A la mémoire
de saint Nersès le Gracieux.
Le numéro du Messager orthodoxe consacré à la question
christologique 1 a soulevé toute une problématique concernant
le dialogue entre l'Eglise orthodoxe et les Eglises orientales anciennes,
engagé depuis la seconde partie du XXe siècle. Les corrections
positives de certaines formulations christologiques des déclarations
communes, l'analyse et l'exposé de la théologie chalcédonienne
font la richesse de cette publication. Nous reconnaissons la pertinence
de certaines des critiques adressées par Jean-Claude Larchet
à l'encontre du récent Projet d'union, notamment en ce
qui concerne les expressions théologiquement douteuses du texte,
lesquelles ont d'ailleurs conduit la plupart des Eglises à ne
pas se prononcer sur le projet. La méconnaissance des différentes
positions christologiques non chalcédoniennes, qui est à
l'origine des nombreuses confusions relevées dans le Projet d'union,
se retrouve toutefois dans les propos de Jean-Claude Larchet. L'exposé
de la "christologie non chalcédonienne " qu'il propose
à la suite de sa critique du Projet d'union contient nombre d'affirmations
erronées, dont il tire des conclusions qui, pour être radicales,
n'est sont pas moins fausses et hypothèquent lourdement la possibilité
de parvenir à la compréhension du problème christologique
et des raisons profondes qui conduisirent nombre d'Eglises à
ne pas recevoir la formulation chalcédonienne. Nous voudrions
relever quelques erreurs graves et rétablir autant que possible
une authentique compréhension de la christologie d'une des Eglises
non-chalcédoniennes : l'Eglise arménienne, qualifiée
couramment de " monophysite " et visée comme "
sévèrienne " dans l'étude en question.
L'article de Jean-Claude
Larchet présente, essentiellement et avant tout, deux erreurs
méthodologiques importantes : la réduction de la théologie
non chalcédonienne à la christologie sévèrienne
et le problème des sources.
1/ Nécessité
de distinguer les Eglises regroupées sous la dénomination
de non-chalcédoniennes ou de préchalcédoniennes.
L'appellation d'Eglise
" non-chalcédonienne " ou " préchalcédonienne
" est employée par l'Eglise byzantine pour désigner
les Eglises anciennement dites " monophysites ", qui n'ont
pas reçu le concile de Chalcédoine. La non-réception
du concile de Chalcédoine serait-elle un critère suffisant
pour les regrouper dans une seule famille ecclésiale ces Eglises
des traditions liturgiques et de tendances christologiques différentes
? Cela nécessiterait à l'inverse le regroupement des Eglises
orthodoxes et catholique dans la même famille des Eglises chalcédoniennes,
dont on connaît les divergences liturgiques, théologiques
et ecclésiologiques. On tombe ainsi dans un non-sens complet.
En réalité,
les Eglises copte, syriaque, arménienne et éthiopienne
ne forment pas un ensemble homogène, car elles ne connaissent
entre elles aucune unité théologique, liturgique et administrative.
La christologie copte est de tradition alexandrine ; la christologie
arménienne, d'origine antiochienne et cyrillienne ; la christologie
syriaque, influencée par la christologie de Sévère
d'Antioche. Dioscore est reconnu saint dans l'Eglise copte, mais non
dans l'Eglise arménienne. De même, cette dernière
ne partage pas la sainteté du maître de la christologie
syriaque, Sévère d'Antioche, dont la pensée n'a
pas influencé la christologie arménienne 2. Pour l'Eglise
copte il s'agit d'une non-réception du concile de Chalcédoine
auquel elle a participé, tandis que l'Eglise arménienne
en fut absente. Historiquement, il n'y eut jamais de conciles des Eglises
" non-chalcédoniennes " promulguant l'unité
de foi et de communion, ni de complot organisé par les Eglises
orientales anciennes contre le concile de Chalcédoine, dont la
non réception par chacune de ces Eglises fut spontanée
et indépendante 3. Dans son étude, Jean-Claude Larchet
développe d'une part la christologie byzantine, qu'il qualifie
d'orthodoxe, de cyrillienne et de chalcédonienne, et d'autre
part " la christologie non-chalcédonienne " désignée
comme sévèrienne. D'après cette classification,
où serait la place, par exemple, de la christologie arménienne,
classée comme non chalcédonienne mais qui n'est pourtant
pas sévèrienne ?
Pour une critique
pertinente et pour éviter les amalgames, il est donc nécessaire
d'introduire une distinction aussi évidente que légitime
entre les différentes Eglises dites " non-chalcédoniennes
", tout comme d'étudier la christologie et l'histoire de
chacune d'entre elles de manière distincte.
2/ Le problème
des sources.
Le dialogue entre-orthodoxes
ainsi que sa critique devraient être bâtis sur la connaissance
réciproque des sources théologiques dont l'authenticité
et l'objectivité historique et scientifique est prouvée.
Le fait que les actes du concile de Chalcédoine furent présentés
au début de VIe siècle à l'Eglise arménienne,
qui en fut absente, par l'intermédiaire de sources syriaques
4, fit peser sur la formulation chalcédonienne une lourde suspicion
de nestorianisme caché. De même, les accusations byzantines
de monophysisme de l'Eglise arménienne se fondent non pas sur
l'étude des sources arméniennes mais sur leur interprétation
byzantine. Il s'agit de deux sources : la Narratio chalcédonienne
(vers 700) 5 et le Document contenant l'histoire des réactions
arméniennes au concile de Chalcédoine 6. L'objectivité
historique de la première source est fortement contestée.
L'historienne Nina Garsoian remarque que " la Narratio est une
source hostile et ouvertement polémique, dont les affirmations
doctrinales demandent à être contrôlées "
7. Quant à la seconde source, proche de la Narratio et issue
aussi d'un milieu chalcédonien, elle pose également un
problème d'objectivité historique. Le Document contenant
l'histoire des réactions arméniennes au concile de Chalcédoine
aurait été la source principale de renseignement sur l'Eglise
arménienne de saint Photius dans ses Lettres aux Arméniens,
citées notamment par Jean-Claude Larchet dans son article.
Les Lettres aux
Arméniens font partie d'un ensemble de correspondance entre le
patriarche arménien Zacharie et Photius, puis entre le roi Achot
et Photius, conservée partiellement, tantôt en arménien,
tantôt en grec. L'authenticité de l'attribution à
Photius de la première Lettre, conservée en arménien
et contenant la défense du concile de Chalcédoine, n'est
pas certaine 8. Et si l'attribution à Photius des deux autres
Lettres en arménien et en grec est plus certaine, nous ne savons
pas quelle fut la source de ses renseignements sur la position de l'Eglise
arménienne. D'une part, nous n'avons aucune preuve de la connaissance
par saint Photius de la tradition arménienne de manière
directe, soit par la maîtrise de la langue arménienne,
soit par un éventuel voyage en Arménie. D'autre part,
parmi les sources byzantines sur la tradition arménienne de cette
époque, les scientifiques relèvent le Dossier sur l'histoire
des réactions arméniennes au concile de Chalcédoine,
que le porte-parole de Photius, Jean (ou Vahan) de Niké lui avait
procuré 9. Saint Photius était nécessairement mal
renseigné pour avoir placé les Arméniens du côté
de Dioscore et d'Euthychès 10, alors qu'il est historiquement
établi qu'à aucune époque le monophysisme arménien
ne fut de type eutychien 11 et que jamais la mémoire du Dioscore
ne fut célébrée dans l'Eglise arménienne.
Les Lettres de Photius aux Arméniens ne peuvent donc raisonnablement
servir comme preuve d'accusation de monophysisme de l'Eglise arménienne.
Elles sont pourtant citées par Jean-Claude Larchet dans ce sens.
Il en est de même
des sources historiques qu'il utilise pour exposer " l'histoire
" de la prise de position de l'Eglise arménienne par rapport
à Chalcédoine 12. Dépassées et erronées,
elles remontent souvent au début du siècle, époque
où l'on ne possédait pas la majorité des sources
historiques arméniennes et byzantines, ni de leur édition
critique. Il va sans dire que l'idée d'exposer l'histoire des
conciles arméniens d'après l'interprétation qui
en fut fournie par des auteurs qui n'avaient aucune expérience
de la tradition liturgique et théologique arménienne,
n'est guère heureuse. Le résultat est tel que les dates
des conciles sont inexactes et leurs décisions, hâtivement
interprétées, rapportées avec quantité d'erreurs.
D'après ses sources, Jean-Claude Larchet affirme notamment que
le concile de Chalcédoine fut condamné par l'Eglise arménienne
au synode de Vagharchapat (491), ou après 506, aux synodes de
Dvin 13. En réalité, le premier acte conciliaire arménien
attestant de la condamnation de Chalcédoine comme concile nestorien
date de 607 14. Jean-Claude Larchet place également la réception
par l'Eglise arménienne de l'Henotikon en 506, lors du premier
concile de Dvin, et la qualifie de prise de position contre Chalcédoine.
En réalité, nous ne connaissons pas la date exacte de
la réception de l'Henotikon (entre 482 et 508), toutefois bien
antérieure à la prise de position officielle de l'Eglise
arménienne vis-à-vis du concile de Chalcédoine
en 607 15. La réception de l'Henotikon se fit sans aucune volonté
de prendre part aux controverses suscitées par la formulation
chalcédonienne qui agitaient l'empire et desquelles l'Eglise
arménienne s'était trouvée très éloignée
du fait de son complet isolement dans la résistance au mazdéisme.
Lorsque les décennies de grande désolation prirent fin,
l'Eglise arménienne tenta de resserrer les liens qui l'unissaient
autrefois à l'Eglise byzantine en rejoignant la position impériale
du moment, laquelle pouvait alors paraître comme seule légitime
16.
L'article de Jean-Claude
Larchet requiert ainsi corrections et éclaircissements sur la
christologie de l'Eglise arménienne (chapitre I) comme sur le
problème de la non-réception du concile de Chalcédoine
(chapitre II). Notre exposé s'achèvera par une mise au
point sur les conclusions de Jean-Claude Larchet à propos de
la tradition non chalcédonienne, ainsi que sur la vision du dialogue
entre-orthodoxes qui en découle.
I. Les principaux
traits de la christologie de l'Eglise arménienne
1/
Survol historique.
D'après
la source la plus ancienne relatant l'évangélisation de
l'Arménie et qui servit de fondement à la tradition de
l'Eglise arménienne 17, ce fut saint Grégoire l'Illuminateur,
venu de Cappadoce, qui aurait évangélisé l'Arménie
au début du IVe siècle 18. Après la conversion
du roi Tiridate et de la cour arsacide, Grégoire reçut
l'ordination épiscopale à Césarée de Cappadoce
par l'évêque Léonce durant une assemblée
d'évêques. Son retour en Arménie fut suivi du baptême
du peuple arménien. Il organisa la hiérarchie de l'Eglise
arménienne et ce fut durant son épiscopat que celle-ci
adopta les canons du premier concile cuménique. Ces canons
avaient été apportés en Arménie par son
fils Aristakes, lequel avait participé au concile de Nicée
(325) 19.
L'Eglise arménienne
ne participa pas au Concile d'Ephèse (431), étant donné
qu'à cette époque presque toute la Persarménie
se trouvait sous la juridiction d'antipatriarches désignés
par la Perse, et que le catholicos canonique, saint Sahak, n'était
plus maître de son Eglise. Les actes du concile furent cependant
acheminés de Constantinople en Arménie vers 432 et furent
pleinement reçus par l'Eglise arménienne.
En raison des difficultés
politiques qui demandaient que soit organisée la résistance
à la volonté perse d'imposer le mazdéisme, l'Eglise
arménienne ne put participer aux événements de
449-451. De ce fait, les actes du " brigandage " d'Ephèse
(449) et du concile de Chalcédoine (451) ne purent parvenir jusqu'en
Arménie. Tout au long de la deuxième partie du Ve siècle
et du VIe siècle, l'Eglise arménienne fut préoccupée
par " l'invasion " de la doctrine diphysite, venue de l'Eglise
de Perse qui avait officiellement adopté, en 484, la christologie
de Théodore de Mopsueste.
Entre 482 et 508,
l'Eglise arménienne adhéra à la confession de l'Henotikon
de Zénon 20. Dans l'Acte synodal du premier concile de Dvin (505-506),
elle condamna la doctrine nestorienne de l'Eglise de Perse et affirma
son accord confessionnel avec les Romains (Byzantins), les Ibères
(Géorgiens) et les Arvanc (Albaniens) 21. Mais après la
révocation de l'Henotikon en 518 par Justin Ier, l'union confessionnelle
entre les deux Eglises fut rompue 22. En 555 fut convoqué le
deuxième concile de Dvin, qui lui aussi anathématisa la
doctrine nestorienne 23. Nous ne trouvons aucune mention du concile
de Chalcédoine ou de celui de Constantinople II dans les actes
conciliaires des deux conciles de Dvin de 505-506 et 555 (l'Acte synodal
et le Pacte d'union). L'Eglise arménienne était en effet
davantage préoccupée par la résistance à
la doctrine nestorienne, soutenue par l'Eglise de Perse.
La condamnation
officielle du concile de Chalcédoine remonte au début
du VIIe siècle : en 607, lors du concile de Dvin, l'Eglise arménienne
signa un document officiel portant condamnation du quatrième
concile cuménique comme concile nestorien 24.
C'est ainsi que
l'Eglise arménienne s'engagea sur une voie solitaire. Sa christologie
n'était cependant pas encore définitivement établie.
Se basant sur la théologie des trois premiers conciles, surtout
sur celle du concile d'Ephèse, elle reçut les dernières
" mises au point " au VIIIe siècle, sous le catholicossat
de Hovhannès Awjnec'i (717-728). Au synode de Manazkert de 726
sera formulée la doctrine arménienne de l'incorruptibilité
de la personne du Christ, différente de la doctrine monophysite
de Julien d'Halicarnasse. Il faut dire que la doctrine monophysite d'Eutychès
avait déjà été officiellement condamnée
en 508 dans la Seconde lettre de Babgen, le catholicos de l'époque,
sans qu'elle n'ait jamais influencé la théologie arménienne.
La doctrine monothéliste de Sévère d'Antioche n'était
pas davantage connue de la théologie arménienne 25. Par
contre, la doctrine de Julien d'Halicarnasse sur l'incorruptibilité
du corps du Christ fut rapportée en Arménie à l'époque
du deuxième concile de Dvin (555). Mais dès le début
des relations avec les communautés syriennes, le catholicos arménien
Nersès II fit la distinction entre leur doctrine julianiste de
l'incorruptibilité du corps du Christ et celle de l'Eglise arménienne,
qui attribue l'incorruptibilité non pas à la chair elle-même,
mais à l'union de la chair au Dieu Verbe 26.
C'est à
la même époque du catholicossat d'Hovhannès Awjnec'i
que remonte la prise de position de l'Eglise arménienne dans
la querelle des images : dans son Traité contres les Pauliciens
le catholicos justifie le culte des croix et des images du Christ, en
se référant au rappel biblique de la création à
l'image (Gn 1, 26) et de l'incarnation 27.
La christologie
de l'Eglise arménienne est donc née et s'est donc développée
entre le Ve et le VIIIe siècles, d'après trois sources
principales : la tradition cappadocienne (avant 432), la théologie
cyrillienne ou éphésienne (après 432), et la synthèse
proprement arménienne, élaborée sur le fondement
des deux premiers (à partir du VIIIe siècle). De ce fait,
notre exposé se fonde sur les sources les plus anciennes : les
textes liturgiques et les écrits dogmatiques des Ve-Xe siècles,
qui restent toujours actuels et véridiques 28. Deux références
plus tardives, mais d'une grande importance, nous serviront également
de source : les écrits de saint Nersès le Gracieux (1100-1173)
29 et la confession de foi des Pères de l'Eglise arménienne
30.
2/ Les principaux
titres et appellations du Christ dans la tradition arménienne.
La tradition arménienne,
d'après les textes liturgiques et les écrits dogmatiques
des Ve-Xe siècles, désigne Jésus Christ, notre
Seigneur et Sauveur, avant tout comme la deuxième hypostase de
la Sainte Trinité, appelée plus fréquemment "
Seigneur ", " Fils de Dieu ", " Fils Monogène
" et " Verbe ". Le titre de " Seigneur " 31
est employé surtout dans les formules christologiques "
notre Seigneur et Sauveur Jésus Christ " ou " notre
Seigneur Jésus Christ " (Rm 5, 21 ; Ph 3, 20). L'attribution
au Christ de ce titre divin remonte à la confession néotestamentaire
archaïque " Jésus est Seigneur " (1 Co 12, 3).
Cette formule kerygmatique est particulièrement chère
aux Pères des Ier-IIe siècles. Saint Ignace d'Antioche,
dans sa Lettre aux Ephésiens, dit qu' " Il n'y a qu'un seul
médecin, charnel et spirituel, engendré et inengendré,
[
] d'abord passible et maintenant impassible, Jésus Christ
notre Seigneur " 32. Saint Irénée de Lyon souligne
que " le Verbe de Dieu, Jésus Christ notre Seigneur, [
]
à cause de son surabondant amour, s'est fait cela même
que nous sommes afin de faire de nous cela même qu'il est "
33.
La tradition arménienne
souligne fortement le mystère de la patrifiliation en désignant
la personne du Christ dans la lumière de ses rapports avec le
Père comme " Fils de Dieu " (Jn 1, 34 ) et " Fils
Monogène " (Jn 1, 14,18 ; 3, 16,18) 34. Ces titres mettent
l'accent sur la filiation du Christ et son intimité originelle
avec le Père. Ils accentuent le caractère unique de la
génération du Christ : d'après les Pères
(surtout d'après saint Maxime et saint Grégoire Palamas),
seul le Christ est dans une union " essentielle " avec le
Père. Ces titres hypostatiques accentuent ainsi l'origine divine
de la Deuxième personne de la Sainte Trinité.
Un autre titre
hypostatique fréquemment employé dans les sources mentionnées
est " Verbe " 35. Les anaphores affirment que le Christ est
le " Verbe de Dieu " (anaphore de saint Sahak) ou le "
Verbe Dieu " (anaphores de saint Grégoire et de saint Cyrille),
qui est " sans commencement " (anaphore de saint Sahak) et
" éternel " (anaphores de saint Sahak et de saint Cyrille).
Elles insistent sur la participation du Logos à la création
du monde (anaphores de saint Athanase et de saint Basile). Ce titre
est également employé dans la confession de foi de l'Acte
synodal du Ier concile de Dvin 36 et dans le Credo des Pères
de l'Eglise arménienne 37. Fondé sur la théologie
du quatrième Evangile, ce titre est lui-même le fondement
de la théologie des Pères, principalement de celle des
Apologistes et de l'Ecole d'Alexandrie 38.
3/ Le mystère
de l'incarnation du Christ dans la tradition arménienne.
La christologie
arménienne, d'après les sources mentionnées, souligne
fortement le mystère de l'incarnation du Verbe, de Sa kénose
et de Sa glorification.
L'incarnation du
Logos est exprimée par des formulations dans la lignée
des schémas " Logos-sarx " et " Logos-anthropos
" 39 qui la présentent à la fois comme théophanie
- " Dieu éternel est apparu sur terre " (anaphore de
saint Basile) ; " Dieu véritable tu t'es fais homme "
(anaphore de saint Grégoire) - et comme naissance de la Vierge
Marie - " Il est né de la femme " (anaphore de saint
Basile), " Il est né parfaitement de Marie, la Vierge sainte,
par l'Esprit saint " (version arménienne du Symbole de la
foi). Les verbes les plus souvent utilisés dans la théologie
arménienne pour exprimer le mystère de l'incarnation du
Verbe sont " s'est fait chair " (marmnatsav, esarkóthe)
et " s'est fait homme " (mardatsav, enanthrópese) -
deux expressions du symbole de Nicée. L'incarnation est conçue
dans la tradition arménienne comme un choix libre du Christ,
agissant en conformité avec la volonté du Père
: " le Verbe céleste fut homme [...], en recevant volontairement
d'elle (de la Vierge) tout ce qui peut être pris par la chair
et en l'unissant (la chair) (à lui) ", affirme l'anaphore
de saint Sahak.
En parlant de l'incarnation
du Christ, la christologie arménienne souligne la divinité
plénière du Verbe incarné, thème principal
du concile de Nicée (325). Le Christ est désigné
comme " Seigneur ", " Dieu éternel " et "
vrai Dieu " (anaphore de saint Basile), et comme " Dieu véritable
" (anaphore de saint Cyrille). L'anamnèse de l'anaphore
de saint Athanase, la seule à être célébrée
actuellement dans l'Eglise arménienne, insiste sur le fait que
le Christ " se fait connaître d'une manière certaine
comme Dieu des vivants et des morts ". La christologie arménienne
rappelle avec insistance que les événements de la vie
du Seigneur - le baptême, la crucifixion, l'ensevelissement -
furent vécus par le Christ dans l'union avec sa nature divine,
car " en passant à travers tout ", Il ne fut pas diminué
dans sa divinité. Le Credo des Pères de l'Eglise arménienne
40 dit : " Son corps fut déposé dans le tombeau,
uni à sa divinité ". Cette insistance est née
de l'opposition au Ve et au VIe siècles de la doctrine de l'Eglise
arménienne à la doctrine nestorienne de l'Eglise de Perse.
La christologie
arménienne affirme tout autant l'humanité plénière
du Verbe incarné que sa divinité plénière
- un thème important du concile d'Ephèse (431). L'anaphore
de saint Athanase souligne qu'" Il fut homme d'une manière
certaine et non pas en apparence ". Cette insistance sur l'humanité
plénière du Verbe se retrouve dans les écrits théologiques
arméniens à partir du Ve siècle, notamment dans
un document des années trente de ce siècle, la Réponse
à la lettre du bienheureux Proclus de la part de Sahak et de
Mastoc', qui affirme qu'" Il (le Verbe) a pris sur lui de devenir
homme parfait, de la Mère de Dieu Marie, par (l'agence) du Saint-Esprit,
ayant pris un esprit et un corps véritables et non illusoires
" 41. Et un peu plus loin : " [...] réel est le corps
qu'il a revêtu pour nous " 42. Un autre document des années
552-553 insiste également sur l'humanité plénière
du Verbe incarné : " Nous croyons que la Sainte Vierge Marie
est la Mère de Dieu, car d'elle a véritablement été
incarné le Dieu Verbe en chair et en os et devenu parfaitement
homme " 43. Le Credo des Pères de l'Eglise arménienne
dit : " Dieu parfait est devenu homme parfait avec l'âme,
l'esprit et le corps ". Le terme le plus fréquemment employé
dans la tradition arménienne pour exprimer l'humanité
du Christ est " chair " (marmin). Il est utilisé dans
son sens biblique et hébraïque (bassar), désignant
l'âme et le corps de la personne. L'anaphore de saint Sahak dit,
en parlant de l'incarnation du Verbe, qu'Il s'est fait " chair
avec âme et intelligence ". Le terme " chair "
est ainsi employé dans la tradition arménienne dans un
sens positif, à la différence de saint Paul qui utilise
le " corps " (soma) dans un sens positif et la " chair
" (sarx) dans un sens négatif.
Pour exprimer l'humanité
du Christ, la christologie arménienne utilise aussi d'autres
termes que la chair. Le texte de saint Athanase définit la nature
humaine du Christ comme " nature perceptible ", et celui de
saint Cyrille, comme " notre nature ". Certains auteurs utilisent
le terme de " nature humaine ", notamment saint Nersès
le Gracieux (1102-1173) qui l'emploie très fréquemment,
surtout dans ses hymnes chantées pendant les offices de la nuit
du Grand Jeudi. La deuxième hymne de l'Office des ténèbres
affirme : " c'est une nature parfaite que prit en effet Dieu le
Verbe, celle de l'humanité ".
Fortement influencée
par la théologie du concile d'Ephèse et de saint Cyrille
d'Alexandrie, la christologie arménienne insiste également
sur l'unicité de la personne du Christ. Elle souligne que l'union
de la divinité et de l'humanité dans la personne du Christ
est " indissoluble " - expression de saint Cyrille reprise
dans l'anaphore qui lui est formellement attribuée. Nous retrouvons
la même problématique dans la correspondance entre Arméniens
et Orthodoxes de Perse au début de VIe siècle et de Syrie
dans les années 552-553 : " Nous confessons que le Seigneur
[est] réellement homme et en même temps Dieu. Et nous adorons
l'incarnation avec la divinité et la divinité avec l'incarnation
" 44. Dans cette logique, tous les événements de
la vie terrestre du Fils, vécue dans son humanité unie
à sa divinité, sont attribués à l'unique
hypostase du Verbe incarné. La victoire de Gethsémani
est ainsi attribuée non pas à la nature divine du Christ,
mais à Sa personne divine dans laquelle il n'y eut pas d'opposition
du vouloir entre les natures divine et humaine, opposition due au péché
dont il fut exempt. L'hymne de saint Nersès le Gracieux, chanté
pendant l'Office des ténèbres dans la nuit du Grand Jeudi,
affirme qu'" br 45. La christologie arménienne n'a jamais
interprété la formule cyrillienne " une seule nature
de Dieu Verbe incarnée " dans un sens apollinariste ou monophysite
de type eutychien. Le catholicos Hovhannes Awjnec'i (717-728) dit :
" Il faut bien comprendre "une seule nature". Quand on
dit une seule nature du Verbe incarnée, on ne doit pas penser
qu'une nature est diffusée dans l'autre, ou que deux natures
ont fusionné en une. Quand nous disons : "une seule nature",
nous voulons dire : inexprimable union du Logos et du corps " 46.
Saint Nersès
le Gracieux écrit dans son Exposé de foi de l'Eglise arménienne
: " Nous confessons que [
] le Fils [
] est entré
dans le sein de la Vierge, [
] en recevant d'elle notre nature
pécheresse : l'âme, l'esprit et le corps [
]. Le Logos
[
] n'est pas passé à travers elle comme par un canal
selon la pensée fausse d'Eutychès. [
] Une seule
essence, une seule personne de deux natures, unifiées par une
union sans mélange et sans séparation dans un seul Jésus-Christ
[
]. Nous confessons que deux natures se font une, et que dans
l'union, aucune des deux natures ne se perd [
] " 47.
La christologie
arménienne n'interprète pas non plus formule " une
seule nature " dans le sens sévèrien de " nature
composée " 48. Elle emploie plutôt le terme de "
nature unifiée ", qui à partir de l'affirmation de
l'existence de deux idiomes distincts, affirme leur unité. L'expression
" nature composée " procède d'une démarche
contraire : elle affirme l'existence de deux idiomes, en partant de
l'affirmation de l'union entre eux. L'expression " nature unifiée
" affirme donc l'unité des idiomes, tandis que le terme
de " nature composée " affirme plutôt leur union.
Saint Nersès le Gracieux explique que par l'expression "
nature unifiée ", la tradition arménienne affirme
l'unicité de la personne du Christ à partir de l'unité
" sans mélange ni séparation " de deux natures.
Dans cette perspective, il souligne que la distinction sans séparation
des deux natures suppose une distinction sans opposition entre deux
" vouloirs " et deux actions en Christ : " Pour la volonté,
nous ne la comprenons pas comme si la volonté divine dans le
Christ était opposée à la volonté humaine,
ou la volonté humaine à la volonté divine. Un seul
être [
] [Sa] volonté était [
] tantôt
divine - quand Il montrait la force de Dieu, et tantôt humaine
- quand Il montrait l'humilité humaine [...]. Comme dans l'unique
volonté de la Divinité il y avait deux vouloirs, humain
et divin, sans résistance l'un à l'autre, de même
nous croyons que l'action dans l'union était aussi divine et
humaine [
]. En devenant Un, Il portait en lui les sensations opposées
: par la nature humaine - la mort et la souffrance ; par la nature divine
- l'impassibilité et l'immortalité. Celui qui est mort
par son corps fut vivant par la Divinité " 49. En employant
les expressions " une seule nature ", " nature unifiée
" et " unique volonté ", la tradition arménienne
ne nie donc pas la distinction réelle entre les deux natures
et les deux volontés après l'union. Le catholicos Karékine
Ier (1995-1999) explique qu'après l'union, " les deux natures
n'ont pas perdu leurs caractéristiques propres et leur plénitude,
mais elles n'agissent pas séparément, autrement nous aurions
un dualisme, et l'incarnation n'aurait pas eu lieu " 50.
En fait, la christologie
arménienne présente l'incarnation du Verbe comme un nouveau
mode d'existence. Son humanité réelle n'est pas de l'ordre
de l'avoir, mais de l'ordre de l'être. Elle insiste toutefois
sur l'asymétrie entre natures divine et humaine dans la personne
du Christ : Sa nature divine est préexistante tandis que la nature
humaine est assumée. Il est ainsi possible de parler de "
christologie asymétrique " (expression de G. Florovsky)
de l'Eglise arménienne.
4/ Le mystère
de la kénose du Christ et de Sa glorification dans la tradition
arménienne.
La christologie
arménienne souligne fortement le mystère de la kénose
du Verbe, exprimé par l'affirmation de Sa crucifixion, de Sa
mort et de Son ensevelissement de trois jours. En mentionnant le mystère
de la crucifixion, elle parle surtout de la " passion " du
Christ, qualifiée de " sainte " (anaphore de saint
Athanase) et de " salutaire " (anaphore de saint Basile),
et insiste sur le libre choix du Christ qui se livre " volontairement
" (anaphores de saint Athanase, de saint Sahak et de saint Cyrille)
et " lui-même " (anaphore de saint Basile). Cette insistance
est propre à la christologie arménienne. Nous la retrouvons
déjà dans les écrits théologiques de l'Eglise
arménienne du Ve siècle. La Réponse à la
lettre du bienheureux Proclus de la part de Sahak et de Mastoc' - document
des années trente du Ve siècle, cité plus haut
- affirme : " Il s'est donné de lui-même (Jn 10, 18)
volontairement, par sa volonté et non contre sa volonté
" 51. La même idée est soulignée dans la Réponse
à la lettre des Syriens de la part de Nersès catholicos
des Arméniens (document des années 552-553) : " Il
a souffert, il a été crucifié et il est mort pour
nous selon sa propre volonté " 52.
La christologie
arménienne souligne également la réalité
des souffrances et de la mort du Christ (anaphores de saint Basile,
de saint Grégoire et de saint Cyrille). Ce thème est souligné
dans la Réponse à la lettre du bienheureux Proclus de
la part de Sahak et de Mastoc' : " Il a accompli le salut du monde,
il a véritablement souffert, non qu'il fut lui-même débiteur
de souffrances, car la divinité est affranchie des souffrances,
mais c'est pour nous qu'il a pris sur lui les souffrances " 53.
L'authenticité des souffrances et de la mort du Christ est en
outre affirmée dans la Réponse à la lettre des
Syriens de la part de Nersès catholicos des Arméniens
: " Il a souffert, il a été crucifié et il
est mort pour nous selon sa propre volonté, en réalité
et non en apparence ". Et un peu plus loin : " [nous croyons]
à ses souffrances sur la croix, à sa mort, à son
ensevelissement de trois jours " 54. La réalité de
la mort du Christ est également affirmée dans l'hymne
des matines du Grand Vendredi, attribuée à saint Nersès
le Gracieux : " Les puissances des cieux s'étonnèrent
devant l'ensevelissement du Seigneur dans le tombeau neuf, car lui,
dont l'être est immortel, a goûté la mort pour le
salut des créatures ".
En insistant sur
la réalité de la mort du Seigneur, la christologie arménienne
précise : " Il est mort dans sa chair, mais resta vivant
par (sa) divinité " (Credo des Pères de l'Eglise
arménienne). Nous retrouvons cette précision chez saint
Nersès : " Celui qui est mort par son corps fut vivant par
la divinité "
La tradition arménienne
souligne également les événements de la glorification
du Christ : la descente aux enfers, la résurrection, l'ascension
aux cieux et la session à la droite du Père. L'événement
eschatologique de la seconde venue du Fils, qualifiée de "
redoutable " et de " glorieuse ", tient une place toute
particulière dans la tradition arménienne, qui place la
christologie dans une perspective ouverte de l'attente. L'événement
eschatologique de la seconde venue du Fils est, par exemple, un des
thèmes plus important des lectures bibliques des dimanches du
Grand Carême dans le rite arménien.
En mentionnant
les évènements de la glorification du Fils et l'évènement
eschatologique de Sa seconde venue, la christologie arménienne
insiste sur le fait que la personne divine du Christ est glorifiée
" dans sa chair " : " Nous croyons que notre Seigneur
Jésus Christ est monté dans le même corps au ciel
et Il est assis à la droite du Père. Et Il viendra aussi,
avec le même corps et avec la gloire du Père pour juger
les vivant et les morts, (lui) qui est la Résurrection de tous
les hommes " (Credo des Pères de l'Eglise arménienne).
Cette insistance sur la participation de la chair du Christ aux évènements
de sa glorification est née par opposition à la doctrine
nestorienne, qui distingue d'une manière stricte les propriétés
des deux natures sans se prononcer sur la communication entre elles.
La christologie
arménienne est profondément économique et sotériologique.
Elle accentue fortement le seul but de la venue du Fils sur terre qu'est
notre salut. Tous les événements de la vie Christ sont
vus en fonction de Son rôle dans l'histoire de salut : l'incarnation
et " la passion sur la croix " furent volontairement acceptées
par Lui " pour nous " (anaphores de saint Basile, de saint
Athanase, de saint Sahak et de saint Grégoire), " pour le
salut de l'univers " (anaphore de saint Sahak), " pour la
vie et le salut de toutes les créatures " (anaphore de saint
Basile). C'est là le fondement de la christologie de l'Eglise
arménienne dont les écrits dogmatiques du Ve siècle
accentuent déjà cette approche qui s'est conservée
jusqu'à nos jours dans la théologie arménienne
: " Notre Seigneur Jésus Christ, en accord avec la volonté
du Père, a eu pitié de l'égarement humain. Le Verbe
qui jaillît du cur du Père, voulut lui complaire,
sous la protection du Saint Esprit, se faire chair dans le sein de la
Vierge de sainteté et recevoir le corps vieilli qui, en raison
du leurre de Satan, était retourné à la corruption
; le restaurer de corps, d'esprit, et d'âme, afin que la première
créature apparût sans corruption à la seconde naissance,
à la résurrection des morts. Car réel est le corps
qu'il a revêtu pour nous et il a semé en nous, par la foi,
sa divinité [...]. Il a enduré en les prenant sur lui
les soufflets et les insultes, la Croix et la mort. Non pas que lui-même
fut coupable et digne de ceci. Et il ne méritait pas la mort
dont il mourut, car la divinité est immortelle, mais afin qu'il
mérite d'effacer et laver notre déshonneur qui parvient
de nos péchés, par le Saint Evangile et son sang précieux
" 55.
Nous pouvons ainsi
conclure que la christologie arménienne est tournée vers
une économie de salut plutôt que vers les questions doctrinales.
En ce sens, il est possible de parler de " christologie économique
" de l'Eglise arménienne comme il est permis de parler de
" théologie économique " des Pères. Car
dans la tradition arménienne, la personne du Christ et les événements
de Sa vie terrestre sont vus en fonction de Son rôle dans l'économie
de salut.
II. Les causes
de la non réception par l'Eglise arménienne du concile
de Chalcédoine.
Concernant le problème
de la non réception par l'Eglise arménienne du concile
de Chalcédoine, il faut distinguer plusieurs facteurs, historiques,
politiques, théologiques et linguistiques, qui forment un ensemble
éminemment complexe. Nous ne nous étendrons cependant
pas sur l'aspect linguistique qui mériterait que lui soit consacrée
une étude approfondie, mais dont la compréhension requerrait
du lecteur la connaissance de la langue arménienne.
1/ Le facteur historique.
" Nous Arméniens n'avons pas pu participer activement aux
querelles christologiques des IVe et Ve siècles. Au IVe siècle,
notre Eglise était encore en formation ; au Ve siècle,
nous étions engagés dans la résistance au mazdéisme
qui menaçait de revenir [
]. Et justement, de 451 date la
bataille d'Avaraïr contre les Perses " 56.
Catholicos Karékine
Ier.
Le dogme a une double origine : mystère et histoire. En tant
qu'affirmation du mystère de Dieu et de la foi, il naît
dans un contexte historique comme réponse à une attente
historique. La doctrine de Chalcédoine fut une prise de position
de l'Eglise byzantine face à la doctrine monophysite d'Eutychès.
Le concile de Chalcédoine a provoqué une vive polémique
dans l'empire byzantin, à laquelle l'Eglise byzantine a répondu
par les formulations des conciles de Constantinople II (553) et III
(680-81). Ce conflit était principalement localisé dans
l'empire byzantin. Le contexte historique était-il identique
à la même époque en Arménie ?
En 387, la Grande
Arménie fut divisée entre la Perse et Byzance. Les Perses
avaient obtenu les quatre cinquièmes de l'ancien royaume - cette
partie sera désormais appelée Persarménie. A cette
époque, le trône patriarcal de l'Eglise arménienne
tourné vers l'hellénisme cappadocien se trouvait en Persarménie,
coupé de toute relation avec Byzance. Aucune juridiction religieuse
ne relia la Persarménie à l'Arménie impériale
dont les évêques étaient intégrés
à la hiérarchie byzantine 57. La situation se compliqua
avec la naissance de l'Eglise de Perse en 410. La juridiction du catholicos
de l'Eglise de Perse ne s'étendait pas sur l'Eglise arménienne
58, mais le patriarche arménien était devenu sujet du
roi de Perse depuis la fin du IVe siècle. Le souverain perse,
qui exerçait indirectement la juridiction sur l'Eglise perse
devenue Eglise d'Etat et qui prétendait à la même
autorité sur l'Eglise arménienne, dispensa le patriarche
arménien de son autorité en 428. Jusqu'en 444, l'Eglise
arménienne resta sous le pouvoir d'antipatriarches d'origine
syrienne imposés par le roi de Perse. Ce fut la cause de l'absence
de l'Eglise arménienne au concile d'Ephèse, dont les actes
furent cependant rapportés de Constantinople vers 432. Le concile
d'Ephèse fut toutefois reçu par l'Eglise arménienne,
malgré son absence, car sa problématique était
d'actualité en Persarménie après la découverte
des ouvrages de Théodore de Mopsueste, acheminés dans
le pays à deux reprises, par les antipatriarches syriens d'abord
(vers 428), puis par les " Ciliciens " (vers 431-432) 59.
L'Eglise arménienne, influencée jusque là par la
tradition antiochienne, cherchait alors des éclaircissement sur
le contenu christologique de ces ouvrages, non pas auprès de
l'Eglise de Perse qui proclama son autocéphalie vis-à-vis
des " pères occidentaux " en 424, mais du coté
byzantin, à Constantinople. Cela fut la cause de la correspondance
échangée entre Arméniens et Grecs dans les années
432-435 60.
L'Eglise arménienne
fut également absente du " brigandage " d'Ephèse
(449) et du concile de Chalcédoine (451), étant donné
qu'elle se trouvait engagée dans la résistance au mazdéisme
imposé par le roi de Perse Hazgerd II. Au moment même de
la convocation du concile de Chalcédoine (mai 451), l'Eglise
arménienne menait la bataille la plus importante contre l'imposition
du mazdéisme. Au VIe siècle, l'Eglise arménienne
s'engagea dans une nouvelle résistance, cette fois-ci à
la doctrine nestorienne de l'Eglise de Perse, laquelle avait officiellement
adopté la théologie de Théodore de Mopsueste en
484. Ce fut la cause de la convocation des conciles de Dvin I et II
en 505 et 555, qui condamnèrent la doctrine nestorienne, le premier
ayant promulgué l'union avec " les Romains, les Ibères
et les Arvanc ". On voit ainsi que les préoccupations historiques
en Arménie à cette époque furent différentes
de celles de l'Eglise byzantine. Le nestorianisme n'était plus
une menace pour l'Eglise impériale qui, face aux vrais monophysites
et aux monophysites verbaux, affirma la double consubstantialité
du Christ au moyen des deux natures ayant chacune leurs propriétés
propres. L'Eglise arménienne, faisant face à la doctrine
nestorienne, affirma l'unicité de la personne du Christ, pleinement
homme et pleinement Dieu, et " la communication des idiomes ".
Les deux doctrines protégèrent la tradition et la foi
de l'Eglise de deux influences hétérodoxes différentes,
avec des accentuations également différentes.
Lorsque les deux
Eglises se rencontrèrent en 591 pour la première fois
après deux siècles d'existence séparée,
leur vécu historique n'était plus le même. L'inégalité
politique des deux parties ne pouvait que compliquer davantage une situation
déjà difficile.
2/ L'aspect politique.
" C'est une nation fourbe et indocile [
] ; ils se trouvent
entre nous et sont une cause de troubles. Moi, je vais rassembler les
miens et les envoyer en Thrace ; toi, fais conduire les tiens en Orient.
S'ils y périssent, ce sont autant d'ennemis qui mourront ; si,
au contraire, ils tuent, ce sont des ennemis qu'ils tueront, et, quant
à nous, nous vivrons en paix. Mais s'ils restent dans leur pays,
il n'y a plus de repos pour nous " 61.
L'empereur Maurice
au roi de Perse Khosrov.
En 591, la plus grande partie de la Persarménie fut cédée
à l'empire byzantin, mais le trône patriarcal se trouvait
toujours en Persarménie. Il en résulta la désignation,
pour l'Eglise arménienne nouvellement intégrée
à l'empire, d'un antipatriarche. Le catholicos, chef religieux
et politique des Arméniens privés d'Etat indépendant
depuis 428, avait en effet refusé de participer au synode d'union
(591) convoqué par l'empereur Maurice. De fait, il n'y avait
eu aucune rencontre entre les dirigeants des deux Eglises, sans parler
de dialogue théologique, inexistant. Politiquement, il était
important d'obtenir la soumission de l'Eglise arménienne à
l'autorité impériale, et l'empereur Maurice l'obtint donc
au prix de l'imposition d'un antipatriarche. Cet événement
provoqua la réunion en 607 du concile de Dvin qui, pour la première
fois, condamna le concile de Chalcédoine comme concile nestorien
62.
Cette situation
dura jusqu'en 611 lorsque les Perses regagnèrent les territoires
arméniens et que l'unité de l'Eglise arménienne
fut restaurée. Mais en 628, l'empereur Héraclius reprit
les territoires arméniens et réunit un concile d'union
à Karen (633) en y invitant le catholicos arménien Ezr
63. Pour éviter un nouveau schisme intérieur, le catholicos
se rendit à Karen. Les actes du concile ne nous sont pas parvenus.
Provoquée par les intérêts politiques byzantins,
cette réunion ne peut être qualifiée de dialogue
car la confession de Chalcédoine fut imposée au catholicos,
sans que les autorités byzantines se soient interrogées
sur la position de l'Eglise arménienne. Cette " union "
permit au catholicos arménien de garder l'unité intérieure
de son Eglise.
Face aux incursions
arabes de 645-646, l'empereur Constant voulut s'assurer du soutien des
Arméniens, dont le loyalisme politique passait nécessairement,
à ses yeux, par leur adhésion au concile de Chalcédoine.
Le synode de Dvin de 648, réuni pour donner une réponse
à l'empereur, refusa la réception de Chalcédoine
64. Mais, quand en 652 Théodoros Rechtuni négocia un traité
de protection avec les Arabes, l'empereur Constant II gagna l'Arménie
en 653 et se rendit à Dvin pour imposer l'union : communion de
force, liturgie en grec
65. Une fois encore, il ne s'agissait
pas d'un dialogue théologique mais d'une action politique. En
689, Justinien II entra en Arménie et entraîna avec lui
le catholicos Sahak III jusqu'à Constantinople, là encore
pour lui imposer l'union 66. Dans de telles conditions, l'Arménie
préféra une alliance avec le califat arabe, lequel n'exigeait
alors rien de plus que le versement d'un tribut annuel.
Les nouvelles tentatives
d'échange entre les deux Eglises se firent aux IXe-Xe siècles.
Les intérêts politiques et l'union contre les Arabes favorisèrent
l'apparition de la correspondance entre le patriarche Zacharie et saint
Photius 67. Il y eut des échanges théologiques, même
si nous ne possédons par l'intégralité des sources.
Le concile de Chirakavan de 862 se réunit pour se prononcer sur
l'attitude à adopter suite à cet échange et prôna
une position de tolérance mutuelle 68 qui permit la renaissance
du royaume arménien et resta en vigueur jusqu'au Xe siècle,
" quand les Byzantins, désireux d'annexer l'Arménie,
transfèrent de nouveaux les problèmes théologiques
en motif de guerre " 69.
A la fin du IXe-début
du Xe siècle, les Byzantins annexèrent les territoires
proprement arméniens en les transformant en métropole
dépendant des patriarches de Constantinople et d'Antioche. Le
catholicos arménien fut arrêté sur ordre de l'empereur
et retenu trois ans à Constantinople. " Il (l'empereur)
voulait le contraindre à adhérer à Chalcédoine
et payer l'impôt, ce qui eut été la négation
de la souveraineté de sa nation et de son Eglise " 70. Le
roi Gaguik II, arrivé à Constantinople, se proposa de
défendre la foi de son peuple : il nous est parvenu une longue
épître qu'il aurait rédigée. Tout en refusant
d'adhérer à Chalcédoine, le roi exposa l'enjeu
anthropologique des controverses christologiques en affirmant l'existence
des deux natures 71. L'annexion byzantine devait cependant être
suivie d'une énième trahison politique à l'égard
de l'Arménie, puisqu'elle fut rapidement livrée aux Turcs
par l'empereur, trahison d'ailleurs aggravée d'une erreur politique
considérable qui eut pour conséquence de réserver
un sort semblable à l'empire byzantin lorsqu'il tomba à
son tour aux mains des Turcs.
Mais les échanges
théologiques les plus importants entre les deux Eglises eurent
lieu au XIIe siècle 72 : pour la première fois, les échanges
commencèrent non pas par l'imposition du concile de Chalcédoine,
mais par une interrogation sur la doctrine arménienne. Au début
de 1165, Nersès le Gracieux eut une discussion avec le beau-frère
de l'empereur Manuel Comnène, concernant les différences
entre les Eglises arménienne et byzantine. En remettant à
Nersès le questionnaire préparé par les archimandrites
grecs, Alexis demanda qu'on prenne par écrit leur conversation.
Nersès le Gracieux prépara et envoya l'Exposé de
foi de l'Eglise arménienne, en deux parties. La première
partie est relative à la Sainte Trinité, et la seconde,
au rituel de l'Eglise arménienne. Ce texte fut transmis à
l'empereur Manuel, qui, après lecture conjointe avec le Patriarche
Luc (1156-1169), décida que ce texte pourrait servir de fondement
à l'union des deux Eglises. Saint Nersès envoya aussi
une lettre à l'empereur, constituée en deux parties, l'une
sur la doctrine, l'autre sur la tradition ecclésiale.
Le théologien
russe du XIXe siècle Troïtski, analysant l'Exposé
de foi de l'Eglise arménienne de Nersès le Gracieux, la
résume ainsi 73 :
1/ Nersès le Gracieux définit l'incarnation comme l'union
des deux natures, divine et humaine, comme le concile de Chalcédoine.
2/ Avec l'Eglise orthodoxe, il reconnaît que la chair de Jésus-Christ
est de même nature que la chair de la Vierge Marie, ce qui signifie
la chair humaine. Le point de vue de Nersès le Gracieux n'est
en rien commun à celui d'Eutychès et des monophysites
qui affirment que la chair du Christ n'est pas de même nature
que la chair humaine.
3/ En conformité avec l'Eglise orthodoxe, Nersès le Gracieux
reconnaît que les qualités propres aux deux natures sont
conservées pleinement dans l'union. Cela veut dire qu'il nie
la confusion des natures.
4/ En conformité avec l'Eglise orthodoxe, Nersès le Gracieux
reconnaît la communication des natures.
5/ En conformité avec l'Eglise orthodoxe, Nersès le Gracieux
condamne Eutychès et les monophysites.
Dans une seconde
lettre, Nersès le Gracieux précise les conditions nécessaires
à l'union des deux Eglises : celle-ci doit se faire non pas selon
le principe maître et serviteur, mais d'égal à égal
sur la base de la Sainte Ecriture et de la Sainte Tradition. Le patriarche
Michel III (1165-1177) et l'empereur répondirent en 1172 en proposant
neuf points à partir desquels l'union serait possible 74 :
1/ Anathématiser ceux qui confessent une nature, Eutychès,
Sévère d'Antioche et Timothée 75.
2/ Confesser dans le Christ, une personne, deux natures, deux volontés,
deux actions.
3/ Fêter Noël, la Sainte Rencontre et l'Annonciation avec
les Byzantins 76.
4/ Chanter le Trisagion sans le " crucifié pour nous "
77.
5/ Préparer la Sainte Myrrhe avec de l'huile d'olive.
6/ Utiliser pour l'Eucharistie le pain au levain, et le mélanger
avec le vin 78.
7/ Pendant la liturgie, tenir le peuple dans l'Eglise et non pas dans
le narthex, à l'exception des pénitents 79.
8/ Accepter les décisions des 4e, 5e, 6e, 7e conciles.
9/ Faire confirmer l'élection du catholicos par l'empereur.
Comme on le voit,
il s'agissait moins, pour l'Eglise byzantine, de reconnaître l'orthodoxie
de la confession de foi de l'Eglise arménienne, que de lui imposer
les modalités byzantines de la confession de foi orthodoxe. Saint
Nersès, déjà catholicos et déçu par
cette réponse impérieuse, répondit aux envoyés
de l'empereur et du patriarche qu'il ne pouvait prendre seul une telle
décision. Un concile se réunit en 1179 sous le catholicos
Grégoire IV dans la ville de Hromkla et condamna à la
fois le monophysisme et le diphysisme 80. Du Moyen-âge jusqu'à
nos jours, l'Eglise arménienne qualifia l'Eglise orthodoxe de
diphysite au sens nestorien et l'Eglise orthodoxe qualifia l'Eglise
arménienne de monophysite au sens eutychien. En 1964, au Danemark,
le dialogue entre les deux Eglises reprit.
Jean-Claude Larchet
qualifie les conciles imposés par l'Eglise byzantine de conciles
d'adhésion de l'Eglise arménienne au concile de Chalcédoine,
et les contre-conciles arméniens, de refus d'adhérer.
Il en est ainsi de fait ; pourtant nous avons vu que les décisions
des conciles étaient provoquées par l'intérêt
politique plutôt que par la volonté d'affirmer une vérité
théologique. Les Byzantins étaient préoccupés
par l'uniformité de l'empire que leur procurait l'union ; les
Arméniens, par le souci d'assumer leur autonomie politique et
ecclésiale pour sauvegarder la spécificité de leur
tradition. Le concile de Chalcédoine est devenu le drapeau de
l'union politique et théologique pour les uns, et le piège
caché de l'uniformisation et du servage pour les autres.
L'un des facteurs
de la non réception par l'Eglise arménienne du concile
de Chalcédoine est ainsi d'ordre politique ; il n'est cependant
pas le seul. Comme précisé plus haut, il s'agit d'un ensemble
de facteurs politiques, historiques et théologiques.
3/ L'aspect théologique.
" Nous n'avons jamais accepté cette dualité dans
la personne du Christ, le Verbe incarné, que Nestorius n'a pas
su dépasser [...]. En ce qui concerne la christologie, nous restons
dans la lignée de la théologie de saint Cyrille d'Alexandrie
" 81.
Catholicos Karékine
Ier.
Le concile de Chalcédoine fut une nouvelle étape dans
l'histoire de l'Eglise : ce fut la naissance de la théologie
dogmatique dominée par une pensée systématique.
La théologie des Pères et des trois premiers conciles,
qui contient déjà en germes les affirmations dogmatiques,
est avant tout économique et liturgique : cela signifie que la
réflexion sur chaque personne de la Sainte Trinité était
menée par rapport au rôle de chacune d'entre-elles dans
l'économie du salut. En ce sens, on peut parler de christologie
économique des Pères et des trois premiers conciles. Leur
schéma christologique était essentiellement de type "
Logos-sarx " 82, d'origine alexandrine et qui met l'accent sur
l'unicité de la personne divine du Christ, deuxième hypostase
de la Sainte-Trinité faite chair. C'est un schéma descendant,
vertical est temporel (il y a un avant et un après) 83. En affirmant
l'humanité et la divinité plénière du Fils,
il met l'accent sur l'asymétrie entre les deux natures, dont
la nature divine est préexistante et la nature humaine - assumée.
Aussi peut-on parler également de christologie asymétrique
des Pères " préchalcédoniens " et des
trois premiers conciles cuméniques.
La formule christologique
de Chalcédoine et du Tome de Léon est plutôt de
type " Logos-anthropos ". La formulation de base de ce schéma
est " le Verbe s'est fait homme ". Il est intéressant
de remarquer que cette expression du credo de Nicée n'est pas
employée dans les sources bibliques malgré le fait que
dans les Actes des apôtres et dans les écrits pauliniens,
le Christ est appelé fréquemment " homme " (Ac.
2, 22 ; Rm. 5, 15 ;17-19 ; 1 Co 15, 21 ; 47-49). Il est probable que
la tradition patristique a commencé à utiliser l'expression
" s'est fait homme " (enanthrópese) au IVe siècle
seulement, pour affirmer la réalité de l'incarnation du
Verbe contre Apollinaire, pour qui le Fils, en se faisant chair, aurait
assumé seulement un corps et non pas aussi une âme humaine
84. " Logos-anthropos " est un schéma symétrique,
horizontale, spatial 85, qui met l'accent sur les deux natures du Christ,
dont chacune a ses propriétés propres. Mais cette insistance
sur les propriétés propres à chacune des deux natures
laisse supposer une symétrie entre elles - ce à quoi le
concile de Constantinople II tentera de remédier. Nous pensons
que ceci est la source de la qualification du concile de Chalcédoine
de nestorien. Car l'unicité de la personne divine du Christ se
fonde sur une asymétrie entre les deux natures. Du moment qu'une
symétrie est supposée, l'unicité est mise en question.
C'était la profondeur de la visée de saint Cyrille, des
Pères orientaux préchalcédoniens et des Pères
arméniens, qui en reconnaissant la divinité plénière
et l'humanité plénière du Christ insistaient sur
l'unicité de Sa personne divine.
Un autre point
important : le concile de Chalcédoine, avec les outils d'une
théologie systématique, essaie de dévoiler et de
définir le mystère de la personne du Christ. On peut exiger
de " dénombrer les natures ", affirmer qu'il existe
entre elles une " distinction réelle et non pas seulement
en pensée ". Mais dans la démarche, c'est le procédé
d'un esprit systématique largement étranger à la
pensée des Pères orientaux d'avant Chalcédoine,
dont la théologie économique insiste sur le mystère
de la personne du Christ. A la suite de saint Cyrille d'Alexandrie,
qui affirma que " le Christ est devenu homme d'une façon
indicible et incompréhensible " 86, l'Eglise arménienne
soulignera le caractère inexprimable de l'union du Logos et de
la chair, car " l'union du Logos divin et de la nature humaine
est un mystère " (catholicos Hovhannès Awjnec'i).
Ainsi, le refus
de l'Eglise arménienne de se préoccuper outre mesure des
problèmes christologiques peut s'expliquer par la constatation
suivante : ces questions touchent à un mystère inexprimable.
Conclusion
" De cette foi, personne ne peut nous ébranler, ni les anges
du ciel, ni les hommes, ni le fer, ni le feu, ni l'eau, ni aucun autre
coup, si dur fut-il ! ".
Homélie
aux saints Vartanians avant la bataille d'Avaraïr (451).
Nous avons vu que l'affirmation de Jean-Claude Larchet selon laquelle
la théologie non chalcédonienne serait opposée
à la tradition patristique 87 n'est pas applicable à la
tradition de l'Eglise arménienne qui se fonde sur les Pères
anténicéens et de l'âge d'or de la patristique,
traduits en arménien tout au long du Ve siècle. Ces traductions
sont parfois pour le monde chrétien les seules sources de connaissance
de certains écrits des Pères de l'Eglise. La littérature
patristique est restée pour toujours une des sources principales,
avec celle des écrits bibliques, de la liturgie de l'Eglise arménienne
et des uvres de ses Pères, par exemple ceux de saint Grégoire
de Narek (Xe siècle) et de saint Nersès le Gracieux (XIIe
siècle). Ecrites cinq et sept siècles après le
concile Chalcédoine, leurs uvres témoignent de la
fidélité de la tradition arménienne à la
tradition patristique " malgré " la non réception
du quatrième concile cuménique. Les figures de saint
Grégoire de Narek et de saint Nersès le Gracieux, ainsi
que leurs écrits, par le seul fait de leur existence, nous montrent
aussi qu'il peut exister après Chalcédoine une foi et
une tradition orthodoxe non chalcédonienne, dont Jean-Claude
Larchet nie pourtant la réalité 88.
Nous avons vu plus
haut que la christologie arménienne, d'après les sources
mentionnées des Ve-XIIe siècles, se fonde sur la confession
de foi des trois premiers conciles, dont la problématique fut
bien comprise et vécue par l'Eglise arménienne. Cela prouve
qu'après la non réception du quatrième concile,
la tradition arménienne n'a pas changé de nature la foi
confessée par l'Eglise universelle avant Chalcédoine -
reproche fait aux Eglises non chalcédoniennes par Jean-Claude
Larchet 89. Nous avons vu aussi qu'en restant dehors de la problématique
chalcédonienne, la christologie arménienne a reçu
des accentuations propres à son vécu historique : par
exemple, l'insistance particulière sur l'unicité de la
personne du Christ et sur la " communication des idiomes ",
que les pressions nestoriennes de l'Eglise de Perse sur l'Eglise arménienne
rendirent nécessaire.
Nous avons vu également
que dans le cas de l'Eglise arménienne, ce n'est pas seulement
le facteur théologique, mais un ensemble de plusieurs facteurs
qui servirent la cause de la non-réception du concile de Chalcédoine
: historiques, politiques et théologiques. Nous avons vu qu'historiquement,
les problèmes théologiques posés dans l'empire
byzantin et en Arménie au cours des Ve-VIe siècles ne
furent pas identiques. Au moment même de la convocation du concile
de Chalcédoine (mai 451), l'Eglise arménienne menait la
bataille la plus importante contre l'imposition du mazdéisme.
L'empereur Marcien ayant refusé de soutenir les Arméniens,
l'Eglise arménienne assuma seule le sort de son peuple 90. Après
le concile de Chalcédoine, l'Eglise impériale pour laquelle
le nestorianisme n'était plus une menace, affirma face aux vrais
monophysites et aux monophysites verbaux la double consubstantialité
du Christ au moyen des deux natures ayant chacune leurs propriétés
propres. L'Eglise arménienne, faisant face à la doctrine
nestorienne, imposée par l'Eglise de Perse, affirma l'unicité
de la personne divine du Christ, pleinement homme et pleinement Dieu.
Nous avons vu que
les négations que s'opposèrent mutuellement les Eglises
arménienne et byzantine entre le VIIe et le XIIe siècles
n'eurent jamais de caractère proprement théologique, mais
furent dictées par des intérêts principalement politiques.
D'ailleurs, une négation ou échange ne sont pas forcément
un dialogue qui suppose la connaissance, le respect et l'écoute
réciproque. En réalité, il n'y eut jamais de dialogue
théologique entre les deux Eglises. Même les échanges
de l'époque de saint Nersès le Gracieux ne peuvent être
qualifiés de dialogue, car du coté byzantin il s'agissait
davantage d'un ultimatum, supposant la soumission et l'intégration
de l'Eglise arménienne dans l'Eglise byzantine et non pas d'une
reconnaissance de l'orthodoxie de la tradition arménienne.
Le XXe siècle
nous a fait reconnaître une certaine réciprocité
entre les traditions byzantine et arménienne. C'est à
nous de faire en sorte que ces découvertes aboutissent à
un dialogue théologique. Nous avons aujourd'hui la possibilité
d'un dialogue désintéressé, affranchi des intérêts
politiques. Les empires chrétiens n'existent plus : seules les
Eglises chrétiennes ont survécu. D'autre part, nous vivons
un moment historique qui nous mène nécessairement à
l'éclaircissement des positions christologiques, face à
la renaissance du nestorianisme caché et ouvert représenté
par de nombreux théologiens des Eglises en Occident 91.
Il ne s'agit pas,
comme le propose Jean-Claude Larchet, de faire une nouvelle déclaration
commune, cette fois-ci chalcédonienne. Ce point de vue place
l'union dans une perspective d'intégration d'une Eglise dans
l'autre et non pas d'une reconnaissance réciproque. L'expérience
historique nous enseigne qu'une nouvelle déclaration commune
bilatérale n'est envisageable que comme une reconnaissance réciproque
de l'orthodoxie des traditions byzantine et arménienne 92, car
l'Eglise arménienne dans la figure de saint Nersès le
Gracieux a reconnu l'orthodoxie des deux formulations christologiques,
arménienne et chalcédonienne, et non pas seulement chalcédonienne
: " Si l'on dit " une nature" dans le sens de l'union
indissoluble et invisible et non pas dans le sens de la confusion, et
[si l'ont dit] "deux natures" comme étant sans confusion
et sans altération et non pas en signifiant "division",
[alors] toutes les deux [positions] sont dans l'orbite de l'orthodoxie
" 93. L'expérience historique montre également que
précédemment au dialogue entre-orthodoxes engagé
dans la deuxième partie du XXe siècle, l'Eglise byzantine,
ayant cherché à rétablir l'union avec les Eglises
non chalcédoniennes, n'avait jamais envisagé la perspective
de l'union comme une reconnaissance réciproque - et cette nouvelle
perspective est l'une des conséquences positives des échanges
menés autour des déclarations communes. Une reconnaissance
suppose toutefois une connaissance, que les amalgames et les approximations
du Projet d'Union ou de différents auteurs, fondés sur
une confusion entre les différentes traditions christologiques
non chalcédoniennes, desservent largement. Quelles sont les sources
byzantines scientifiquement objectives pour connaître ces différences
et notamment la tradition arménienne, plutôt que l'interprétation
erronée qui en est le plus souvent donnée ?
Nous pensons qu'une
nouvelle déclaration commune doit être précédée
de l'organisation de commissions théologiques bilatérales
dont le but doit être de dialoguer, au sens premier du terme :
un travail très concret de traduction, d'étude des sources
historiques et christologiques importantes des deux Eglises. Il est
impossible de faire l'économie de travaux de recherches communs
de niveau scientifique : cela lèvera nombre de méprises
et d'ignorances, et aidera à l'établissement d'un dialogue
véritable, sans lequel il ne sera possible d'aboutir qu'à
des compromis douteux dont les conséquences néfastes conduiront
le plus grand nombre à une nouvelle radicalisation.
Nous voudrions
conclure sur un fait qui demeure : la christologie dans la vie de l'Eglise
est en lien étroit avec la compréhension du mystère
de notre salut. Dès lors qu'aucune hérésie ne vient
nier l'humanité plénière, ni la divinité
plénière dans l'unique personne divine du Christ, l'affirmation
du mystère de notre salut est pleinement orthodoxe, et la christologie
devient alors relativement secondaire. Elle ne doit en aucun cas obscurcir
la vie spirituelle par un vain débat mais au contraire l'illuminer.
Le témoignage véritable de l'orthodoxie est l'orthopraxie.
Il est impossible de juger de l'orthodoxie d'une Eglise sur un simple
débat, sans la connaître de l'intérieur, car c'est
s'exposer à de graves difficultés linguistiques, historiques,
politiques et théologiques que personne ne peut véritablement
maîtriser. En revanche, la foi de telle ou telle Eglise, vécue
au vu et au su de tous, est accessible à tous ceux qui voudraient
s'y intéresser.
Les personnes qui
s'intéresseront à la destinée de l'Eglise arménienne
découvriront que son histoire témoigne de la fidélité
à la foi en Christ dans les conditions les plus extrêmes.
Elles prendront conscience que ce peuple, né au pied du mont
Ararat, a reçu la grâce d'être le premier Etat chrétien
et de donner ainsi, à l'aube du IVe siècle, l'espérance
à tous les chrétiens de voir bientôt la fin des
persécutions. Elles verront que le peuple arménien, annexé
par les Byzantins, persécuté par les Perses puis par les
Arabes, génocidé par les Turcs, ayant perdu, en Arménie
soviétique, presque tout son clergé, refusa pourtant de
renier le Christ, alors que la vie était promise à ceux
qui embrasseraient le mazdéisme, l'Islam ou le marxisme. Elles
comprendront surtout que l'Eglise arménienne aurait du disparaître
depuis longtemps, et qu'elle n'a survécu que par la grâce
de Dieu et par la fidélité à Celui qu'elle a reconnu
comme son seul Maître et Seigneur : Jésus Christ, Fils
Unique de Dieu, qui s'est fait chair et est devenu homme pour notre
salut, et dont nous attendons le retour.
Le 6 janvier 2002,
fêtes de la Nativité et de la Théophanie.
Gohar HAROUTIOUNIAN-THOMAS
1 J.-C. LARCHET,
La question christologique. A propos du projet d'union de l'Eglise orthodoxe
et des Eglises non chalcédoniennes : problèmes théologiques
et ecclésiologiques en suspens, Le Messager orthodoxe, n°
134, II-2000, p. 3-103.
2 Nous trouvons l'anathème contre Sévère dans un
document des années 552-553 : la Réponse à la lettre
des Syriens de saint Nersès, catholicos des arméniens
; voir GARSOIAN, L'Eglise Arménienne et le grand schisme d'Orient,
Lovanii, 1999, p. 462. Sur l'inactualité de la christologie sévrienne
dans l'Eglise arménienne, voir A. SIDOROV, Monofilitskaya ounia
pa sviditelstvou "Povistvovania a dilaxh armianskixh", Patma-banasirakan
Handes, 1998-83, n° 3, p. 162-169.
3 La diversité des motifs qui amenèrent les Eglises orientales
(elles-mêmes de traditions différentes et sans grandes
relations entre-elles) à ne pas recevoir la formulation chalcédonienne,
est a priori délicate pour les Eglises chalcédoniennes
: elle exclut toute explication radicale ou simpliste de la non réception
de Chalcédoine et amène à s'interroger sur les
failles de la formulation chalcédonienne, auxquelles le concile
de Constantinople de 553 tentera de remédier.
4 J.-P. MAHE, L'Eglise arménienne de 611 à 1066, dans
Histoire du christianisme, Desclée, 1993, t. 4, p. 460.
5 G. GARITTE, La Narratio de rebus Armeniae, CSCO 132, Subsd. 4, Louvain,
1952.
6 Au sujet de ce document, voir plus loin dans le texte et la note 9.
7 N. GARSOIAN, L'Eglise arménienne et le grand schisme d'Orient,
p. 212. Pour des exemples de déformations par la Narratio des
données historiques et théologiques, voir notamment p.
212-219.
8 MAHE, L'Eglise arménienne de 611 à 1066, p. 493, note
334.
9 Ibid., p. 493, note 333.
10 Voir notamment l'extrait cité par LARCHET, p. 87-88.
11 Nous trouvons l'anathème contre Eutychès dans les documents
arméniens à partir du début du VIe siècle
(Lettre des Arméniens aux Orthodoxes de Perse, datée par
GARSOIAN de 506 (L'Eglise arménienne et le grand schisme d'Orient,
p. 405, p. 438, note 1.) Cet anathème remonte à la même
époque que la présentation à l'Eglise arménienne
du dossier sur Chalcédoine d'après les sources monophysites
syriaques (MAHE, L'Eglise arménienne de 611 à 1066, p.
460).
12 J.-C. LARCHET, p. 39.
13 Ibid.
14 Lors du concile de Dvin de 607, l'Eglise arménienne signa
un document officiel portant condamnation du quatrième concile
cuménique comme concile nestorien (voir note 24). Sur le
contexte historique et politique dans lequel ce document fut rédigé,
voir p. 13-14.
15 Pour l'histoire de l'adhésion de l'Eglise arménienne
à l'Henotikon, voir N. GARSOIAN, L'Eglise arménienne et
le grand schisme d'Orient, p. 152-161.
16 Dans ce contexte, l'Eglise arménienne fit certainement preuve
d'une certaine sagesse en se tenant à l'écart des incessants
revirements de l'empire en matière christologique, tout en gardant
sa fidélité à l'Henotikon qui, sans se prononcer
sur Chalcédoine et sans être un chef-d'uvre théologique,
n'est pas un document hérétique.
17 Cycle de récits attribué à Agathange et intitulé
Histoire de l'Arménie ; N. GARSOIAN, L'Eglise arménienne
et le grand schisme d'Orient, p. 3.
18 N. GARSOIAN, L'Eglise arménienne et le grand schisme d'Orient,
p. 5. D'après N. GARSOIAN, seule la partie septentrionale de
la Grande Arménie aurait été évangélisée
par saint Grégoire l'Illuminateur. Dans le sud de la grande Arménie
et dans les satrapies, il y aurait déjà eu des communautés
chrétiennes évangélisées par les Syriens.
Cela rejoint la tradition de l'Eglise arménienne, d'après
laquelle la première évangélisation de l'Arménie
eut lieu au Ier siècle par les apôtres Thaddée et
Barthélemy.
19 Ibid., p. 4.
20 Ibid., p. 161 ; voir également p. 49 de notre article.
21 Sur les raisons de la convocation du Ier concile de Dvin, ibid.,
p. 194.
22 Ibid., p. 196-97.
23 Sur la datation du IIe concile de Dvin, ibid., p. 139 ; sur les raisons
de sa convocation, ibid., 236.
24 En fait, le premier commentaire contre Chalcédoine remonte
au milieu du VIe siècle, mais sans qu'il ait eu un caractère
officiel. A cette époque et jusqu'au concile de 607, l'Eglise
arménienne différencia les " Nestoriens " des
" Chalcédoniens ", seulement soupçonnés
de nestorianisme caché. Sur le contexte historique et politique
dans lequel fut prononcé cette condamnation, voir p. 13-14.
25 A. SIDOROV, Monofilitskaya ounia pa sviditelstvou, p. 162-169 ; voir
aussi note 2.
26 N. GARSOIAN, L'Eglise arménienne et le grand schisme d'Orient,
p. 213-214.
27 J.-P. MAHE, L'Eglise Arménienne de 611 à 1066, p. 484
-485.
28 Pour les textes liturgiques, il s'agit des cinq anaphores arméniennes
attribuées formellement à saint Grégoire l'Illuminateur
(vieille version arménienne de saint Basile), à saint
Athanase d'Alexandrie, à saint Sahak, à saint Grégoire
de Nazianze et à saint Cyrille d'Alexandrie. Nous pouvons trouver
les textes de ces anaphores dans Die Liturgien bei den Armeniern de
CATERGIAN-DASHIAN, Wien, 1897 (en arménien ancien). Les documents
historiques sont principalement constitués de la correspondance
de l'Eglise arménienne avec celles de Byzance, de Syrie et de
Géorgie aux Ve-VIIe siècles, ainsi que des documents officiels
des conciles de Dvin de 505-506, 555, et 607. Ces textes sont donnés
en annexe par N. GARSOIAN, dans L'Eglise arménienne et le grand
schisme d'Orient. La version arménienne du Symbole de la foi
(attribuée formellement à saint Athanase et introduite
dans la célébration eucharistique au VIe siècle)
nous servira également de source. Nous en trouvons une traduction
française de C. RENOUX, dans Rituel arménien du Baptême,
Cerf, 1998, p. 85-87. Cette traduction contient toutefois une erreur
importante : l'attribution de la procession du saint Esprit au Père
et au Fils. L'emploi de cette formulation dans la version arménienne
du Symbole de la foi est propre aux Catholiques de rite arménien
et ne correspond pas à la doctrine de l'Eglise apostolique arménienne.
29 Patriarche arménien du XIIe siècle ; auteur des écrits
théologiques et des nombreuses hymnes liturgiques incorporées
dans les offices liturgiques de l'Eglise apostolique arménienne.
Une de ses prières, Avec foi je te confesse, tient une place
essentielle dans la liturgie arménienne et contient tous les
éléments essentiels de la doctrine de l'Eglise arménienne
; elle est aussi la plus populaire et la plus connue des prières
après celle du Notre Père.
30 Attribuée à saint Nersès le Gracieux ou à
saint Grégoire de Tatève (1346-1410), cette confession
de foi se trouve au début du Bréviaire arménien.
Elle est lue juste avant l'office divin des matines, en préparation
spirituelle du célébrant, ordinairement et les jours des
fêtes. Elle est également lue solennellement et particulièrement
par chaque candidat lors de la cérémonie d'ordination
sacerdotale, comme profession de foi et engagement personnel dans la
fidélité à la foi orthodoxe. Nous en trouvons une
traduction française dans un texte de conférence du catholicos
KAREKINE Ier, Le Credo de l'Eglise Arménienne Apostolique, MOMIG,
cahier n° 5, 1999, p. 7-9.
31 Employé dans toutes les sources précisées plus
haut : notes 28 et 30.
32 Saint Ignace d'Antioche, Lettre aux Ephésiens, 7, 2, SC 10,
p. 65.
33 Saint Irénée de Lyon, CH, III, 19, 1 ; ROUSSEAU, p.
368.
34 Sur l'emploi du titre " Fils Monogène " dans les
anaphores arméniennes, voir G. HAROUTIOUNIAN-THOMAS, La christologie
des anciennes anaphores arméniennes, mémoire de maîtrise
soutenu à l'Institut de théologie orthodoxe Saint-Serge
à Paris, 1999-2000, disponible à la bibliothèque
de l'Institut, p. 24-25, 50, 62, 69, 84. Ce titre est également
employé dans les confessions de foi des Arméniens : d'après
la Réponse à la lettre du bienheureux Proclus de la part
de Sahak et de Mastoc' (dans N. GARSOIAN, L'Eglise arménienne
et le grand schisme d'Orient, p. 434) ; d'après l'Acte synodal
du premier concile de Dvin en 505-506 (ibid., p. 443-45) ; dans la version
arménienne du Symbole de la foi (C. RENOUX, Rituel arménien
du Baptême, p. 85-87) ; dans le Credo des Pères de l'Eglise
arménienne (voir note 30). Les textes de ces confessions de foi
sont regroupés dans les annexes du mémoire sur La christologie
des anciennes anaphores arméniennes, p. 104-09.
35 Il s'agit notamment de l'appellation principale du Christ dans l'anaphore
de saint Sahak (G. HAROUTIOUNIAN-THOMAS, La christologie des anciennes
anaphores arméniennes, p. 60-62).
36 N. GARSOIAN, L'Eglise arménienne et le grand schisme d'Orient,
p. 443-445.
37 Voir note 30.
38 G. HAROUTIOUNIAN-THOMAS, La christologie des anciennes anaphores
arméniennes, p. 60-62.
39 Sur ces deux schémas, voir p. 17 et note 82.
40 Voir note 30.
41 N. GARSOIAN, L'Eglise arménienne et le grand schisme d'Orient,
p. 434.
42 Ibid., p. 435.
43 Ibid., p. 458.
44 Ibid., p. 447 et 462.
45 Ibid., p. 448.
46 Citation tirée de E. PETROSSIAN, Armianskaya Apostolskaya
Ceiamaia Tserkov, Etchmiadzine, 1996, p. 134. Pour catholicos Hovhannes
Awjnec'i, voir p. 5 de notre article.
47 D'après l'Exposé de la foi de l'Eglise arménienne,
adressé par Nersès Chnorhali à l'empereur Manuel
Comnène (voir p. 15) : Nerses CHNORHALI, Izlajinie beri Armianskoy
Tserkey, Istoritchietskie pamiatniki veroutchenia Armiantskoy tsierkvi,
atnasiatsiesia k 12 staletiou, pirivod A. Xhoudabachiva, Saint-Petersbourg,
1847, p. 179- 182
48 Voir note 2.
49 Nerses CHNORHALI, Izlajinie beri Armianskoy Tserkey, p. 182, 186-87.
50 Karekine Ier, catholicos de tous les Arméniens, p. 114.
51 N. GARSOIAN, L'Eglise arménienne et le grand schisme d'Orient,
p. 436.
52 Ibid., p. 461.
53 Ibid., p. 434.
54 Ibid., p. 461.
55 Réponse à la lettre du bienheureux Proclus de la part
de Sahak et de Mastoc' dans N. GARSOIAN, L'Eglise arménienne
et le grand schisme d'Orient, p.433-434.
56 Karekine Ier, catholicos de tous les Arméniens, p. 112, 116.
57 N. GARSOIAN, L'Eglise arménienne et le grand schisme d'Orient,
p. 87.
58 Ibid., p. 54.
59 N. GARSOIAN, L'Eglise arménienne et le grand schisme d'Orient,
p. 110.
60 Les détails de cette correspondance sont rapportés
par N. GARSOIAN, L'Eglise arménienne et le grand schisme d'Orient,
p. 79 ; 79-80 ; 91-100 ; 106-114 ;116-123. Elle fut entreprise, comme
nous le laisse supposer la Lettre de Libellus, après la découverte
en Persarménie des ouvrages de Théodore de Mopsueste (Ibid.,
p. 91-100 ; 106-114).
61 SEBÊOS, Histoire d'Héraclius, VI.
62 N. GARSOIAN, L'Eglise arménienne et le grand schisme d'Orient,
p.363, 405.
63 Sur le concile de Karen, voir J.-P. MAHE, L'Eglise Arménienne
de 611 à 1066, p. 468-471.
64 Ibid., p. 473.
65 N. GARSOIAN, L'Eglise arménienne et le grand schisme d'Orient,
p. 390-394 ; J.-P. MAHE, L'Eglise Arménienne de 611 à
1066, p. 473-74.
66 N. GARSOIAN, L'Eglise arménienne et le grand schisme d'Orient,
p. 394 -395 ; J.-P. MAHE, L'Eglise Arménienne de 611 à
1066, p. 476.
67 Sur cette correspondance voir plus haut (2/ Le problème des
sources) ; voir également J.-P. MAHE, L'Eglise Arménienne
de 611 à 1066, p. 493.
68 Sur le synode de Chirakavan, voir J.-P. MAHE, L'Eglise Arménienne
de 611 à 1066, p. 494-495.
69 Ibid., p. 490.
70 Ibid., p. 526.
71 Connu pour être " un rude champion dans les joutes philosophiques
", Gaguik II montra sa connaissance non seulement des Pères
grecs mais aussi des néoplatoniciens comme Porphyre. L'argumentation,
l'éloquence et la haute culture du roi impressionnèrent
les théologiens grecs et l'empereur Constantin Doukas lui-même,
lequel se résolut à féliciter Gaguik.
72 Nous présentons l'histoire de ces échanges d'après
l'exposé du Père E. PETROSSIAN, Armianskaya Apostolskaya
Ceiamaia Tserkov, p. 31-34, 136.
73 I. TROÏTSKY, Izlajinie beri Tserkei Armianskia, Saint-Petersbourg,
1875. Nous citons le résumé de l'étude de I. TROITSKI
d'après E. PETROSSIAN, Armianskaya Apostolskaya Ceiamaia Tserkov,
p. 136-137.
74 Voir E. PETROSSIAN, Armianskaya Apostolskaya Ceiamaia Tserkov, p.
33.
75 Nous trouvons l'anathème contre Eutychès dans les documents
arméniens à partir du début du VIe siècle,
notamment dans la Lettre des Arméniens aux Orthodoxes de Perse,
datée par N. GARSOIAN de 506 (N.GARSOIAN, L'Eglise Arménienne
et le grand schisme d'Orient, p. 405 et 438, note 1). Comme nous l'avons
mentionné plus haut, la doctrine de Sévère d'Antioche
n'a pas influencé la christologie arménienne (SIDOROV,
Monofelitskaja unija, p. 162-169). Nous trouvons l'anathème contre
Sévère dans la Réponse à la lettre des Syriens
de saint Nersès, catholicos des arméniens (552-53) (N.
GARSOIAN, L'Eglise Arménienne et le grand schisme d'Orient, p.
462).
76 L'Eglise arménienne fête la Nativité du Seigneur
avec la fête de Théophanie le 6 janvier, selon l'usage
de l'Eglise ancienne. La sainte Rencontre est fêtée quarante
jours après la Théophanie, le 14 février. L'Annonciation
est fêtée le 7 avril, neuf mois avant la Théophanie.
77 Dans la tradition arménienne, le Trisagion est chanté
avec le " crucifié pour nous " au Christ et non pas
à la Sainte Trinité.
78 Pour l'Eucharistie, l'Eglise arménienne utilise le pain sans
levain, d'après l'usage ancien. Cette pratique n'a pas de signification
dogmatique dans la tradition arménienne. La communion est mise
dans la bouche après l'immersion du morceau de pain dans le vin
- le geste répété par prêtre pour chaque
fidèle communiant. La pratique arménienne n'ajoute pas
non plus d'eau au vin, car d'après tradition arménienne,
le sang versé du côté du Seigneur symbolise le sacrement
de communion, et l'eau - le sacrement du Baptême.
79 Pareille exigence n'a pas de sens en l'occurrence : le fait de "
tenir le peuple " dans le narthex n'a jamais correspondu à
une pratique répandue dans l'Eglise arménienne. Seuls
les pénitents doivent s'y tenir après la liturgie de la
Parole. Du point de vue architectural, les églises arméniennes
sont toujours de petite taille : de ce fait, les narthex sont tout petits,
souvent situés à l'extérieur de l'église.
Supposer que le peuple arménien se tenait dans le narthex signifie
que la plus grande partie du peuple serait restée en dehors de
l'église pendant la célébration - ce qui ne correspond
pas à la pratique arménienne. Il s'agit probablement ici
d'une illustration de l'inexactitude chronique des sources utilisées
de part et d'autre dans les controverses christologiques et ecclésiales
de l'époque.
80 E. PETROSSIAN, Armianskaya Apostolskaya Ceiamaia Tserkov, p. 136.
81 Karekine Ier, catholicos de tous les Arméniens, p. 113.
82 Pour les deux schémas christologiques, voir A. GRILLMEIER,
Le Christ dans la tradition chrétienne, t. 1, Le Cerf, 1973,
p. 205-217 ; MEYENDORFF, Initiation à la théologie des
Pères (recueil de cours des années 1979-81), RBR, 1982,
p. 249 (en russe) ; Histoire des dogmes, sous la direction de B. SESBOUE,
Desclée, 1994, t. 1 p. 371-372.
83 Histoire des dogmes, sous la direction de B. Sesboué, t. 1,
p. 371-372.
84 Ibid., p. 115-116.
85 Ibid., p. 371-372.
86 Saint CYRILLE D'ALEXANDRIE, Seconde lettre à Nestorius dans
Les conciles cuméniques J.-C. LARCHET, p. 8., sous la direction
de G. ALBERIGO, II-1, Cerf, 1994, p. 107.
87 J.-C. LARCHET, p. 8.
88 Ibid., p. 90-91.
89 Ibid.
90 Ce fait historique a une certaine valeur symbolique : au moment où
l'Eglise impériale était préoccupée par
les problèmes doctrinaux, l'Eglise arménienne protégeait
l'existence même du christianisme. Cela sera son sort tout au
long d'histoire : d'abord contre les Perses, puis contre les Arabes
et plus tard, contre les Turcs.
91 Il s'agit principalement de certains théologiens protestants
et catholiques ; voir MEYENDORFF, Initiation à la théologie
des Pères (recueil de cours des années 1979-81), p. 252-53
(en russe).
92 L'Eglise arménienne reconnaîtrait l'orthodoxie de la
christologie chalcédonienne sans la faire sienne et sans réception
plénière des décisions des IVe, Ve, VIe et VIIe
conciles, du fait qu'elle n'y a pas pris part et que les problèmes
discutés à ces conciles lui furent largement étrangers.
Les Eglises orthodoxes byzantine, pour leur part, reconnaîtraient
l'orthodoxie de la christologie arménienne sans la faire sienne.
93 Extrait de l'Exposé de la foi de l'Eglise arménienne
de saint Nersès le Gracieux, cité dans Karekine Ier, catholicos
de tous les Arméniens, p.115.
http://www.eglise-armenienne.com/Articles/Dogmatique/Christologie/Christologie_union.htm