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RÉFLEXIONS SUR L'ICÔNE
ET SUR L'ICÔNE COPTE EN PARTICULIER
par Michel Quenot

(paru dans le N° 19 de la revue Le Monde Copte)

Domicilié en Suisse et auteur d'un remarquable ouvrage sur l'icône (L'Icône, Fenêtre sur l'Absolu, 2e édition, 1988, Éditions du Cerf, Paris), Michel Quenot, allie des connaissances étendues à un sens profond de la Tradition, le tout couronné par un amour rare de l'icône.

"Montre-moi les images que tu vénères et je te dirai ce que tu crois", disait Jean Damascène (+ 730), le conseiller du calife de Damas, homme de Dieu qui vécut au coeur de l'Islam et devint l'un des plus grands théologiens de l'icône.

Lorsque ses frères musulmans l'interrogeaient sur sa foi, il les conduisait simplement à l'église devant les icônes.

A une époque où l'image règne en maître et modèle profondément aussi bien nos habitudes de vie que notre mode de pensée, l'image de notre foi qu'est l'icône - du moins ce qu'elle devrait être - nous interpelle, devient un critère de vérité.

Nous sommes personnellement frappés par la vigilance de certains orthodoxes à déceler les moindres distorsions de la foi dans les paroles, peu sensibles, voire indifférents par contre aux errements lorsqu'il s'agit de l'icône.

Or ceci nous paraît nettement plus important car l'image pénètre au tréfonds de nous, jouit d'un pouvoir au-delà des mots.

Qu'elle soit byzantine, russe, roumaine ou copte, l'icône authentique recourt aux mêmes symboles, traite des mêmes thèmes, exprime la même foi.

Certes, les formes varient et il importe de se souvenir que séparés de leurs frères orthodoxes après le concile de Chalcédoine en 451, les Coptes ne vécurent pas la tourmente iconoclaste (= lutte contre les images) qui propulsa l'image dans le collimateur durant plus d'un siècle, marqué il est vrai par des accalmies, mais dont le résultat fut l'élaboration d'une théologie de l'icône assortie d'une mise en garde contre les nombreuses déviations possibles aux conséquences insoupçonnables.

Par rapport à l'image religieuse qui recourt à des formes profanes, au subjectivisme de l'artiste qui s'exprime sur un thème religieux, l'icône est au contraire le produit de l'Église qui lui a donné sa forme au fil des siècles.

Théologie en couleur, art théologique, elle trouve sa justification dans l'Incarnation qu'elle proclame, car si Dieu s'est incarné, a revêtu notre chair, il peut être représenté .

Ce n'est pas alors la seule humanité du Christ qui doit être montrée, mais la plénitude de sa personne divino-humaine, d'où la tâche redoutable de l'iconographe qui met son talent au service de la forme protégée par des canons, garantie d'une sauvegarde des symboles dans toute leur force et dynamisme.

Loin de projeter ses sentiments, conceptions et fantaisies, qu'il infligerait aux autres, son attitude "kénotique" (de "kénose" = abaissement) le pousse à s'effacer, à l'exemple de Jean le Précurseur, laissant-le champ libre à ce qui, à Celui qui est re-présenté, rendu mystériquement présent sur la planche de bois.

Développée en harmonie avec les évangiles et les textes liturgiques dont elle visualise le contenu avec le concours des symboles, l'icône s'inscrit dans la liturgie, y joue un rôle essentiel, de sorte qu'elle est une image liturgique.

Affirmer cela, c'est mesurer l'importance de la déclaration de Jean Damascène citée plus haut, mais aussi l'influence pernicieuse exercée par toute prétendue icône qui ne traduit pas la foi dans sa pureté, semant sans le vouloir des germes d'athéisme.

Toute l'histoire de la chrétienté résonne de la clameur de gens qui se sont éloignés, souvent à leur insu, à cause d'images qui ont pastiché, caricaturé, en un mot trahi la Vérité, qui n'est pas quelque chose mais Quelqu'un, le Christ, Fils de Dieu fait homme.

Façon de souligner que dans l'environnement musulman actuel de l'Église copte, l'icône peut et doit jouer un rôle de premier plan.

Si l'Égypte constitue avec la Grèce une sorte de fondement culturel du christianisme, il s'avère pourtant difficile de poser des affirmations au sujet de l'icône copte en raison du nombre fort restreint d'icônes anciennes disponibles.

Les liens avec l'art de l'Égypte ancienne méritent davantage qu'une brève mention mais d'autres plus qualifiés que nous ont élaboré une recherche à ce niveau.

Signalons pour exemple que, dans l'art égyptien de l'antiquité, on montrait une âme ailée voltigeant au-dessus d'un corps de même forme.

Or, dans l'iconographie, les Coptes ne visent pas en premier lieu à peindre les traits du corps de la personne mais son âme.

Les corps disproportionnés, de même que le peu d'intérêt manifesté pour les traits corporels, concentrent la vision sur l'essentiel, à savoir la force de l'Esprit Saint qui les habite.

L'absence de naturalisme, d'émotion et de sensualité rappelle, en effet, que l'icône ne représente pas le monde de la chair, et la diminution de l'accent corporel permet la mise en évidence du spirituel exemplifié par les yeux démesurément larges, symbole de la vision intérieure.

A l'opposé des Byzantins, la tradition copte augmente sensiblement le volume de la tête, symbole que Dieu est notre tête, et le Christ crucifié aux yeux largement ouverts, signe de son immortalité, remémore aussi sa vigilance envers nous.

L'icône copte se distingue fondamentalement de l'icône byzantine par son caractère d'art populaire, oeuvre de gens simples, moines, artisans, paysans, pour des gens simples (ce mot étant considéré dans toute sa noblesse).

Il n'est pas aisé de démêler cet écheveau où l'on observe un chevauchement constant entre les influences proprement égyptiennes, puis les apports byzantins et syriaques, notamment.

Ce qui nous frappe en regardant les icônes coptes des cinq derniers siècles, ce sont les corps parfois en forme de sarcophage de momie, témoignage de l'enracinement dans le passé.



Saint Shenouda

C'est la bonté et la douceur des regards, l'humilité et la présence d'hommes déjà transfigurés, devenus "ophtalmos", "tout oeil et tout regard" selon la belle formule d'un saint moine du désert de Scété. C'est la spontanéité, la fraîcheur, la simplicité du langage visuel .


Saint Apollo et Saint Abib
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C'est enfin la beauté des anges, la majesté de l'archange Michel, grand stratège des armées célestes et force de Dieu, tous fervents intercesseurs aux pieds du Très-Haut dont ils chantent sans fin la gloire, messagers célestes qui veillent sur chacun de nous, refoulant nos ennemis les démons.

L'Église copte connaît aujourd'hui un renouveau spirituel et iconographique réjouissant.

Encore faut-il éviter le piège du modernisme! Certes, l'iconographie doit s'incarner dans la culture où elle se développe, mais cela n'impose pas d'en synthétiser tous les acquis techniques et formels.

Nullement la résultante d'un dosage savant, l'icône procède d'une gestation spirituelle séculaire qui s'exprime par les seules formes aptes à traduire ce jaillissement de l'Esprit.

Nous ne redirons jamais assez combien l'imitation de l'art de la Renaissance par les iconographes slaves et grecs s'est révélée désastreuse pour l'icône, puis, par voie de conséquence, pour toute la théologie et la spiritualité de ces peuples.

L'icône copte n'a pas échappé à cette influence et les relents saint-sulpiciens teintés d'émotionalisme la dénaturent.

Nous sommes franchement surpris par certains éléments clefs des icônes du Dr Isaac Fanous, iconographe renommé dont nous saluons ici l'énorme travail et la quête inlassable de renouveau.

Mais que signifient ces visages d'apôtres, pourtant bien éveillés, représentés les yeux fermés?

N'est-ce pas précisément court-circuiter la communion établie par le regard, primordial dans l'icône?

Que dire de ces bras croisés sur la poitrine, geste peu naturel de la part des apôtres lorsqu'ils côtoyaient le Maître ?

Si l'on considère maintenant l'icône de la Nativité, fort réussie sur le plan esthétique, que devient le symbolisme de la grotte, trou noir qui suggère l'Hadès au coeur duquel jaillit la Lumière qu'est le Christ incarné?


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L'abandon de la symbolique puissante, fondement dynamique de l'icône, se fait au profit d'une composition certes harmonieuse, mais qui va dans le sens des nativités de type italien.

L'Enfant quitte la mangeoire-autel, table du sacrifice à venir, pour reposer sur le sein de sa mère.

Le message n'est-il pas édulcoré, ne s'éloigne-t-on pas trop des sources coptes au profit de sources étrangères?

Si l'icône copte nécessite un second souffle, sa régénération ne peut se faire qu'en lien étroit avec la Tradition et non par des tentatives de création nouvelle autonome qui oblitèrent le potentiel spirituel millénaire d'un peuple.

En bref, le renouvellement authentique de l'iconographie, aussi bien russe, grecque, roumaine que copte, ne relève pas d'un talent qui sache amalgamer les différents courants du langage pictural contemporain, mais d'une vision spirituelle intense, fruit d'un enracinement profond dans l'Église dont l'icône représente l'image liturgique.

André Roublev fut certes le plus grand iconographe qui contribua à un développement de la théologie trinitaire, mais il fut avant tout un homme qui vivait intensément en Christ.

C'est dans ce sens que l'iconographe authentique est théologien.

Dans la foulée d'Antoine le Grand, de Pachôme et des Pères du désert, l'icône visualise la vie en Christ à laquelle nous sommes appelés.

Elle parle de transfiguration, reflète le mystère du salut, révèle le coeur des personnes et des choses.

Canal de grâce, lieu théophanique où l'espace et le temps participent à la Création nouvelle du huitième jour, elle est vision eschatologique (= des fins dernières) et présence.

Adresse du Père Michel : Shekina, CH 1661 le Pâquier. Tél. 026/ 912 66 05
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