La voie du silence
Des pistes pour méditer


par

Père Alphonse Goettmann



Méditer dans le souffle de Dieu

 

L'homme naît en recevant le premier souffle et meurt en rendant le dernier. La vie est dans le souffle, elle est un souffle de vie. Mais que notre langue est intellectuelle ici ! Sous l'apparente profusion des mots se cache déjà le péché de la division et la proéminence du mental dans notre culture : âme, souffle, respiration, haleine, vent, Esprit... autant d'expressions que recouvre et contient le seul terme de Rouah en hébreu.

La Bible n'a donc pas de complexe, en parlant du souffle ou de la respiration, à laisser couvrir en même temps la porte sur un abîme de mystère... Et réciproquement, en parlant de l'Esprit, elle rie craint pas de désigner par là aussi Celui qui anime jusqu'à la moindre haleine pénétrant dans les narines de l'homme !

Il faut un temps assez long de pratique pour comprendre réellement que ce n'est pas nous qui faisons la respiration, mais que ça respire en nous saris que nous y fassions quoi que ce soit. Quand on éprouve cela pour la première fois, c'est une des expériences les plus frappantes de cette grande Force qui nous habite et nous maintient en vie saris notre intervention. Nous rie vivons tous que parce que le souffle de Dieu nous pénètre constamment, comme il pénètre d'ailleurs dans tout ce qui existe et jusqu'au moindre grain de poussière ; pas une cellule de notre corps qui ne soit continuellement animée par cette Présence créatrice et vivifiante. La respiration peut devenir le lieu de cet échange ineffable et plein d'Amour. Dans la méditation, il s'agit d'en devenir conscient, non en fixant ou en analysant, ce qui créerait une distance d'extériorité, mais, en épousant intérieurement ce mouvement de vie, se laisser saisir par lui. Arriver à vraiment écouter dans le silence comment chacune de nos expirations, dans la mesure où nous nous y abandonnons, nous conduit aux sources cachées de notre être profond et là, nous recrée dans une nouvelle inspiration. Mort-naissance, mouvement incessant qui nous fera entrer progressivement dans une plénitude indescriptible, et si nous y sommes fidèles, l'être essentiel nous envahira de sa présence.

Le lâcher-prise des scléroses du moi et la plongée dans le feu purificateur de l'Être unifient progressivement nos forces indivises autour d'un nouveau centre. Le coeur de pierre (Ez 36,26) qui durcit tout, fixe et objective, devient peu à peu un coeur de chair, dont la caractéristique essentielle est une capacité croissante d'aimer. « A ceci tous vous reconnaîtront pour mes disciples : à cet amour que vous aurez les uns pour les autres » (JN 13,35). La renaissance dans l'amour est le signe qu'un autre nous a touchés, mieux : investis et transformés. C'est une conversion toujours plus saisissante à mesure que l'expérience progresse, la réalisation de la metanoia (conversion) inscrite au creux de tout l'Évangile, le grand tournant de la vie saris lequel il n'y a pas de maturité humaine ni chrétienne possible.

La méditation est de cet ordre ou elle n'est pas ! C'est une expérience rigoureuse et existentielle d'union avec le Christ dans sa mort afin d'avoir part à sa Résurrection. Tout ce qu'on dit à ce propos n'a de sens que si on peut le réaliser. Sinon « le discours est creux » (1 TIM 6,20). Saint Paul insiste très fortement sur ce mode de connaissance, en particulier dans sa première épître aux Corinthiens. A côté de la sagesse rationnelle et dialectique, il y a celle qui est matière à expérience et qui dépasse la raison. Seule cette sagesse-là fait communiquer au Christ vivant en nous et donne accès à une vie totalement nouvelle, à condition cependant d'être libéré de la sujétion aux formules verbales et aux structures conceptuelles, « la sagesse du langage » (I Co 1,17).

La foi suppose donc tout autre chose qu'une simple adhésion intellectuelle à un donné doctrinal. L'expérience à laquelle elle invite est l'acceptation d'un dépouillement total, un lâcher-prise qui signifie en réalité être cloué sur la croix avec le Christ, de telle sorte que l'ego n'est plus le principe de nos actions les plus profondes, qui désormais procèdent du Christ qui vit en nous (GA 2,19-20). Voilà le centre de la vie du chrétien, il ouvre sur une vie en plénitude (Ep 3,19).

C'est un chemin qui conduit d'une vision d'extériorité à une vision d'intériorité, où l'on cesse enfin de concevoir et de prêcher la religion comme une relation avec un être extérieur qui s'ajoute à notre existence pour la conforter, la diriger, la surveiller ou la juger. Le Tout-Autre qui serait le Tout-Extérieur, ce qui est au-delà du cercle des choses visibles et avec lequel nous entretenons des rapports de dépendance aliénante est proprement aberrant. On comprend que les attaques des maîtres du soupçon, Feuerbach, Marx, Nietzsche, Freud, soient maintenant l'air du temps...

Dans la vision d'intériorité au contraire, Dieu n'est pas victime d'une mesure de ségrégation, il n'est pas seulement ailleurs, ni au-delà, dans un autre monde où il faudrait émigrer pour le trouver, mais en plein coeur de l'humain comme sa raison d'être, son âme et le dynamisme de son dépassement.

Par conséquent, Dieu est à chercher dans la dimension de la profondeur la plus existentielle, dans ce qui fait qu'un homme est un homme et sans quoi il cesse de l'être. Si la profondeur est vraiment le domaine de la religion, on voit aussitôt que personne ne saurait vivre pleinement sans la rencontrer, que tout dualisme devient impensable et qu'il n'est plus possible d'enfermer Dieu dans un domaine réservé, en marge de l'existence pratique.

La foi n'est plus alors une rallonge ou un luxe inutile, mais la vie même dans ce qu'elle a d'essentiel, où donc il devient plausible que sans Dieu il n'y a plus d'homme. Transcendance, oui, mais qui est un au-delà au coeur de notre vie (BONHOEFFER), non pas infiniment loin, mais toute proche, une couche de vérité si profonde qu'on l'atteint non pas aux frontières de la vie, mais en son centre, non pas par une fuite, mais par une plus profonde immersion dans l'existence, selon la belle expression de Kierkegaard.

Ici, beaucoup mieux que de comprendre, il s'agit de se laisser prendre, de se laisser saisir par le Christ, car un moment doit venir où, si autorisée que soit la parole que nous a interprétée Jésus, nous devons croire en vertu d'une expérience immédiate, d'un contact personnel. Chemin de Damas en dehors duquel il n'y a pas de disciples. Or voilà bien notre espérance : susciter en chacun le disciple qui répondra en temps voulu à son appel intérieur qui lui dit : Viens et suis-moi !


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