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INITIATION AU MONACHISME
DES PREMIERS SIÈCLES CHRÉTIENS

Égypte et Palestine

par Soeur Véronique DUPONT, osb, Venière
 

CHAPITRE VII

 

BREVE SYNTHESE

DE LA

SPIRITUALITE DES PERES DU DESERT

1. LA CONCEPTION DU DESERT CHEZ LES MOINES D’EGYPTE

Pour bien comprendre la théologie spirituelle des Pères du désert d’Egypte, il convient d’entrer dans la signification du désert pour les égyptiens.

Dans la philosophie et la spiritualité grecques, le thème du désert est considéré comme étant par excellence l’endroit où l’homme jouit du calme; en effet, on joue sur les mots grecs eremios, eremia qui veut dire : désert, et eremia qui signifie : calme, tranquillité. Nous allons retrouver cela, après Philon et sous son influence, dans toute une lignée d’auteurs chrétiens, entre autres lorsqu’ils parlent de la solitude de Jean-Baptiste, ce prototype des anachorètes. Par exemple, chez Clément d’Alexandrie : "Dans le désert, Jean-Baptiste jouissait de la vie calme et de la solitude", ou chez Origène : "Jean-Baptiste fuyant le tumulte des villes, s’en alla au désert où l’air est plus pur, le ciel plus ouvert et Dieu plus familier", ou chez Méthode d’Olympe qui, dans Le Banquet, évoque le désert comme "un endroit où aucun mal ne peut pousser, où tout genre de corruption est stérilisé, zone d’accès difficile pour la foule". Ainsi, le désert va apparaître comme l’endroit par excellence où se retirera le sage pour méditer loin de la foule, de la corruption et du bruit des villes. Saint Jérôme va aussi idéaliser - et lui de manière très exagérée - le désert où il n’arrivera d’ailleurs pas à vivre. Mais ce n’est pas ainsi qu’il convient de se représenter, dans sa réalité, le désert des moines d’Egypte.

Les égyptiens, hommes du terroir, paysans de la vallée du Nil ou du delta de ce même fleuve, ont en effet une toute autre conception du désert. Le contraste, en Egypte, est très violent entre la terre cultivée sur une très étroite bande de terrain, de la vallée du Nil et les immenses zones désertiques. La vallée fertile est le domaine du dieu de la vie, Osiris, tandis que le désert, terre hostile, est le lieu du dieu malfaisant. Pour un égyptien, le désert est aussi le lieu des tombeaux et donc le domaine de la mort, dans lequel on va rencontrer des bandes de brigands, des nomades et des animaux dangereux (vipères à cornes, hyènes, chacals...) qui sont, pour les égyptiens chrétiens, de vrais démons. Mais je vous ai déjà parlé de cela lorsque nous avons étudié la vie de saint Antoine.. Le désert va être "fertilisé" par les moines; ils vont l’habiter par milliers et le désert devient une cité, avec des jardins.. Il n’est plus le désert, il sera dépeuplé de ses moines...

2. LE COMBAT DE L'ASCETE AU DESERT

Le combat de l’ascète au désert, contre le démon, évoque le récit de la tentation de Jésus (qui fut conduit au désert pour y être tenté par le diable) parce que c’est au désert que l’on peut rencontrer le diable et se mesurer avec lui.

Jésus remporte la victoire sur Satan et inaugure "publiquement" l’oeuvre rédemptrice. Dans cette perspective, le moine allant au désert lutter contre le démon et triompher de lui, reproduit, continue, d’une certaine manière, l’action rédemptrice. L’assimilation entre le Christ et lui est poussée très loin : le moine est un athlète qui va au désert pour affronter les démons, lutter avec eux "les yeux dans les yeux, à front découvert" comme l’écrit Cassien.

Les embûches du démon vont se présenter sous la forme de huit vices, écrivent Evagre puis Cassien. Ces huit vices se classent ainsi :

- Trois concernent le corps (ou les biens extérieurs) :

. La gourmandise (plutôt d’ailleurs la gloutonnerie : l’excès de boire et de manger)

. la luxure,

. l’avarice.

- Trois résident dans l’âme sensible :

. la colère,

. la tristesse,

. la paresse (ou le dégoût de la vie spirituelle, ou l’acédie).

- Deux sont très gros et difficilement déracinables :

. La vaine gloire,

. l’orgueil

l’orgueil de la chair attaque les commençants

. désobéissance

. jalousie

. critique

l’orgueil de l’esprit attaque les moines avancés

. présumer de ses forces

. mépriser la grâce.

Bien sûr, il ne faut pas attribuer aux démons toutes les difficultés! Il y a eu des exagérations. Cependant, les démons s’attaquaient effectivement aux moines de la manière suivante :

- par des tentations (action sur les sens intérieurs)

- par des obsessions (action sur les sens extérieurs)

- par des illusions (présentation subtile du mal sous l’apparence du bien).

Les armes du combat vont être :

- La prière, premier devoir du moine. La pensée de Dieu doit accompagner le moine partout. Bien sûr, il s’agit en tout premier lieu de la prière des psaumes. Jean Cassien montre les moines se relayant pour chanter les psaumes la nuit afin de ne pas être vaincus par les démons aux premiers temps du monachisme.

- Le travail, qui n’est pas séparé de la prière et remplit les heures de la journée car le moine vit du travail de ses mains.

. Le jeûne, excellent moyen d’asservir la chair à l’esprit, mais attention à la vaine gloire et à l’orgueil!

Les victoires :

Car le moine ainsi affermi remporte des victoires, il acquiert peu à peu la maîtrise de soi, la paix du coeur et entre dans la paix de Dieu. Au cours de ses luttes comme de ses victoires, il découvre et vit la contemplation de Dieu.

Le moine ne part pas au désert pour lutter contre le démon mais pour trouver Dieu et c’est bien parce qu’il cherche Dieu que les démons l’attaquent.

3. CHERCHER DIEU

Les moines d’Egypte restent très discrets sur leur vie intérieure. Le moine, comme son nom l’indique, recherche l’unité, l’unification, c’est-à-dire qu’il renonce à tout ce qui est source de division, de partage dans ses activités extérieures certes, mais surtout dans sa vie psychique. Cette exigence essentielle correspond à la fuite au désert. Autrement dit, dans le désert, le moine cherche l’hesychia. Ce mot, difficile à traduire, intraduisible... désigne la tranquillité, la solitude, l’état intérieur dans lequel on peut pratiquer sans distraction le souvenir de Dieu (vivre en présence de Dieu). L’invocation constante "Dieu, viens à mon aide..."tellement mise à l’honneur par Cassien, fait revenir le moine au souvenir constant de Dieu. C’est, pour nous occidentaux, l’inhabitation divine et pour les orientaux la déification. Cette vie avec Dieu peut conduire jusqu’à la transfiguration du corps et de l’âme, ce qui est arrivé à Arsène, au sujet duquel je vous rapporterai l’apophtegme suivant :

Un jour un frère se rendit à la cellule d’Arsène. Mais avant d’entrer, il se tint un moment devant la porte et il aperçut le Vieillard comme entièrement revêtu de feu. Quand celui-ci vint l’accueillir, il le vit fortement ému et lui demanda aussitôt s’il avait vu quelque chose, à quoi le frère répondit qu’il n’avait rien vu, voulant respecter, au prix d’un pieux mensonge, le secret du Veillard.

Certains ont des extases, mais ne consentent pas volontiers à dire ce qu’ils ont vu : c’est leur vie intime, personnelle, avec le Seigneur. Ils ont une grande pudeur à la laisser entrevoir; ils le feront toutefois, s’ils jugent que cela peut être utile à leurs frères. Mais relatons présentement un épisode de la vie de Sylvanos qui dira cela mieux que des explications.

Un jour le disciple de Sylvanos, Zaccharias, entrant dans la cellule, trouva Sylvanos en extase, les mains tendues vers le ciel. Il referma la porte et sortit. Il revint à la sixième heure, puis à la neuvième heure (l’heure du repas!...) et le trouva de même. A la dixième heure, il revint et cette fois-ci, il le trouva assis. Il lui dit :’Qu’as-tu aujourd’hui, Père?’ lL vieillard lui répondit : ‘J’ai été malade mon fils’. Mais le frère lui saisit les pieds et lui dit : ‘je ne te lâcherai pas que tu ne m’aies dit ce que tu as vu’. Alors le Vieillard dit : ‘J’ai été ravi au ciel et j’ai vu la gloire de Dieu; je me suis tenu là jusqu’à présent, et me voici maintenant congédié’.

Mais ce que voient les moines dans leurs visions ce sont... des attributs de Dieu, car "nul ne peut voir Dieu sans mourir".

Ces visions nous laissent entrevoir la pureté du coeur des Anciens. Libérés de leurs passions, ils "parviennent" à la prière pure dont la vision est la pure lumière. Vous retrouvez là notre ami Evagre. Quelle est cette lumière? C’est la lumière sans forme, la lumière de la Trinité, la lumière "du lieu de Dieu", et ce lieu de Dieu c’est l’intime du coeur (le coeur au sens de centre de l’être, pas à celui de tout l’affectif), c’est l’intellect lui-même revêtu de la lumière qui est celle même de Dieu, qui est Dieu même car "Dieu est lumière". En son essence, Dieu est lumière et c’est cette lumière qui imprègne le lieu de Dieu. Ce que le moine voit, dans l’état de la prière pure, c’est le reflet lumineux de Dieu sur lui.

Nous sommes là au point le plus élevé de la vision mystique chez les moines d’Orient. Et souvenons-nous que dans leur quête de Dieu, les moines ont toujours dans le coeur le grand désir de la sixième béatitude : "Bienheureux les coeurs purs car ils verront Dieu", et que la vision de Dieu leur sera donnée à l’heure de leur mort, à l’heure de leur Pâque.

Nous atteignons là un sommet spirituel. Sa présentation n’est pas faite pour nous décourager, loin de là. Ce don de Dieu est très marquant d’une période fondatrice unique dans laquelle la suite de la spiritualité monastique a sa racine. Ce sommet est un don tout gratuit de Dieu.

 
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