LE MALENTENDU DE CHALCEDOINE

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DIALOGUES AVEC LE PATRIARCHE ATHENAGORAS

(Extraits)
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L'Orthodoxie est un Orient-Occident.

Si l'on ignore sa dimension occidentale de recherche, d'humanisme et de prise de conscience, on ne saurait comprendre, après Alexandrie et Antioche, la haute pensée byzantine, russe ou roumaine, le Christ de Sopotchani, la fluidité platonicienne de Roublev, ni, à notre époque, le témoignage de la Dispersion et que notre siècle, pour citer Camus, soit plutôt celui de Dostoïevsky que celui de Marx...


L'Orthodoxie n'est un " Orient " que pour le monde latin ou germanique. Elle est par contre un " Occident " pour de très anciennes Églises d'Afrique et d'Asie qui se sont séparées au Vème siècle de l'Église indivise.

Au coeur de cette rupture, un des conciles oecuméniques les plus inspirés, le concile de Chalcédoine ( 451) .

Pour comprendre Chalcédoine, il faut le replacer dans la dialectique immense des premiers conciles, où se précisait peu à peu, d'antinomie en antinomie, le mystère du Christ.


Pour que Dieu vienne réellement jusqu'à nous, il faut que le Christ soit homoousios ("consubstantiel " au sens d'une identité) avec le Père sans origine, source et principe de la divinité; telle fut, contre Arius, la proclamation de Nicée (325).

Mais le Seigneur doit assumer l'humanité entière, car " ce qui n'est pas assumé n'est pas sauvé ".

Contre Apollinaire, pour qui le Logos, en Christ, remplacerait l'esprit humain, le concile de Constantinople (381) affirma l'humanité plénière du Seigneur.

En Christ, pour autant, l'homme et le Dieu ne se juxtaposent pas mais se trouvent dans une unité qui permet à la vie divine d'illuminer toute l'humanité.

Contre Nestorius, qui ne voit entre l'homme Jésus et le Verbe qu'une " conjonction " morale, le concile d'Éphèse, en 431, insiste sur l'unité divino-humaine en proclamant Marie non seulement mère de Jésus mais, par là même, " mère de Dieu ".

Surmontant la tentation judaïsante de donner à l'humanité de Jésus comme une personnalité propre, survient la tentation inverse, portée par la vieille spiritualité asiatique si vivante dans ce Proche-Orient où confluent les gnoses; tentation de dissoudre dans la divinité l'humanité du Christ et donc la nôtre, " comme une goutte de parfum dans l'océan ".

Contre Eutychès, qui répand cette conception, se réunit le concile de Chalcédoine.

C'est le concile de la divino-humanité.

Appliquant à l'Incarnation le grand thème de la personne (l'hypostase) élaboré par les conciles antérieurs pour sauvegarder
le paradoxe de la Trinité, il confesse que dans la personne du Christ (dans l' " union hypostatique " ), l'humain et le divin s'unissent sans confusion ni séparation, et que l'humain trouve sa plénitude dans cette union déifiante.

Ni la séparation des religions sémitiques de la transcendance close, ni la fusion des spiritualités asiatiques, mais l'échange vital de la communion: de sorte que plus l'humanité s'unit à Dieu, s'emplit de Dieu, plus elle réalise sa vraie nature.

Ici se noue le drame.

Dans la pensée de l'Égypte chrétienne, le mot " nature " (physis) ne désignait pas forcément la réalité propre de la divinité, ou de l'humanité, mais plutôt l'existence concrète du Verbe incarné.

Dans l'antinomie de l'Incarnation, où deux termes, l'humain et le divin, s'unissent, sans se séparer ni se confondre, dans un troisième, la personne du Verbe, le mot nature, en Égypte, servait à désigner l'unité ; à Chalcédoine, il soulignait au contraire la dualité!

Les Égyptiens, et beaucoup d'Orientaux avec eux, ne comprirent pas ce nouveau langage.

Ils restèrent attachés aux expressions de leur grand patriarche, saint Cyrille d'Alexandrie, sur " l'unique nature " du Verbe incarné.

Ils crurent menacée l'expérience sacramentelle du divin, ce contact bouleversant, dans l'eucharistie, avec la chair même de Dieu. La politique aggrava bientôt le malentendu.

De fortes poussées ethniques se faisaient jour en Égypte, en Syrie et en Arménie, qui entraînaient les Eglises locales à se dégager de l'Église d'Empire.

Les " chalcédoniens " apparaissaient comme des " melkites ", c'est-à-dire des " impériaux ".

Ce mouvement favorisa, chez les " non-chalcédoniens ", une systématisation du cyrillisme par Sévère d'Antioche, qui cependant maintint soigneusement, contre Eutychès, le caractère divino-humain de cette réalité une, de cette " unique nature " du Seigneur.

Deux systèmes conceptuels finirent ainsi par s'opposer.

L'un, " chalcédonien ", insistait sur la dualité des natures dans l'unique personne du Christ. L'autre, " non-chalcédonien ", mettait l'accent sur l'unité divino-humaine du Seigneur.

Au siècle suivant, les passions étaient telles que les non-chalcédoniens ne purent comprendre l'effort du cinquième concile oecuménique pour interpréter les définitions de Chalcédoine à la lumière de Cyrille d'Alexandrie dont il clarifiait définitivement la terminologie.

Au VIle siècle, les tentatives des empereurs pour rallier par des compromis les dissidents de Syrie et d'Égypte qui risquaient d'ouvrir aux Perses, puis aux Arabes, le monde méditerranéen, aboutirent à de nouveaux malentendus.

L'admirable synthèse de Maxime le Confesseur, ratifiée par le sixième concile oecuménique, aurait dû faire tomber les préventions des " non-chalcédoniens ". Maxime, en effet, montrait les énergies divines transfigurant l'humanité du Christ et nous ouvrant, dans le corps déifié et déifiant de celui-ci, les voies de l'éternité.

Il soulignait que la liberté humaine du Seigneur trouve dans l'amour sa plénitude et adhère spontanément à la volonté de Dieu.

Les mots, depuis longtemps, n'avaient plus le même sens.

Le rideau de l'Islam tombait sur la scène du Proche-Orient et les chrétiens de Syrie et d'Égypte n'auraient pas trop désormais de toutes leurs forces pour durer et transmettre l'essentiel.

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