La voie du silence
Des pistes pour méditer


par

Père Alphonse Goettmann



Vivre dans la divine Trinité

 

Peut-être notre Chemin nous conduira-t-il jusque-là ? Il arrive à Dürckheim de livrer à quelques-uns cette expérience en tout cas peu commune. « Notre inspiration, dit-il, est l'expiration de Dieu en nous, et notre expiration, l'inspiration de Dieu en Lui ! » Si une affirmation aussi extraordinaire veut avoir quelque réalité, la Bible doit y faire au moins une allusion ! Cherchons... Et, en effet, dans cette perspective, ne découvrons-nous pas dans ce vieux texte de la Genèse une surprenante clarté : « Dieu insuffle dans ses narines une haleine de vie et l'homme devient un être vivant ! » (GEN 2,7). Ce qui est ainsi vigoureusement affirmé dès les premières pages de la Bible se poursuit et se cherche tout au long de son histoire de mille et une manières pour culminer enfin dans cette parabole inouïe de Jésus avant sa mort « Je suis la vigne, vous êtes les sarments » (JN 15,5). La vie de l'un passe dans l'autre... C'est à chaque instant le mouvement même de notre création qui se poursuit.

Chaque expiration de Dieu, pourrait-on dire, est un baiser d'amour qui nous suscite à la vie. Et cette vie est à l'image de Dieu (GEN 1,27), elle est trinitaire. Les mots sont faibles et impuissants dans leur balbutiement, mais le scandale le voici, tel que Maître Eckhart le formule à la suite de tous les grands de la tradition (Denys l'Aréopagite, Grégoire de Nysse, Augustin...) : le fond de notre être est identique à Dieu dans l'opération par laquelle il engendre le Fils ; « Le Père engendre sans cesse son fils, et je dis plus encore : il m'engendre en tant que son fils et le même fils » (SERMON JUSTI VIVENT).

En fait, cette affirmation audacieuse de l'identité de l'homme n'est autre chose que le développement de certaines intuitions pauliniennes et johanniques jusqu'à leurs extrêmes conséquences. Déjà le Psaume 2 ne dit-il pas : « Tu es mon fils, moi, aujourd'hui, je t'ai engendré ! »

Le tragique est que notre conscience est totalement détournée de ce fond le plus intime de notre identité. Dans la tradition mystique du christianisme, cette séparation et cette aliénation intérieures, où l'homme est étranger à lui-même, sont la véritable signification du péché originel.

Le but de la méditation est de retrouver précisément cette conscience et de désaliéner l'homme. Le premier pas pour sortir de cette inauthenticité fondamentale de notre être sera toujours le lâcher-prise : quitter l'axe des choses, l'étreinte et la manipulation des objets qui ne cessent de refermer le moi sur lui-même comme s'il était une fin en soi.

Lâcher, accepter en profondeur de TOUT perdre ; dans l'assise silencieuse je me détends, mes tensions cessent de s'agripper aux mille appâts de l'existence, plus rien ne me retient, rien n'a d'importance, rien... Mon coeur est libre de tout, désencombré, pur... Là, dans la nudité totale du moment présent, tendre l'oreille intérieure, arriver peu à peu à vraiment écouter dans le silence comment chacune de mes expirations, dans la mesure où je m'y abandonne, me conduit à la Source cachée de mon être profond et me recrée dans une nouvelle inspiration. Vivre Cela intensément pendant quelque temps, sans commentaire ni réflexion, voir et sentir, consentir...

Quand progressivement tout mon être, corps-âmeesprit, arrive à un maximum de détente, donc d'ouverture et de présence, ma respiration devient quasi imperceptible. Se laisser conduire alors doucement par l'expiration vers cet abîme de silence et de mystère qui s'ouvre entre l'expiration et l'inspiration. Je porte toute mon attention au passage de l'une vers l'autre... Y demeurer... C'est comme si le temps s'arrêtait, l'impression de ne plus être dans l'espace. En fait, je suis touché par la dimension d'éternité en moi, au-delà de l'espace et du temps, la demeure du silence, de l'Innombrable, de Celui qui n'a pas de Nom et qu'on appelle le Père... C'est de Lui que va jaillir maintenant mon engendrement. Il expire en moi et moi j'inspire ; en expirant, Il s'exprime. Il se dit et me dit, me crée dans le Verbe « par qui tout existe et qui est la vie de tout être » ; mon inspiration est ma filiation, je deviens fils avec Celui qui est Fils de toute éternité, « l'aîné d'une multitude de frères, le Christ » (RoM 8,29). En m'accueillant ainsi totalement du Père « je prends la forme du Christ », je Lui deviens toujours plus conforme (ORIGÈNE).

Sentir très concrètement comment l'inspiration me forme, me donne ma Forme particulière, ma Loi intérieure, me structure et m'organise ; l'haleine de vie que le Père m'insuffle devient chair, le Verbe s'incarne en moi, Présence... Plénitude...

L'inspiration est brève et va culminer bientôt dans un nouveau silence avant d'ouvrir à l'expiration. Le Fils sort de l'abîme de Silence et retourne dans l'abîme de Silence ; il est tout entier tourné vers le Père. Se laisser porter par ce mouvement vers... entrer dans le Silence-Source... le goûter... et être attentif à la naissance de l'expiration...

C'est l'Esprit-Souffle qui procède de la Source... Par la détente-ouverture que l'expiration introduit en moi, l'Esprit me rend maintenant transparent à la Présence du Christ ; en pénétrant dans la profondeur de l'être, par l'expiration-souffle, la Puissance de l'Esprit communique à l'homme l'énergie divine qui l'unifie au fils et le fait participer à la relation du Fils au Père... Filiation... Accomplissement... Personnification... Déification...

Plus je lâche prise en expirant, plus l'Esprit m'ouvre à cette transparence et me rend le Christ intérieur, palpable et sensible.

Seule cette réciprocité inouïe du « je » de l'homme et du « Je » de l'Esprit, seul ce contact de mon être avec le Feu de la Sainteté me sanctifie et me fait passer de l'individu quelconque à la naissance de la personne unique que je suis mais qui sommeille en moi. Uni à celui du Christ, mon coeur alors s'embrase d'Amour pour le Père et crie dans l'Esprit « Abba ! » (GAL, 4,6). Ruissellement de joie, Joie de la Divine Trinité Elle-même en moi... Amour et Joie, splendeur de l'Esprit, par laquelle Il nous fait approcher du Père et du Fils... (RoM 5,5).

A la longue, notre expiration peut devenir un tel abandon que, dans l'Esprit, nous nous oublions si totalement, nous sommes sortis si pleinement de notre ego, que nous ne pouvons plus distinguer ce qui est de nous et ce qui est de l'Esprit Saint dans ce mouvement. Loin de tout esclavage ou domination, nous naissons de Sa Liberté et vivons en Elle... Et par Elle, mais avec notre consentement total dans le don de nous-mêmes, il nous ramène à nouveau vers le Père ; l'expiration s'achève et nous plonge dans le Silence paternel... Toi !... il me nomme comme fils... avec le Fils...

Suprême révélation de la roue de la métamorphose lue avec la Bible et la Tradition : le Dieu tri-unique est plus intime à moi que moi-même et ma Vie réelle est de « participer à la circulation éternelle de l'Amour au sein de la Trinité* ». « La conscience de cet Amour nous rend comme des dieux » (ECKHART).

Méditer, c'est s'enfoncer dans cette intimité abyssale où la Divine Trinité demeure ; là est notre racine d'où jaillit constamment notre intériorité, et si je rejoins celle-ci, je baigne originellement dans la vie trinitaire.

Le fond de mon être, le fond de tout être est donc la communauté des Personnes divines dans l'Amour de l'Une pour l'Autre. La réalité de toute réalité est la communion.
Tout ce qui existe est le Temple de ce mystère prodigieux ; tout, absolument tout, est suspendu à cet échange éternel d'Amour, respiration cachée de toutes choses, secret de ma propre respiration, qui n'est mouvement que parce que l'Un ne cesse de se tourner vers l'Autre Non pas moi, mais Toi!... dans un lâcher-prise, abnégation infinie !



* P. Evdokhimov, Présence de l'Esprit Saint dans la Tradition orthodoxe, Paris, 1969, p. 93.


Pour aller plus loin
Le père Alphonse Goettmann et son épouse Rachel sont les auteurs de nombreux ouvrages, parmi lesquels :
- L'Au-delà au fond de nous-mêmes, initiation à la méditation
- La Joie, visage de Dieu dans l'homme
- Prière de jésus, prière du coeur
- Guérison des maladies de l'âme
et récemment Le philosophe et la vie (avec Bertrand Vergely).

Le Centre Béthanie
Prieuré Saint Thiébault - 57680 Gorze - tél. 03.87.52.02.28
http://www.centre-bethanie.org
Session : Méditation et sagesse du corps, la voie du silence.
Revue trimestrielle Le Chemin (spécimen gratuit sur demande).
Lettre mensuelle gratuite (inscription à l'adresse : http://www.centre-bethanie.org/liste_diffusion.htm ou en envoyant des enveloppes timbrées à votre adresse).

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