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La guerre du " Moi "

S.S. SHENUDA III
article paru dans le numéro 58 de la revue Le Chemin
Editions Béthanie


Le moi est l'ennemi le plus ancien et le plus dangereux de l'humanité. Satan ne combat pas l'homme autant que le combat son " moi ".

Le plus grand problème de l'homme est celui du " moi ".

Celui qui en triomphe à l'intérieur de lui-même est capable de vaincre le monde et tous les démons à l'extérieur, et celui qui faiblit devant son moi et en est vaincu peut succomber à n'importe quel péché.



LE DANGER DU " MOI "

Si nous passons en revue l'histoire du péché dans le monde, nous voyons que le moi se mêle à tout péché.

C'est pourquoi l'homme qui en triomphe sort vainqueur de chaque combat spirituel.

Tant que son moi ne le trahit pas et n'ouvre pas ses portes aux ennemis, l'adversaire extérieur ne l'inquiète pas. Saint Jean Chrysostome dit avec raison :

Personne ne peut porter atteinte à un homme si cet homme ne se porte préjudice à lui-même.

Le vrai préjudice est celui de la perte du Royaume céleste et de la paix intérieure.

Or cela ne peut atteindre l'homme extérieur, tant que son âme est forte de l'intérieur. On peut se demander si la cause d'une chute ne peut pas venir de l'extérieur ?

Séduction ... passion ... assaut extérieur ?

Nous répondons que les combats extérieurs aussi bien que les causes de chute peuvent vous assaillir, mais n'ont aucun empire sur nous, car c'est notre volonté qui détient le pouvoir, c'est notre moi qui constitue l'ultime autorité.

Acceptons-nous, oui ou non, à l'intérieur de notre coeur, la séduction ou l'occasion du péché ? Résistons-nous, oui ou non, à l'attaque qui vient de l'extérieure ?

Joseph le juste fut exposé à un combat acharné de la part de la femme de Potiphar, mais il ne faillit point, car il refusait intérieurement le péché.

Il rejeta la séduction et ainsi triompha.

Satan nous fait des propositions, mais il ne peut nous obliger à les exécuter.

LE MOI ET LE PECHE

C'est le moi qui est donc la cause de la chute dans le péché, les séductions extérieures n'étant que des propositions que le moi peuvent accepter ou refuser.

Il est vrai que le harcèlement de ces séductions affaiblissent intérieurement le moi qui finit par se rendre et par succomber au péché.

C'est la faiblesse du moi qui est la cause directe de la chute, alors que les occasions de péché n'en sont que la cause indirecte.

Ainsi, le moi intérieurement fort s'éloigne des causes de chute extérieures, pour ne pas se laisser influencer par ces séductions et faiblir...

Pour cela le premier psaume nous met en garde contre la voie des égarés et le banc des moqueurs , et Saint Paul dit : Fuis les passions de la jeunesse (2 Tm 2, 22).

La fuite dans ce cas est une preuve de la pureté du moi qui refuse les mauvaises influences extérieures...

Ainsi Joseph le juste a bien fait de fuir. Sa fuite n'était pas une preuve de faiblesse mais de force ...

Cette force qui fut capable de refuser le péché et de s'en éloigner.

Un moi pur repousse même la pensée mauvaise et non seulement la cause de chute extérieure.

Il refuse de traiter avec cette pensée mauvaise et il la chasse immédiatement, pour ne point lui permettre de prendre pied et de l'affaiblir intérieurement.

La force du moi émane ici de sa détermination à fermer les portes de sa pensée et de son coeur à toute mauvaise proposition de Satan.

C'est pour cette raison que le psalmiste loue Dieu en disant :

Jérusalem, célébre le Seigneur,
Sion, loue ton Dieu !
Car il a affermi les barres deTes portes,
Il bénit tes fils au milieu de toi ! (Ps 146, 12-13).

Le livre du Cantique des Cantiques loue le moi qui est un jardin bien clos, une source scellée
(Ct 4, 12).

Les Proverbes disent avec justesse :

Vous ne pouvez empêcher les oiseaux de voler autour de votre tête, mais vous pouvez les empêcher de faire leur nid dans vos cheveux.

Les occasions de péché peuvent arriver, mais quelle attitude votre moi adopte-t-il à leur égard ?

Jusqu'à quel point votre moi accepte-t-il ou refuse-t-il ces causes de chute ?

Vous rencontrerez sûrement un jour quelqu'un qui vous dira des paroles irritantes ...

Mais l'important est de savoir si vous allez vous laisser impressionner et vous irriter à l'intérieur de votre coeur, ou si vous serez plus fort que toute provocation, de sorte que les paroles qui suscitent la colère des autres ne soulèvent pas la vôtre, mais que vous les accueilliez avec calme, pondération et sagesse.

Il s'agit là d'une épreuve pour le moi : une épreuve de sa pureté, de sa force et de sa résistance face aux provocations.

Quand l'homme succombe au péché, nous ne pouvons pas dire que la cause en est uniquement les combats extérieurs, mais il y a aussi le combat intérieur avec le moi.

Si celui-ci trahit Dieu et accueille les ennemis extérieurs, les ennemis de Dieu et les siens propres, nous ne pouvons pas le décharger de sa responsabilité...

A ce propos une question s'impose : Votre moi est-il votre ami ou votre ennemi? Est-il pour vous ou contre vous ?

Saint Isaac dit avec raison :

Si vous vous réconciliez avec votre moi, le Ciel et la terre se réconcilieront avec vous.

Si vous arrivez à établir à l'intérieur de vous-même une réconciliation entre votre corps, votre intelligence et votre esprit, au point que tous les trois s'engagent sur un seul chemin, celui de l'esprit, et que le corps ne désire rien contre l'esprit, ni l'esprit contre le corps, dès lors le Ciel et la terre se réconcilieront avec vous, et vous ne commettrez plus de péché contre Dieu ni contre vous-même...

Un homme pourrait-il dire qu'il aime son moi et que son moi l'aime et qu'il cherche toujours à le satisfaire ? Cela nous conduit à relever un point important, celui du faux amour du moi.


LE FAUX AMOUR DU MOI.

Que signifie aimer son moi ?

Cela signifie-t-il que vous le gâtiez et que vous lui accordiez tout ce qu'il demande et tout ce qu'il désire ?

L'amour du moi signifie-t-il que vous le louiez, que vous le glorifiiez et que vous le préfériez à tout le monde ?

Si vous vous comportez ainsi cela prouve que vous aimez votre moi d'un faux amour ...

L'amour véritable du moi consiste à l'engager dans la voie spirituelle, à l'attacher à l'amour de Dieu et à le mener au Royaume divin.

L'amour véritable du moi exige de le corriger quand il commet une faute, de le redresser quand il dévie du bon chemin, et de le punir quand il faut, ou de s'opposer à tous ses mauvais désirs.

Mais parfois le moi voudrait s'adonner à la vie de volupté, qu'il s'agisse des plaisirs charnels ou sensuels, ou de la jouissance de ce monde et de ses convoitises...

Dans ce cas, votre moi devient une source de combats contre vous...

Votre devoir serait alors de s'opposer à lui de toutes vos forces... vous rappelant sans cesse ces paroles du Seigneur :

Si quelqu'un veut venir à ma suite, qu'il se renie lui-même, qu'il se charge de sa croix chaque jour, et qu'il me suive (Lc 9, 23).

Notre Seigneur nous présente la vertu de l'abnégation comme une vertu primordiale dans la vie en Lui, même si cela exige de l'homme de se charger, chaque jour, de sa croix.

Or celle-ci pourrait être la résistance à son propre moi et son assujettissement. Cependant, nombreux sont ceux qui s'aiment d'un faux amour dont l'un des aspects est le gonflement du moi.


LE GONFLEMENT DU MOI.

L'homme voudrait que son moi soit toujours grand et magnifique, mais il cherche à y accéder d'une façon erronée.

Il voudrait que son moi soit grand de l'extérieur et non de l'intérieur.

Il voudrait qu'il soit grand de l'extérieur, c'est-à-dire par les apparences, tels que les postes, les titres, la richesse, la renommée, les louanges des hommes.

Or ces choses n'ont aucun rapport avec la nature de l'âme et avec sa pureté, mais elles sont contre elle, plus encore, elles sont une preuve de l'ignorance et de l'incompréhension de l'homme.

Car la Révélation divine nous signale dans le psaume :

Toute la gloire de la fille du roi est en elle-même (Ps 45 selon la traduction arabe), bien qu'elle soit vêtue de brocart (Ps 45).

En quoi consiste cette gloire intérieure pour celui qui voudrait que son moi soit vraiment grand selon les moyens spirituels ?

La gloire intérieure du moi c'est d'être à l'image et à la ressemblance de Dieu, comme Dieu l'a déjà créé à Son image (Gn 1, 26-27).

La gloire intérieure du moi l'incite à se parer des fruits de l'Esprit qui sont la charité, la joie, la paix, la douceur etc... (Ga 5, 22), ce qui exige du moi d'être pur, saint, chaste, sans reproche en toutes choses, humble, calme, miséricordieux et avisé ...

Voilà bien la vraie gloire.

Celui qui oriente son moi vers l'acquisition de ces vertus, l'aime réellement d'un amour spirituel véritable.

Quant à acquérir la louange du moi et sa glorification de l'extérieur et à chercher à obtenir des hommes le respect et l'appréciation de ce moi, ce ne sont là qu'apparences extérieures que l'homme spirituel devra transcender.

Quel profit spirituel pourrait bien tirer le moi si les autres le louent ?

Quelle est la valeur de ces louanges par rapport à son éternité ?

La dignité extérieure est-elle un moyen spirituel pour agrandir le moi, ou est-elle une guerre spirituelle où défaillent bien des gens ?

Un des aspects de cette guerre est ce qu'on appelle l'adoration du moi ou l'amour passionné du moi

... L'homme voudrait alors que son moi soit beau, sans défaut et sans faiblesse à ses propres yeux et aux yeux des autres... comme s'il croyait à l'infaillibilité de son moi et à l'impossibilité pour lui de commettre le péché.

C'est un homme infatué de son moi, comme celui qui aime à se regarder dans un miroir et à y contempler sa beauté.

Un tel homme ne peut supporter un affront, si minime soit-il, ni une critique ni une parole franche. Il estime que tout cela défigure son image qu'il veut garder toujours belle et admirable aux yeux des gens...

Et comme il refuse toute franchise et critique, il persiste dans ses fautes, il ne rectifie pas sa voie, il ne change pas ses traits de caractère.

Ainsi, l'amour du moi l'éloigne de la pureté intérieure.

Cet amour du moi devient alors un danger pour l'éternité de l'homme, car il n'est point un amour vrai.

C'est un attachement à la réputation de ce moi, de son image devant les gens, et non à son éternité ni à sa pureté.

C'est un attachement qui n'est pas spirituel, qui représente un danger pour le moi et qui lui porte préjudice.

Nous pouvons dès lors dire qu'il n'est point un amour vrai mais une guerre spirituelle.

Cependant, la tentative de gonfler le moi en attirant la louange d'autrui est un des combats spirituels où bien des gens sont vaincus.

Celui qui aime les louanges ne se contente pas d'être loué par les autres, mais il parle beaucoup de lui-même et se loue devant les autres.

En parlant de lui-même, un tel homme ne peut être juste, car il ne signale pas toute la réalité, il ne parle que des qualités de son moi, de ses victoires et de sa gloire et, en même temps, il cache ses faiblesses.

Et si quelqu'un lui signales ses points faibles ou quelques-uns d'entre eux, il cherche à les justifier ou à les défendre.


C'EST UNE GUERRE BIEN ANCIENNE

C'est le combat auquel furent exposés nos Premiers Parents, lorsque Satan les a séduits en disant : Vous serez comme des dieux (Gn 3, 5).

L'orgueil par lequel l'homme fut assailli n'était autre que le péché qui entraîna la chute de Satan.

C'est pour cette raison que l'Ecriture Sainte le blâme en disant: Toi qui avais dit dans ton coeur : J'escaladerai les Cieux au-dessus des étoiles de Dieu, j'élèverai mon trône...

Je monterai au sommet des nuages, je m'égalerai au Très-Haut (Is 14, 13-14).

La répétition des termes "je monte", "au-dessus" et "sommet" prouve la tentative de gonflement du moi. Plus encore, l'orgueil a atteint ici la déification... Je m'égalerai au Très-Haut.

Estimez-vous qu'il y ait un danger plus grave pour le moi que ce gonflement ou plutôt cette dégradation du moi ?...

Hérode fut exposé à un tel combat, et l'Ange de Dieu le frappa... et, rongé des vers, il rendit l'âme (Ac 12, 23-24).

L'un des aspects du gonflement du moi est d'être juste à ses propres yeux.

Cette expression figure dans le livre de Job : Ces trois hommes cessèrent de répondre à Job parce qu'il s'estimait juste (Jb 31, 1).

Plus encore, Elihu lui dit : Crois-tu assurer ton droit, affirmer ta justice devant Dieu (Jb 35, 1)?

La tour de Babel fut aussi, dans le passé, un des aspects du gonflement du moi. Les hommes se dirent : Allons ! Bâtissons-nous une ville et une tour dont les sommets pénètrent les cieux.

Faisons-nous un nom (Gn 11, 4).

En conséquence de leur orgueil Dieu confondit leurs langues et les dispersa sur toute la surface de la terre.

Cela nous conduit à un autre point où l'amour du moi s'oppose à Dieu.


L'AMOUR DU MOI S'OPPOSE A DIEU

L'excès de confiance en soi-même conduit l'homme à adopter une attitude dangereuse, celle d'affirmer son indépendance à l'égard de Dieu... Il a dès lors confiance dans les mesures qu'il prend pour organiser sa vie et les apprécie énormément. Il ne consulte jamais Dieu et se dit à lui-même : "Tant que je sais, pourquoi devrai-je demander le don de la connaissance à Dieu ? Pourquoi devrai-je solliciter Son assistance ? "

C'est pour cette raison qu'il est bien difficile pour l'homme qui compte sur lui-même de mener une vie marquée par la soumission à Dieu.

La vie de soumission exige en fait l'humilité du coeur, le renoncement à sa propre opinion et de ce fait l'amour du moi s'y oppose totalement.

Signalons à ce propos la faute commise par le prophète Jonas qui fuit Dieu, parce que sa propre volonté n'allait pas de pair, en ce temps-là, avec la volonté divine.

Quand Dieu pardonna à Ninive, Jonas en eut un grand dépit et s'irrita jusqu'à ce que Dieu l'en blâma en en lui disant : As-tu raison de te fâcher ? (Jo 4, 1-4)

C'est vraiment un drame qu'un homme s'irrite contre la volonté divine au point de demander la mort...

Mais c'est bien là une attitude du moi !!

Même s'il s'agit d'un grand prophète tel que Jonas car lui aussi fut exposé au même combat que les autres…


Amba Shenouda III, pape et patriarche d'Alexandrie



Cet article est publié avec la bénédiction d'Abba Marcos et Abba Athanasios, métropolite et évêque de l'Eglise Orthodoxe Copte Française, représentants en France de Sa Sainteté le Pape Shenouda III, patriarche d'Alexandrie

 

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