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INITIATION AU MONACHISME
DES PREMIERS SIÈCLES CHRÉTIENS

Égypte et Palestine

par Soeur Véronique DUPONT, osb, Venière
 

CHAPITRE XI

 

LES INITIATEURS

DE LA

VIE MONASTIQUE

EN PALESTINE

Dès 270, des anachorètes habitèrent le désert situé au sud de Jérusalem. Ils se multiplièrent au IVe siècle et se groupèrent autour de deux grands moines célèbres par leur sainteté : Hilarion au sud-ouest et Chariton au centre.

1. HILARION (291-371)

Palestinien né aux environs de Gaza, envoyé par ses parents étudier à Alexandrie, Hilarion, qui est chrétien, va bien vite se trouver en présence d’Antoine. Je ne résiste pas à vous décrire cette première rencontre de deux géants du monachisme, rencontre dont vous trouverez le récit dans les Vitae Patrum IV, XVII,4.

Vers 305, parmi les visiteurs qu’il reçoit en sa retraite de Pispir, Antoine remarque un tout jeune homme (qui n’avait pas quinze ans) "dont le regard lançait des éclairs d’enthousiasme". "Sois le bienvenu, lui dit Antoine, toi qui brilles de bonne heure comme l’étoile du matin". Hilarion va passer trois mois auprès d’Antoine, puis, renonçant à sa future carrière de rhéteur d’une part et ses parents étant morts d’autre part, il distribue ses biens à ses frères et aux pauvres et s’enfonce dans le désert de Gaza. Bien que de santé très fragile, il vivra là quarante-cinq ans, jeûnant jusqu’au coucher du soleil et dé-jeunant avec quinze figues par nuit.

Saint Jérôme nous rapporte qu’Hilarion vivait dans une cellule plus basse que lui (autrement dit il ne pouvait pas se tenir debout) et à peine plus longue; qu’il ne se coupait les cheveux qu’une fois par an le jour de Pâques, qu’il coucha jusqu’à sa mort sur une litière de joncs, qu’il ne lava jamais sa tunique (son seul vêtement) qu’il ne changeait que lorsqu’elle tombait en loques. Jérôme nous rapporte aussi qu’Hilarion "savait l’Ecriture par coeur, et chaque jour, après avoir prié et chanté des psaumes, il la récitait tout haut, comme si Dieu avait été présent".

Sa sainteté lui attire de nombreux visiteurs qu’il guérit, conseille, délivre des démons, et, parmi les visiteurs... nombreux sont ceux qui vont devenir ses disciples. Se trouvant assiégé par tant de gens, Hilarion, qui a soif de solitude, part en Egypte et devient grand voyageur malgré lui. Il a 63 ans. La nouvelle de son départ provoque une véritable émeute. Hilarion, retrouvé, est assiégé. Il déclare alors que si on ne le laisse pas partir il fera une grève de la faim, ce qu’il fait pendant huit jours au bout desquels "voyant l’extrême faiblesse où il était réduit, ses disciples lui permirent de faire ce qu’il voudrait".

Accompagné de quarante moines Hilarion se dirige vers l’Egypte, se rend au tombeau d’Antoine (qui vient de mourir) et séjourne dans un monastère pachômien. Sa réputation de thaumaturge le poursuit partout. De ce fait il décide de louer un chameau et de s’enfuir par le désert, jusqu’en Libye. Là, un de ses compagnons lui vole tout ce qu’il a. Hilarion se retrouve seul avec, pour tout bien, le livre des Evangiles qu’il a transcrit de sa main dans sa jeunesse. Il a alors près de soixante-dix ans et s’embarque pour la Sicile... Là aussi il est assailli par les malades, par "une multitude incroyable" qui lui demande des miracles. A nouveau il doit fuir. Son disciple Hésychius est venu le rejoindre. Ils partent tous deux en Dalmatie puis dans les îles grecques et, finalement, abordent à Chypre où Hilarion passera les dernières années de sa vie (364-371). Les deux solitaires s’installent dans une retraite inaccessible. Parvenu à l’âge de quatre-vingts ans, Hilarion sent la mort venir et lègue à son disciple toutes ses richesses, à savoir "un livre des Evangiles, le sac dont il était revêtu, une cape et un petit manteau". Puis, il meurt. "Il avait encore, rapporte saint Jérôme, un peu de chaleur et bien qu’il ne lui restât rien d’un homme vivant que la conscience, il disait encore, tenant les yeux ouverts ‘Sors, mon âme; que crains-tu? Sors mon âme, de quoi as-tu peur? Tu as servi Jésus-Christ pendant soixante-dix ans et tu crains la mort?’" Hésychius emporta le corps d’Hilarion (clandestinement) dans son ancien monastère de Maiüma, port de Gaza, où il fut enseveli.

Même si Hilarion a quitté la Palestine, la vie monastique s’y développe dans la mouvance du saint avec une grande rapidité. Les grottes et les creux de rochers des ravins arides environnant Jérusalem sont pris d’assaut par des colonies de solitaires. De même, on voit la plaine du Jourdain, aux environs de Jéricho, se couvrir de huttes de joncs et de palmes.

Tous ces moines de Palestine ne vont pas vivre, au sens propre, comme des anachorètes des Cellules ou de Scété, ni comme les cénobites pachômiens; la plupart vont adopter une vie monastique intermédiaire : la vie des laures, instaurée par Chariton.

2.CHARITON

Originaire d’Asie Mineure, Chariton est attiré en Palestine par la Ville Sainte. Il s’établit vers 322 dans une grotte de l’ouadi Pharan (au nord de Jérusalem). Ce sera l’origine de la Laure de Pharan. Des disciples affluent vers sa caverne. Il part alors trouver une nouvelle solitude au Mont de la Quarantaine, au nord-ouest de Jéricho, vers 355. C’est l’origine de la Laure de Douka. Nouvelle affluence d’ascètes. Chariton émigre à nouveau, au désert de Juda cette fois, dans la gorge sauvage de l’ouadi Chariton : c’est l’origine de la laure de Souka (ce qui signifie "vieille laure"). Chariton va vivre là, dans une grotte inaccessible, pour sauvegarder sa solitude. Quelque temps avant sa mort, il retourne à l’ouadi Pharan et adresse une longue exhortation aux moines des trois laures. Ce sera son testament spirituel.

3. QU'EST-CE QU'UNE LAURE?

Ce mot Laura signifie "chemin étroit", "sentier" et va servir à désigner une forme de vie monastique combinant l’érémitisme avec le cénobstisme; forme de vie qui, donc, a pris naissance en Palestine. Une laure est constituée d’un groupe de solitaires vivant assez rapprochés les uns des autres, dans des cabanes ou des grottes, comme nous l’avons vu et sous l’autorité d’un abbé.

Pendant cinq jours par semaine les moines vivent dans leur "cellule", occupés à la prière solitaire et à un travail manuel qui ne gêne pas le recueillement - donc un travail assez répétitif. Puis le samedi et le dimanche, ils se réunissent à l’église pour la célébration communautaire des offices et de l’eucharistie. Ils repartent dans leur ermitage le dimanche soir, avec des provisions (aliments cuits, vins...). Les chartreux, les frères et soeurs de Bethléem, les frères et soeurs de Jérusalem ("Saint Gervais") ont de nos jours une vie assez proche de celle des laures de Palestine.

Pour achever cette brève présentation, je vous citerai Pallade qui rencontra à Jérusalem "un moine nommé Adolius qui pratiqua l’ascétisme au-delà des forces humaines (...) car à cause de l’excès de son abstinence et de ses veilles, il fut même soupçonné d’être un fantôme. Durant le carême, il mangeait tous les cinq jours et le reste de l’année tous les deux jours. Depuis le soir jusqu’au moment de la réunion des moines pour la prière, au mont des Oliviers, sur la terre de l’Ascension, où Jésus fut enlevé, il était constamment debout, chantant et priant. Et qu’il tombât de la neige ou de la pluie ou de la gelée blanche, il demeurait sans bouger".

Le nombre de laures reste toujours petit par rapport au nombre de monastères d’une région; par exemple, on trouve, entre le VI e et le VIIe siècle une vingtaine de laures en Palestine pour quelques cent trente monastères. Ce n’est pas pour autant qu’elles sont marginales; en effet, leur nombre restreint n’en signifie pas une moins grande tradition.

Mentionnons quelques célèbres moines des laures, hormis Chariton. Ve siècle : saint Euthyme le grand, formé à Pharan et qui se fixa au désert de Ziph (là où séjourna David pousuivi par Saül); saint Sabas qui organisera une laure qui sera un foyer de liturgie, de sciences, d’écrivains. Cette laure sera aussi très anti-origéniste. Faisons mémoire aussi de saint Gérasime dont nous parle Jean Moschus dans Le Pré Spirituel.

On trouvera aussi quelques grandes laures en Thébaïde, Arabie, Syrie, puis, plus tardivement, au mont Athos et en Russie.

Il convient de préciser que tout n’est peut-être pas "historique" dans cette histoire de la naissance des laures; n’oublions pas par exemple qu’Hilarion est présenté à travers Jérôme qui avait une vue assez idéale de la vie monastique naissante. Il n’en reste pas moins qu’Hilarion et Chariton auront une postérité très importante, entre autre dans la tradition de Gaza.

 
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