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INITIATION AU MONACHISME
DES PREMIERS SIÈCLES CHRÉTIENS

Égypte et Palestine

par Soeur Véronique DUPONT, osb, Venière
 

CHAPITRE IX

 

PACHOME

ET LE CENOBITISME PACHOMIEN

1. VIE DE SAINT PACHOME

Pachôme, nom égyptien qui signifie "le faucon du roi", est né vers 292-294 à Sheh, ville égyptienne située sur la rive gauche du Nil au sud de Thèbes. Sa famille, assez fortunée, est d’origine paysanne. Pachôme a un frère aîné, Jean, et une soeur cadette Marie (tous deux le rejoindront plus tard dans la vie monastique; avec Marie, nous aurons le premier monastère cénobitique féminin).

Pachôme apprend à lire et à écrire. Lorsqu’il sera adulte, il apprendra le grec. A vingt ans il est engagé de force dans l’armée impériale et placé sur un bateau qui descendait le cours du Nil. A Thèbes des chrétiens compatissants prennent soin de ces malheureux soldats. Ces chrétiens sont si bons que Pachôme fait le voeu qu’après sa libération il s’engagera au service des hommes et accomplira la volonté de Dieu "en tous temps".

A Antinoë, c’est-à-dire plus loin sur le Nil, presque à mi-chemin entre Thèbes et Alexandrie, les recrues sont relâchées. Pachôme s’établit alors dans un temple désaffecté à Senest et se met au service des plus pauvres. Après un bref catéchuménat, il reçoit le baptême et est initié aux Saints Mystères. Quelques mois plus tard, il entend l’appel pressant à la vie monastique et va rencontrer un très vénérable ermite : Palamon. Palamon dresse alors un tableau très noir des austérités très dures qui attendent le postulant. Mais Pachôme, malgré cette vie sévère, maintient sa demande. Il est admis et va vivre sept ans en anachorète auprès de Palamon. Une grande intimité spirituelle s’établit entre les deux hommes; zèle humble et ardent dans l’imitation du Seigneur. Une petite histoire illustre cela : Un jour, Pachôme ramassait du bois dans la vallée des acacias et se blessa aux pieds avec les épines. Il supporta cette souffrance en pensant "aux clous dans les pieds et les mains du sauveur en croix".

Peu à peu, Pachôme acquiert une grande endurance et passe des nuits entières en prière, dans les tombeaux, c’est-à-dire dans le propre domaine des démons. Au bout de sept années (ce nombre sept est symbolique, bien sûr, comme les sept années précédentes), dans une vision, Pachôme reçoit l’appel à "servir les hommes pour les réconcilier avec Dieu", à se retirer dans la ville abandonnée de Tabennesi et à y bâtir un monastère pour de nombreux moines. Pachôme s’en ouvre à Palamon qui l’aide à discerner la volonté de Dieu et qui l’accompagne à Tabennesi où il collabore à l’édification de la cellule de son disciple. Peu après, Palamon tombe gravement malade dans son ermitage. Pachôme se rend auprès de lui et le soigne jusqu’à sa mort puis revient à Tabennesi. Son jeune frère le rejoint alors. Quelques disciples se joignent à eux. Une communauté est ainsi constituée. Toutefois, cette première communauté va échouer à la suite de tensions entre Pachôme et Jean (Jean préférant une vie plutôt anachorétique que cénobitique), et avec les disciples qui s’avèrent être assez égoïstes.. A l’avenir Pachôme sera plus prudent et soumettra les postulants à une épreuve radicale dès leur arrivée : accepter de renoncer à sa famille et à ses biens pour suivre le Sauveur. Puis il leur propose de mener la vie commune : koïnobion (c’est la première fois que ce terme apparaît dans la littérature monastique). Chacun sera au service des autres. S’inspirant de l’Ecriture, Pachôme établit un mode de vie en communauté et des traditions qui vont assurer l’égalité dans le vêtement, la nourriture et le sommeil. La renommée de cette fondation se répand rapidement dans toute l’Egypte. Mais, vous le devinez, les postulants ne sont pas tous à la hauteur de l’idéal pachômien, et il va falloir renvoyer cinquante moines d’un coup, par exemple, à cause de leurs "sentiments charnels". Néanmoins, la fondation se développe et le village lui-même de Tabennesi reprend vie, si bien que Pachôme fait construire une église pour les habitants. C’est là qu’il se rend avec ses moines chaque samedi, tandis que le dimanche, les clercs du village viennent au monastère, lui-même n’étant pas prêtre. Tout cela se passe vers 323-325, il a alors une trentaine d’années. Sept ans plus tard (ce nombre ponctue la vie de Pachôme), lorsqu’Athanase, l’évêque d’Alexandrie, entreprend une visite pastorale dans la région, l’évêque local l’invite à ordonner Pachôme prêtre, mais celui-ci refuse. Athanase respecte ce refus.

Les postulants continuant à affluer, on envisage une et même plusieurs fondations; ainsi naissent : Pbwo, Seneset, Thmousons, Tse, Smin, Thbeou, Tsmine et enfin Phnoum (la patrie de Pachôme).

La soeur de Pachôme, Marie, venue le rejoindre, désire embrasser la vie monastique cénobitique. Pachôme fonde pour elle un monastère à Tabennesi dont Marie sera la supérieure, puis une seconde fondation féminine se fait à Tsmine, cette vie cénobitique ayant vite des adeptes.

Au début de l’année 346, la peste se répand dans les monastères de Thébaïde; de nombreux moines en meurent. Pachôme lui-même est atteint par l’épidémie et meurt en se signant le 9 mai 346. Son dernier désir est que sa tombe demeure inconnue. Désir respecté jusqu’à ce jour!

2. LA VIE MONASTIQUE DANS LES MONASTERES PACHOMIENS

Saint Pachôme a fondé le premier monastère cénobitique; comment celui-ci était-il organisé?

2.1. L’architecture

A la différence de la vie anachorétique, le monastère pachômien est unifié, et cette unité intérieure se manifeste aussi par l’architecture. Le plan général du monastère n’est, du reste, pas sans rappeler les camps militaires que Pachôme a connus. On y trouve :

. Un vrai mur de clôture, à l’intérieur duquel se situe le village monastique, car il s’agit bien d’un véritable village.

. Une unique porte, qui permet d’entrer dans le monastère. C’est par elle que se fait toute communication avec l’extérieur.

. Au centre du village : l’église, la cuisine, le réfectoire et l’infirmerie.

. Tout autour, un grand nombre de maisons, chacune habitée par trente à quarante moines. Plusieurs maisons forment une famille. Chaque maison a un Supérieur à sa tête, assisté d’un second, et les moines y sont groupés par corps de métier, par exemple : tous les boulangers sont dans la même maison. Notons que chaque moine a une cellule individuelle. On ne travaille pas dans sa cellule, on y prie; on tresse à l’oratoire.

. A la tête du monastère se trouve un Supérieur, aidé d’un assistant qui veille sur les chefs de maisons. Et à la tête de tous les monastères : un Père (Pachôme, puis son successeur).

2.2. Le travail

Le travail a une place importante dans la vie de la communauté ; prescrit par la Règle et contrôlé par le supérieur, il est l’un des principes constitutifs de l’organisation cénobitique. Il est conçu d’une manière différente des anachorètes. En effet, on y a davantage le principe de rendement et d’organisation.

Quels métiers trouve-t-on? Les métiers indispensables à la vie en clôture, à l’intérieur du mur d’enceinte, de manière à éviter que les moines ne se répandent au dehors. On rencontrera donc des maisons de boulangers, tisserands, jardiniers, fouleurs, cordonniers, pêcheurs (car les monastères pachômiens sont proches du Nil).

2.3. Le nombre de moines

Saint Jérôme, qui exagère, comme toujours!, parle de 5.000 moines. Sans aller jusqu’à ce nombre symbolique, on sait que chaque monastère était constitué de plusieurs centaines de moines. Tous les monastères, de moines comme de moniales, constituaient "la grande famille", un "ordre", dont chaque membre est appelé Tabénnésiote (parce que le premier monastère est fondé à Tabennèse). L’Abba, le Père, Pachôme, tient solidement tout en main; autrement dit il s’agit d’un gouvernement centralisé. Les membres de la communauté s’appellent "frère".

Deux fois par an, à Pâques et en août, a lieu le chapitre général. Tous les moines s’y rendent. Cette réunion a lieu à Pbow,second monastère pachômien, dans lequel réside Pachôme et qui deviendra vite le lieu de la direction centrale. Pbow est également le centre économique de tout l’ordre; c’est la cellererie et l’administration. Là, chaque monastère envoie ses comptes en fin d’année, là se font les achats de matières premières, etc... C’est aussi de là que l’on vend ce qui a été fabriqué par les cénobites.

2.4. Les écrits pachômiens

Pachôme n’a pas écrit de règle. Néanmoins les Vies de Pachôme parlent de "préceptes" ou de règlements qu’il donna à ses disciples. Quatre préceptes transmis oralement furent très vite transcrits. On peut remarquer quatre étapes de ce que l’on va appeler la Règle de Pachôme (les Préceptes). Toutes ces étapes ne viennent pas de Pachôme lui-même.

[Les études récentes et actuelles des Ecrits pachômiens ont remis en question d’une manière assez fondamentale ce qui avait été publié auparavant, aussi nous ne développerons pas ici, volontairement, la question de la Règle Pachômienne. Il convient en effet, d’attendre quelques années pour exprimer quelque chose de synthétique à ce sujet].

De Pachôme lui-même, nous disposons des textes suivants :

. Catéchèse à propos d’un moine rancunier.

. Catéchèse sur les six jours de la Pâque.

. Onze lettres..

Sources pour connaître Pachôme et sa spiritualité :

. Des Vies de Pachôme et de ses premiers successeurs.

. Des textes qui sont devenus "la règle de saint Pachôme".

. Une série de textes soit de Pachôme, soit de ses successeurs, et dont le plus important est le Livre d’Horsièse.

3. LA SUCCESSION DE SAINT PACHOME

Ce ne fut pas une succession facile! Les Anciens de la congrégation, bien avant la mort de Pachôme, avaient choisi Théodore comme successeur, mais ce Théodore ne fut pas choisi par Pachôme qui, sur son lit de mort, nomma Patronios comme Père de la koïnonia. Or Patronios meurt quelques mois plus tard et, sur son lit de mort, il ne nomme pas Théodore mais Horsièse.

Grand spirituel et grand pasteur, Horsièse réussit à se faire accepter même des Anciens et il va gouverner la koïnonia pendant près de cinq ans, malgré et avec la présence de Théodore, ce qui ne fut pas de tout repos. A un moment, les Anciens se sont même révoltés parce que Théodore n’avait pas un poste assez élevé. Finalement, Horsièse, homme profondément humble et n’ayant à coeur que l’unité de la congrégation, s’apercevant qu’il ne pouvait plus la maintenir, se retira et donna aux frères comme supérieur : Théodore.

Sous le gouvernement de Théodore, l’unité se refait, mais les communautés se développent peu : deux fondations masculines, une féminine, en dix-huit ans. Ce fut aussi le temps d’un accroissement économique de la communauté. Puis survient une épidémie de peste qui emporte tous les Anciens! Théodore se retrouve de ce fait assez isolé; il a l’humilité, sinon de démissionner, au moins d’aller chercher Horsièse pour partager avec lui la responsabilité pastorale. Puis Théodore meurt; Horsièse se retrouve seul supérieur et se montre un excellent pasteur pendant environ dix ans. La koïnonia connaît une grande extension pendant cette période.

4. LA SPIRITUALITE PACHOMIENNE

4.1. La Parole de Dieu

L’Ecriture sainte est au centre de la vie du moine qui doit l’apprendre par coeur afin de pouvoir la réciter au long de ses journées, et ceci dès son arrivée au monastère. Le moine doit s’efforcer de la comprendre et d’en faire l’inspiration de sa vie car elle est sa règle. Elle lui est constamment commentée par ses supérieurs hiérarchiques. Après avoir écouté leur catéchèse, il partage avec ses frères ce qu’il en a retenu, puis il entre dans sa cellule pour la méditer. Les frères se réunissent matin et soir pour réciter par coeur, ou écouter un frère réciter, la Parole de Dieu et s’en laisser imprégner.

"La petite lumière qui guide les frères, c’est l’Evangile, vérité divine".

4.2. L’union à Dieu

Toute la vie du moine est centrée sur l’union à Dieu dans la prière. Cette union prend surtout la forme d’une récitation constante de l’Ecriture. Elle ne peut se réaliser sans renoncement à tout ce qui n’est pas Dieu : renoncement au péché, au monde, à la famille, à la volonté propre. Et tous ces renoncements constituent l’essence de la vie monastique pachômienne.

L’important, pour Pachôme, ce n’est pas d’abord l’expérience sensible (par les sens spirituels) de Dieu, mais la foi et une vie conforme à l’Evangile. Ceci explique que l’on ne parle guère de contemplation dans la spiritualité pachômienne. Le moine est un combattant.

" Toute la vie du chrétien et celle du moine est un combat contre le péché qui, par la porte des sens, pénètre dans l’homme".

4.3. La conversion et le combat spirituel

On vient au monastère pour se convertir. Aucun pécheur ne se voit fermer la porte du monastère s’il est disposé à se convertir. Mais quiconque ne veut plus faire d’effort de conversion n’a plus de place dans la koïnonia.

Ceci implique la vigilance (la nepsis) appelée aussi la sobriété dans la tradition monastique. A l’opposé de cette attitude de veille, se trouve la négligence.

Pachôme considère l’âme comme un champ où tous les fruits de l’Esprit de Dieu ont été semés lors du baptême et le démon est toujours à l’affût pour mettre ses fruits à la place. Même si le moine mène une vie d’extrême ascèse, s’il se néglige sur un point, il ouvre la porte au démon qui a alors libre cours.

4.4. La sainte koïnonia

"Un seul coeur avec ton frère" dit Pachôme. Les frères doivent se considérer comme responsables les uns des autres et responsables de l’esprit de la communauté, sous la direction des supérieurs. On se sert les uns les autres dans d’humbles tâches. On se sert avec simplicité. Le partage des biens est intégral. Chacun reçoit selon ses besoins, les malades faisant l’objet d’une attention plus grande encore.

La communion fraternelle se vit dans la prière certes, mais aussi dans les biens matériels et cela ne fait qu’un. En effet, à la réunion de fin d’année, qui est celle des comptes et du bilan matériel, on fait aussi une grande célébration du pardon mutuel. Les moines pachômiens sont convaincus que les liens tissés ici-bas se maintiendront dans le ciel où toute la famille monastique se trouvera réunie autour de son Père Pachôme, dans la gloire.

En tout cela vous trouvez la trace évidente d’une spiritualité monastique qui a fortement inspiré saint Benoît.

******

Avant de quitter tout à fait le cénobitisme pachômien, je dois vous parler d’un réformateur de la vie pachômienne; un réformateur exigeant et même dur, très dur envers les moines. C’est un exemple d’exagération de la vie pachômienne. Tout n’est pas "rose" dans l’histoire du monachisme... il y a parfois quelques épines dont celle-ci :

LA REFORME DE SCHENOUTE

Quelque part dans le désert égyptien se trouve - car il existe encore aujourd’hui - un monastère qui était dirigé par un certain Bgoul. Son neveu, Schénouté (348-466), entré au monastère à l’âge de neuf ans lui succède comme supérieur. Ce dernier fera bâtir une grande église - qui existe encore aujourd’hui - avec des blocs de calcaire enduits de chaux, d’où son nom de couvent blanc.

Schénouté, abbé, avait un tempérament autoritaire, passionné et violent et avait le sentiment de sa supériorité. Il se sentait même animé d’un souffle prophétique, et cette double conviction lui donnait un grand ascendant sur les chrétiens et les clercs de la région, dont beaucoup l’avaient pris comme directeur de conscience. Schénouté devint ainsi très populaire à l’extérieur parce qu’il était très accueillant aux visiteurs, donnait du travail aux chômeurs et savait profiter de ses relations avec les grands de ce monde pour rendre justice aux pauvres et aux petits. Il ouvre l’église du monastère aux fidèles et clercs de l’extérieur qui viennent ainsi participer, en grand nombre, à la synaxe du samedi soir et à l’eucharistie du dimanche. Mais, dans sa communauté, il est très impopulaire. Chicanier, réglant l’observance dans les moindres détails, il provoque par son attitude une insubordination permanente chez ses moines.

Schénouté trouve la règle de Pachôme trop douce; il en renforce donc l’austérité en y ajoutant des prières, accentuant le jeûne (un seul repas par jour, pour tout le monde; jamais de fromages, oeufs, poissons). Il introduit une promesse solennelle d’obéissance à sa personne... pour lier les moines à l’observance qu’il impose.

A travers cette réforme, vous constatez comment le rigorisme, la dureté violente dans le gouvernement, dans "l’exercice de l’autorité", s’opposent à la discrétion et à la charité de saint Pachôme.

 
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