LES INITIATEURS
DE LA
VIE MONASTIQUE
EN PALESTINE
Dès 270, des anachorètes habitèrent le
désert situé au sud de Jérusalem. Ils se multiplièrent au IVe siècle
et se groupèrent autour de deux grands moines célèbres par leur sainteté
: Hilarion au sud-ouest et Chariton au centre.
1. HILARION (291-371)
Palestinien né aux environs de Gaza, envoyé
par ses parents étudier à Alexandrie, Hilarion, qui est chrétien, va
bien vite se trouver en présence d’Antoine. Je ne résiste pas à vous
décrire cette première rencontre de deux géants du monachisme, rencontre
dont vous trouverez le récit dans les Vitae Patrum IV, XVII,4.
Vers 305, parmi les visiteurs qu’il reçoit
en sa retraite de Pispir, Antoine remarque un tout jeune homme (qui
n’avait pas quinze ans) "dont le regard lançait des éclairs d’enthousiasme".
"Sois le bienvenu, lui dit Antoine, toi qui brilles de bonne
heure comme l’étoile du matin". Hilarion va passer trois mois auprès
d’Antoine, puis, renonçant à sa future carrière de rhéteur d’une part
et ses parents étant morts d’autre part, il distribue ses biens à ses
frères et aux pauvres et s’enfonce dans le désert de Gaza. Bien que
de santé très fragile, il vivra là quarante-cinq ans, jeûnant jusqu’au
coucher du soleil et dé-jeunant avec quinze figues par nuit.
Saint Jérôme nous rapporte qu’Hilarion
vivait dans une cellule plus basse que lui (autrement dit il ne pouvait
pas se tenir debout) et à peine plus longue; qu’il ne se coupait les
cheveux qu’une fois par an le jour de Pâques, qu’il coucha jusqu’à sa
mort sur une litière de joncs, qu’il ne lava jamais sa tunique (son
seul vêtement) qu’il ne changeait que lorsqu’elle tombait en loques.
Jérôme nous rapporte aussi qu’Hilarion "savait l’Ecriture par coeur,
et chaque jour, après avoir prié et chanté des psaumes, il la récitait
tout haut, comme si Dieu avait été présent".
Sa sainteté lui attire de nombreux visiteurs
qu’il guérit, conseille, délivre des démons, et, parmi les visiteurs...
nombreux sont ceux qui vont devenir ses disciples. Se trouvant assiégé
par tant de gens, Hilarion, qui a soif de solitude, part en Egypte et
devient grand voyageur malgré lui. Il a 63 ans. La nouvelle de son départ
provoque une véritable émeute. Hilarion, retrouvé, est assiégé. Il déclare
alors que si on ne le laisse pas partir il fera une grève de la faim,
ce qu’il fait pendant huit jours au bout desquels "voyant l’extrême
faiblesse où il était réduit, ses disciples lui permirent de faire ce
qu’il voudrait".
Accompagné de quarante moines Hilarion
se dirige vers l’Egypte, se rend au tombeau d’Antoine (qui vient de
mourir) et séjourne dans un monastère pachômien. Sa réputation de thaumaturge
le poursuit partout. De ce fait il décide de louer un chameau et de
s’enfuir par le désert, jusqu’en Libye. Là, un de ses compagnons lui
vole tout ce qu’il a. Hilarion se retrouve seul avec, pour tout bien,
le livre des Evangiles qu’il a transcrit de sa main dans sa jeunesse.
Il a alors près de soixante-dix ans et s’embarque pour la Sicile...
Là aussi il est assailli par les malades, par "une multitude incroyable"
qui lui demande des miracles. A nouveau il doit fuir. Son disciple Hésychius
est venu le rejoindre. Ils partent tous deux en Dalmatie puis dans les
îles grecques et, finalement, abordent à Chypre où Hilarion passera
les dernières années de sa vie (364-371). Les deux solitaires s’installent
dans une retraite inaccessible. Parvenu à l’âge de quatre-vingts ans,
Hilarion sent la mort venir et lègue à son disciple toutes ses richesses,
à savoir "un livre des Evangiles, le sac dont il était revêtu, une
cape et un petit manteau". Puis, il meurt. "Il avait encore,
rapporte saint Jérôme, un peu de chaleur et bien qu’il ne lui restât
rien d’un homme vivant que la conscience, il disait encore, tenant les
yeux ouverts ‘Sors, mon âme; que crains-tu? Sors mon âme, de quoi as-tu
peur? Tu as servi Jésus-Christ pendant soixante-dix ans et tu crains
la mort?’" Hésychius emporta le corps d’Hilarion (clandestinement)
dans son ancien monastère de Maiüma, port de Gaza, où il fut enseveli.
Même si Hilarion a quitté la Palestine,
la vie monastique s’y développe dans la mouvance du saint avec une grande
rapidité. Les grottes et les creux de rochers des ravins arides environnant
Jérusalem sont pris d’assaut par des colonies de solitaires. De même,
on voit la plaine du Jourdain, aux environs de Jéricho, se couvrir de
huttes de joncs et de palmes.
Tous ces moines de Palestine ne vont pas
vivre, au sens propre, comme des anachorètes des Cellules ou de Scété,
ni comme les cénobites pachômiens; la plupart vont adopter une vie monastique
intermédiaire : la vie des laures, instaurée par Chariton.
2.CHARITON
Originaire d’Asie Mineure, Chariton est
attiré en Palestine par la Ville Sainte. Il s’établit vers 322 dans
une grotte de l’ouadi Pharan (au nord de Jérusalem). Ce sera l’origine
de la Laure de Pharan. Des disciples affluent vers sa caverne. Il part
alors trouver une nouvelle solitude au Mont de la Quarantaine, au nord-ouest
de Jéricho, vers 355. C’est l’origine de la Laure de Douka. Nouvelle
affluence d’ascètes. Chariton émigre à nouveau, au désert de Juda cette
fois, dans la gorge sauvage de l’ouadi Chariton : c’est l’origine de
la laure de Souka (ce qui signifie "vieille laure"). Chariton va vivre
là, dans une grotte inaccessible, pour sauvegarder sa solitude. Quelque
temps avant sa mort, il retourne à l’ouadi Pharan et adresse une longue
exhortation aux moines des trois laures. Ce sera son testament spirituel.
3. QU'EST-CE
QU'UNE LAURE?
Ce mot Laura signifie "chemin étroit",
"sentier" et va servir à désigner une forme de vie monastique combinant
l’érémitisme avec le cénobstisme; forme de vie qui, donc, a pris naissance
en Palestine. Une laure est constituée d’un groupe de solitaires vivant
assez rapprochés les uns des autres, dans des cabanes ou des grottes,
comme nous l’avons vu et sous l’autorité d’un abbé.
Pendant cinq jours par semaine les moines
vivent dans leur "cellule", occupés à la prière solitaire et à un travail
manuel qui ne gêne pas le recueillement - donc un travail assez répétitif.
Puis le samedi et le dimanche, ils se réunissent à l’église pour la
célébration communautaire des offices et de l’eucharistie. Ils repartent
dans leur ermitage le dimanche soir, avec des provisions (aliments cuits,
vins...). Les chartreux, les frères et soeurs de Bethléem, les frères
et soeurs de Jérusalem ("Saint Gervais") ont de nos jours une vie assez
proche de celle des laures de Palestine.
Pour achever cette brève présentation,
je vous citerai Pallade qui rencontra à Jérusalem "un moine nommé
Adolius qui pratiqua l’ascétisme au-delà des forces humaines
(...) car à cause de l’excès de son abstinence et de ses veilles, il
fut même soupçonné d’être un fantôme. Durant le carême, il mangeait
tous les cinq jours et le reste de l’année tous les deux jours. Depuis
le soir jusqu’au moment de la réunion des moines pour la prière, au
mont des Oliviers, sur la terre de l’Ascension, où Jésus fut enlevé,
il était constamment debout, chantant et priant. Et qu’il tombât de
la neige ou de la pluie ou de la gelée blanche, il demeurait sans bouger".
Le nombre de laures reste toujours petit
par rapport au nombre de monastères d’une région; par exemple, on trouve,
entre le VI e et le VIIe siècle une vingtaine de laures en Palestine
pour quelques cent trente monastères. Ce n’est pas pour autant qu’elles
sont marginales; en effet, leur nombre restreint n’en signifie pas une
moins grande tradition.
Mentionnons quelques célèbres moines des
laures, hormis Chariton. Ve siècle : saint Euthyme le grand,
formé à Pharan et qui se fixa au désert de Ziph (là où séjourna David
pousuivi par Saül); saint Sabas qui organisera une laure qui
sera un foyer de liturgie, de sciences, d’écrivains. Cette laure sera
aussi très anti-origéniste. Faisons mémoire aussi de saint Gérasime
dont nous parle Jean Moschus dans Le Pré Spirituel.
On trouvera aussi quelques grandes laures
en Thébaïde, Arabie, Syrie, puis, plus tardivement, au mont Athos et
en Russie.
Il convient de préciser que tout n’est
peut-être pas "historique" dans cette histoire de la naissance des laures;
n’oublions pas par exemple qu’Hilarion est présenté à travers Jérôme
qui avait une vue assez idéale de la vie monastique naissante. Il n’en
reste pas moins qu’Hilarion et Chariton auront une postérité très importante,
entre autre dans la tradition de Gaza.