LES ANTECEDENTS
DU MONACHISME CHRETIEN
1. DANS L’ANCIEN
TESTAMENT
En scrutant l’Ancien Testament (même
si vous utilisez un super ordinateur en six langues... mais rien ne
vaut de faire le travail par soi-même!), on ne trouve pas de "moines"
à proprement parler. Par contre, on trouve quelques traits de spiritualité
monastique. C’est ce dont je vais vous entretenir présentement et
qui vous permettra de mieux comprendre combien le monachisme chrétien
est radicalement nouveau ; il est évangélique; il est une bonne
nouvelle vécue.
Cette trace de spiritualité monastique
est le naziréat. Qu’est-ce? Le mot signifie "consacré", et,
très précisément le terme hébreu signifie "voeu". Regardons tout d’abord
les textes puis nous déduirons la structure de cette consécration.
- Gen. 49,26 "Que les bénédictions
du Seigneur viennent sur la tête de Joseph, sur le front du consacré
d’entre ses frères". (Cf en parallèle : Dt, 33,16). Vous
me direz que cela n’apporte pas grand chose! Mais tout de même on
apprend ainsi que cette pratique du naziréat est très ancienne, qu’elle
est antérieure à Moïse. Ce texte s’éclaire par d’autres : (Soit dit
en passant, cette méthode d’étude de textes les uns par les autres
est spécifiquement de la lectio divina).
- Juges 13,5-7 : "Le rasoir
ne passera pas sur sa tête car l’enfant sera nazir de Dieu".(il
s’agit de Samson). Voir aussi Juges 13,13-14.
- Juges 16,17 : "Le rasoir
n’a jamais passé sur ma tête car je suis nazir de Dieu depuis le sein
de ma mère."
De ces passages du Livre des Juges,
on déduit que le naziréat se signale par :
. la chevelure jamais coupée
. l’abstinence même de raisin, de toute
nourriture impure
. le nazir (ici Samson) est un charismatique
: il est agité par l’esprit de Dieu (Juges 13,25).
. Il ne se sépare pas du reste du peuple,
et ceci est radicalement différent de ce que pratiquera le monachisme
chrétien.
- 1 Sam.1,11 : "Alors je le
donnerai au Seigneur pour toute sa vie et le rasoir ne passera pas
sur sa tête".
- Mais le principal texte concernant
le naziréat dans l’Ancien Testament se trouve dans le Livre des
Nombres, 6,11 sq. :
" Quand un homme ou une femme
entend s’acquitter d’un vœu, le vœu de naziréat, par lequel il est
voué au Seigneur, il s’abstiendra de vin et de boissons fermentées,
il ne boira pas le vinaigre que l’on tire de l’un ou de l’autre, il
ne boira aucun jus de raisin, il ne mangera ni raisins frais ni raisins
secs. Durant tout le temps de sa consécration il ne prendra aucun
produit du cep de vigne, depuis le verjus jusqu’au marc. Aussi longtemps
qu’il sera consacré par son voeu, le rasoir ne passera pas sur sa
tête; jusqu’à ce que soit écoulé le temps par lequel il s’est voué
au Seigneur, il sera consacré et laissera croître librement sa chevelure.
Durant tout le temps de sa consécration au Seigneur, il ne s’approchera
pas d’un mort, ni par son père, ni par sa mère (...) car il porte
sur sa tête la consécration de son Dieu. Durant tout le temps de son
naziréat, il est consacré au Seigneur " .
Puis aux versets 13 et suivants, vous
avez le rituel du nazir. A la fin de sa consécration (car vous
avez remarqué que ce vœu peut être temporaire ou définitif), le nazir
est emmené à l’entrée de la tente du Rendez-vous où il offre un sacrifice
pour le péché, puis un sacrifice de communion. Il reçoit du prêtre
et présente au Seigneur les oblats du sacrifice de communion. Alors
il peut boire du vin.
Il est encore un autre exemple de nazir,
à la charnière de l’Ancien et du Nouveau Testament : c’est Jean, le
Baptiste (Luc 1, 15) : "Il ne boira pas ni vin, ni boisson
forte, il sera nazir dès le sein de sa mère". Vous me direz qu’il
n’est pas écrit explicitement que Jean Baptiste est nazir, et qu’en
plus il n’est pas mentionné qu’il gardait sa chevelure sans la couper,
signe par excellence du nazir. C’est vrai, mais souvenez-vous de Samson
dont nous venons de parler : la force de Dieu (de l’Esprit de Dieu)
est liée à sa chevelure. En Luc il est dit que Jean est rempli
de l’Esprit-Saint. Peut-être cette force implique-t-elle que Jean
ne s’est jamais coupé les cheveux (pour être signe). De plus, Jean
précède le Christ, il attend sa venue; il est un veilleur,
ce qui sera l’une des fonctions essentielles du moine.
En résumé de cette courte étude, nous
pouvons conclure que:
- Ne pas se couper les cheveux ................
signifie que la force de Dieu agit sur le nazir.
- Ne pas boire de boisson fermentée ........ signifie
le rejet de la vie facile.
- Ne pas approcher un cadavre........... .signifie
que l’on appartient spécialement à Dieu.
A ces trois signes du naziréat, on peut
ajouter : la durée, temporaire ou définitive, parfois dès le
sein maternel, sans limite de temps.
Notons que l’on ne trouve pas toujours
les trois éléments. Par exemple, pour Samuel, il n’est pas dit qu’il
s’abstenait de vin.
Vous remarquerez aussi que dans son
vœu le nazir n’est tenu qu’à des pratiques - ou absences de pratiques
- "extérieures" et non pas forcément morales, fondamentales, ni spirituelles.
Ces pratiques sont cependant des signes d’une consécration
à Dieu.
1.2. Il y a d’autres traces de
"monachisme" dans l’Ancien Testament. Je ne les développerai pas ici
car vous étudierez cela plus en détail au cours d’Ecriture Sainte,
mais je vous citerai simplement : ELIE, cette grande figure biblique.
Elie, lié aussi à Jean Baptiste. Et par là, je voudrais vous faire
prendre conscience (mais nous y reviendrons) que le monachisme est
lié au prophétisme. Ce lien atteint son apogée avec Jésus,
le prophète par excellence, le moine par excellence.
2. DANS LE NOUVEAU
TESTAMENT
2.1. JESUS, plus libre dans son comportement et plus libéral
que Jean Baptiste. "Il mange et boit avec les pécheurs"
etc... Et pourtant, Jésus reçoit le baptême de
pénitence, lui qui n'a pas péché. Il passe quarante
jours au désert (avec tout le symbolisme du nombre quarante
: une vie, une génération...). Il lance l'appel à
tout quitter pour le suivre (cf. Mt 16,21-28 et montre en même
temps l'impossibilité de suivre deux maîtres. Tout cela
manifeste une rupture radicale avec la Loi, aussi radicale que celle
de Jean.
2.2. Saint PAUL
recommande l’état de virginité qui
permet d’être au Seigneur sans partage, sans division ("simple" =
monos); voyez le grand texte de 1 Co. 7. De la deuxième Lettre de
Paul à Timothée (2,4), les moines vont retenir le principe que les
militaires en service ne se laissent pas impliquer dans les affaires
séculières. De même si les moines veulent plaire à Dieu,
à Celui auquel ils se sont voués, ils sont tendus vers lui, préoccupés
de lui seul : "tendu de tout mon être , je cours en avant vers le
prix que Dieu m’appelle à recevoir là-haut en Christ Jésus." (Phil.
3,13-14). Cette tension vers le Christ - que Grégoire de Nysse
appellera épectase, est toute monastique.
Autrement dit, le moine est un veilleur
qui attend le retour du Christ. Cette spiritualité donnera naissance
aux Pères neptiques (nepsis = veille).
3. LES ESSENIENS
Avant d’aller plus loin dans les antécédents
du monachisme chrétien, je voudrais vous parler d’un mouvement communautaire
juif contemporain de Jean Baptiste et de Jésus, les esséniens.
3.1. Qu'est-ce que c'est ?
Pline l’Ancien, Philon en parlent. Cette
secte - car c’était une secte juive - a eu une influence réelle sur
la première communauté chrétienne et sur le monachisme des premiers
siècles chrétiens. On connaît les esséniens non seulement par les
textes anciens, mais aussi par le lieu où ils s’étaient établis :
Qumrân, au bord de la Mer Morte, là où l’on a retrouvé en 1947 les
restes d’un véritable monastère.
Cette communauté juive habitait un vaste
bâtiment dressé sur un promontoire dominant la Mer Morte ainsi que
vingt-cinq grottes. Les bâtiments, avec huit cours intérieures, comprenaient
un réfectoire, une cuisine, des salles de réunion, une lingerie, deux
poteries, huit citernes (de différentes tailles). L’eau y était amenée
par des canaux. On a même décelé les traces d’un barrage.
En 68, lorsqu’elle dut fuir devant le
général romain Vespasien et la dixième légion romaine - qui détruisirent
la plupart des locaux - la communauté enveloppa ses manuscrits dans
des jarres en terre cuite qu’elle cacha dans des grottes. On a retrouvé,
dix-neuf siècles plus tard, toute cette précieuse bibliothèque. Le
climat très sec de la région a permis la conservation intacte de ces
manuscrits pendant deux mille ans.
3.2. Quel est le projet de vie de
cette communauté ?
On le connaît par l’un des manuscrits
qui est la Règle de la Communauté. Cette règle aurait été écrite
entre 100 et 75 avant Jésus-Christ.
Le supérieur est le Maître de Justice.
Les points les plus saillants de la Règle sont les suivants :
- obéissance au supérieur et obéissance mutuelle
- correction fraternelle
- humilité
- amour fraternel.
A travers tout ce texte on dégage une
"spiritualité", un appel à la perfection et à la sainteté.
Mais vous allez le constater, cette soif de perfection et de sainteté
est assez élitiste et même "puriste". On retrouvera cela périodiquement
dans la vie de l’Eglise : des chrétiens puristes au point de devenir
une secte, que ce soit au II ème siècle avec Montan et Tertullien,
ou au Moyen-Age avec les cathares.
La sainteté, dans la Règle de la communauté,
se traduit par la communion avec le monde céleste : Dieu et les anges.
La perfection se traduit par l’observance exacte de toute la Loi.
Autre point-clé de cette Règle de vie
: la conversion et le culte que l’on vit dans l’action
de grâce jubilante. Enfin, le célibat fait partie de toutes
ces sectes dont je vous parlais à l’instant. Les relations conjugales
vont être considérées comme mauvaises (ce qui est chrétiennement faux).
Mais à Qumrân, on trouvera, liée au célibat, la conviction d’exercer
une fonction sacerdotale. Ceci est intéressant pour la grave question,
plus tardive, du célibat des prêtres.
Signalons aussi la place, dans cette
règle, de l’interprétation des Ecritures et du discernement
des esprits. Vous voyez, nous avons là un ensemble très charismatique.
3.3. Comment se passait une journée?
. Avant le lever du soleil, la communauté
se rassemble dans une grande salle de réunion pour la prière matinale.
. Puis chacun vaque à son travail
(travail qui a lieu dans l’enceinte du monastère) : potier, teinturier,
copiste, jardinier, cuisinier, boulanger...
. A 11 heures a lieu le bain de purification
pour lequel on revêt un pagne de lin.
. Succède à cela le repas communautaire
: élément très important de la vie à Qumrân. C’est une véritable liturgie
à laquelle ne participent que ceux qui sont définitivement engagés
dans la communauté. Pour ce repas on revêt des vêtements sacrés. Lorsque
tous les membres sont à leur place, le boulanger distribue un pain
à chacun, puis le cuisinier remet une écuelle à chacun. Ensuite a
lieu la prière de bénédiction (on ne mange pas avant). A la fin du
repas, on dit les grâces. A la sortie, on défait ses vêtements sacrés
et on retourne au travail jusqu’au soir.
. Repas du soir.
. Veillée nocturne quand le soleil
se couche jusque tard dans la nuit. Cette veillée dure trois heures
et demie.
3.4. Les membres de la communauté
On commence par une année de postulat,
puis une année de noviciat. Après quoi on s’engage par un serment
que l’on renouvelle chaque année. Pendant les deux années probatoires,
on s’initie à l’idéal d’ascèse et de sainteté de la communauté : vie
de prière, vie de travail, vie d’étude de la Loi.
Cette communauté était-elle mixte? On
n’a pas de certitudes absolues sur ce point. Mais on a retrouvé des
ossements de femmes. Il semble donc que oui.
Ils sont issus d’un même germe : l’idéal
communautaire et fraternel esquissé dans l’Ancien Testament, ainsi
que la vocation à être un peuple saint par une pratique parfaite de
la volonté divine. Mais la différence essentielle est que les gens
de Qumrân se situent dans une perspective vétéro-testamentaire, c’est-à-dire
une perspective légaliste, même lorsqu’ils s’efforcent de se laisser
conduire par l’Esprit de Vérité. Le monachisme chrétien se réfère
à la personne de Jésus.
Jean Baptiste a peut-être cheminé quelque
temps avec les esséniens. En tous cas il s’en serait séparé car tel
que nous le présente l’Evangile, il ne vivait pas en communauté.
Jésus a donné à ses disciples (surtout
aux Apôtres) une forme de vie communautaire et fraternelle proche
de celle des esséniens. Par exemple, la déclaration de Jésus à Simon
: "Tu es Pierre..." est un parallèle d’une hymne essénienne plus ancienne.
Jésus apparaît comme ré-éditant, de façon nouvelle, le rôle du Maître
de Justice. Mais Jésus se démarque aussi radicalement de certaines
pratiques esséniennes telles celle d’éviter les souillures, celles
concernant le mariage, etc....
4. LES SOURCES EVANGELIQUES
DE LA VIE MONASTIQUE
"Soyez parfaits comme votre Père
céleste est parfait" (Mt 5,48).
Aussi ancien que les origines du christianisme,
l’idéal spirituel des moines plonge ses racines dans l’enseignement
même du Christ. La Parole de Jésus "Si tu veux être parfait, va,
vends tes biens et donnes-en le prix aux pauvres et tu auras un trésor
dans les cieux, puis viens, suis-moi" (Mt 19,21) entendue
par une multitude de moines, est un condensé de toute la vie monastique
:
- Etre parfait : appel à la perfection
évangélique "comme votre Père céleste est parfait".
- va : se mettre en route.
- Vends tes biens : la pauvreté.
-Donnes-en le prix aux pauvres
: la charité, "les bonnes œuvres" selon saint Benoît.
-Et tu auras un trésor dans les cieux
: la récompense, la vie éternelle.
- Puis viens, suis-moi : Chercher
Jésus, le suivre par la Croix jusqu’à la gloire de la Résurrection."
Celui qui veut venir à ma suite, qu’il prenne sa croix et qu’il me
suive"..."Celui qui aime son père ou sa mère plus que moi n’est pas
digne de moi.." . Dans ce "Viens, suis-moi" se trouve aussi
la relation du Maître et du disciple, c’est la suite du Christ,
la vie monastique, la vie évangélique toute pure.
Cependant pour bien saisir cela il convient
de remarquer que les textes évangéliques ont été compris après
comme un appel à la vie monastique sous l’inspiration de l’Esprit-Saint
dans les coeurs. L’expérience a fait comprendre le texte comme "pour
moi" (cf. saint Antoine), mais ceux qui ne répondent pas de la même
manière ne sont pas infidèles à l’Evangile.
5. LA PREMIERE
COMMUNAUTE CHRETIENNE ET LES FONDEMENTS DE LA VIE MONASTIQUE
Dès le début les Actes des Apôtres
(4,32) nous montrent la première communauté chrétienne ne faisant
"qu’un cœur et qu’une âme; (...) ils se montraient assidus à l’enseignement
des Apôtres et à la communion fraternelle, à la fraction du pain et
aux prières. Toute âme était dans la crainte car beaucoup de prodiges
et de signes se faisaient par les apôtres. Tous ceux qui avaient cru
étaient ensemble et avaient tout en commun; chaque jour, d’un commun
accord, ils fréquentaient assidûment le Temple, et rompant le pain
à la maison, ils prenaient leur nourriture avec allégresse et simplicité
de cœur ; ils louaient Dieu et trouvaient faveur auprès de tout le
peuple et le Seigneur ajoutait chaque jour à leur groupe ceux qui
étaient sauvés". (2,42-47). Dans ce texte, on retrouve toutes
les composantes de la vie parfaite selon l’Evangile, composantes qui
vont devenir celles de la vie monastique :
- Les pratiques ascétiques :
le jeûne (Ac. 13,2-3; 14,23); la mise en commun des biens (Ac.
4,32-37); le travail manuel (1Th. 4,11; 2Th 3, 10-12).
- La prière : "Priez sans
cesse" (1Th 5,17) et la liturgie (Ac 2,42-47).
- La lecture : publique dans
les assemblées (1Th. 5,27; Col.4,16) ou privée (qui deviendra la
lectio divina) (1Tm 4,13).
- la crainte de Dieu (Ac.
2,43) et la plus radicale ascèse : celle de la virginité consacrée
et du martyre.
Dans cette communauté primitive, certaines
femmes vont exprimer très vite le désir de vivre au milieu de la communauté
chrétienne avec la ferme intention de garder la continence pour l’amour
du Christ. Ce sont les veuves et les vierges. On voit aussi bientôt
des hommes garder la chasteté pour ce même amour du Seigneur (cf.
1Co. 7). Ce sont les ascètes. La décision de virginité se prend
dans son coeur, en pleine possession de sa volonté, écrit saint Paul.
6. LES VEUVES
Dès la naissance du christianisme des
femmes résolurent de ne pas se remarier et de faire profession (intérieure
et publique), irrévocablement, de veuvage pour l’amour du Christ.
Organisées en diaconies, elles aidaient à la préparation matérielle
du baptême, de l’agape, au soin des infirmes et dans les ministères
de compassion. Elles assuraient aussi un ministère de prière (cf.
1Tm. 5,3-16, la Didascale syriaque et les Constitutions
apostoliques).
7. LES VIERGES
Depuis les origines des relations de
Dieu avec l’homme, la virginité n’a cessé d’être le mode d’expression
le plus radical, hormis le martyre, de l’amour de l’homme pour Dieu,
en réponse à l’amour premier de Dieu.
Avec Jésus, l’appel se fait pressant
pour ceux qui en reçoivent le don et il attire des disciples qui vivront
dans la virginité ou la chasteté. L’Eglise primitive fait une place
de choix aux vierges dans les assemblées. Avant la fin des grandes
persécutions de l’empire romain, on voit apparaître un peu partout
dans le monde chrétien la soif du don total au Christ sinon par le
martyre, du moins par la virginité - qui est un autre martyre. Dès
les premiers siècles, les Pères exhortent les fidèles dans cette voie
d’ascèse et d’amour radical.
Je vais vous donner brièvement un aperçu
des premiers textes patristiques sur la spiritualité de la virginité
(I-IIIe siècle), et plus spécialement sur les motivations spirituelles
qui ont suscité cette vie dans la virginité.
La virginité consacrée est une conséquence
du désir d’imiter Jésus qui, né vierge, est demeuré vierge;
la virginité de Jésus étant la préfiguration en acte de son sacrifice
total. C’est un motif d’amour absolu qui ne se "justifie" pas. Son
but est vraiment sponsal : l’union intime avec le Verbe de Dieu. Cela
se trouve exprimé de diverses manières qui sont toutes différentes
facettes de la même réalité fondamentale :
. Imitation de Jésus pour être
en communion avec lui, en vivant comme il a vécu pendant son séjour
sur la terre (cf. le Pseudo-Clément).
. Plaire à Dieu, vivre avec lui
et demeurer toujours en sa présence; goûter le repos du Père et du
Fils (cf. Actes de Paul).
. Vivre au-delà des commandements
et du devoir, dans le Royaume de l’amour de telle sorte que l’âme
soit non plus "servante inutile" mais servante de l’amour, c’est-à-dire
en vérité épouse du Christ à qui elle est consacrée tout entière (cf.
Origène).
. Vivre en altitude, les yeux
du coeur toujours fixés sur la vie céleste, dans la demeure de Dieu
(cf. Méthode d’Olympe).
La vierge, ou l’ascète, ne se marie
pas, non par une volonté de vie solitaire mais parce qu’il n’est plus
seul : Dieu règne en son coeur et l’a uni à lui pour l’éternité :
"Le royaume de Dieu est semblable à des noces..." (Mt.
22,2).
Etre vierge pour être à Dieu sans
partage, telle est bien la motivation essentielle de saint Paul
en 1Co. 7, 25-40, motivation développée très tôt par les Pères
parce que vécue très tôt par des ascètes ou des vierges qui aspiraient
à être totalement au Christ, à faire régner en eux les vertus mêmes
de Jésus.
Une autre motivation, eschatologique
celle-ci, apparaît également dans les premiers écrits patristiques:
la virginité consacrée comme annonce prophétique de
la vie éternelle.
Remarquons que ces textes patristiques
sont pétris d’Ecriture Sainte, surtout néo-testamentaire. En ce sens,
ils sont une vraie spiritualité pour la vie chrétienne.
Il convient également de dire un mot
de l’anthropologie sous-jacente à ces premiers écrits chrétiens. Je
ne vais pas en développer ici l’étude car ce n’est pas directement
notre propos d’une part, et d’autre part nous verrons cela au cours
de patristique, mais remarquons brièvement que l’homme est UN. On
ne peut dissocier son corps de son âme ni de son esprit. Autrement
dit, la virginité du corps appelle la virginité du coeur,
et la virginité du coeur appelle la virginité - ou la chasteté
- du corps. Tout l’être est consacré à Dieu; tout désir, charnel
ou spirituel, est tendu vers l’unique bien : l’amour de Dieu. Il s’agit
d’un vrai mariage que l’ascète ou la vierge contracte avec le Christ
auquel il appartient désormais tout entier.
La virginité n’est pas un but en soi,
mais un moyen de sanctification, en même temps que la préfiguration
de la vie après la résurrection. La virginité est consacrée, vouée
à Dieu, pour vivre une union plus parfaite, plus absolue, avec Dieu.
La virginité, ou la vie ascétique, va
être très liée au baptême. Elle va même en être une conséquence qui
sera considérée comme allant de soi dans certaines églises. En Orient
syrien par exemple où l’on trouvera une tendance très marquée à lier
baptême et renonciation à la vie matrimoniale (d’ailleurs, comme on
le verra au cours d’histoire de l’Eglise, lors du baptême, on remettait
aux jeunes filles la couronne de la virginité).
Clément de Rome, Ignace d’Antioche,
Hermas, Justin font état des vierges et des continents (les ascètes).
L’Eglise subventionne les vierges (ainsi que les veuves), et de cette
sorte, elle exerce un contrôle sur leur fidélité et les invite à remplir
un service social (pastoral dirait-on aujourd’hui). Les groupes ascétiques
d’hommes et de femmes vont devenir de plus en plus nombreux. Ils identifient
la vie évangélique à la pauvreté, au célibat, à la séparation du monde
tout en vivant dans le monde, mais ils n’imposent pas aux autres chrétiens
leur conception du renoncement total et ils voient dans l’humilité
la garantie suprême de la sagesse. Ces groupes d’ascètes vont être
de toutes sortes. Des exagérations et des déviations vont apparaître.
On peut les résumer en deux catégories :
. Les encrates (= les "tempérants")
qui imposent ce mode de vie à toute la communauté chrétienne. Ils
s‘abstiennent de vin et de toute boisson fermentée et sont souvent
végétariens. Ils s’abstiennent également de relations sexuelles, sont
opposés au mariage et à la procréation.
. Les relations vont être parfois si
étroites entre un ascète et une vierge, ou entre des ascètes et des
vierges, qu’ils vont vivre dans la continence sous le même toit. Mais
vous percevez là l’absence de témoignage et le danger. L’Eglise va
rapidement intervenir ... (cf. la Lettre aux Vierges du pseudo-Clément).
Ce grand mouvement ascétique des trois
premiers siècles a gagné rapidement tout le monde chrétien et a préparé
ainsi la naissance du monachisme.
8. LE MARTYRE
Le martyre est la forme éminente de
la sainteté chrétienne. Victoire sur Satan, le martyre est une configuration
à la passion du Christ et à sa résurrection. C’est la véritable "suite
du Christ". Etre martyr, c’est devenir un vrai disciple (cf. Ignace
d’Antioche). Dans la spiritualité du martyre, on trouve aussi tout
l’aspect rédempteur : donner sa vie pour ses frères.
"Le martyre est la réponse de toute
âme un peu fière au Crucifié" (Père Vallée).
"Les martyrs sont les imitations
de la vraie charité, les copies du Christ souffrant, les athlètes
du Christ" (cf. Apophtegmes).
Nous étudierons la spiritualité du martyre
plus profondément aux cours d’Histoire de l’Eglise et de Patrologie.
9. LA NAISSANCE
DU MONACHISME
Baptême, martyre, vie monastique sont
de même nature, une unique vocation. Le monachisme est né dans les
Eglises lorsque les persécutions sévissaient encore. A la fin des
grandes persécutions (Edit de Milan, en 313), on va présenter le moine
comme un substitut du martyr pour faire saisir qu’il s’agit du même
mystère, enraciné dans la participation à la mort et à la résurrection
du Christ. Il ne s’agit pas d’un lien historique comme si la vie monastique
était liée à un affaiblissement de la ferveur dans les communautés
chrétiennes après les persécutions, mais la fin des persécutions favorise
le développement du monachisme au grand jour. La vie monastique va
alors se propager comme une traînée de poudre. Mais où a-t-elle pris
naissance? On ne sait, Dieu le sait. Dans l’Eglise primitive, elle
a poussé naturellement, là où Dieu est présent. Elle naît de manière
spontanée et simultanément en diverses régions du Bassin Méditerranéen.
Elle est un fruit naturel de la maturité des communautés chrétiennes.
Elle ne s’est pas répandue à partir d’un centre qui serait l’Egypte
comme on l’a écrit si souvent. La référence à l’Egypte n’est venue
que dans un second temps. A cause du modèle remarquable que représentait
le monachisme égyptien, on ne s’est pas contenté d’y puiser les leçons
d’expérience, on a voulu s’y attacher en s’inventant des origines
égyptiennes. Le cas du monachisme syrien, antérieur historiquement,
est particulièrement frappant. Ce mythe littéraire a été considéré
ensuite comme historique. La référence au monachisme égyptien n’en
reste pas moins fondamentale. Il a été en quelque sorte choisi comme
"père" par des monachismes qui ne sont pas nés de lui. En Occident,
principalement à travers Cassien, il garde un caractère de "source"
: non pas la source de la vie monastique, mais la source d’une certaine
manière de la vivre.
Si ce grand mouvement de la fuite du
monde pour suivre Jésus radicalement connaît un grand essor en Egypte,
ce n’est pas un hasard. En effet, à Alexandrie la communauté chrétienne
était très fervente, en pleine croissance, et tout près se trouve
... le DESERT...