! Bâtissons-nous une ville
et une tour dont les sommets pénètrent les cieux.
Faisons-nous
un nom (Gn 11, 4).
En
conséquence de leur orgueil Dieu confondit leurs langues et
les dispersa sur toute la surface de la terre.
Cela
nous conduit à un autre point où l'amour du moi s'oppose
à Dieu.
L'AMOUR DU MOI S'OPPOSE A DIEU
L'excès
de confiance en soi-même conduit l'homme à adopter une
attitude dangereuse, celle d'affirmer son indépendance à
l'égard de Dieu... Il a dès lors confiance dans les
mesures qu'il prend pour organiser sa vie et les apprécie énormément.
Il ne consulte jamais Dieu et se dit à lui-même : "Tant
que je sais, pourquoi devrai-je demander le don de la connaissance
à Dieu ? Pourquoi devrai-je solliciter Son assistance ?
"
C'est
pour cette raison qu'il est bien difficile pour l'homme qui compte
sur lui-même de mener une vie marquée par la soumission
à Dieu.
La
vie de soumission exige en fait l'humilité du coeur, le renoncement
à sa propre opinion et de ce fait l'amour du moi s'y oppose
totalement.
Signalons
à ce propos la faute commise par le prophète Jonas qui
fuit Dieu, parce que sa propre volonté n'allait pas de pair,
en ce temps-là, avec la volonté divine.
Quand
Dieu pardonna à Ninive, Jonas en eut un grand dépit
et s'irrita jusqu'à ce que Dieu l'en blâma en en lui
disant : As-tu raison de te fâcher ? (Jo 4, 1-4)
C'est
vraiment un drame qu'un homme s'irrite contre la volonté divine
au point de demander la mort...
Mais
c'est bien là une attitude du moi !!
Même
s'il s'agit d'un grand prophète tel que Jonas car lui aussi
fut exposé au même combat que les autres
Amba
Shenouda III, pape et patriarche d'Alexandrie
Cet article est publié avec la bénédiction d'Abba
Marcos et Abba Athanasios, métropolite et évêque
de l'Eglise Orthodoxe Copte Française, représentants
en France de Sa Sainteté le Pape Shenouda III, patriarche d'Alexandrie