Les
mots qui peuvent aider la méditation au début tomberont
comme des fruits mûrs avec un peu de pratique et de maturation
intérieure. On n'en a plus besoin... Tout est là, dans
l'indicible silence. Mais parfois on y revient comme à des béquilles
pour traverser le désert de la sécheresse ou, mieux, enjamber
toutes les résistances, de la distraction à l'ennui, nos
oignons d'Egypte qui nous retiennent toujours dans l'Exil du petit moi...
Alors un mot, une expression, une petite phrase peuvent être comme
la colonne de feu qui nous précède dans notre nuit intérieure
pour nous « éclairer et nous indiquer le Chemin »
(Ex 13,21-22). Chacun a les siens, ses préférés...
Ainsi, on pourrait prendre : sur l'expiration De moi vers Toi, entre
l'expiration et l'inspiration Tout en Toi et sur l'inspiration Par Toi.
Ou encore, sur l'expiration De moi vers Toi et sur l'inspiration De
Toi vers moi. L'essentiel étant de toujours vivre intensément
à travers les mots utilisés.
La Bible nous aiderait à trouver des expressions variées,
si le besoin s'en ressentait. Mais le temps nous conduira à plus
de simplification, c'est la loi de toute vie spirituelle, et le jour
viendra où le Nom de « Jésus » seul suffira
pour nous combler.
L'expiration sera un abandon silencieux, l'espace entre l'expiration
et l'inspiration une union à Jésus pendant laquelle on
pourra dire Son Nom ; tandis que l'inspiration sera l'accueil silencieux
de sa Présence, de sa Joie, de sa Paix... Peut-être même
le Nom s'effacera-t-il un jour pour laisser la place à la réalité
de Jésus. Le principal n'est pas de formuler des mots. Ceux-ci
ne doivent pas devenir des fantasmes magiques qui tournent autour de
leur existence autonome, mais exprimer le contact immédiat avec
la réalité cherchée. Ils sont en même temps
prononcés et dépassés, car toute l'attention est
investie par la Présence.
Un jour donc, toute la parole s'estompe ; alors, dans le silence total,
sa Présence nous pénètre, nous emplit, nous imbibe,
comme la tache d'huile silencieusement s'étend dans le papier
pour le rendre transparent... Connaissance amoureuse du Christ, un contact
si réel avec sa Personne qu'il nous modifie jusque dans le détail.
Littéralement, la Personne de Jésus déteint sur
nous. A force de ruminer son Nom, il finit par passer en nous. Ses manières,
ses réactions, ses pensées deviennent nôtres par
une sorte d'osmose.
Tradition aussi vieille que l'homme que de communier au bien-aimé
en répétant son Nom. Joie des amoureux de toujours. Et
tellement constitutive de l'homme qu'elle est le patrimoine de toutes
les religions. Le croyant de l'Ancien Testament invoquait le Nom du
Seigneur des heures durant, festin pour ses lèvres, louange en
sa bouche (Ps 63,4-9), et Jésus a lié à son Nom
l'efficacité même de toute prière : « Jusqu'ici
vous n'avez rien demandé en mon Nom. Tout ce que vous demanderez
au Père en mon Nom, il vous le donnera » (JN 16,23-14).
Aussi les chrétiens considéraient-ils dès les premiers
temps comme un trésor de vie (PASTEUR D'HERMAS) ce que l'on appellera
plus tard la « Prière de Jésus » ou la «
Prière du coeur ».
Le soupçon d'intimisme que nous pourrions jeter sur une telle
pratique ne résiste pas à l'expérience, car dans
le Nom de Jésus se trouvent, résumés et agissants,
tous les mystères de notre salut et le monde « créé
en Lui et par Lui » (COL 1, 16-17), « en dehors de Lui il
n'y a rien » (JN 1,3)... Les premiers chrétiens le savaient
: leur conviction à ce sujet était d'une telle puissance
que dans et par ce Nom non seulement ils priaient et méditaient,
mais ils chassaient les démons, guérissaient les malades,
proclamaient la Bonne Nouvelle du Salut et accomplissaient toutes sortes
de miracles... Toute leur vie en était imprégnée,
à tel point qu'on les désignait volontiers comme «
ceux qui invoquent le Nom du Seigneur » (Ac 9,14; 1 COL 1,2; 2TIM
2,22), ils se réunissaient au Nom de Jésus (MT 18,20),
ils accueillaient les autres en son Nom (Mc 9,37), rendaient sans cesse
grâce à Dieu au Nom du Seigneur Jésus Christ (EP
5,20; COL 3,17) et à travers tout leur comportement ils cherchaient
à glorifier le Nom de Jésus (2 TH 1,11). Bien plus : l'unique
richesse de l'Eglise c'est Lui, et toute sa mission est de « parler
au Nom de Jésus » CAP 5,40). Car « nul ne peut entrer
dans le royaume de Dieu si ce n'est par le Nom du Fils », dit
encore le Pasteur d'Hermas.
Reconnaître Jésus comme Seigneur, c'était pour les
premiers chrétiens lui attribuer l'appellation la plus caractéristique
de Dieu même. Jésus est l'irruption dans l'Histoire de
Celui qui, au Buisson Ardent, a révélé son Nom
à Moïse en disant : « Je Suis ».
Ce Nom, cri de ralliement des tribus d'Israël dans tout l'Ancien
Testament, Nom béni et redoutable devant lequel les Anges se
voilent la face, et finalement si inaccessible et mystérieux
que les juifs osent à peine le prononcer, ce Nom prend un visage
avec Jésus qui en est la pleine révélation. Mais
les juifs ne peuvent y croire quand Jésus dira à leur
face « Je Suis » (JN 8,58), les paroles du Buisson Ardent
résonnent à leurs oreilles, tout leur être frémit
et ils ramassent des pierres pour le lapider...
Pour nous aussi « cette parole est vivante, efficace et plus incisive
qu'aucun glaive à deux tranchants qui pénètre jusqu'à
la moëlle de notre être... », (HE 4,12). Devant Lui,
Jésus, nous sommes à la croisée des chemins, le
choix le plus décisif qui engendre l'homme à sa liberté
: « Qui n'est pas pour moi est contre moi » (Lc 11,23) et
dire son Nom avec foi c'est offrir notre chair à sa Présence
pour retrouver notre véritable identité, l'axe de notre
propre nom, figure enfouie dans nos profondeurs, trans-figuration...
Seul le Nom de Jésus, « Nom au-dessus de tout nom »
(PH 2,9), est la clé de nos portes verrouillées.
Il n'y a rien de magique en cela ! Car, à l'instar de Moïse
invité à se déchausser, nous n'entrerons dans la
puissance du Nom de Jésus qu'en nous dépouillant, en brûlant
nos faux appuis et en mettant en pratique l'Évangile... «
Ce n'est pas en disant Seigneur, Seigneur qu'on entrera dans le Royaume
des cieux, mais c'est en faisant la volonté de mon Père
» (MT 7,21).