La voie du silence
Des pistes pour méditer


par

Père Alphonse Goettmann



La prière du coeur

 

Les mots qui peuvent aider la méditation au début tomberont comme des fruits mûrs avec un peu de pratique et de maturation intérieure. On n'en a plus besoin... Tout est là, dans l'indicible silence. Mais parfois on y revient comme à des béquilles pour traverser le désert de la sécheresse ou, mieux, enjamber toutes les résistances, de la distraction à l'ennui, nos oignons d'Egypte qui nous retiennent toujours dans l'Exil du petit moi... Alors un mot, une expression, une petite phrase peuvent être comme la colonne de feu qui nous précède dans notre nuit intérieure pour nous « éclairer et nous indiquer le Chemin » (Ex 13,21-22). Chacun a les siens, ses préférés...

Ainsi, on pourrait prendre : sur l'expiration De moi vers Toi, entre l'expiration et l'inspiration Tout en Toi et sur l'inspiration Par Toi. Ou encore, sur l'expiration De moi vers Toi et sur l'inspiration De Toi vers moi. L'essentiel étant de toujours vivre intensément à travers les mots utilisés.

La Bible nous aiderait à trouver des expressions variées, si le besoin s'en ressentait. Mais le temps nous conduira à plus de simplification, c'est la loi de toute vie spirituelle, et le jour viendra où le Nom de « Jésus » seul suffira pour nous combler.

L'expiration sera un abandon silencieux, l'espace entre l'expiration et l'inspiration une union à Jésus pendant laquelle on pourra dire Son Nom ; tandis que l'inspiration sera l'accueil silencieux de sa Présence, de sa Joie, de sa Paix... Peut-être même le Nom s'effacera-t-il un jour pour laisser la place à la réalité de Jésus. Le principal n'est pas de formuler des mots. Ceux-ci ne doivent pas devenir des fantasmes magiques qui tournent autour de leur existence autonome, mais exprimer le contact immédiat avec la réalité cherchée. Ils sont en même temps prononcés et dépassés, car toute l'attention est investie par la Présence.

Un jour donc, toute la parole s'estompe ; alors, dans le silence total, sa Présence nous pénètre, nous emplit, nous imbibe, comme la tache d'huile silencieusement s'étend dans le papier pour le rendre transparent... Connaissance amoureuse du Christ, un contact si réel avec sa Personne qu'il nous modifie jusque dans le détail. Littéralement, la Personne de Jésus déteint sur nous. A force de ruminer son Nom, il finit par passer en nous. Ses manières, ses réactions, ses pensées deviennent nôtres par une sorte d'osmose.

Tradition aussi vieille que l'homme que de communier au bien-aimé en répétant son Nom. Joie des amoureux de toujours. Et tellement constitutive de l'homme qu'elle est le patrimoine de toutes les religions. Le croyant de l'Ancien Testament invoquait le Nom du Seigneur des heures durant, festin pour ses lèvres, louange en sa bouche (Ps 63,4-9), et Jésus a lié à son Nom l'efficacité même de toute prière : « Jusqu'ici vous n'avez rien demandé en mon Nom. Tout ce que vous demanderez au Père en mon Nom, il vous le donnera » (JN 16,23-14). Aussi les chrétiens considéraient-ils dès les premiers temps comme un trésor de vie (PASTEUR D'HERMAS) ce que l'on appellera plus tard la « Prière de Jésus » ou la « Prière du coeur ».

Le soupçon d'intimisme que nous pourrions jeter sur une telle pratique ne résiste pas à l'expérience, car dans le Nom de Jésus se trouvent, résumés et agissants, tous les mystères de notre salut et le monde « créé en Lui et par Lui » (COL 1, 16-17), « en dehors de Lui il n'y a rien » (JN 1,3)... Les premiers chrétiens le savaient : leur conviction à ce sujet était d'une telle puissance que dans et par ce Nom non seulement ils priaient et méditaient, mais ils chassaient les démons, guérissaient les malades, proclamaient la Bonne Nouvelle du Salut et accomplissaient toutes sortes de miracles... Toute leur vie en était imprégnée, à tel point qu'on les désignait volontiers comme « ceux qui invoquent le Nom du Seigneur » (Ac 9,14; 1 COL 1,2; 2TIM 2,22), ils se réunissaient au Nom de Jésus (MT 18,20), ils accueillaient les autres en son Nom (Mc 9,37), rendaient sans cesse grâce à Dieu au Nom du Seigneur Jésus Christ (EP 5,20; COL 3,17) et à travers tout leur comportement ils cherchaient à glorifier le Nom de Jésus (2 TH 1,11). Bien plus : l'unique richesse de l'Eglise c'est Lui, et toute sa mission est de « parler au Nom de Jésus » CAP 5,40). Car « nul ne peut entrer dans le royaume de Dieu si ce n'est par le Nom du Fils », dit encore le Pasteur d'Hermas.

Reconnaître Jésus comme Seigneur, c'était pour les premiers chrétiens lui attribuer l'appellation la plus caractéristique de Dieu même. Jésus est l'irruption dans l'Histoire de Celui qui, au Buisson Ardent, a révélé son Nom à Moïse en disant : « Je Suis ».

Ce Nom, cri de ralliement des tribus d'Israël dans tout l'Ancien Testament, Nom béni et redoutable devant lequel les Anges se voilent la face, et finalement si inaccessible et mystérieux que les juifs osent à peine le prononcer, ce Nom prend un visage avec Jésus qui en est la pleine révélation. Mais les juifs ne peuvent y croire quand Jésus dira à leur face « Je Suis » (JN 8,58), les paroles du Buisson Ardent résonnent à leurs oreilles, tout leur être frémit et ils ramassent des pierres pour le lapider...

Pour nous aussi « cette parole est vivante, efficace et plus incisive qu'aucun glaive à deux tranchants qui pénètre jusqu'à la moëlle de notre être... », (HE 4,12). Devant Lui, Jésus, nous sommes à la croisée des chemins, le choix le plus décisif qui engendre l'homme à sa liberté : « Qui n'est pas pour moi est contre moi » (Lc 11,23) et dire son Nom avec foi c'est offrir notre chair à sa Présence pour retrouver notre véritable identité, l'axe de notre propre nom, figure enfouie dans nos profondeurs, trans-figuration... Seul le Nom de Jésus, « Nom au-dessus de tout nom » (PH 2,9), est la clé de nos portes verrouillées.

Il n'y a rien de magique en cela ! Car, à l'instar de Moïse invité à se déchausser, nous n'entrerons dans la puissance du Nom de Jésus qu'en nous dépouillant, en brûlant nos faux appuis et en mettant en pratique l'Évangile... « Ce n'est pas en disant Seigneur, Seigneur qu'on entrera dans le Royaume des cieux, mais c'est en faisant la volonté de mon Père » (MT 7,21).

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