SAINT ANTOINE LE GRAND
Au milieu du IIIe siècle, pendant la
persécution de Dèce, certains chrétiens se sont réfugiés au désert
pour échapper aux tortures et à la mort. D’après saint Jérôme Paul
l’ermite fut l’un d’eux. Il fuit au désert pour sauver sa vie,
puis y reste par vertu. Mais la plupart des fugitifs regagnent leurs
villages après la persécution.
A cette époque l’Egypte se convertit
en masse. Les chrétiens égyptiens - les coptes (ce mot veut dire "égyptiens")
- n’ont pas trop peur du désert et ils sont même attirés par lui :
ils en sont voisins, le désert fait partie de leur pays. De plus,
et surtout, ils se souviennent que : - Dieu a mené son peuple au désert
pour le faire entrer ensuite dans la Terre Promise : le désert est
un passage obligé de la vie chrétienne.
- Jean-Baptiste a vécu au désert.
- Jésus aussi a connu le désert.
Mais aussi le désert impressionne, si
bien que des chrétiens fervents décident de rester célibataires pour
le Seigneur et de mener une vie chrétienne ascétique aux abords
de leur famille, un peu en marge, aux confins de leurs villages, c’est-à-dire
aux confins du désert.
Ainsi, à la fin du IIIe siècle y avait-il
tout au long de la vallée du Nil et des bras du delta des ermites
qui vivaient soit dans des grottes aux flancs des falaises qui surplombent
le fleuve, soit dans des cabanes construites à proximité. Ceux qui
y vivaient depuis un certain temps voyaient arriver auprès d’eux un
plus jeune chrétien qui venait s’initier à cette vie solitaire, passait
là deux à trois ans puis partait à son tour s’installer aux abords
de son village. Parmi eux, le plus illustre de tous fut ANTOINE.
La Vie de saint Antoine, écrite
par saint Athanase, est l’un des textes fondateurs du monachisme.
Plus qu’une simple biographie, c’est un texte très profond sur la
vie spirituelle. Nous allons en étudier quelques passages, mais je
vais d’abord tenter de vous raconter la vie de saint Antoine, pour
que vous puissiez situer ce grand moine. Puis je vous dirai un mot
de saint Athanase, auteur de ce texte que nous étudierons ensuite
plus à fond.
1. BIOGRAPHIE
DE SAINT ANTOINE
Antoine naît à Quenan (l’actuelle Memphis),
en 251. Il appartient à une famille chrétienne aisée. Orphelin de
bonne heure, il gère les affaires familiales et s’occupe aussi de
l’éducation de sa jeune soeur. Il entre un jour dans une église -
il a 18-20 ans - et entend proclamer la Parole de Jésus : "Si tu
veux être parfait, va, vends tout ce que tu as, donne-le aux pauvres,
puis viens, suis-moi ". Antoine prend pour lui cette Parole; il
vend ses terres aux gens du village et en donne le produit aux pauvres,
sauf une petite réserve pour sa soeur dont il a la charge. Il rejoint
un Ancien qui mène la vie solitaire à la limite du bourg voisin. Antoine
s’initie de la sorte à la vie ascétique : il prie, lit l’Ecriture
Sainte et travaille.
Après ce temps en situation de disciple,
Antoine part plus à l’écart et s’installe dans un tombeau creusé à
flanc de montagne. Il est très éprouvé par le démon, nous en reparlerons.
Quelques années plus tard il s’enfonce
davantage dans le désert et va vivre en reclus, (isolé, sans contact
avec le monde extérieur) pendant vingt ans en s’enfermant dans un
fort désaffecté, tout rempli de serpents... qui fuient à son approche.
Et pourtant, là, quelques ascètes le rejoignent et vont devenir ses
disciples. Ils vivent dans les environs du fort, chacun dans une grotte,
un tombeau, une "cellule". On va appeler cela monastère : cellule
habitée par un ascète solitaire.
Antoine, après ces vingt années, sort
de sa retraite. Beaucoup de malades sont guéris à sa prière (guérisons
physiques aussi bien que morales). Antoine enseigne aussi ses moines.
Nous allons voir comment il leur apprend surtout le combat spirituel,
la lutte, le discernement des esprits.
Lorsque l’Eglise copte est fortement
persécutée, comme les autres Eglises de l’empire romain, par l’empereur
Maximilien Daïa, en 311, Antoine se rend à Alexandrie soutenir les
confesseurs dans les prisons et aux mines.
Antoine retourne dans son désert, qui
devient peuplé d’ermites! Les foules viennent également de plus en
plus à lui, aussi décide-t-il de s’enfoncer davantage dans le désert,
du côté de la Mer Rouge. Il marche trois jours et trois nuits, jusqu’au
pied du mont Quolzum, où il trouve une source et un palmier. Il va
vivre là en grand solitaire. Nous sommes à peu près en 312, Antoine
a soixante ans. Il demeure en ce lieu avec deux ermites devenus ses
fils très chers : Amoun et Macaire, dont je vous reparlerai. Il va
rester dans cette grande retraite jusqu’à la fin de ses jours. Il
n’en sortira en effet que deux fois : la première pour visiter sa
colonie d’ermites, la seconde pour se rendre, quelques mois avant
sa mort, à Alexandrie pour y combattre les ariens.
Antoine meurt à cent cinq ans, le 17
janvier 356. "Antoine fait route vers la patrie céleste..."
2. LA "VIE DE SAINT
ANTOINE"
Maintenant que vous avez un aperçu de
la biographie d’Antoine, je voudrais vous faire entrer dans un joyau
monastique : La Vie d’Antoine écrite par saint Athanase.
Saint Athanase, évêque d’Alexandrie,
"le pilier de l’église" comme dira de lui saint Grégoire de Nazianze,
fut découvert au concile de Nicée (325), où, diacre, il accompagnait
son évêque Alexandre d’Alexandrie. Athanase est un théologien éminent.
Pour sa foi chrétienne, pour son expression théologique, pour son
combat de l’hérésie arienne, il sera persécuté et sur les quarante-sept
années de son épiscopat, il en passera quinze en exil (plusieurs exils).
Pendant deux de ces exils (350-355 et 362-363), Athanase part dans
le désert d’Egypte. Là il fait connaissance d’Antoine avec lequel
il se lie d’amitié spirituelle au point qu’en mourant Antoine demandera
que l’on remette à Athanase une mélote (il en avait deux) et son manteau
: "Il me l’a donné neuf, je l’ai usé".
Pour bien comprendre La Vie d’Antoine,
il convient de la lire à deux niveaux, sur deux registres, si l’on
peut dire. En effet, Athanase, qui a personnellement bien connu Antoine,
présente certes, la vie, la biographie de ce dernier, une vie teintée
de merveilleux mais non moins réelle et historique, mais surtout il
veut exposer l’évolution de la vie intérieure de son héros. L’évêque
d’Alexandrie se propose de faire connaître ce mode monastique de vie
chrétienne afin d’inciter ses lecteurs à entrer dans cet idéal de
perfection chrétienne vécu par Antoine. Autrement dit, pour bien comprendre
cette "Vie", il est nécessaire d’en saisir la symbolique et de percevoir
à travers elle la profondeur des conversions successives qui vont
conduire Antoine jusqu’à la plénitude de la vie dans l’Esprit.
Athanase décrit la vie d’Antoine comme
un itinéraire spirituel conduisant de la conversion à la divinisation,
la vie dans l’intimité trinitaire. Antoine, créé à l’image de Dieu,
est parvenu par la vie anachorétique, jusqu’à la ressemblance avec
son Seigneur. La dynamique de cette vie apparaît tout au long du texte.
Antoine chemine, marche, court... vers le Seigneur.
La première ascèse d’Antoine
commence devant sa maison. Il se retire ensuite aux abords de son
village, devenant disciple d’un sage. Ce premier effort ascétique
consiste à "être attentif à lui-même" et "s’astreindre à une rude
discipline", ayant quitté ses biens matériels et affectifs (sa soeur).
Peu à peu sa conscience s’affine sous le regard de Dieu qui oeuvre
en lui : "Antoine... ne se souvenait pas du temps passé, mais jour
après jour, comme s’il débutait dans l’ascèse, il s’efforçait davantage
au progrès, se répétant continuellement le mot de saint Paul : "Oubliant
ce qui est derrière moi, et me portant de tout moi-même vers ce qui
est en avant, je cours droit au but" (Phil. 3,8).
Il s’éloigne alors de son village et
s’enferme dans un tombeau pour demeurer seul avec Dieu seul
: "Il ferma la porte sur lui". Il résiste aux démons qui l’assaillent
par le signe de la Croix et l’invocation du nom de Jésus. "Rien
ne me séparera de l’amour du Christ".
Toutes les descriptions des démons données
par Athanase traduisent en images la théologie de la foi victorieuse
dans le Christ qui, seul, remporte en nous la victoire.
Sorti victorieux avec et par le Christ
de ses premiers combats ascétiques, Antoine quitte le tombeau pour
aller plus avant dans le désert : "Il s’élança vers la montagne"
et s’enferme dans un fort. Ceci est à lire au sens géographique, littéral,
certes, mais aussi et surtout, par ce terme, Athanase exprime qu’Antoine
quitte la terre et s’élève vers le ciel, le paradis, en gravissant
la montagne. Autrement dit, le combat d’Antoine s’approfondit; il
ne s’agit plus pour lui de se libérer des sens mais des
pensées. Ceci explique la place que prend, à cet endroit, le
"discours" d’Antoine (chapitres 16 à 48) qui donne les règles du discernement
des esprits. En effet, la sainteté d’Antoine rayonne dans le désert
et lui attire des disciples : Antoine devient mystagogue, maître
de vie et de doctrine.
Ce discours d’Antoine est éminemment
profond, spirituel, en même temps que très concret. C’est un bon "carnet
de route" pour le moine, tant pour le moine débutant, en ce sens qu’il
lui est montré la route à suivre : celle de l’ascèse et de la pureté
du cœur, afin de parvenir à la patrie céleste; il lui est aussi montré
les embûches qu’il rencontrera, ainsi que les armes à prendre pour
les vaincre, que pour le moine expérimenté et déjà "en route", afin
qu’il ne s’arrête; afin de lui rappeler aussi quel est le bon combat
et quelles sont les subtilités du démon, subtilités qui augmentent
au fur et à mesure que le moine grandit en Dieu, et qui sont cependant
toujours le signe de la faiblesse du démon.
Mais désirant vivre une solitude plus
grande, Antoine décide de partir vers le désert intérieur. Il parvient
ainsi à la montagne intérieure. Les renseignements indiqués
par l’auteur sont toujours à lire à deux niveaux. En effet, la symbolique
biblique est ici extrêmement importante : une marche de trois jours
et trois nuits, une très haute montagne, au pied de laquelle coule
une eau limpide, etc... Nous sommes là en plein mystère pascal. Antoine
reçoit la vie nouvelle et retrouve ainsi l’état originel. Le fleuve,
les palmiers, l’eau en abondance, la domination sur les bêtes sauvages,
tous ces thèmes fréquents de la littérature monastique ne sont-ils
pas des allusions au baptême et au paradis?
Antoine vivra quarante-quatre ans, c’est-à-dire
jusqu’à sa mort dans ce désert intérieur, tout tendu vers le seul
désir de Dieu. Purifié par le combat et par sa confiance absolue et
unique dans le Nom de Jésus (c’est-à-dire dans la personne même du
Sauveur), Antoine devient thaumaturge. Il atteint une telle plénitude
de vie intérieure, de communion, de divinisation, qu’il n’est plus
gêné par les êtres. Il demeure en solitude profonde aussi bien au
milieu d’une foule venue implorer son intercession que dans le désert
le plus reculé. Il est désormais citoyen du ciel. Il atteint la plénitude
en Dieu, voyant le monde, toute chose, tout être, dans une totale
charité. Il n’aime plus à la façon terrestre, mais d’une manière totalement
évangélique. Il est prêt pour sa pâque, qu’il vit, en 356, comme un
heureux rapatriement : "Et maintenant Antoine fait route, il n’est
plus avec vous"… Antoine rentre chez lui, dans la demeure de son
Père.
Un grand DISCOURS occupe la partie
centrale de La vie d’Antoine. Ses destinataires sont des anachorètes
venus demander à leur Père de leur adresser une Parole. Antoine leur
propose alors le fondement de la vie érémitique, sous une forme très
concrète : il leur donne un véritable "code de la route" de la vie
monastique, le plus sûr moyen d’arriver tout droit dans la patrie
céleste.
Nous ne pouvons étudier entièrement
tout ce discours, mais je voudrais en aborder avec vous certains aspects,
les thèmes majeurs.
a) Le thème de la durée comme enracinement
de la stabilité
Le premier effort à faire, nous dit
Antoine, c’est de durer:
"Que notre effort commun soit
d’abord de ne pas abandonner ce que nous avons entrepris, de ne pas
nous décourager dans ce labeur, de ne pas nous dire : il y a longtemps
que dure notre ascèse. Au contraire, comme si nous commencions, augmentons
chaque jour notre zèle".
"Aujourd’hui je commence avec entrain".
Antoine montre que tout ce qui est de
la terre, terrestre, est peu de choses, aussi il est bon de la quitter.
Cette terre est toute petite, à côté du ciel :
"Donc mes enfants, ne nous lassons
pas, ne pensons pas que le temps soit long ou que nous fassions chose
grande. Les souffrances du temps présent sont sans proportion avec
la gloire à venir qui sera manifestée en nous. Ne croyons pas, en
regardant le monde, que nous avons renoncé à de grandes choses. Toute
la terre est bien petite à côté du ciel. Si donc nous possédions la
terre entière et y renoncions entièrement, cela ne serait pas digne
du royaume des cieux. Comme si l’on méprisait une drachme pour en
gagner cent, ainsi le maître de toute la terre, y renonçant, quitterait
peu et recevrait le centuple. Que si toute la terre même n’est pas
digne du royaume du ciel, celui qui quitte quelques arpents de terre
ne perd pour ainsi dire rien et s’il quitte sa maison et beaucoup
d’or, il n’a pas de motif de se glorifier ou de s’attiédir. D’ailleurs
ce que nous ne quittons pas, la mort nous le prend et cela tombe souvent
aux mains de ceux que nous ne voudrions pas, comme dit l’Ecclésiaste.
Pourquoi ne pas le quitter par vertu, pour obtenir l’héritage du royaume?
Que le désir de posséder ne nous envahisse donc pas. Quel gain d’acquérir
ce que nous n’emporterons pas? Acquérons donc plutôt ce que nous emporterons
: la prudence, la justice, la tempérance, la force, la foi au Christ,
la mansuétude, l’hospitalité. Si nous les obtenons, nous les trouverons
pour nous recevoir sur la terre des doux".
Quittant tout pour se mettre au service
du Seigneur, le moine devient un serviteur. Comment servir?
Antoine nous livre là une perle merveilleuse :"chaque jour... aujourd’hui...".
Autrement dit : la spiritualité du moment présent.
Pour devenir de fidèles serviteurs, ce n’est pas compliqué : chaque
jour
- ayons le même zèle au travail pour
plaire au Maître et ne pas se mettre en danger,
- persévérons dans la vie ascétique,
- ne nous négligeons pas un seul jour.
Le secret, pour bien vivre cet aujourd’hui
est de ne pas nous relâcher dans notre ascèse et de vivre comme
si nous devions mourir ce soir. Si nous vivons ainsi, alors nous
ne pécherons pas .
- Chaque jour, en nous levant,
pensons que nous ne subsisterons pas jusqu’au soir, et le soir, en
nous couchant, pensons que nous ne nous réveillerons pas.
- Chaque jour nous est
mesuré par la Providence; notre vie est incertaine.
Ainsi,
- Chaque jour nous ne pécherons pas.
- Chaque jour nous n’aurons le désir
de rien.
- Chaque jour nous n’aurons de ressentiment
contre personne.
- Chaque jour nous ne thésauriserons
pas sur la terre.
Mais, nous attendant chaque jour
à mourir,
- nous serons pauvres,
- nous pardonnerons tout à tous,
- nous condescendrons en tout à tous.
Cependant tout ceci n’est que
le début de l’ascèse; comment progresser? "Luttons davantage
". Saint Antoine va nous apprendre l’art du combat spirituel.
Contre qui lutte-t-on? Contre le démon. Comment lutter? Avec les armes
de la prière, du discernement des esprits et l’invocation du Nom de
Jésus.
b) Les démons
Pour les vaincre, il convient de bien
savoir contre qui on lutte et de prendre les bonnes armes, on ne perd
ainsi ni temps ni forces. Saint Antoine nous décrit très longuement,
avec force détails, les démons et leurs agissements.
- Les agissements des démons
(ch. 23-34 et 37-38)
. Ils se métamorphosent pour nous ressembler
. ils essaient de prophétiser
. ils se vantent
. ils sont rusés
. ils apparaissent et essaient d’effrayer,
et si l’on résiste, ils menacent de tuer (au besoin, ils amènent leurs
chefs).
. ils disent des paroles de la Sainte
Ecriture et font semblant de psalmodier,
. ils nous réveillent pour la prière,
. ils mentent, attaquent, tendent des
pièges, tombent,
. ils font semblant de nous attrapper,
. ils jouent, bavardent à tort et à
travers, sont malveillants et prêts à faire du tort,
. parfois même ils louent notre ascèse
et nous déclarent bienheureux!
Mais plus le moine progresse dans la
vie spirituelle, plus l’activité du démon est grande car, vous l’avez
compris, les démons n’agissent que si le moine combat pour le Christ.
Peut-être que certains agissements
des démons nous font peur? (Il y a de quoi, parfois!) Pour cela Antoine
nous précise ce que sont, en réalité, les démons :
. Ils sont faibles et inefficaces.
. Ils ne savent rien par eux-mêmes.
. Ils ne peuvent empêcher notre ascèse.
. Ils nous sont des étrangers.
Aussi on peut les vaincre. Comment?
- par notre attitude en face d’eux :
- ne pas les craindre,
- ne pas faire attention à eux, les
mépriser.
- par la prière, le jeûne, la foi,
- par le signe de la croix,
- par la grâce du Christ,
- par la Parole de Dieu.
Les démons redoutent particulièrement
le jeûne, les veilles, les prières, la douceur, l’humilité, l’aumône,
l’amour des pauvres, la bonté et par-dessus tout la piété, c’est-à-dire
la tendresse envers le Christ.
En fait, c’est Jésus qui chasse les
démons; appelons-le à l’aide et pour cela apprenons à discerner les
actions de ces démons. A cette fin Antoine brosse tout un tableau
du discernement des esprits (bons et mauvais). Ce discernement
est une grâce de Dieu.
Les bons esprits :
- Leur vue n’est pas troublante,
- leur présence est tranquille et engendre
la force d’âme, le courage, l’amour.
Les mauvais esprits :
- Les voir trouble.
- Leur présence est bruyante et engendre
la tristesse et la frayeur.
Saint Antoine propose à ses moines,
peu à peu, de discerner de quel esprit provient ce qu’ils vivent,
voient, entendent, perçoivent. De quel esprit aussi provient telle
tendance, telle pensée, tel désir. Antoine ne parle pas de cela "en
théorie", mais parce qu’il l’a lui-même expérimenté très concrètement.
Il conclut en expliquant que telle sera l’âme du moine, telle sera
l’action des démons : il convient donc d’être hardi contre les démons,
en effet :
- S’ils nous trouvent dans la crainte
et le trouble, ils attaquent, augmentent notre terreur.
- S’ils nous trouvent joyeux dans le
Seigneur et réfléchissant que tout est entre les mains du Seigneur
et que le démon n’a aucune force contre les chrétiens, alors, voyant
notre âme assurée, ils battent en retraite honteusement.
- Si nous regardons les yeux des démons
comme de la fumée, ils fuiront peureux, ayant toujours la perspective
du feu qui leur est préparé.
Autrement dit, et en conclusion, ce
discours d’Antoine contient toute la manière de parvenir à la pureté
du coeur qui est la clé de la vision de Dieu. "Bienheureux les
coeurs purs, car ils verront Dieu".
3. LES LETTRES
D'ANTOINE
On dispose actuellement de sept lettres,
vraisemblablement authentiques, de saint Antoine. Elles sont écrites
en copte, traduites en français et je vous encourage à les lire à
un moment ou à un autre de votre vie monastique. Leurs destinataires
sont, bien sûr, les disciples anachorètes d’Antoine.
Vous trouverez fréquemment dans les
ouvrages qu’Antoine était un "illettré"; attention! Cela ne veut pas
dire qu’il était analphabète! Il savait lire et écrire. Il est acquis
maintenant qu’il avait une bonne culture philosophique. C’est un "lieu
commun" de l’opposer aux philosophes mais cela ne trompe aucun lecteur
d’Athanase. D’ailleurs, l’évêque d’Alexandrie ne méprise pas non plus
la philosophie. Nous verrons que la vie monastique en Cappadoce est
appelée vie philosophique.
L’enseignement des Lettres d’Antoine
peut se résumer ainsi :
Faire effort pour se connaître soi-même
et de la sorte on peut connaître Dieu. Vous me direz que c’est paradoxal,
oui, au premier abord, mais lisons Antoine :
"La première chose qui importe à
l’homme doué de raison, c’est de se connaître soi-même; ensuite, de
connaître ce qui vient de Dieu et toutes les grâces qu’il en reçoit
sans cesse. Qu’il sache aussi que tout ce qui est péché et sujet à
reproche se trouve en dehors de sa nature spirituelle " (Lettre Vbis
20-27).
L’homme est à lui-même comme un miroir
dans lequel Dieu se reflète à travers son Fils; l’homme a été créé
à l’image de Dieu; son histoire est un raccourci dans lequel l’ensemble
de l’économie du salut peut être déchiffré. Antoine y revient inlassablement.
En découvrant sa misère, l’homme est capable de prendre conscience
de sa vraie nature et de s’offrir tout entier à Dieu :
"Chers fils, je vous en supplie,
aimez-vous les uns les autres sans vous lasser ni vous dégoûter. Prenez
ce corps dont vous êtes revêtus, faites-en un autel. Sur cet autel
disposez vos pensées et, sous les yeux du Seigneur, abandonnez tout
dessein mauvais, levez les mains de votre coeur vers Dieu. C’est ce
que fait le Saint Esprit quand il est à l’oeuvre. Et priez-le de vous
accorder le beau feu invisible qui, sur vous, descendra du ciel et
consumera l’autel et ses offrandes".
Derrière la misère et la honte visibles
se profile la véritable nature qui est invisible, immortelle, spirituelle,
incorruptible, une et unifiée en profondeur à l’image de cette Image
du Père qu’est le Fils.
Cette connaissance de soi ouvre l’homme
sur l’univers entier, sur ses frères et sur Dieu. Qui se connaît discerne
l’économie (le plan) du salut, et il est alors en mesure de reconnaître
l’urgence du temps dans lequel il vit, autrement dit de se hâter de
se convertir pour retrouver la ressemblance avec l’Image.
Qui se connaît ainsi, connaît aussi
les autres, et connaît Dieu et sait comment l’adorer et s’adresser
à lui. Il ne peut se tromper sur la nature du Fils de Dieu incarné
(on est en pleine hérésie arienne lorsqu’Antoine écrit ces lettres),
parce que l’homme est à l’image du Verbe incarné qui s’est fait semblable
à nous, hormis le péché.
Pour terminer, je vous propose de lire
ensemble un passage de la lettre VI (§ 4) qui vous fera entrer, je
pense, dans la profondeur théologique et l’intimité spirituelle d’Antoine
avec ses disciples.
"Sachez bien que ce n’est pas un
amour purement naturel que j’ai pour vous, mais un amour spirituel
selon Dieu, ce Dieu qui trouve sa gloire dans l’assemblée des saints.
Préparez-vous donc, car nous avons encore des intercesseurs pour supplier
Dieu de mettre dans notre coeur ce feu répandu sur la terre par Jésus.
Vous exercerez ainsi votre coeur et vos sens à discerner le bien du
mal, la droite de la gauche, ce qui est solide et ce qui ne l’est
pas.
Jésus savait que la matière dont
ce monde est fait est aux mains du diable. Aussi, appelant ses disciples,
il leur a dit : "n’amassez pas de trésors sur la terre, ne vous inquiétez
pas pour demain, car demain se souciera de lui-même".
Oui, chers fils, si les vents se
calment, le pilote s’en amuse ; mais s’il se lève un vent violent
et contraire, alors se révèle la compétence du pilote. A vous de bien
reconnaître le temps dans lequel nous sommes arrivés."
Toutes ces lettres présentent la vie
monastique comme une lutte continuelle dans laquelle le débutant doit
s’armer de la mortification extérieure et intérieure mais dans laquelle
aussi le Saint Esprit le guide et ouvre les yeux de son âme pour la
grande œuvre de sanctification corporelle et spirituelle qui constitue
le but suprême de sa vocation. Pour atteindre ce but, il faut d’abord
extirper les passions, puis purifier ses sens.
Arrivés au terme de cette présentation
de saint Antoine vous me ferez remarquer que je ne dis rien de sa
Règle ni de ses sermons! La raison est simple : ni la Règle ni les
sermons ne sont de lui; ce sont des textes apocryphes.
Antoine est vite entouré de nombreux
disciples. Que font ces Anciens qui vivent ainsi? Ils prient, jeûnent,
travaillent, luttent contre les démons, deviennent purs, parfaits
: "La présence de Dieu et la prière sont les armes du Roi dont
l’anachorète est le soldat". Ainsi commence l’âge d’or des Pères
d’Egypte.