Dans
l'assise méditative, l'exercice de détente dans le sentir
du corps, une fois que l'on a atteint une certaine profondeur et un
bien-être à entrer dans son corps, sous la peau en quelque
sorte avec toute sa conscience, demeurer longuement et sans résistance
dans la lourdeur de ses membres ; là, goûter le corps que
je suis, percevoir avec toutes mes fibres le changement profond qui
s'introduit peu à peu dans ma manière d'être là
: cette absence de frontières, l'exclusion du moi dominateur,
une chaleur inhabituelle qui n'a rien à faire avec la température
du corps, le sentiment d'une force mystérieuse qui me porte et
me soutient, l'impression d'une remise, d'un abandon total ; je ne m'appartiens
plus et pourtant je suis plus moi que jamais, intensément recueilli
en moi-même et cependant relié à tout l'univers...
Ouverture de tout mon être à ce qui le dépasse infiniment,
comme s'il venait de répondre à l'invitation secrète
mais permanente du souffle de l'Esprit au fond de son cœur : «
Epheta - Ouvre-toi ! » (Mc 7,34).
Et, en effet, la profondeur de chaque sensation, dirait Vittoz, est
une recréation de soi, une véritable marche vers la liberté,
c'est-à-dire l'éveil de la personne sous les cendres du
petit moi. La détente au sens initiatique, loin d'une simple
relaxation musculaire, ouvre les portes du mystère intérieur
et offre le corps comme lieu d'alliance avec Dieu. « Voici que
je me tiens à la porte et je frappe ; si quelqu'un entend ma
voix et ouvre la porte, j'entrerai chez lui pour souper, moi près
de lui et lui près de moi » (Apoc 3,20)... « Offrez
vos corps à Dieu... le corps est pour le Seigneur... Ne saviez-vous
pas que vous êtes un temple de Dieu ? » (Rom 12,1 ; 1 Cor
6,13).
Mais, s'il est vrai que notre corps est le sanctuaire de la Présence
divine, on peut dire avec saint Grégoire Palamas que nous sommes
« chair de Sa Chair et os de Ses Os »... Dieu cesse enfin
d'être un fantôme pour l'homme, nous pouvons le toucher
(Lc 24,39) ! On ne le rencontre pas dans des abstractions ou des mots,
« ne rabâchez pas » dit le Christ (MT 6,7), «
touchez-moi ! » (Lc 24,39). S'il est en effet sorti de l'Abîme
infranchissable de ce que « nul oeil n'a vu, nulle oreille entendu
», c'est précisément pour devenir chair et s'assimiler
à nous afin que nous puissions « voir Sa Majesté
de nos propres yeux » (2 P 1,16), « l'entendre de nos oreilles
» (MT 13,9 et 16), « le toucher de nos mains » (1
JN 1/1), le sentir avec tout notre être... et nous « laisser
saisir par Lui ».
Cette méditation par le sentir va de l'extérieur vers
l'intérieur, de notre surface vers la profondeur. La sensation,
telle une vague de l'océan, selon la belle image d'Aurobindo,
est éphémère : elle apparaît et disparaît,
ne dure qu'une fraction de seconde, mais comme la vague est reliée
à l'immensité profonde de l'océan tout entier,
ainsi la sensation est reliée à l'infini de notre conscience
intérieure et, s'il y demeure pour l'approfondir, le méditant
entre peu à peu dans ce que Claudel appelle, à la suite
des Pères, la sensation du Divin... Le sentiment d'une Présence
ineffable au contact du Mystère qui l'imprègne jusque
dans la moindre de ses cellules. Comme le feu qui pénètre
le fer lorsque celui-ci est jeté dans le brasier : le fer garde
la substance du métal mais il devient et réalise le feu
qui l'habite et le transfigure littéralement.
Cette parabole merveilleuse utilisée pour la première
fois par saint Macaire le Grand résonne à travers toute
la tradition chrétienne, de l'Orient à l'Occident. Aujourd'hui
comme hier, le Christ nous invite à gravir la Sainte Montagne
pour entrer avec Lui dans ce feu divin. La méditation nous en
ouvre le chemin concrètement...