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LE DIALOGUE ENTRE L'EGLISE ORTHODOXE ET LES EGLISES ORIENTALES ANCIENNES : L'EGLISE APOSTOLIQUE ARMENIENNE


Gohar HAROUTIOUNIAN-THOMAS

Le Messager orthodoxe, n° 137,
Paris, II-2001, p. 44-81.

(Réponse à un précédent article de Jean-Claude LARCHET)


A la mémoire de saint Nersès le Gracieux.

Le numéro du Messager orthodoxe consacré à la question christologique 1 a soulevé toute une problématique concernant le dialogue entre l'Eglise orthodoxe et les Eglises orientales anciennes, engagé depuis la seconde partie du XXe siècle. Les corrections positives de certaines formulations christologiques des déclarations communes, l'analyse et l'exposé de la théologie chalcédonienne font la richesse de cette publication. Nous reconnaissons la pertinence de certaines des critiques adressées par Jean-Claude Larchet à l'encontre du récent Projet d'union, notamment en ce qui concerne les expressions théologiquement douteuses du texte, lesquelles ont d'ailleurs conduit la plupart des Eglises à ne pas se prononcer sur le projet. La méconnaissance des différentes positions christologiques non chalcédoniennes, qui est à l'origine des nombreuses confusions relevées dans le Projet d'union, se retrouve toutefois dans les propos de Jean-Claude Larchet. L'exposé de la "christologie non chalcédonienne " qu'il propose à la suite de sa critique du Projet d'union contient nombre d'affirmations erronées, dont il tire des conclusions qui, pour être radicales, n'est sont pas moins fausses et hypothèquent lourdement la possibilité de parvenir à la compréhension du problème christologique et des raisons profondes qui conduisirent nombre d'Eglises à ne pas recevoir la formulation chalcédonienne. Nous voudrions relever quelques erreurs graves et rétablir autant que possible une authentique compréhension de la christologie d'une des Eglises non-chalcédoniennes : l'Eglise arménienne, qualifiée couramment de " monophysite " et visée comme " sévèrienne " dans l'étude en question.

L'article de Jean-Claude Larchet présente, essentiellement et avant tout, deux erreurs méthodologiques importantes : la réduction de la théologie non chalcédonienne à la christologie sévèrienne et le problème des sources.

1/ Nécessité de distinguer les Eglises regroupées sous la dénomination de non-chalcédoniennes ou de préchalcédoniennes.

L'appellation d'Eglise " non-chalcédonienne " ou " préchalcédonienne " est employée par l'Eglise byzantine pour désigner les Eglises anciennement dites " monophysites ", qui n'ont pas reçu le concile de Chalcédoine. La non-réception du concile de Chalcédoine serait-elle un critère suffisant pour les regrouper dans une seule famille ecclésiale ces Eglises des traditions liturgiques et de tendances christologiques différentes ? Cela nécessiterait à l'inverse le regroupement des Eglises orthodoxes et catholique dans la même famille des Eglises chalcédoniennes, dont on connaît les divergences liturgiques, théologiques et ecclésiologiques. On tombe ainsi dans un non-sens complet.

En réalité, les Eglises copte, syriaque, arménienne et éthiopienne ne forment pas un ensemble homogène, car elles ne connaissent entre elles aucune unité théologique, liturgique et administrative. La christologie copte est de tradition alexandrine ; la christologie arménienne, d'origine antiochienne et cyrillienne ; la christologie syriaque, influencée par la christologie de Sévère d'Antioche. Dioscore est reconnu saint dans l'Eglise copte, mais non dans l'Eglise arménienne. De même, cette dernière ne partage pas la sainteté du maître de la christologie syriaque, Sévère d'Antioche, dont la pensée n'a pas influencé la christologie arménienne 2. Pour l'Eglise copte il s'agit d'une non-réception du concile de Chalcédoine auquel elle a participé, tandis que l'Eglise arménienne en fut absente. Historiquement, il n'y eut jamais de conciles des Eglises " non-chalcédoniennes " promulguant l'unité de foi et de communion, ni de complot organisé par les Eglises orientales anciennes contre le concile de Chalcédoine, dont la non réception par chacune de ces Eglises fut spontanée et indépendante 3. Dans son étude, Jean-Claude Larchet développe d'une part la christologie byzantine, qu'il qualifie d'orthodoxe, de cyrillienne et de chalcédonienne, et d'autre part " la christologie non-chalcédonienne " désignée comme sévèrienne. D'après cette classification, où serait la place, par exemple, de la christologie arménienne, classée comme non chalcédonienne mais qui n'est pourtant pas sévèrienne ?

Pour une critique pertinente et pour éviter les amalgames, il est donc nécessaire d'introduire une distinction aussi évidente que légitime entre les différentes Eglises dites " non-chalcédoniennes ", tout comme d'étudier la christologie et l'histoire de chacune d'entre elles de manière distincte.

2/ Le problème des sources.

Le dialogue entre-orthodoxes ainsi que sa critique devraient être bâtis sur la connaissance réciproque des sources théologiques dont l'authenticité et l'objectivité historique et scientifique est prouvée. Le fait que les actes du concile de Chalcédoine furent présentés au début de VIe siècle à l'Eglise arménienne, qui en fut absente, par l'intermédiaire de sources syriaques 4, fit peser sur la formulation chalcédonienne une lourde suspicion de nestorianisme caché. De même, les accusations byzantines de monophysisme de l'Eglise arménienne se fondent non pas sur l'étude des sources arméniennes mais sur leur interprétation byzantine. Il s'agit de deux sources : la Narratio chalcédonienne (vers 700) 5 et le Document contenant l'histoire des réactions arméniennes au concile de Chalcédoine 6. L'objectivité historique de la première source est fortement contestée. L'historienne Nina Garsoian remarque que " la Narratio est une source hostile et ouvertement polémique, dont les affirmations doctrinales demandent à être contrôlées " 7. Quant à la seconde source, proche de la Narratio et issue aussi d'un milieu chalcédonien, elle pose également un problème d'objectivité historique. Le Document contenant l'histoire des réactions arméniennes au concile de Chalcédoine aurait été la source principale de renseignement sur l'Eglise arménienne de saint Photius dans ses Lettres aux Arméniens, citées notamment par Jean-Claude Larchet dans son article.

Les Lettres aux Arméniens font partie d'un ensemble de correspondance entre le patriarche arménien Zacharie et Photius, puis entre le roi Achot et Photius, conservée partiellement, tantôt en arménien, tantôt en grec. L'authenticité de l'attribution à Photius de la première Lettre, conservée en arménien et contenant la défense du concile de Chalcédoine, n'est pas certaine 8. Et si l'attribution à Photius des deux autres Lettres en arménien et en grec est plus certaine, nous ne savons pas quelle fut la source de ses renseignements sur la position de l'Eglise arménienne. D'une part, nous n'avons aucune preuve de la connaissance par saint Photius de la tradition arménienne de manière directe, soit par la maîtrise de la langue arménienne, soit par un éventuel voyage en Arménie. D'autre part, parmi les sources byzantines sur la tradition arménienne de cette époque, les scientifiques relèvent le Dossier sur l'histoire des réactions arméniennes au concile de Chalcédoine, que le porte-parole de Photius, Jean (ou Vahan) de Niké lui avait procuré 9. Saint Photius était nécessairement mal renseigné pour avoir placé les Arméniens du côté de Dioscore et d'Euthychès 10, alors qu'il est historiquement établi qu'à aucune époque le monophysisme arménien ne fut de type eutychien 11 et que jamais la mémoire du Dioscore ne fut célébrée dans l'Eglise arménienne. Les Lettres de Photius aux Arméniens ne peuvent donc raisonnablement servir comme preuve d'accusation de monophysisme de l'Eglise arménienne. Elles sont pourtant citées par Jean-Claude Larchet dans ce sens.

Il en est de même des sources historiques qu'il utilise pour exposer " l'histoire " de la prise de position de l'Eglise arménienne par rapport à Chalcédoine 12. Dépassées et erronées, elles remontent souvent au début du siècle, époque où l'on ne possédait pas la majorité des sources historiques arméniennes et byzantines, ni de leur édition critique. Il va sans dire que l'idée d'exposer l'histoire des conciles arméniens d'après l'interprétation qui en fut fournie par des auteurs qui n'avaient aucune expérience de la tradition liturgique et théologique arménienne, n'est guère heureuse. Le résultat est tel que les dates des conciles sont inexactes et leurs décisions, hâtivement interprétées, rapportées avec quantité d'erreurs. D'après ses sources, Jean-Claude Larchet affirme notamment que le concile de Chalcédoine fut condamné par l'Eglise arménienne au synode de Vagharchapat (491), ou après 506, aux synodes de Dvin 13. En réalité, le premier acte conciliaire arménien attestant de la condamnation de Chalcédoine comme concile nestorien date de 607 14. Jean-Claude Larchet place également la réception par l'Eglise arménienne de l'Henotikon en 506, lors du premier concile de Dvin, et la qualifie de prise de position contre Chalcédoine. En réalité, nous ne connaissons pas la date exacte de la réception de l'Henotikon (entre 482 et 508), toutefois bien antérieure à la prise de position officielle de l'Eglise arménienne vis-à-vis du concile de Chalcédoine en 607 15. La réception de l'Henotikon se fit sans aucune volonté de prendre part aux controverses suscitées par la formulation chalcédonienne qui agitaient l'empire et desquelles l'Eglise arménienne s'était trouvée très éloignée du fait de son complet isolement dans la résistance au mazdéisme. Lorsque les décennies de grande désolation prirent fin, l'Eglise arménienne tenta de resserrer les liens qui l'unissaient autrefois à l'Eglise byzantine en rejoignant la position impériale du moment, laquelle pouvait alors paraître comme seule légitime 16.

L'article de Jean-Claude Larchet requiert ainsi corrections et éclaircissements sur la christologie de l'Eglise arménienne (chapitre I) comme sur le problème de la non-réception du concile de Chalcédoine (chapitre II). Notre exposé s'achèvera par une mise au point sur les conclusions de Jean-Claude Larchet à propos de la tradition non chalcédonienne, ainsi que sur la vision du dialogue entre-orthodoxes qui en découle.

I. Les principaux traits de la christologie de l'Eglise arménienne

1/ Survol historique.

D'après la source la plus ancienne relatant l'évangélisation de l'Arménie et qui servit de fondement à la tradition de l'Eglise arménienne 17, ce fut saint Grégoire l'Illuminateur, venu de Cappadoce, qui aurait évangélisé l'Arménie au début du IVe siècle 18. Après la conversion du roi Tiridate et de la cour arsacide, Grégoire reçut l'ordination épiscopale à Césarée de Cappadoce par l'évêque Léonce durant une assemblée d'évêques. Son retour en Arménie fut suivi du baptême du peuple arménien. Il organisa la hiérarchie de l'Eglise arménienne et ce fut durant son épiscopat que celle-ci adopta les canons du premier concile œcuménique. Ces canons avaient été apportés en Arménie par son fils Aristakes, lequel avait participé au concile de Nicée (325) 19.

L'Eglise arménienne ne participa pas au Concile d'Ephèse (431), étant donné qu'à cette époque presque toute la Persarménie se trouvait sous la juridiction d'antipatriarches désignés par la Perse, et que le catholicos canonique, saint Sahak, n'était plus maître de son Eglise. Les actes du concile furent cependant acheminés de Constantinople en Arménie vers 432 et furent pleinement reçus par l'Eglise arménienne.

En raison des difficultés politiques qui demandaient que soit organisée la résistance à la volonté perse d'imposer le mazdéisme, l'Eglise arménienne ne put participer aux événements de 449-451. De ce fait, les actes du " brigandage " d'Ephèse (449) et du concile de Chalcédoine (451) ne purent parvenir jusqu'en Arménie. Tout au long de la deuxième partie du Ve siècle et du VIe siècle, l'Eglise arménienne fut préoccupée par " l'invasion " de la doctrine diphysite, venue de l'Eglise de Perse qui avait officiellement adopté, en 484, la christologie de Théodore de Mopsueste.

Entre 482 et 508, l'Eglise arménienne adhéra à la confession de l'Henotikon de Zénon 20. Dans l'Acte synodal du premier concile de Dvin (505-506), elle condamna la doctrine nestorienne de l'Eglise de Perse et affirma son accord confessionnel avec les Romains (Byzantins), les Ibères (Géorgiens) et les Arvanc (Albaniens) 21. Mais après la révocation de l'Henotikon en 518 par Justin Ier, l'union confessionnelle entre les deux Eglises fut rompue 22. En 555 fut convoqué le deuxième concile de Dvin, qui lui aussi anathématisa la doctrine nestorienne 23. Nous ne trouvons aucune mention du concile de Chalcédoine ou de celui de Constantinople II dans les actes conciliaires des deux conciles de Dvin de 505-506 et 555 (l'Acte synodal et le Pacte d'union). L'Eglise arménienne était en effet davantage préoccupée par la résistance à la doctrine nestorienne, soutenue par l'Eglise de Perse.

La condamnation officielle du concile de Chalcédoine remonte au début du VIIe siècle : en 607, lors du concile de Dvin, l'Eglise arménienne signa un document officiel portant condamnation du quatrième concile œcuménique comme concile nestorien 24.

C'est ainsi que l'Eglise arménienne s'engagea sur une voie solitaire. Sa christologie n'était cependant pas encore définitivement établie. Se basant sur la théologie des trois premiers conciles, surtout sur celle du concile d'Ephèse, elle reçut les dernières " mises au point " au VIIIe siècle, sous le catholicossat de Hovhannès Awjnec'i (717-728). Au synode de Manazkert de 726 sera formulée la doctrine arménienne de l'incorruptibilité de la personne du Christ, différente de la doctrine monophysite de Julien d'Halicarnasse. Il faut dire que la doctrine monophysite d'Eutychès avait déjà été officiellement condamnée en 508 dans la Seconde lettre de Babgen, le catholicos de l'époque, sans qu'elle n'ait jamais influencé la théologie arménienne. La doctrine monothéliste de Sévère d'Antioche n'était pas davantage connue de la théologie arménienne 25. Par contre, la doctrine de Julien d'Halicarnasse sur l'incorruptibilité du corps du Christ fut rapportée en Arménie à l'époque du deuxième concile de Dvin (555). Mais dès le début des relations avec les communautés syriennes, le catholicos arménien Nersès II fit la distinction entre leur doctrine julianiste de l'incorruptibilité du corps du Christ et celle de l'Eglise arménienne, qui attribue l'incorruptibilité non pas à la chair elle-même, mais à l'union de la chair au Dieu Verbe 26.

C'est à la même époque du catholicossat d'Hovhannès Awjnec'i que remonte la prise de position de l'Eglise arménienne dans la querelle des images : dans son Traité contres les Pauliciens le catholicos justifie le culte des croix et des images du Christ, en se référant au rappel biblique de la création à l'image (Gn 1, 26) et de l'incarnation 27.

La christologie de l'Eglise arménienne est donc née et s'est donc développée entre le Ve et le VIIIe siècles, d'après trois sources principales : la tradition cappadocienne (avant 432), la théologie cyrillienne ou éphésienne (après 432), et la synthèse proprement arménienne, élaborée sur le fondement des deux premiers (à partir du VIIIe siècle). De ce fait, notre exposé se fonde sur les sources les plus anciennes : les textes liturgiques et les écrits dogmatiques des Ve-Xe siècles, qui restent toujours actuels et véridiques 28. Deux références plus tardives, mais d'une grande importance, nous serviront également de source : les écrits de saint Nersès le Gracieux (1100-1173) 29 et la confession de foi des Pères de l'Eglise arménienne 30.

2/ Les principaux titres et appellations du Christ dans la tradition arménienne.

La tradition arménienne, d'après les textes liturgiques et les écrits dogmatiques des Ve-Xe siècles, désigne Jésus Christ, notre Seigneur et Sauveur, avant tout comme la deuxième hypostase de la Sainte Trinité, appelée plus fréquemment " Seigneur ", " Fils de Dieu ", " Fils Monogène " et " Verbe ". Le titre de " Seigneur " 31 est employé surtout dans les formules christologiques " notre Seigneur et Sauveur Jésus Christ " ou " notre Seigneur Jésus Christ " (Rm 5, 21 ; Ph 3, 20). L'attribution au Christ de ce titre divin remonte à la confession néotestamentaire archaïque " Jésus est Seigneur " (1 Co 12, 3). Cette formule kerygmatique est particulièrement chère aux Pères des Ier-IIe siècles. Saint Ignace d'Antioche, dans sa Lettre aux Ephésiens, dit qu' " Il n'y a qu'un seul médecin, charnel et spirituel, engendré et inengendré, […] d'abord passible et maintenant impassible, Jésus Christ notre Seigneur " 32. Saint Irénée de Lyon souligne que " le Verbe de Dieu, Jésus Christ notre Seigneur, […] à cause de son surabondant amour, s'est fait cela même que nous sommes afin de faire de nous cela même qu'il est " 33.

La tradition arménienne souligne fortement le mystère de la patrifiliation en désignant la personne du Christ dans la lumière de ses rapports avec le Père comme " Fils de Dieu " (Jn 1, 34 ) et " Fils Monogène " (Jn 1, 14,18 ; 3, 16,18) 34. Ces titres mettent l'accent sur la filiation du Christ et son intimité originelle avec le Père. Ils accentuent le caractère unique de la génération du Christ : d'après les Pères (surtout d'après saint Maxime et saint Grégoire Palamas), seul le Christ est dans une union " essentielle " avec le Père. Ces titres hypostatiques accentuent ainsi l'origine divine de la Deuxième personne de la Sainte Trinité.

Un autre titre hypostatique fréquemment employé dans les sources mentionnées est " Verbe " 35. Les anaphores affirment que le Christ est le " Verbe de Dieu " (anaphore de saint Sahak) ou le " Verbe Dieu " (anaphores de saint Grégoire et de saint Cyrille), qui est " sans commencement " (anaphore de saint Sahak) et " éternel " (anaphores de saint Sahak et de saint Cyrille). Elles insistent sur la participation du Logos à la création du monde (anaphores de saint Athanase et de saint Basile). Ce titre est également employé dans la confession de foi de l'Acte synodal du Ier concile de Dvin 36 et dans le Credo des Pères de l'Eglise arménienne 37. Fondé sur la théologie du quatrième Evangile, ce titre est lui-même le fondement de la théologie des Pères, principalement de celle des Apologistes et de l'Ecole d'Alexandrie 38.

3/ Le mystère de l'incarnation du Christ dans la tradition arménienne.

La christologie arménienne, d'après les sources mentionnées, souligne fortement le mystère de l'incarnation du Verbe, de Sa kénose et de Sa glorification.

L'incarnation du Logos est exprimée par des formulations dans la lignée des schémas " Logos-sarx " et " Logos-anthropos " 39 qui la présentent à la fois comme théophanie - " Dieu éternel est apparu sur terre " (anaphore de saint Basile) ; " Dieu véritable tu t'es fais homme " (anaphore de saint Grégoire) - et comme naissance de la Vierge Marie - " Il est né de la femme " (anaphore de saint Basile), " Il est né parfaitement de Marie, la Vierge sainte, par l'Esprit saint " (version arménienne du Symbole de la foi). Les verbes les plus souvent utilisés dans la théologie arménienne pour exprimer le mystère de l'incarnation du Verbe sont " s'est fait chair " (marmnatsav, esarkóthe) et " s'est fait homme " (mardatsav, enanthrópese) - deux expressions du symbole de Nicée. L'incarnation est conçue dans la tradition arménienne comme un choix libre du Christ, agissant en conformité avec la volonté du Père : " le Verbe céleste fut homme [...], en recevant volontairement d'elle (de la Vierge) tout ce qui peut être pris par la chair et en l'unissant (la chair) (à lui) ", affirme l'anaphore de saint Sahak.

En parlant de l'incarnation du Christ, la christologie arménienne souligne la divinité plénière du Verbe incarné, thème principal du concile de Nicée (325). Le Christ est désigné comme " Seigneur ", " Dieu éternel " et " vrai Dieu " (anaphore de saint Basile), et comme " Dieu véritable " (anaphore de saint Cyrille). L'anamnèse de l'anaphore de saint Athanase, la seule à être célébrée actuellement dans l'Eglise arménienne, insiste sur le fait que le Christ " se fait connaître d'une manière certaine comme Dieu des vivants et des morts ". La christologie arménienne rappelle avec insistance que les événements de la vie du Seigneur - le baptême, la crucifixion, l'ensevelissement - furent vécus par le Christ dans l'union avec sa nature divine, car " en passant à travers tout ", Il ne fut pas diminué dans sa divinité. Le Credo des Pères de l'Eglise arménienne 40 dit : " Son corps fut déposé dans le tombeau, uni à sa divinité ". Cette insistance est née de l'opposition au Ve et au VIe siècles de la doctrine de l'Eglise arménienne à la doctrine nestorienne de l'Eglise de Perse.

La christologie arménienne affirme tout autant l'humanité plénière du Verbe incarné que sa divinité plénière - un thème important du concile d'Ephèse (431). L'anaphore de saint Athanase souligne qu'" Il fut homme d'une manière certaine et non pas en apparence ". Cette insistance sur l'humanité plénière du Verbe se retrouve dans les écrits théologiques arméniens à partir du Ve siècle, notamment dans un document des années trente de ce siècle, la Réponse à la lettre du bienheureux Proclus de la part de Sahak et de Mastoc', qui affirme qu'" Il (le Verbe) a pris sur lui de devenir homme parfait, de la Mère de Dieu Marie, par (l'agence) du Saint-Esprit, ayant pris un esprit et un corps véritables et non illusoires " 41. Et un peu plus loin : " [...] réel est le corps qu'il a revêtu pour nous " 42. Un autre document des années 552-553 insiste également sur l'humanité plénière du Verbe incarné : " Nous croyons que la Sainte Vierge Marie est la Mère de Dieu, car d'elle a véritablement été incarné le Dieu Verbe en chair et en os et devenu parfaitement homme " 43. Le Credo des Pères de l'Eglise arménienne dit : " Dieu parfait est devenu homme parfait avec l'âme, l'esprit et le corps ". Le terme le plus fréquemment employé dans la tradition arménienne pour exprimer l'humanité du Christ est " chair " (marmin). Il est utilisé dans son sens biblique et hébraïque (bassar), désignant l'âme et le corps de la personne. L'anaphore de saint Sahak dit, en parlant de l'incarnation du Verbe, qu'Il s'est fait " chair avec âme et intelligence ". Le terme " chair " est ainsi employé dans la tradition arménienne dans un sens positif, à la différence de saint Paul qui utilise le " corps " (soma) dans un sens positif et la " chair " (sarx) dans un sens négatif.

Pour exprimer l'humanité du Christ, la christologie arménienne utilise aussi d'autres termes que la chair. Le texte de saint Athanase définit la nature humaine du Christ comme " nature perceptible ", et celui de saint Cyrille, comme " notre nature ". Certains auteurs utilisent le terme de " nature humaine ", notamment saint Nersès le Gracieux (1102-1173) qui l'emploie très fréquemment, surtout dans ses hymnes chantées pendant les offices de la nuit du Grand Jeudi. La deuxième hymne de l'Office des ténèbres affirme : " c'est une nature parfaite que prit en effet Dieu le Verbe, celle de l'humanité ".

Fortement influencée par la théologie du concile d'Ephèse et de saint Cyrille d'Alexandrie, la christologie arménienne insiste également sur l'unicité de la personne du Christ. Elle souligne que l'union de la divinité et de l'humanité dans la personne du Christ est " indissoluble " - expression de saint Cyrille reprise dans l'anaphore qui lui est formellement attribuée. Nous retrouvons la même problématique dans la correspondance entre Arméniens et Orthodoxes de Perse au début de VIe siècle et de Syrie dans les années 552-553 : " Nous confessons que le Seigneur [est] réellement homme et en même temps Dieu. Et nous adorons l'incarnation avec la divinité et la divinité avec l'incarnation " 44. Dans cette logique, tous les événements de la vie terrestre du Fils, vécue dans son humanité unie à sa divinité, sont attribués à l'unique hypostase du Verbe incarné. La victoire de Gethsémani est ainsi attribuée non pas à la nature divine du Christ, mais à Sa personne divine dans laquelle il n'y eut pas d'opposition du vouloir entre les natures divine et humaine, opposition due au péché dont il fut exempt. L'hymne de saint Nersès le Gracieux, chanté pendant l'Office des ténèbres dans la nuit du Grand Jeudi, affirme qu'" br 45. La christologie arménienne n'a jamais interprété la formule cyrillienne " une seule nature de Dieu Verbe incarnée " dans un sens apollinariste ou monophysite de type eutychien. Le catholicos Hovhannes Awjnec'i (717-728) dit : " Il faut bien comprendre "une seule nature". Quand on dit une seule nature du Verbe incarnée, on ne doit pas penser qu'une nature est diffusée dans l'autre, ou que deux natures ont fusionné en une. Quand nous disons : "une seule nature", nous voulons dire : inexprimable union du Logos et du corps " 46.

Saint Nersès le Gracieux écrit dans son Exposé de foi de l'Eglise arménienne : " Nous confessons que […] le Fils […] est entré dans le sein de la Vierge, […] en recevant d'elle notre nature pécheresse : l'âme, l'esprit et le corps […]. Le Logos […] n'est pas passé à travers elle comme par un canal selon la pensée fausse d'Eutychès. […] Une seule essence, une seule personne de deux natures, unifiées par une union sans mélange et sans séparation dans un seul Jésus-Christ […]. Nous confessons que deux natures se font une, et que dans l'union, aucune des deux natures ne se perd […] " 47.

La christologie arménienne n'interprète pas non plus formule " une seule nature " dans le sens sévèrien de " nature composée " 48. Elle emploie plutôt le terme de " nature unifiée ", qui à partir de l'affirmation de l'existence de deux idiomes distincts, affirme leur unité. L'expression " nature composée " procède d'une démarche contraire : elle affirme l'existence de deux idiomes, en partant de l'affirmation de l'union entre eux. L'expression " nature unifiée " affirme donc l'unité des idiomes, tandis que le terme de " nature composée " affirme plutôt leur union. Saint Nersès le Gracieux explique que par l'expression " nature unifiée ", la tradition arménienne affirme l'unicité de la personne du Christ à partir de l'unité " sans mélange ni séparation " de deux natures. Dans cette perspective, il souligne que la distinction sans séparation des deux natures suppose une distinction sans opposition entre deux " vouloirs " et deux actions en Christ : " Pour la volonté, nous ne la comprenons pas comme si la volonté divine dans le Christ était opposée à la volonté humaine, ou la volonté humaine à la volonté divine. Un seul être […] [Sa] volonté était […] tantôt divine - quand Il montrait la force de Dieu, et tantôt humaine - quand Il montrait l'humilité humaine [...]. Comme dans l'unique volonté de la Divinité il y avait deux vouloirs, humain et divin, sans résistance l'un à l'autre, de même nous croyons que l'action dans l'union était aussi divine et humaine […]. En devenant Un, Il portait en lui les sensations opposées : par la nature humaine - la mort et la souffrance ; par la nature divine - l'impassibilité et l'immortalité. Celui qui est mort par son corps fut vivant par la Divinité " 49. En employant les expressions " une seule nature ", " nature unifiée " et " unique volonté ", la tradition arménienne ne nie donc pas la distinction réelle entre les deux natures et les deux volontés après l'union. Le catholicos Karékine Ier (1995-1999) explique qu'après l'union, " les deux natures n'ont pas perdu leurs caractéristiques propres et leur plénitude, mais elles n'agissent pas séparément, autrement nous aurions un dualisme, et l'incarnation n'aurait pas eu lieu " 50.

En fait, la christologie arménienne présente l'incarnation du Verbe comme un nouveau mode d'existence. Son humanité réelle n'est pas de l'ordre de l'avoir, mais de l'ordre de l'être. Elle insiste toutefois sur l'asymétrie entre natures divine et humaine dans la personne du Christ : Sa nature divine est préexistante tandis que la nature humaine est assumée. Il est ainsi possible de parler de " christologie asymétrique " (expression de G. Florovsky) de l'Eglise arménienne.

4/ Le mystère de la kénose du Christ et de Sa glorification dans la tradition arménienne.

La christologie arménienne souligne fortement le mystère de la kénose du Verbe, exprimé par l'affirmation de Sa crucifixion, de Sa mort et de Son ensevelissement de trois jours. En mentionnant le mystère de la crucifixion, elle parle surtout de la " passion " du Christ, qualifiée de " sainte " (anaphore de saint Athanase) et de " salutaire " (anaphore de saint Basile), et insiste sur le libre choix du Christ qui se livre " volontairement " (anaphores de saint Athanase, de saint Sahak et de saint Cyrille) et " lui-même " (anaphore de saint Basile). Cette insistance est propre à la christologie arménienne. Nous la retrouvons déjà dans les écrits théologiques de l'Eglise arménienne du Ve siècle. La Réponse à la lettre du bienheureux Proclus de la part de Sahak et de Mastoc' - document des années trente du Ve siècle, cité plus haut - affirme : " Il s'est donné de lui-même (Jn 10, 18) volontairement, par sa volonté et non contre sa volonté " 51. La même idée est soulignée dans la Réponse à la lettre des Syriens de la part de Nersès catholicos des Arméniens (document des années 552-553) : " Il a souffert, il a été crucifié et il est mort pour nous selon sa propre volonté " 52.

La christologie arménienne souligne également la réalité des souffrances et de la mort du Christ (anaphores de saint Basile, de saint Grégoire et de saint Cyrille). Ce thème est souligné dans la Réponse à la lettre du bienheureux Proclus de la part de Sahak et de Mastoc' : " Il a accompli le salut du monde, il a véritablement souffert, non qu'il fut lui-même débiteur de souffrances, car la divinité est affranchie des souffrances, mais c'est pour nous qu'il a pris sur lui les souffrances " 53. L'authenticité des souffrances et de la mort du Christ est en outre affirmée dans la Réponse à la lettre des Syriens de la part de Nersès catholicos des Arméniens : " Il a souffert, il a été crucifié et il est mort pour nous selon sa propre volonté, en réalité et non en apparence ". Et un peu plus loin : " [nous croyons] à ses souffrances sur la croix, à sa mort, à son ensevelissement de trois jours " 54. La réalité de la mort du Christ est également affirmée dans l'hymne des matines du Grand Vendredi, attribuée à saint Nersès le Gracieux : " Les puissances des cieux s'étonnèrent devant l'ensevelissement du Seigneur dans le tombeau neuf, car lui, dont l'être est immortel, a goûté la mort pour le salut des créatures ".

En insistant sur la réalité de la mort du Seigneur, la christologie arménienne précise : " Il est mort dans sa chair, mais resta vivant par (sa) divinité " (Credo des Pères de l'Eglise arménienne). Nous retrouvons cette précision chez saint Nersès : " Celui qui est mort par son corps fut vivant par la divinité "

La tradition arménienne souligne également les événements de la glorification du Christ : la descente aux enfers, la résurrection, l'ascension aux cieux et la session à la droite du Père. L'événement eschatologique de la seconde venue du Fils, qualifiée de " redoutable " et de " glorieuse ", tient une place toute particulière dans la tradition arménienne, qui place la christologie dans une perspective ouverte de l'attente. L'événement eschatologique de la seconde venue du Fils est, par exemple, un des thèmes plus important des lectures bibliques des dimanches du Grand Carême dans le rite arménien.

En mentionnant les évènements de la glorification du Fils et l'évènement eschatologique de Sa seconde venue, la christologie arménienne insiste sur le fait que la personne divine du Christ est glorifiée " dans sa chair " : " Nous croyons que notre Seigneur Jésus Christ est monté dans le même corps au ciel et Il est assis à la droite du Père. Et Il viendra aussi, avec le même corps et avec la gloire du Père pour juger les vivant et les morts, (lui) qui est la Résurrection de tous les hommes " (Credo des Pères de l'Eglise arménienne). Cette insistance sur la participation de la chair du Christ aux évènements de sa glorification est née par opposition à la doctrine nestorienne, qui distingue d'une manière stricte les propriétés des deux natures sans se prononcer sur la communication entre elles.

La christologie arménienne est profondément économique et sotériologique. Elle accentue fortement le seul but de la venue du Fils sur terre qu'est notre salut. Tous les événements de la vie Christ sont vus en fonction de Son rôle dans l'histoire de salut : l'incarnation et " la passion sur la croix " furent volontairement acceptées par Lui " pour nous " (anaphores de saint Basile, de saint Athanase, de saint Sahak et de saint Grégoire), " pour le salut de l'univers " (anaphore de saint Sahak), " pour la vie et le salut de toutes les créatures " (anaphore de saint Basile). C'est là le fondement de la christologie de l'Eglise arménienne dont les écrits dogmatiques du Ve siècle accentuent déjà cette approche qui s'est conservée jusqu'à nos jours dans la théologie arménienne : " Notre Seigneur Jésus Christ, en accord avec la volonté du Père, a eu pitié de l'égarement humain. Le Verbe qui jaillît du cœur du Père, voulut lui complaire, sous la protection du Saint Esprit, se faire chair dans le sein de la Vierge de sainteté et recevoir le corps vieilli qui, en raison du leurre de Satan, était retourné à la corruption ; le restaurer de corps, d'esprit, et d'âme, afin que la première créature apparût sans corruption à la seconde naissance, à la résurrection des morts. Car réel est le corps qu'il a revêtu pour nous et il a semé en nous, par la foi, sa divinité [...]. Il a enduré en les prenant sur lui les soufflets et les insultes, la Croix et la mort. Non pas que lui-même fut coupable et digne de ceci. Et il ne méritait pas la mort dont il mourut, car la divinité est immortelle, mais afin qu'il mérite d'effacer et laver notre déshonneur qui parvient de nos péchés, par le Saint Evangile et son sang précieux " 55.

Nous pouvons ainsi conclure que la christologie arménienne est tournée vers une économie de salut plutôt que vers les questions doctrinales. En ce sens, il est possible de parler de " christologie économique " de l'Eglise arménienne comme il est permis de parler de " théologie économique " des Pères. Car dans la tradition arménienne, la personne du Christ et les événements de Sa vie terrestre sont vus en fonction de Son rôle dans l'économie de salut.

II. Les causes de la non réception par l'Eglise arménienne du concile de Chalcédoine.

Concernant le problème de la non réception par l'Eglise arménienne du concile de Chalcédoine, il faut distinguer plusieurs facteurs, historiques, politiques, théologiques et linguistiques, qui forment un ensemble éminemment complexe. Nous ne nous étendrons cependant pas sur l'aspect linguistique qui mériterait que lui soit consacrée une étude approfondie, mais dont la compréhension requerrait du lecteur la connaissance de la langue arménienne.

1/ Le facteur historique.
" Nous Arméniens n'avons pas pu participer activement aux querelles christologiques des IVe et Ve siècles. Au IVe siècle, notre Eglise était encore en formation ; au Ve siècle, nous étions engagés dans la résistance au mazdéisme qui menaçait de revenir […]. Et justement, de 451 date la bataille d'Avaraïr contre les Perses " 56.

Catholicos Karékine Ier.
Le dogme a une double origine : mystère et histoire. En tant qu'affirmation du mystère de Dieu et de la foi, il naît dans un contexte historique comme réponse à une attente historique. La doctrine de Chalcédoine fut une prise de position de l'Eglise byzantine face à la doctrine monophysite d'Eutychès. Le concile de Chalcédoine a provoqué une vive polémique dans l'empire byzantin, à laquelle l'Eglise byzantine a répondu par les formulations des conciles de Constantinople II (553) et III (680-81). Ce conflit était principalement localisé dans l'empire byzantin. Le contexte historique était-il identique à la même époque en Arménie ?

En 387, la Grande Arménie fut divisée entre la Perse et Byzance. Les Perses avaient obtenu les quatre cinquièmes de l'ancien royaume - cette partie sera désormais appelée Persarménie. A cette époque, le trône patriarcal de l'Eglise arménienne tourné vers l'hellénisme cappadocien se trouvait en Persarménie, coupé de toute relation avec Byzance. Aucune juridiction religieuse ne relia la Persarménie à l'Arménie impériale dont les évêques étaient intégrés à la hiérarchie byzantine 57. La situation se compliqua avec la naissance de l'Eglise de Perse en 410. La juridiction du catholicos de l'Eglise de Perse ne s'étendait pas sur l'Eglise arménienne 58, mais le patriarche arménien était devenu sujet du roi de Perse depuis la fin du IVe siècle. Le souverain perse, qui exerçait indirectement la juridiction sur l'Eglise perse devenue Eglise d'Etat et qui prétendait à la même autorité sur l'Eglise arménienne, dispensa le patriarche arménien de son autorité en 428. Jusqu'en 444, l'Eglise arménienne resta sous le pouvoir d'antipatriarches d'origine syrienne imposés par le roi de Perse. Ce fut la cause de l'absence de l'Eglise arménienne au concile d'Ephèse, dont les actes furent cependant rapportés de Constantinople vers 432. Le concile d'Ephèse fut toutefois reçu par l'Eglise arménienne, malgré son absence, car sa problématique était d'actualité en Persarménie après la découverte des ouvrages de Théodore de Mopsueste, acheminés dans le pays à deux reprises, par les antipatriarches syriens d'abord (vers 428), puis par les " Ciliciens " (vers 431-432) 59. L'Eglise arménienne, influencée jusque là par la tradition antiochienne, cherchait alors des éclaircissement sur le contenu christologique de ces ouvrages, non pas auprès de l'Eglise de Perse qui proclama son autocéphalie vis-à-vis des " pères occidentaux " en 424, mais du coté byzantin, à Constantinople. Cela fut la cause de la correspondance échangée entre Arméniens et Grecs dans les années 432-435 60.

L'Eglise arménienne fut également absente du " brigandage " d'Ephèse (449) et du concile de Chalcédoine (451), étant donné qu'elle se trouvait engagée dans la résistance au mazdéisme imposé par le roi de Perse Hazgerd II. Au moment même de la convocation du concile de Chalcédoine (mai 451), l'Eglise arménienne menait la bataille la plus importante contre l'imposition du mazdéisme. Au VIe siècle, l'Eglise arménienne s'engagea dans une nouvelle résistance, cette fois-ci à la doctrine nestorienne de l'Eglise de Perse, laquelle avait officiellement adopté la théologie de Théodore de Mopsueste en 484. Ce fut la cause de la convocation des conciles de Dvin I et II en 505 et 555, qui condamnèrent la doctrine nestorienne, le premier ayant promulgué l'union avec " les Romains, les Ibères et les Arvanc ". On voit ainsi que les préoccupations historiques en Arménie à cette époque furent différentes de celles de l'Eglise byzantine. Le nestorianisme n'était plus une menace pour l'Eglise impériale qui, face aux vrais monophysites et aux monophysites verbaux, affirma la double consubstantialité du Christ au moyen des deux natures ayant chacune leurs propriétés propres. L'Eglise arménienne, faisant face à la doctrine nestorienne, affirma l'unicité de la personne du Christ, pleinement homme et pleinement Dieu, et " la communication des idiomes ". Les deux doctrines protégèrent la tradition et la foi de l'Eglise de deux influences hétérodoxes différentes, avec des accentuations également différentes.

Lorsque les deux Eglises se rencontrèrent en 591 pour la première fois après deux siècles d'existence séparée, leur vécu historique n'était plus le même. L'inégalité politique des deux parties ne pouvait que compliquer davantage une situation déjà difficile.

2/ L'aspect politique.
" C'est une nation fourbe et indocile […] ; ils se trouvent entre nous et sont une cause de troubles. Moi, je vais rassembler les miens et les envoyer en Thrace ; toi, fais conduire les tiens en Orient. S'ils y périssent, ce sont autant d'ennemis qui mourront ; si, au contraire, ils tuent, ce sont des ennemis qu'ils tueront, et, quant à nous, nous vivrons en paix. Mais s'ils restent dans leur pays, il n'y a plus de repos pour nous " 61.

L'empereur Maurice au roi de Perse Khosrov.
En 591, la plus grande partie de la Persarménie fut cédée à l'empire byzantin, mais le trône patriarcal se trouvait toujours en Persarménie. Il en résulta la désignation, pour l'Eglise arménienne nouvellement intégrée à l'empire, d'un antipatriarche. Le catholicos, chef religieux et politique des Arméniens privés d'Etat indépendant depuis 428, avait en effet refusé de participer au synode d'union (591) convoqué par l'empereur Maurice. De fait, il n'y avait eu aucune rencontre entre les dirigeants des deux Eglises, sans parler de dialogue théologique, inexistant. Politiquement, il était important d'obtenir la soumission de l'Eglise arménienne à l'autorité impériale, et l'empereur Maurice l'obtint donc au prix de l'imposition d'un antipatriarche. Cet événement provoqua la réunion en 607 du concile de Dvin qui, pour la première fois, condamna le concile de Chalcédoine comme concile nestorien 62.

Cette situation dura jusqu'en 611 lorsque les Perses regagnèrent les territoires arméniens et que l'unité de l'Eglise arménienne fut restaurée. Mais en 628, l'empereur Héraclius reprit les territoires arméniens et réunit un concile d'union à Karen (633) en y invitant le catholicos arménien Ezr 63. Pour éviter un nouveau schisme intérieur, le catholicos se rendit à Karen. Les actes du concile ne nous sont pas parvenus. Provoquée par les intérêts politiques byzantins, cette réunion ne peut être qualifiée de dialogue car la confession de Chalcédoine fut imposée au catholicos, sans que les autorités byzantines se soient interrogées sur la position de l'Eglise arménienne. Cette " union " permit au catholicos arménien de garder l'unité intérieure de son Eglise.

Face aux incursions arabes de 645-646, l'empereur Constant voulut s'assurer du soutien des Arméniens, dont le loyalisme politique passait nécessairement, à ses yeux, par leur adhésion au concile de Chalcédoine. Le synode de Dvin de 648, réuni pour donner une réponse à l'empereur, refusa la réception de Chalcédoine 64. Mais, quand en 652 Théodoros Rechtuni négocia un traité de protection avec les Arabes, l'empereur Constant II gagna l'Arménie en 653 et se rendit à Dvin pour imposer l'union : communion de force, liturgie en grec … 65. Une fois encore, il ne s'agissait pas d'un dialogue théologique mais d'une action politique. En 689, Justinien II entra en Arménie et entraîna avec lui le catholicos Sahak III jusqu'à Constantinople, là encore pour lui imposer l'union 66. Dans de telles conditions, l'Arménie préféra une alliance avec le califat arabe, lequel n'exigeait alors rien de plus que le versement d'un tribut annuel.

Les nouvelles tentatives d'échange entre les deux Eglises se firent aux IXe-Xe siècles. Les intérêts politiques et l'union contre les Arabes favorisèrent l'apparition de la correspondance entre le patriarche Zacharie et saint Photius 67. Il y eut des échanges théologiques, même si nous ne possédons par l'intégralité des sources. Le concile de Chirakavan de 862 se réunit pour se prononcer sur l'attitude à adopter suite à cet échange et prôna une position de tolérance mutuelle 68 qui permit la renaissance du royaume arménien et resta en vigueur jusqu'au Xe siècle, " quand les Byzantins, désireux d'annexer l'Arménie, transfèrent de nouveaux les problèmes théologiques en motif de guerre " 69.

A la fin du IXe-début du Xe siècle, les Byzantins annexèrent les territoires proprement arméniens en les transformant en métropole dépendant des patriarches de Constantinople et d'Antioche. Le catholicos arménien fut arrêté sur ordre de l'empereur et retenu trois ans à Constantinople. " Il (l'empereur) voulait le contraindre à adhérer à Chalcédoine et payer l'impôt, ce qui eut été la négation de la souveraineté de sa nation et de son Eglise " 70. Le roi Gaguik II, arrivé à Constantinople, se proposa de défendre la foi de son peuple : il nous est parvenu une longue épître qu'il aurait rédigée. Tout en refusant d'adhérer à Chalcédoine, le roi exposa l'enjeu anthropologique des controverses christologiques en affirmant l'existence des deux natures 71. L'annexion byzantine devait cependant être suivie d'une énième trahison politique à l'égard de l'Arménie, puisqu'elle fut rapidement livrée aux Turcs par l'empereur, trahison d'ailleurs aggravée d'une erreur politique considérable qui eut pour conséquence de réserver un sort semblable à l'empire byzantin lorsqu'il tomba à son tour aux mains des Turcs.

Mais les échanges théologiques les plus importants entre les deux Eglises eurent lieu au XIIe siècle 72 : pour la première fois, les échanges commencèrent non pas par l'imposition du concile de Chalcédoine, mais par une interrogation sur la doctrine arménienne. Au début de 1165, Nersès le Gracieux eut une discussion avec le beau-frère de l'empereur Manuel Comnène, concernant les différences entre les Eglises arménienne et byzantine. En remettant à Nersès le questionnaire préparé par les archimandrites grecs, Alexis demanda qu'on prenne par écrit leur conversation. Nersès le Gracieux prépara et envoya l'Exposé de foi de l'Eglise arménienne, en deux parties. La première partie est relative à la Sainte Trinité, et la seconde, au rituel de l'Eglise arménienne. Ce texte fut transmis à l'empereur Manuel, qui, après lecture conjointe avec le Patriarche Luc (1156-1169), décida que ce texte pourrait servir de fondement à l'union des deux Eglises. Saint Nersès envoya aussi une lettre à l'empereur, constituée en deux parties, l'une sur la doctrine, l'autre sur la tradition ecclésiale.

Le théologien russe du XIXe siècle Troïtski, analysant l'Exposé de foi de l'Eglise arménienne de Nersès le Gracieux, la résume ainsi 73 :
1/ Nersès le Gracieux définit l'incarnation comme l'union des deux natures, divine et humaine, comme le concile de Chalcédoine.
2/ Avec l'Eglise orthodoxe, il reconnaît que la chair de Jésus-Christ est de même nature que la chair de la Vierge Marie, ce qui signifie la chair humaine. Le point de vue de Nersès le Gracieux n'est en rien commun à celui d'Eutychès et des monophysites qui affirment que la chair du Christ n'est pas de même nature que la chair humaine.
3/ En conformité avec l'Eglise orthodoxe, Nersès le Gracieux reconnaît que les qualités propres aux deux natures sont conservées pleinement dans l'union. Cela veut dire qu'il nie la confusion des natures.
4/ En conformité avec l'Eglise orthodoxe, Nersès le Gracieux reconnaît la communication des natures.
5/ En conformité avec l'Eglise orthodoxe, Nersès le Gracieux condamne Eutychès et les monophysites.

Dans une seconde lettre, Nersès le Gracieux précise les conditions nécessaires à l'union des deux Eglises : celle-ci doit se faire non pas selon le principe maître et serviteur, mais d'égal à égal sur la base de la Sainte Ecriture et de la Sainte Tradition. Le patriarche Michel III (1165-1177) et l'empereur répondirent en 1172 en proposant neuf points à partir desquels l'union serait possible 74 :
1/ Anathématiser ceux qui confessent une nature, Eutychès, Sévère d'Antioche et Timothée 75.
2/ Confesser dans le Christ, une personne, deux natures, deux volontés, deux actions.
3/ Fêter Noël, la Sainte Rencontre et l'Annonciation avec les Byzantins 76.
4/ Chanter le Trisagion sans le " crucifié pour nous " 77.
5/ Préparer la Sainte Myrrhe avec de l'huile d'olive.
6/ Utiliser pour l'Eucharistie le pain au levain, et le mélanger avec le vin 78.
7/ Pendant la liturgie, tenir le peuple dans l'Eglise et non pas dans le narthex, à l'exception des pénitents 79.
8/ Accepter les décisions des 4e, 5e, 6e, 7e conciles.
9/ Faire confirmer l'élection du catholicos par l'empereur.

Comme on le voit, il s'agissait moins, pour l'Eglise byzantine, de reconnaître l'orthodoxie de la confession de foi de l'Eglise arménienne, que de lui imposer les modalités byzantines de la confession de foi orthodoxe. Saint Nersès, déjà catholicos et déçu par cette réponse impérieuse, répondit aux envoyés de l'empereur et du patriarche qu'il ne pouvait prendre seul une telle décision. Un concile se réunit en 1179 sous le catholicos Grégoire IV dans la ville de Hromkla et condamna à la fois le monophysisme et le diphysisme 80. Du Moyen-âge jusqu'à nos jours, l'Eglise arménienne qualifia l'Eglise orthodoxe de diphysite au sens nestorien et l'Eglise orthodoxe qualifia l'Eglise arménienne de monophysite au sens eutychien. En 1964, au Danemark, le dialogue entre les deux Eglises reprit.

Jean-Claude Larchet qualifie les conciles imposés par l'Eglise byzantine de conciles d'adhésion de l'Eglise arménienne au concile de Chalcédoine, et les contre-conciles arméniens, de refus d'adhérer. Il en est ainsi de fait ; pourtant nous avons vu que les décisions des conciles étaient provoquées par l'intérêt politique plutôt que par la volonté d'affirmer une vérité théologique. Les Byzantins étaient préoccupés par l'uniformité de l'empire que leur procurait l'union ; les Arméniens, par le souci d'assumer leur autonomie politique et ecclésiale pour sauvegarder la spécificité de leur tradition. Le concile de Chalcédoine est devenu le drapeau de l'union politique et théologique pour les uns, et le piège caché de l'uniformisation et du servage pour les autres.

L'un des facteurs de la non réception par l'Eglise arménienne du concile de Chalcédoine est ainsi d'ordre politique ; il n'est cependant pas le seul. Comme précisé plus haut, il s'agit d'un ensemble de facteurs politiques, historiques et théologiques.

3/ L'aspect théologique.
" Nous n'avons jamais accepté cette dualité dans la personne du Christ, le Verbe incarné, que Nestorius n'a pas su dépasser [...]. En ce qui concerne la christologie, nous restons dans la lignée de la théologie de saint Cyrille d'Alexandrie " 81.

Catholicos Karékine Ier.
Le concile de Chalcédoine fut une nouvelle étape dans l'histoire de l'Eglise : ce fut la naissance de la théologie dogmatique dominée par une pensée systématique. La théologie des Pères et des trois premiers conciles, qui contient déjà en germes les affirmations dogmatiques, est avant tout économique et liturgique : cela signifie que la réflexion sur chaque personne de la Sainte Trinité était menée par rapport au rôle de chacune d'entre-elles dans l'économie du salut. En ce sens, on peut parler de christologie économique des Pères et des trois premiers conciles. Leur schéma christologique était essentiellement de type " Logos-sarx " 82, d'origine alexandrine et qui met l'accent sur l'unicité de la personne divine du Christ, deuxième hypostase de la Sainte-Trinité faite chair. C'est un schéma descendant, vertical est temporel (il y a un avant et un après) 83. En affirmant l'humanité et la divinité plénière du Fils, il met l'accent sur l'asymétrie entre les deux natures, dont la nature divine est préexistante et la nature humaine - assumée. Aussi peut-on parler également de christologie asymétrique des Pères " préchalcédoniens " et des trois premiers conciles œcuméniques.

La formule christologique de Chalcédoine et du Tome de Léon est plutôt de type " Logos-anthropos ". La formulation de base de ce schéma est " le Verbe s'est fait homme ". Il est intéressant de remarquer que cette expression du credo de Nicée n'est pas employée dans les sources bibliques malgré le fait que dans les Actes des apôtres et dans les écrits pauliniens, le Christ est appelé fréquemment " homme " (Ac. 2, 22 ; Rm. 5, 15 ;17-19 ; 1 Co 15, 21 ; 47-49). Il est probable que la tradition patristique a commencé à utiliser l'expression " s'est fait homme " (enanthrópese) au IVe siècle seulement, pour affirmer la réalité de l'incarnation du Verbe contre Apollinaire, pour qui le Fils, en se faisant chair, aurait assumé seulement un corps et non pas aussi une âme humaine 84. " Logos-anthropos " est un schéma symétrique, horizontale, spatial 85, qui met l'accent sur les deux natures du Christ, dont chacune a ses propriétés propres. Mais cette insistance sur les propriétés propres à chacune des deux natures laisse supposer une symétrie entre elles - ce à quoi le concile de Constantinople II tentera de remédier. Nous pensons que ceci est la source de la qualification du concile de Chalcédoine de nestorien. Car l'unicité de la personne divine du Christ se fonde sur une asymétrie entre les deux natures. Du moment qu'une symétrie est supposée, l'unicité est mise en question. C'était la profondeur de la visée de saint Cyrille, des Pères orientaux préchalcédoniens et des Pères arméniens, qui en reconnaissant la divinité plénière et l'humanité plénière du Christ insistaient sur l'unicité de Sa personne divine.

Un autre point important : le concile de Chalcédoine, avec les outils d'une théologie systématique, essaie de dévoiler et de définir le mystère de la personne du Christ. On peut exiger de " dénombrer les natures ", affirmer qu'il existe entre elles une " distinction réelle et non pas seulement en pensée ". Mais dans la démarche, c'est le procédé d'un esprit systématique largement étranger à la pensée des Pères orientaux d'avant Chalcédoine, dont la théologie économique insiste sur le mystère de la personne du Christ. A la suite de saint Cyrille d'Alexandrie, qui affirma que " le Christ est devenu homme d'une façon indicible et incompréhensible " 86, l'Eglise arménienne soulignera le caractère inexprimable de l'union du Logos et de la chair, car " l'union du Logos divin et de la nature humaine est un mystère " (catholicos Hovhannès Awjnec'i).

Ainsi, le refus de l'Eglise arménienne de se préoccuper outre mesure des problèmes christologiques peut s'expliquer par la constatation suivante : ces questions touchent à un mystère inexprimable.

Conclusion
" De cette foi, personne ne peut nous ébranler, ni les anges du ciel, ni les hommes, ni le fer, ni le feu, ni l'eau, ni aucun autre coup, si dur fut-il ! ".

Homélie aux saints Vartanians avant la bataille d'Avaraïr (451).
Nous avons vu que l'affirmation de Jean-Claude Larchet selon laquelle la théologie non chalcédonienne serait opposée à la tradition patristique 87 n'est pas applicable à la tradition de l'Eglise arménienne qui se fonde sur les Pères anténicéens et de l'âge d'or de la patristique, traduits en arménien tout au long du Ve siècle. Ces traductions sont parfois pour le monde chrétien les seules sources de connaissance de certains écrits des Pères de l'Eglise. La littérature patristique est restée pour toujours une des sources principales, avec celle des écrits bibliques, de la liturgie de l'Eglise arménienne et des œuvres de ses Pères, par exemple ceux de saint Grégoire de Narek (Xe siècle) et de saint Nersès le Gracieux (XIIe siècle). Ecrites cinq et sept siècles après le concile Chalcédoine, leurs œuvres témoignent de la fidélité de la tradition arménienne à la tradition patristique " malgré " la non réception du quatrième concile œcuménique. Les figures de saint Grégoire de Narek et de saint Nersès le Gracieux, ainsi que leurs écrits, par le seul fait de leur existence, nous montrent aussi qu'il peut exister après Chalcédoine une foi et une tradition orthodoxe non chalcédonienne, dont Jean-Claude Larchet nie pourtant la réalité 88.

Nous avons vu plus haut que la christologie arménienne, d'après les sources mentionnées des Ve-XIIe siècles, se fonde sur la confession de foi des trois premiers conciles, dont la problématique fut bien comprise et vécue par l'Eglise arménienne. Cela prouve qu'après la non réception du quatrième concile, la tradition arménienne n'a pas changé de nature la foi confessée par l'Eglise universelle avant Chalcédoine - reproche fait aux Eglises non chalcédoniennes par Jean-Claude Larchet 89. Nous avons vu aussi qu'en restant dehors de la problématique chalcédonienne, la christologie arménienne a reçu des accentuations propres à son vécu historique : par exemple, l'insistance particulière sur l'unicité de la personne du Christ et sur la " communication des idiomes ", que les pressions nestoriennes de l'Eglise de Perse sur l'Eglise arménienne rendirent nécessaire.

Nous avons vu également que dans le cas de l'Eglise arménienne, ce n'est pas seulement le facteur théologique, mais un ensemble de plusieurs facteurs qui servirent la cause de la non-réception du concile de Chalcédoine : historiques, politiques et théologiques. Nous avons vu qu'historiquement, les problèmes théologiques posés dans l'empire byzantin et en Arménie au cours des Ve-VIe siècles ne furent pas identiques. Au moment même de la convocation du concile de Chalcédoine (mai 451), l'Eglise arménienne menait la bataille la plus importante contre l'imposition du mazdéisme. L'empereur Marcien ayant refusé de soutenir les Arméniens, l'Eglise arménienne assuma seule le sort de son peuple 90. Après le concile de Chalcédoine, l'Eglise impériale pour laquelle le nestorianisme n'était plus une menace, affirma face aux vrais monophysites et aux monophysites verbaux la double consubstantialité du Christ au moyen des deux natures ayant chacune leurs propriétés propres. L'Eglise arménienne, faisant face à la doctrine nestorienne, imposée par l'Eglise de Perse, affirma l'unicité de la personne divine du Christ, pleinement homme et pleinement Dieu.

Nous avons vu que les négations que s'opposèrent mutuellement les Eglises arménienne et byzantine entre le VIIe et le XIIe siècles n'eurent jamais de caractère proprement théologique, mais furent dictées par des intérêts principalement politiques. D'ailleurs, une négation ou échange ne sont pas forcément un dialogue qui suppose la connaissance, le respect et l'écoute réciproque. En réalité, il n'y eut jamais de dialogue théologique entre les deux Eglises. Même les échanges de l'époque de saint Nersès le Gracieux ne peuvent être qualifiés de dialogue, car du coté byzantin il s'agissait davantage d'un ultimatum, supposant la soumission et l'intégration de l'Eglise arménienne dans l'Eglise byzantine et non pas d'une reconnaissance de l'orthodoxie de la tradition arménienne.

Le XXe siècle nous a fait reconnaître une certaine réciprocité entre les traditions byzantine et arménienne. C'est à nous de faire en sorte que ces découvertes aboutissent à un dialogue théologique. Nous avons aujourd'hui la possibilité d'un dialogue désintéressé, affranchi des intérêts politiques. Les empires chrétiens n'existent plus : seules les Eglises chrétiennes ont survécu. D'autre part, nous vivons un moment historique qui nous mène nécessairement à l'éclaircissement des positions christologiques, face à la renaissance du nestorianisme caché et ouvert représenté par de nombreux théologiens des Eglises en Occident 91.

Il ne s'agit pas, comme le propose Jean-Claude Larchet, de faire une nouvelle déclaration commune, cette fois-ci chalcédonienne. Ce point de vue place l'union dans une perspective d'intégration d'une Eglise dans l'autre et non pas d'une reconnaissance réciproque. L'expérience historique nous enseigne qu'une nouvelle déclaration commune bilatérale n'est envisageable que comme une reconnaissance réciproque de l'orthodoxie des traditions byzantine et arménienne 92, car l'Eglise arménienne dans la figure de saint Nersès le Gracieux a reconnu l'orthodoxie des deux formulations christologiques, arménienne et chalcédonienne, et non pas seulement chalcédonienne : " Si l'on dit " une nature" dans le sens de l'union indissoluble et invisible et non pas dans le sens de la confusion, et [si l'ont dit] "deux natures" comme étant sans confusion et sans altération et non pas en signifiant "division", [alors] toutes les deux [positions] sont dans l'orbite de l'orthodoxie " 93. L'expérience historique montre également que précédemment au dialogue entre-orthodoxes engagé dans la deuxième partie du XXe siècle, l'Eglise byzantine, ayant cherché à rétablir l'union avec les Eglises non chalcédoniennes, n'avait jamais envisagé la perspective de l'union comme une reconnaissance réciproque - et cette nouvelle perspective est l'une des conséquences positives des échanges menés autour des déclarations communes. Une reconnaissance suppose toutefois une connaissance, que les amalgames et les approximations du Projet d'Union ou de différents auteurs, fondés sur une confusion entre les différentes traditions christologiques non chalcédoniennes, desservent largement. Quelles sont les sources byzantines scientifiquement objectives pour connaître ces différences et notamment la tradition arménienne, plutôt que l'interprétation erronée qui en est le plus souvent donnée ?

Nous pensons qu'une nouvelle déclaration commune doit être précédée de l'organisation de commissions théologiques bilatérales dont le but doit être de dialoguer, au sens premier du terme : un travail très concret de traduction, d'étude des sources historiques et christologiques importantes des deux Eglises. Il est impossible de faire l'économie de travaux de recherches communs de niveau scientifique : cela lèvera nombre de méprises et d'ignorances, et aidera à l'établissement d'un dialogue véritable, sans lequel il ne sera possible d'aboutir qu'à des compromis douteux dont les conséquences néfastes conduiront le plus grand nombre à une nouvelle radicalisation.

Nous voudrions conclure sur un fait qui demeure : la christologie dans la vie de l'Eglise est en lien étroit avec la compréhension du mystère de notre salut. Dès lors qu'aucune hérésie ne vient nier l'humanité plénière, ni la divinité plénière dans l'unique personne divine du Christ, l'affirmation du mystère de notre salut est pleinement orthodoxe, et la christologie devient alors relativement secondaire. Elle ne doit en aucun cas obscurcir la vie spirituelle par un vain débat mais au contraire l'illuminer. Le témoignage véritable de l'orthodoxie est l'orthopraxie. Il est impossible de juger de l'orthodoxie d'une Eglise sur un simple débat, sans la connaître de l'intérieur, car c'est s'exposer à de graves difficultés linguistiques, historiques, politiques et théologiques que personne ne peut véritablement maîtriser. En revanche, la foi de telle ou telle Eglise, vécue au vu et au su de tous, est accessible à tous ceux qui voudraient s'y intéresser.

Les personnes qui s'intéresseront à la destinée de l'Eglise arménienne découvriront que son histoire témoigne de la fidélité à la foi en Christ dans les conditions les plus extrêmes. Elles prendront conscience que ce peuple, né au pied du mont Ararat, a reçu la grâce d'être le premier Etat chrétien et de donner ainsi, à l'aube du IVe siècle, l'espérance à tous les chrétiens de voir bientôt la fin des persécutions. Elles verront que le peuple arménien, annexé par les Byzantins, persécuté par les Perses puis par les Arabes, génocidé par les Turcs, ayant perdu, en Arménie soviétique, presque tout son clergé, refusa pourtant de renier le Christ, alors que la vie était promise à ceux qui embrasseraient le mazdéisme, l'Islam ou le marxisme. Elles comprendront surtout que l'Eglise arménienne aurait du disparaître depuis longtemps, et qu'elle n'a survécu que par la grâce de Dieu et par la fidélité à Celui qu'elle a reconnu comme son seul Maître et Seigneur : Jésus Christ, Fils Unique de Dieu, qui s'est fait chair et est devenu homme pour notre salut, et dont nous attendons le retour.

Le 6 janvier 2002, fêtes de la Nativité et de la Théophanie.

Gohar HAROUTIOUNIAN-THOMAS

1 J.-C. LARCHET, La question christologique. A propos du projet d'union de l'Eglise orthodoxe et des Eglises non chalcédoniennes : problèmes théologiques et ecclésiologiques en suspens, Le Messager orthodoxe, n° 134, II-2000, p. 3-103.
2 Nous trouvons l'anathème contre Sévère dans un document des années 552-553 : la Réponse à la lettre des Syriens de saint Nersès, catholicos des arméniens ; voir GARSOIAN, L'Eglise Arménienne et le grand schisme d'Orient, Lovanii, 1999, p. 462. Sur l'inactualité de la christologie sévrienne dans l'Eglise arménienne, voir A. SIDOROV, Monofilitskaya ounia pa sviditelstvou "Povistvovania a dilaxh armianskixh", Patma-banasirakan Handes, 1998-83, n° 3, p. 162-169.
3 La diversité des motifs qui amenèrent les Eglises orientales (elles-mêmes de traditions différentes et sans grandes relations entre-elles) à ne pas recevoir la formulation chalcédonienne, est a priori délicate pour les Eglises chalcédoniennes : elle exclut toute explication radicale ou simpliste de la non réception de Chalcédoine et amène à s'interroger sur les failles de la formulation chalcédonienne, auxquelles le concile de Constantinople de 553 tentera de remédier.
4 J.-P. MAHE, L'Eglise arménienne de 611 à 1066, dans Histoire du christianisme, Desclée, 1993, t. 4, p. 460.
5 G. GARITTE, La Narratio de rebus Armeniae, CSCO 132, Subsd. 4, Louvain, 1952.
6 Au sujet de ce document, voir plus loin dans le texte et la note 9.
7 N. GARSOIAN, L'Eglise arménienne et le grand schisme d'Orient, p. 212. Pour des exemples de déformations par la Narratio des données historiques et théologiques, voir notamment p. 212-219.
8 MAHE, L'Eglise arménienne de 611 à 1066, p. 493, note 334.
9 Ibid., p. 493, note 333.
10 Voir notamment l'extrait cité par LARCHET, p. 87-88.
11 Nous trouvons l'anathème contre Eutychès dans les documents arméniens à partir du début du VIe siècle (Lettre des Arméniens aux Orthodoxes de Perse, datée par GARSOIAN de 506 (L'Eglise arménienne et le grand schisme d'Orient, p. 405, p. 438, note 1.) Cet anathème remonte à la même époque que la présentation à l'Eglise arménienne du dossier sur Chalcédoine d'après les sources monophysites syriaques (MAHE, L'Eglise arménienne de 611 à 1066, p. 460).
12 J.-C. LARCHET, p. 39.
13 Ibid.
14 Lors du concile de Dvin de 607, l'Eglise arménienne signa un document officiel portant condamnation du quatrième concile œcuménique comme concile nestorien (voir note 24). Sur le contexte historique et politique dans lequel ce document fut rédigé, voir p. 13-14.
15 Pour l'histoire de l'adhésion de l'Eglise arménienne à l'Henotikon, voir N. GARSOIAN, L'Eglise arménienne et le grand schisme d'Orient, p. 152-161.
16 Dans ce contexte, l'Eglise arménienne fit certainement preuve d'une certaine sagesse en se tenant à l'écart des incessants revirements de l'empire en matière christologique, tout en gardant sa fidélité à l'Henotikon qui, sans se prononcer sur Chalcédoine et sans être un chef-d'œuvre théologique, n'est pas un document hérétique.
17 Cycle de récits attribué à Agathange et intitulé Histoire de l'Arménie ; N. GARSOIAN, L'Eglise arménienne et le grand schisme d'Orient, p. 3.
18 N. GARSOIAN, L'Eglise arménienne et le grand schisme d'Orient, p. 5. D'après N. GARSOIAN, seule la partie septentrionale de la Grande Arménie aurait été évangélisée par saint Grégoire l'Illuminateur. Dans le sud de la grande Arménie et dans les satrapies, il y aurait déjà eu des communautés chrétiennes évangélisées par les Syriens. Cela rejoint la tradition de l'Eglise arménienne, d'après laquelle la première évangélisation de l'Arménie eut lieu au Ier siècle par les apôtres Thaddée et Barthélemy.
19 Ibid., p. 4.
20 Ibid., p. 161 ; voir également p. 49 de notre article.
21 Sur les raisons de la convocation du Ier concile de Dvin, ibid., p. 194.
22 Ibid., p. 196-97.
23 Sur la datation du IIe concile de Dvin, ibid., p. 139 ; sur les raisons de sa convocation, ibid., 236.
24 En fait, le premier commentaire contre Chalcédoine remonte au milieu du VIe siècle, mais sans qu'il ait eu un caractère officiel. A cette époque et jusqu'au concile de 607, l'Eglise arménienne différencia les " Nestoriens " des " Chalcédoniens ", seulement soupçonnés de nestorianisme caché. Sur le contexte historique et politique dans lequel fut prononcé cette condamnation, voir p. 13-14.
25 A. SIDOROV, Monofilitskaya ounia pa sviditelstvou, p. 162-169 ; voir aussi note 2.
26 N. GARSOIAN, L'Eglise arménienne et le grand schisme d'Orient, p. 213-214.
27 J.-P. MAHE, L'Eglise Arménienne de 611 à 1066, p. 484 -485.
28 Pour les textes liturgiques, il s'agit des cinq anaphores arméniennes attribuées formellement à saint Grégoire l'Illuminateur (vieille version arménienne de saint Basile), à saint Athanase d'Alexandrie, à saint Sahak, à saint Grégoire de Nazianze et à saint Cyrille d'Alexandrie. Nous pouvons trouver les textes de ces anaphores dans Die Liturgien bei den Armeniern de CATERGIAN-DASHIAN, Wien, 1897 (en arménien ancien). Les documents historiques sont principalement constitués de la correspondance de l'Eglise arménienne avec celles de Byzance, de Syrie et de Géorgie aux Ve-VIIe siècles, ainsi que des documents officiels des conciles de Dvin de 505-506, 555, et 607. Ces textes sont donnés en annexe par N. GARSOIAN, dans L'Eglise arménienne et le grand schisme d'Orient. La version arménienne du Symbole de la foi (attribuée formellement à saint Athanase et introduite dans la célébration eucharistique au VIe siècle) nous servira également de source. Nous en trouvons une traduction française de C. RENOUX, dans Rituel arménien du Baptême, Cerf, 1998, p. 85-87. Cette traduction contient toutefois une erreur importante : l'attribution de la procession du saint Esprit au Père et au Fils. L'emploi de cette formulation dans la version arménienne du Symbole de la foi est propre aux Catholiques de rite arménien et ne correspond pas à la doctrine de l'Eglise apostolique arménienne.
29 Patriarche arménien du XIIe siècle ; auteur des écrits théologiques et des nombreuses hymnes liturgiques incorporées dans les offices liturgiques de l'Eglise apostolique arménienne. Une de ses prières, Avec foi je te confesse, tient une place essentielle dans la liturgie arménienne et contient tous les éléments essentiels de la doctrine de l'Eglise arménienne ; elle est aussi la plus populaire et la plus connue des prières après celle du Notre Père.
30 Attribuée à saint Nersès le Gracieux ou à saint Grégoire de Tatève (1346-1410), cette confession de foi se trouve au début du Bréviaire arménien. Elle est lue juste avant l'office divin des matines, en préparation spirituelle du célébrant, ordinairement et les jours des fêtes. Elle est également lue solennellement et particulièrement par chaque candidat lors de la cérémonie d'ordination sacerdotale, comme profession de foi et engagement personnel dans la fidélité à la foi orthodoxe. Nous en trouvons une traduction française dans un texte de conférence du catholicos KAREKINE Ier, Le Credo de l'Eglise Arménienne Apostolique, MOMIG, cahier n° 5, 1999, p. 7-9.
31 Employé dans toutes les sources précisées plus haut : notes 28 et 30.
32 Saint Ignace d'Antioche, Lettre aux Ephésiens, 7, 2, SC 10, p. 65.
33 Saint Irénée de Lyon, CH, III, 19, 1 ; ROUSSEAU, p. 368.
34 Sur l'emploi du titre " Fils Monogène " dans les anaphores arméniennes, voir G. HAROUTIOUNIAN-THOMAS, La christologie des anciennes anaphores arméniennes, mémoire de maîtrise soutenu à l'Institut de théologie orthodoxe Saint-Serge à Paris, 1999-2000, disponible à la bibliothèque de l'Institut, p. 24-25, 50, 62, 69, 84. Ce titre est également employé dans les confessions de foi des Arméniens : d'après la Réponse à la lettre du bienheureux Proclus de la part de Sahak et de Mastoc' (dans N. GARSOIAN, L'Eglise arménienne et le grand schisme d'Orient, p. 434) ; d'après l'Acte synodal du premier concile de Dvin en 505-506 (ibid., p. 443-45) ; dans la version arménienne du Symbole de la foi (C. RENOUX, Rituel arménien du Baptême, p. 85-87) ; dans le Credo des Pères de l'Eglise arménienne (voir note 30). Les textes de ces confessions de foi sont regroupés dans les annexes du mémoire sur La christologie des anciennes anaphores arméniennes, p. 104-09.
35 Il s'agit notamment de l'appellation principale du Christ dans l'anaphore de saint Sahak (G. HAROUTIOUNIAN-THOMAS, La christologie des anciennes anaphores arméniennes, p. 60-62).
36 N. GARSOIAN, L'Eglise arménienne et le grand schisme d'Orient, p. 443-445.
37 Voir note 30.
38 G. HAROUTIOUNIAN-THOMAS, La christologie des anciennes anaphores arméniennes, p. 60-62.
39 Sur ces deux schémas, voir p. 17 et note 82.
40 Voir note 30.
41 N. GARSOIAN, L'Eglise arménienne et le grand schisme d'Orient, p. 434.
42 Ibid., p. 435.
43 Ibid., p. 458.
44 Ibid., p. 447 et 462.
45 Ibid., p. 448.
46 Citation tirée de E. PETROSSIAN, Armianskaya Apostolskaya Ceiamaia Tserkov, Etchmiadzine, 1996, p. 134. Pour catholicos Hovhannes Awjnec'i, voir p. 5 de notre article.
47 D'après l'Exposé de la foi de l'Eglise arménienne, adressé par Nersès Chnorhali à l'empereur Manuel Comnène (voir p. 15) : Nerses CHNORHALI, Izlajinie beri Armianskoy Tserkey, Istoritchietskie pamiatniki veroutchenia Armiantskoy tsierkvi, atnasiatsiesia k 12 staletiou, pirivod A. Xhoudabachiva, Saint-Petersbourg, 1847, p. 179- 182
48 Voir note 2.
49 Nerses CHNORHALI, Izlajinie beri Armianskoy Tserkey, p. 182, 186-87.
50 Karekine Ier, catholicos de tous les Arméniens, p. 114.
51 N. GARSOIAN, L'Eglise arménienne et le grand schisme d'Orient, p. 436.
52 Ibid., p. 461.
53 Ibid., p. 434.
54 Ibid., p. 461.
55 Réponse à la lettre du bienheureux Proclus de la part de Sahak et de Mastoc' dans N. GARSOIAN, L'Eglise arménienne et le grand schisme d'Orient, p.433-434.
56 Karekine Ier, catholicos de tous les Arméniens, p. 112, 116.
57 N. GARSOIAN, L'Eglise arménienne et le grand schisme d'Orient, p. 87.
58 Ibid., p. 54.
59 N. GARSOIAN, L'Eglise arménienne et le grand schisme d'Orient, p. 110.
60 Les détails de cette correspondance sont rapportés par N. GARSOIAN, L'Eglise arménienne et le grand schisme d'Orient, p. 79 ; 79-80 ; 91-100 ; 106-114 ;116-123. Elle fut entreprise, comme nous le laisse supposer la Lettre de Libellus, après la découverte en Persarménie des ouvrages de Théodore de Mopsueste (Ibid., p. 91-100 ; 106-114).
61 SEBÊOS, Histoire d'Héraclius, VI.
62 N. GARSOIAN, L'Eglise arménienne et le grand schisme d'Orient, p.363, 405.
63 Sur le concile de Karen, voir J.-P. MAHE, L'Eglise Arménienne de 611 à 1066, p. 468-471.
64 Ibid., p. 473.
65 N. GARSOIAN, L'Eglise arménienne et le grand schisme d'Orient, p. 390-394 ; J.-P. MAHE, L'Eglise Arménienne de 611 à 1066, p. 473-74.
66 N. GARSOIAN, L'Eglise arménienne et le grand schisme d'Orient, p. 394 -395 ; J.-P. MAHE, L'Eglise Arménienne de 611 à 1066, p. 476.
67 Sur cette correspondance voir plus haut (2/ Le problème des sources) ; voir également J.-P. MAHE, L'Eglise Arménienne de 611 à 1066, p. 493.
68 Sur le synode de Chirakavan, voir J.-P. MAHE, L'Eglise Arménienne de 611 à 1066, p. 494-495.
69 Ibid., p. 490.
70 Ibid., p. 526.
71 Connu pour être " un rude champion dans les joutes philosophiques ", Gaguik II montra sa connaissance non seulement des Pères grecs mais aussi des néoplatoniciens comme Porphyre. L'argumentation, l'éloquence et la haute culture du roi impressionnèrent les théologiens grecs et l'empereur Constantin Doukas lui-même, lequel se résolut à féliciter Gaguik.
72 Nous présentons l'histoire de ces échanges d'après l'exposé du Père E. PETROSSIAN, Armianskaya Apostolskaya Ceiamaia Tserkov, p. 31-34, 136.
73 I. TROÏTSKY, Izlajinie beri Tserkei Armianskia, Saint-Petersbourg, 1875. Nous citons le résumé de l'étude de I. TROITSKI d'après E. PETROSSIAN, Armianskaya Apostolskaya Ceiamaia Tserkov, p. 136-137.
74 Voir E. PETROSSIAN, Armianskaya Apostolskaya Ceiamaia Tserkov, p. 33.
75 Nous trouvons l'anathème contre Eutychès dans les documents arméniens à partir du début du VIe siècle, notamment dans la Lettre des Arméniens aux Orthodoxes de Perse, datée par N. GARSOIAN de 506 (N.GARSOIAN, L'Eglise Arménienne et le grand schisme d'Orient, p. 405 et 438, note 1). Comme nous l'avons mentionné plus haut, la doctrine de Sévère d'Antioche n'a pas influencé la christologie arménienne (SIDOROV, Monofelitskaja unija, p. 162-169). Nous trouvons l'anathème contre Sévère dans la Réponse à la lettre des Syriens de saint Nersès, catholicos des arméniens (552-53) (N. GARSOIAN, L'Eglise Arménienne et le grand schisme d'Orient, p. 462).
76 L'Eglise arménienne fête la Nativité du Seigneur avec la fête de Théophanie le 6 janvier, selon l'usage de l'Eglise ancienne. La sainte Rencontre est fêtée quarante jours après la Théophanie, le 14 février. L'Annonciation est fêtée le 7 avril, neuf mois avant la Théophanie.
77 Dans la tradition arménienne, le Trisagion est chanté avec le " crucifié pour nous " au Christ et non pas à la Sainte Trinité.
78 Pour l'Eucharistie, l'Eglise arménienne utilise le pain sans levain, d'après l'usage ancien. Cette pratique n'a pas de signification dogmatique dans la tradition arménienne. La communion est mise dans la bouche après l'immersion du morceau de pain dans le vin - le geste répété par prêtre pour chaque fidèle communiant. La pratique arménienne n'ajoute pas non plus d'eau au vin, car d'après tradition arménienne, le sang versé du côté du Seigneur symbolise le sacrement de communion, et l'eau - le sacrement du Baptême.
79 Pareille exigence n'a pas de sens en l'occurrence : le fait de " tenir le peuple " dans le narthex n'a jamais correspondu à une pratique répandue dans l'Eglise arménienne. Seuls les pénitents doivent s'y tenir après la liturgie de la Parole. Du point de vue architectural, les églises arméniennes sont toujours de petite taille : de ce fait, les narthex sont tout petits, souvent situés à l'extérieur de l'église. Supposer que le peuple arménien se tenait dans le narthex signifie que la plus grande partie du peuple serait restée en dehors de l'église pendant la célébration - ce qui ne correspond pas à la pratique arménienne. Il s'agit probablement ici d'une illustration de l'inexactitude chronique des sources utilisées de part et d'autre dans les controverses christologiques et ecclésiales de l'époque.
80 E. PETROSSIAN, Armianskaya Apostolskaya Ceiamaia Tserkov, p. 136.
81 Karekine Ier, catholicos de tous les Arméniens, p. 113.
82 Pour les deux schémas christologiques, voir A. GRILLMEIER, Le Christ dans la tradition chrétienne, t. 1, Le Cerf, 1973, p. 205-217 ; MEYENDORFF, Initiation à la théologie des Pères (recueil de cours des années 1979-81), RBR, 1982, p. 249 (en russe) ; Histoire des dogmes, sous la direction de B. SESBOUE, Desclée, 1994, t. 1 p. 371-372.
83 Histoire des dogmes, sous la direction de B. Sesboué, t. 1, p. 371-372.
84 Ibid., p. 115-116.
85 Ibid., p. 371-372.
86 Saint CYRILLE D'ALEXANDRIE, Seconde lettre à Nestorius dans Les conciles œcuméniques J.-C. LARCHET, p. 8., sous la direction de G. ALBERIGO, II-1, Cerf, 1994, p. 107.
87 J.-C. LARCHET, p. 8.
88 Ibid., p. 90-91.
89 Ibid.
90 Ce fait historique a une certaine valeur symbolique : au moment où l'Eglise impériale était préoccupée par les problèmes doctrinaux, l'Eglise arménienne protégeait l'existence même du christianisme. Cela sera son sort tout au long d'histoire : d'abord contre les Perses, puis contre les Arabes et plus tard, contre les Turcs.
91 Il s'agit principalement de certains théologiens protestants et catholiques ; voir MEYENDORFF, Initiation à la théologie des Pères (recueil de cours des années 1979-81), p. 252-53 (en russe).
92 L'Eglise arménienne reconnaîtrait l'orthodoxie de la christologie chalcédonienne sans la faire sienne et sans réception plénière des décisions des IVe, Ve, VIe et VIIe conciles, du fait qu'elle n'y a pas pris part et que les problèmes discutés à ces conciles lui furent largement étrangers. Les Eglises orthodoxes byzantine, pour leur part, reconnaîtraient l'orthodoxie de la christologie arménienne sans la faire sienne.
93 Extrait de l'Exposé de la foi de l'Eglise arménienne de saint Nersès le Gracieux, cité dans Karekine Ier, catholicos de tous les Arméniens, p.115.

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