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Prier avec le psautier

Extrait de l'introduction au "Psautier Chrétien"
de
Dom Claude Jean-Nesmy

Editions Téqui
82, rue Bonaparte, 75006 Paris

1975 - ISBN 2-85244-038-5



Nous voudrions bien prier.

Comment se fait-il que, si souvent, notre prière nous semble un échec ?

C'est que ce qui devrait être dialogue avec Dieu tourne doublement court.

De notre part, nous avons tristement conscience que ce sont de bien " pauvres prières ".

De la part de Dieu, c'est pire encore, car il ne nous répond guère, semble-t-il.

Comment éviter cette stérilité ?

D'abord il faudrait écouter Dieu là où il nous parle, c'est à dire dans toute la Bible et, plus définitivement, par son Fils (Hé 1,1).

Nous trouverons l'une et l'autre parole dans les psaumes.

En premier lieu, la Bible.

Car les psaumes ne sont pas seulement de merveilleux poèmes, chefs-d'oeuvre de la poésie universelle en ce qu'ils expriment les plus hauts sentiments du coeur de l'homme pour Dieu ; ils sont aussi la révélation du coeur de Dieu pour l'homme, tel qu'il se dévoile à travers l'Alliance (autrement dit l'union d'amour) qu'il propose aux hommes.

La Bible n'est que l'histoire de cette Promesse, de cette " Parole donnée ", que l'infidélité d'Israël ne rompt pas mais qui, pour rester fidèle à elle-même, devient Miséricorde et Pardon (... Psaume 135).

De cette " Histoire Sainte ", de la Sagesse qui en découle comme des Prophéties qui, au nom de Dieu, nous rappellent ces engagements mutuels entre Yahvé et son peuple - bref, des différents Livres qui constituent l'Ecriture Sainte - les psaumes sont comme la caisse de résonance.

Tour à tour historiques, sapientiaux et prophétiques, ils sont comme le coeur de la Bible où viennent battre à la fois le coeur de l'homme et le coeur de Dieu.

Dieu nous y parle et nous y parlons à Dieu par le plus profond de nous-même, que nous ne soupçonnerions peut-être pas si les psaumes n'étaient là pour l'exprimer.

Surtout, en les récitant, nous sommes assurés de dire exactement ce qu'il faut : car, comme toute l'Écriture, les psaumes sont inspirés par l'Esprit Saint et, de ce fait, ils sont bien la prière " selon les vues et le désir de Dieu ", sans lesquels " nous ne saurions prier comme il faut " (Rm 8, 26-27).

Mais les psaumes revêtent à nos yeux une plénitude incomparable du fait qu'ils sont devenus la prière du Christ.

En Lui, Verbe, Parole de Dieu incarnée, le Père nous a en effet tout dit (Jn 15,15).

Il nous engage à toujours écouter cette Parole vivante (Mt 17,5).

Or Jésus lui-même nous avertit que nous le trouverons " dans les psaumes " (Lc 24,44-45).

Ou bien encore, il les a cités pour justifier sa mission (par exemple le Ps 109 en Mc 12, 35-37).

Bien plus : venu assumer le destin de tous les hommes et les ramener à son Père, le Christ a aussi adopté les psaumes, comme la prière qui exprime le mieux ce Mystère du péché, et du salut des hommes par sa propre passion et résurrection (par exemple les psaumes 21 et 30 en Mt 27,46 et Le 23,46).

La prière des psaumes est donc bien devenue prière du Christ.

Et comme la prière chrétienne passe par Lui, elle passe aussi par les psaumes, à titre sinon exclusif du moins privilégié.

C'est ainsi que l'Eglise leur a toujours donné une part prépondérante dans sa prière et sa liturgie, pour mieux s'y unir " à cette intention que Jésus avait lui-même en les récitant lorsqu'il était sur la terre " (ancienne prière d'introduction à l'Office divin).

En ce centre de sa prière et méditation, l'Église rejoint d'ailleurs tous les croyants, puisque la prière des psaumes est le lien commun tant de l'Ancienne Alliance que de la Nouvelle, et des Orthodoxes ou Protestants aussi bien que des Catholiques.

Pour en faire notre propre prière personnelle, il faut donc tout d'abord que la qualité poétique de la traduction laisse passer tout ce que les psaumes expriment à la fois du coeur de l'homme et du coeur de Dieu.

De la sorte, quand nous réciterons les psaumes, nous commencerons de nous y reconnaître.

Ils seront bien notre prière en même temps que la prière attendue de Dieu.

Mais il faut encore que s'y dessine l'accomplissement en cours du Mystère pascal du Christ en ses disciples, pour que nous nous y reconnaissions comme chrétiens, ayant notre rôle à jouer dans ce Mystère et priant pour cela, avec le Christ et l'Eglise.

C'est en ce sens que, depuis vingt siècles, les chrétiens poursuivent leur méditation du Psautier, notamment ceux que l'on a nommés les " Pères de l'Eglise ", tant ils ont joint à la sainteté de leur vie, de piété pour Dieu et d'intelligence à " scruter les Ecritures " tant aussi nous avons reçu d'eux.
(...)

Ainsi les psaumes nous apprennent peu à peu comment tout voir et faire dans notre vie suivant la perspective totale dans laquelle s'inscrit non seulement le Psautier mais la Bible entière : la faute originelle d'Adam - et nous devons donner tout leur poids aux multiples mentions du premier péché et de ses " inventeurs " - l'Alliance, le permanent combat qui en résulte entre les puissances de l'impiété ou du mal et les justes (qui sont aussi les pauvres de Yahvé ou les humbles), pour garder leur foi intacte au milieu des infidèles et de leurs persécutions ou de leurs flatteries, jusqu'au triomphe de Dieu et de ses élus, à la fin des temps.

Tout cela n'est que variations innombrables autour du Christ, nouvel Adam, chargé de tous les combats et de tous les péchés des hommes, et promis au plus complet triomphe, de par Dieu.

Le Christ est le centre de tout, et c'est pourquoi, à propos de n'importe laquelle de ces variations, nous pouvons discerner le thème fondamental, qui est son Mystère pascal.

A lire, méditer, prier les psaumes en ce sens, on découvrira progressivement ce qui est la "conversion" - conversion qui est orientation, orientation qui est contemplation - où se réalise toute vie chrétienne digne de ce nom, et qui n'est rien moins qu'un changement dans notre polarisation intérieure.

Nous sommes en effet si centrés sur nous-mêmes que notre prière, d'habitude, ne s'en évade guère: même quand nous croyons nous tourner vers Dieu, nous ne faisons souvent que l'introduire dans le petit univers de nos préoccupations et de nos désirs sans grandeur.

Que de fois notre prière tourne ainsi autour de nous-même - et ce n'est d'ailleurs pas interdit à l'occasion...

Mais nous sommes invités à tellement mieux ! A voir avec les yeux de Dieu, et c'est la foi ; à espérer avec l'assurance même de Dieu, à aimer avec le coeur de Dieu qui est son Esprit Saint, lequel nous est donné comme suite de la communion eucharistique greffant notre vie sur celle du Christ, centre du monde.

Le voilà bien, le pôle d'attraction infiniment plus puissant autour duquel tout gravite.

Et nous aussi ! A nous de convertir notre égoïsme naturel en nous centrant sur le Christ.

Unie à lui, notre vie particulière s'insère dans cette unique Création de Dieu, dans cette unique histoire du Salut.

De la même façon, notre prière est appelée à ce même changement de pôle.

Au lieu de se replier sur soi, comme font tant d'âmes pieuses qui se cantonnent dans " leur " propre prière, unissons-nous à la prière du Christ, suivant l'Esprit, par les psaumes !

Quel élargissement infini, et quel approfondissement nous y gagnerions...

Aujourd'hui où l'on cherche tant les effusions " charismatiques ", voilà bien la prière inspirée par l'Esprit Saint, et assurée de l'être.

Au surplus, non seulement nous nous y faisons entendre de Dieu, mais lui-même nous parle. Les psaumes sont pleins de ces Paroles divines.

Elles nous promettent la fidélité de Dieu, dont le Christ est la preuve.

A nous de l'écouter mieux, avec une confiance inconditionnelle - ce qui est le propre de l'espérance.

A nous de redire à la suite de Jésus toutes ces prières des psaumes, qu'il a prononcées en son nom comme au nôtre.

Si nous les prenons au sérieux, si nous essayons, à chaque fois que nous réciterons un psaume, de nous y engager, le soupçon même que notre prière puisse être stérile ne nous sera pas permis.

Car l'efficacité n'en sera plus seulement quelque bienfait particulier (que nous pouvons bien demander, le cas échéant, par ailleurs) : le meilleur fruit de la récitation des psaumes, si elle va dans le sens que nous venons de définir, se trouve dans le fait de la récitation elle-même et de notre "conformation progressive aux sentiments qui étaient dans le Christ Jésus " (Rm 8, 29 et Ph 2,5), précisément exprimés par les psaumes.

Tant qu'à force de les réciter, Il soit vraiment notre centre.

Si toute notre vie devient ainsi une participation à l'unique histoire des hommes où, génération après génération, s'accomplit la rédemption de leurs péchés acquise par le Christ sur la croix, quelle plus grande fécondité pourrions-nous attendre de notre prière ?

Reste donc à bien prier les psaumes en chrétien...

COMMENT PRIER LE PSAUTIER CHRÉTIEN?

Pour plus de clarté, réduisons à trois les façons d'utiliser le Psautier, bien qu'en pratique, toutes ces méthodes puissent se conjuguer en proportion variable, au gré de chacun.


1) La prière spontanée.

Dans la plupart des psaumes, une lecture, même rapide, relèvera quantité de " cris du coeur " qui nous parlent du premier coup.

Le style oral de cette poésie leur garde un caractère direct, vif et spontané.

Ils sont souvent si génialement formulés que, comme nous l'avons déjà dit, ils expriment le coeur humain mieux que nous ne saurions faire nous-même (à moins d'avoir un égal génie, ce qui est hélas, très rare, même si la prétention en est fréquente).

Au besoin nous pouvons noter les versets que nous avons ainsi remarqués : nous aurons là une foule de prières mieux que spontanées : humainement et divinement inspirées.

2) La lecture spirituelle, que St. Benoit appelle " lectio divina " parce qu'elle consiste à mettre son esprit et son coeur à l'école de l'Esprit Saint pour apprendre à discerner si bien Dieu en toutes choses que nous puissions Le goûter en tout et partout (ce qui est la définition même de la Sagesse).

(...)

Ainsi pourrons-nous prolonger cette lecture dans la contemplation et la louange de l'Oeuvre merveilleuse que Dieu accomplit pour nous et que chantent les psaumes.

Parce qu'elle retrouve le sens même des psaumes, une telle lecture spirituelle donne cette fois valeur à leur ensemble comme à tous leurs détails.

Et peut-être tel verset, d'abord mystérieux, paraîtra-t-il ensuite plus parlant de Dieu que les " cris du coeur " immédiatement perceptibles.

De la sorte, la " lectio divina " complète ce qu'un premier choix plus spontané avait de partiel et de trop subjectif.

C'est par elle surtout que peut s'amorcer la " conversion " que nous avons évoquée.

3) La récitation " contemplative " des psaumes.

C'est là, nous semble-t-il, une façon de prier les psaumes généralement bien mal comprise et pour autant décriée, mais dont une longue pratique de l'Église a montré la très haute valeur, en même temps que les dangers.

Le danger, c'est la routine.

Comme toute récitation, surtout si elle est habituelle et sans cesse répétée, celle-ci peut devenir une ritournelle, sans âme ni valeur humaine, encore moins divine.

Inutile d'y insister : tout le monde le répète, et nous en sommes donc bien avertis.

Mais, hypnotisé par ce danger, on oublie quelque chose de bien plus fondamental et de portée incomparablement plus importante que les risques d'inattention c'est que les psaumes - comme presque toute la prière de l'univers d'ailleurs - sont de la poésie.

Et la poésie, c'est d'abord un rythme, c'est-à-dire une certaine ordonnance du mouvement des mots et des phrases.

Ce rythme peut être porteur de toutes les images, idées, sentiments que l'on voudra ; mais c'est lui qui reste dominant et leur donne le sens (c'est-à-dire les met en mouvement pour les faire converger dans une direction donnée : le sens d'une phrase comme le sens d'une vallée, la pente qui l'oriente toute).

Or, pour donner corps ou plutôt voix à ce mouvement, rien ne vaut la récitation régulière du poème, et cela d'autant plus que les psaumes appartiennent comme presque toute la Bible à une littérature " orale ", donc faite pour être ainsi récitée.

C'est donc aller dans le sens des psaumes que de les dire à voix égale, sans " théâtre " naturellement, ce qui relève d'un tout autre genre.

C'est encore mieux quand il est même possible de le faire ensemble - comme l'Église dans son office " choral ", mais aussi dans tout " groupe de prière ", qu'il soit familial ou de rencontre.

Car si le psaume est lancé par tous ensemble, chacun pourra entrer dans ce mouvement et s'y laisser porter.

La psalmodie elle-même, avec le retour incessant de sa mélopée, est faite pour accentuer encore ce caractère rythmique et imprimer au mouvement de la prière une tenue et une continuité qui, au dire des commentateurs de la liturgie, sont une des qualités essentielles, tant des gestes que des chants.

Bien sûr ! On peut se laisser imprégner en passant, par les pensées, les sentiments, voire les affirmations dogmatiques et sapientielles ou le rappel des événements de l'Histoire Sainte : au passage, et sans avoir le souci de tout prendre et comprendre, ni s'y appesantir comme on ferait dans une lecture spirituelle, coupée d'arrêts et de méditations.

Car le plus important reste le courant poétique dans lequel tout baigne et qui est fait pour nous porter, nous mettre dans un état d'harmonie et nous unifier.

Étant ordonné, en effet, le rythme, qu'il soit littéraire ou musical, nous pacifie en " recueillant " nos puissances intérieures ; il nous met en outre à l'unisson ou au diapason des autres qui récitent avec nous le psaume ; il nous plonge enfin en Dieu dont toute harmonie est, comme disait Baudelaire, le pressentiment.

Voilà comment pareille récitation peut être à bon droit tenue pour " contemplative ". Elle nous recueille, en Dieu.

Dès lors, les psaumes peuvent se suivre et s'enchaîner sans provoquer une " indigestion spirituelle ", puisqu'au lieu d'attirer les psaumes à soi pour se nourrir de bonnes pensées, on entre plutôt dans leur mouvement, pour s'y oublier - si possible - en Dieu.

Pas nécessaire, comme nous y invitent des réformateurs aussi bien intentionnés que mal inspirés, de s'arrêter pour un instant de prière en silence, comme si la prière et le silence du recueillement ne devaient pas être plutôt le fait du psaume lui-même...

Si l'on reçoit ainsi les psaumes pour ce qu'ils sont d'une part la révélation de la prière, chère à Dieu, expressive de l'humanité, que le Christ et à sa suite l'Eglise ont faite leur, et en même temps, d'autre part, comme une poésie dont la vertu pacifie et porte à Dieu, alors, de toutes façons, elle nous détachera de nous-même pour nous centrer sur le Christ.

Encore une fois, il n'y a pas d'efficacité plus souhaitable, ni de prière plus haute et plus totale. A nous de jouer !

Dom Claude Jean-Nesmy

 

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