Si
tu acceptes de suivre le Christ, sache que tu y laisses ta vie
(14 septembre 1939, Fête de l'Exaltation de la Croix)
CITOYENNE
PRUSSIENNE ET JUIVE
Je
suis née au soir de la fête de Kippour (l'Expiation), le
12 octobre 1891, à Breslau, onzième enfant d'une famille
juive de Posnanie.
Ma mère,
profondément religieuse y vit un signe de prédilection
du Seigneur.
J'avais
à peine deux ans quand, durant un voyage d'affaires, papa fut
emporté par une insolation.
Maman
prit alors les commandes de l'entreprise de bois que dirigeait mon père.
Avec
une énergie extraordinaire, son intelligence très vive
et une grande confiance en Dieu, maman surmonte l'épreuve.
Douée
pour les affaires, elle passe pour le commerçant le plus solide
de la ville.
Fière
de ses origines, elle nous incite à observer le cérémonial
rabbinique.
Chaque
repas est accompagné de psaumes d'action de grâce et la
vaisselle est soigneusement lavée dans plusieurs eaux.
Comme
cadette, j'étais l'objet de l'affection de tous et je savais
en profiter, en abuser même.
J'étais
remuante comme du vif-argent, pétillante d'idées saugrenues,
effrontée et impertinente, en plus têtue sans bornes et
colérique quand quelque chose se mettait au travers de ma route.
Quand
j'étais en crise, Elsa, ma sur aînée m'enfermait
dans une chambre noire.
Mais
là, je criais de toute mes forces et frappais des deux poings
contre la porte jusqu'à ce que maman finisse par dire qu'on ne
pouvait tout de même pas importuner davantage les voisins
et
la porte s'ouvrait, à mon grand contentement.
PREMIER GROS CHAGRIN
A quatre
ans survint mon premier gros chagrin.
J'aurais
tant aimé aller à la grande école !
Mais,
maman ne voulant pas compromettre ma santé fragile, refusa net.
Pensant
me consoler, elle m'emmena au jardin d'enfants, proche de notre maison.
Ce fut
une catastrophe ! Je me sentis terriblement humiliée et perdue
au milieu de ces "bébés".
J'acceptai
mal de prendre part à leurs enfantillages, je voulais étudier.
J'étais
si malheureuse que maman me reprit à la maison. Aussi, pour mon
sixième anniversaire, je déclarai qu'à partir de
ce jour je voulais absolument aller à la grande école
et que c'était le seul cadeau d'anniversaire que je désirais.
A l'école,
je me sentis chez moi, plus encore qu'à la maison.
Je me
souviens encore de mon premier bulletin de note que je rapportai, toute
fière, à la maison en disant : " maman, pardonne-moi
de ne pas avoir eu la meilleure place, mais c'est Hilde qui l'a eue,
et c'est mieux ainsi puisqu'elle n'a plus sa maman ".
A cette
époque, je rêvais souvent de bonheur et de célébrité.
Je voyais
toujours devant moi un avenir éblouissant.
Mais
de ces rêves, je n'en parlais à personne, pas même
à maman.
Mes
frères et surs m'avaient surnommée : " le
livre à sept sceaux ".
J'étais
une élève " hyperzélée ",
levant le doigt sans cesse et bondissant au tableau.
J'avalais
les nouveaux livres de lecture et d'Histoire.
J'affectionnais
particulièrement les dissertations.
J'excellais
en Allemand et appris rapidement le français, l'anglais, l'espagnol
et lisais couramment le latin, le grec et l'hébreu.
J'avais
un seul point faible : les mathématiques.
CRIS D'ADOLESCENCE
A quatorze
ans et demi, au grand étonnement de tous, je décidais
d'arrêter mes études.
J'en
avais assez du collège.
Je voulais
vivre autre chose
Les
questions existentielles surgissaient en moi.
Pour
devenir autre, il me fallait être ailleurs.
Je rejoignis
alors à Hambourg, Elsa, ma sur aînée qui attendait
son deuxième enfant.
Je restai
auprès d'elle de mai 1906 à mai 1907.
Confrontée
à l'athéisme de mon beau-frère, je considérais
la question religieuse comme résolue.
En toute
conscience et par une décision libre, je renonçai à
ma foi.
De retour
en famille, à Breslau, je préparai l'examen d'admission
aux classes secondaires du lycée et le réussis facilement,
retrouvant la fougue d'étudier.
Je passai
brillamment le baccalauréat.
Je m'attendais
à ressentir une grande joie à la réception de ce
diplôme, il n'en fut rien.
Je ressentis
plutôt un grand vide intérieur.
Finie
la vie douce et familière, elle appartenait au passé.
Et
maintenant l'Université de Breslau m'ouvrait ses portes, à
Pâques 1911.
A L'UNIVERSITE DE BRESLAU
Inscrite
aux cours d'allemand, d'histoire et de philosophie, je me spécialiserai
bientôt pour la philosophie.
L'amour
de l'histoire n'était pas pour moi une plongée romantique
dans le passé, mais rejoignait mon intérêt passionné
pour les événements politiques du présent qui deviendraient
l'histoire future.
J'avais
alors vingt et un ans et j'étais pleine d'attente.
La psychologie
enseignée par William Stern m'avait déçue.
J'étais
parvenue à la conclusion que cette science se trouvait encore
dans ses langes et manquait de fondements objectifs.
Ses
tests laissèrent insatisfaites mes préoccupations sur
l'essence de l'âme humaine.
Par
contre, je fus enchantée des cours du philosophe Richard Hönigswald.
Pour
le suivre, il fallait tendre son esprit, s'appliquer de toutes ses forces.
Son
intelligence fine, pénétrante, aiguë, la force avec
laquelle il conduisait sa pensée m'enchantaient.
C'était
une école remarquable de pensée logique, et cela suffisait
alors à me réjouir.
UN TOURNANT DECISIF
Le
lecture des " Recherches logiques " d'Edmund Husserl
allait bouleverser toute ma vie.
Je venais
de découvrir le " Maître incontesté de notre
temps ".
A la
mi avril de 1913, je quittai aussitôt l'université de Breslau
pour celle de Göttingen, vrai paradis des étudiants, où
l'on ne faisait que philosopher
jour et nuit, à table, dans
les rues, partout
on ne parlait que de " phénomènes
".
Dès
le premier cours, je fus éblouie par la pensée de Husserl
et notamment par la "redécouverte de l'esprit"
qui était au centre de la phénoménologie.
A travers
une connaissance intérieure de l'essence, il rejoignait "
l'Etre " des choses.
Le premier
semestre à Göttingen fut la période la plus dure
de ma vie.
Je travaillais
d'arrache-pied à ma thèse de doctorat consacrée
au problème de l'Einfühlung, l'empathie qui est la possibilité
de comprendre autrui et de sentir par le dedans ce qu'il éprouve.
J'avais
accumulé une montagne de note, mais rien ne se précisait.
J'étais
aux prises avec les limites de ma raison.
Peu
à peu je m'enfonçai dans un véritable désespoir.
Je ne
pouvais plus traverser la rue sans souhaiter qu'une voiture me passe
sur le corps et que je n'en revienne plus !
C'est
le bras droit de Husserl, Adolf Reinach, maître de conférences,
chargé des étudiants qui me tira de cet abîme où
je sombrais peu à peu.
Ses
paroles compréhensives me redonnèrent l'équilibre
intérieur et de nouvelles forces intellectuelles.
Le dégoût
avait disparu.
Je renaissai
à une vie nouvelle.
La rencontre
de Max Scheler, juif converti au catholicisme, fut aussi décisive
pour moi et m'ouvrait une zone de phénomènes que je ne
pourrais plus jamais négliger.
Il nous
inculquait inlassablement que nous devions regarder toutes choses sans
préjugés et rejeter les " illères
" quelles qu'elles soient.
Les
barrières des préjugés rationalistes dans lesquelles
j'avais grandi sans le savoir, tombaient et le monde de la foi était
brutalement devant moi.
1914
La
première guerre mondiale m'obligea à interrompre mes études
et mes réflexions sur la foi.
Malgré
la désapprobation de ma mère, je m'engageai comme infirmière
de la Croix-Rouge, à l'hôpital de Mährisci Weisskirchen.
A un
médecin surpris par mon engagement, je répondis que tous
mes camarades d'étude étant aux armées, je ne voyais
pas pourquoi je serais en meilleure posture qu'eux
Je restai
ainsi deux années à soigner les soldats de l'armée
autrichienne malades du typhus, de la dysenterie et du choléra.
J'eus
la grande joie d'y recevoir une lettre d'Adolf Reinach, m'appelant "
chère sur Edith ", où il déclarait
entre autre " maintenant nous sommes camarades de guerre
".
Libérée
en 1916, du service sanitaire, je repris mes études de grec et
préparai ma thèse de doctorat que je soutins à
Fribourg, le 3 août 1916, obtenant la mention " summa
cum laude ".
Appelée
par le professeur Husserl, je devins son assistante à la chaire
de philosophie de l'Université de Fribourg-en-Bresgau.
J'avais
vingt-cinq ans.
J'étais
apparemment heureuse et fière de toucher des honoraires mensuels
de cent Mark !
PREMIERE RENCONTRE DU MYSTERE DE LA CROIX
En
novembre 1917, le professeur Reinach est tué dans la bataille
des Flandres.
Sa jeune
veuve Anna me demande de l'aider à classer les écrits
philosophiques de son mari.
Sans
hésiter, j'accours aussitôt, redoutant de trouver mon amie
écrasée par la douleur.
Mais,
quelle n'est pas ma surprise de trouver Anna rayonnante, transformée
par cette épreuve.
Tous
deux avaient été baptisés dans l'Eglise catholique,
durant l'été 1916, profitant d'une permission son mari.
La force
du Christ habitait son âme.
Pour
la première fois, l'Eglise, née de la Passion du Christ
et victorieuse de la mort, m'apparut visiblement.
A ce
moment même, mon incrédulité céda, le judaïsme
pâlit à mes yeux tandis que la lumière du Christ
se levait en mon cur.
Ce germe
divin déposé dans mon âme allait mûrir lentement
pendant quatre longues années.
De retour
à Fribourg, je déchiffrai les notes de Husserl, prises
en sténo pour l'édition "Vorlesungen",
un ouvrage sur la " Conscience du temps ".
J'assistais
à tous les cours du Maître, ce qui me permettait ensuite
de pouvoir commenter ses concepts auprès de ses nouveaux auditeurs.
Mais
cette vie trop monotone finit par me lasser, ajoutez à cela deux
déceptions amoureuses
À
l'automne 1918, je donnai ma démission d'assistance et quittai
définitivement Fribourg pour Göttingen.
MA CONVERSION
En
mars 1921, je rejoignai à Bergzabern dans le Palatenat, Théodor
et Hedwig Conrad-Martius, un couple de philosophes, disciples de Husserl.
Dans
la journée, je travaillais à l'exploitation de leur verger,
et la nuit nous discutions de philosophie.
Un soir
que je me trouvais seule, je pris un livre au hasard dans la bibliothèque.
Il portait
le titre : " Vie de sainte Thérèse par elle-même
".
Je commençai
à le lire, aussitôt je fus captivée et ne pus m'arrêter
avant de l'avoir achevé.
Quand
je fermai le livre, au petit matin, je me dis : "C 'est la vérité
".
Pendant
des années, j'avais cherché la Vérité dans
la philosophie, c'était la vérité des choses, la
vérité objective que donnent les choses.
Avec
Thérèse d'Avila, je découvrais la vérité
de l'Amour qui n'est pas connaissance mais relation.
Thérèse
m'avait ouvert la voie de la foi.
Le
chemin de la foi nous donne plus que le chemin de la connaissance philosophique,
il nous donne le Dieu personnellement proche, le Dieu qui aime et qui
a pitié, et une certitude que ne possède aucune connaissance
naturelle.Mais
le chemin de la foi est un chemin obscur. (L'Etre fini et l'Etre
Eternel)
LE BAPTEME
Le
jour même, je me procurai un missel et un catéchisme.
Pendant
plusieurs semaines, secrètement, je m'imprégnai de l'enseignement
du petit catéchisme et du missel.
Quand
je me sentis prête, je me rendis à l'église de Bergzabern
pour assister à la messe.
Rien
ne me demeura étranger et je suivis jusqu'au moindre détail
toutes les cérémonies.
Un prêtre
vénérable, Mr Breitlig, monta à l'autel et célébra
la messe dans un grand recueillement.
J'attendis
la fin de son action de grâces pour le rejoindre au presbytère.
Après
un bref entretien, je lui demandai le baptême.
Il me
regarda fort surpris, me répondant qu'une certaine préparation
était requise pour l'admission dans l'Eglise.
J'acquiesçai
avec enthousiasme.
C'est
ainsi que le registre des baptêmes porte l'indication suivante
:
Le 1er
janvier de l'an du Seigneur 1922, Edith Stein, âgée de
trente ans, docteur en philosophie, a été baptisée.
Née
à Breslau, le 12 octobre 1891 de Siegfried Stein et Augusta Courant,
elle est venue du judaïsme, après instruction et préparation
convenable.
Elle
reçut les noms de Thérèse, Hedwige.
Sa marraine
était Mme Hedwige Conrad, née Marius, domiciliée
à Bergzabern .
Aussitôt
baptisée, je fis ma première communion et de ce jour,
l'Eucharistie devint mon pain quotidien.
DERNIER SEJOUR EN FAMILLE
Restait
à prévenir maman de ma conversion !
Comment
allait-elle prendre mon abandon du jadaïsme ?
Plutôt
que de le faire par écrit, je décidai de me rendre à
Breslau et d'affronter directement ma famille.
Le soir,
à genoux devant maman, et la regardant droit dans les yeux, je
dis avec douceur et fermeté : maman, je suis devenue catholique
!
Maman
ne dit rien, elle pleura.
Jamais
je n'avais vu ma mère pleurer. Bouleversée, en silence,
je mêlais mes larmes aux siennes.
Je restais
six mois auprès d'elle, jeûnant et priant avec elle, l'accompagnai
à la synagogue chaque sabbat.
Les
autres jours, tôt le matin, j'assistai quotidiennement à
la messe en l'église saint Michel de Breslau.
Le 2
février 1922, je recevais le sacrement de la confirmation des
mains de Mgr Dr Ludwig Sebastian, évêque de Spire.
CHEZ LES DOMINICAINES
Le
chanoine Schurnd me fit connaître les Dominicaines enseignantes
de Ste Madeleine de Spire qui m'accueillirent comme professeur.
J'y
resterai jusqu'en 1931, partageant leur vie pauvre et retirée.
Me voilà
plusieurs années, professeur d'allemand au lycée et chargée
de préparer au baccalauréat les jeunes surs dominicaines.
En plus
de cours particuliers de latin, d'anglais et de français, je
trouvai encore le temps de traduire en allemand un volume des Lettres
et Journaux du Cardinal Newman, et en deux volumes le " De Veritate
" de saint Thomas d'Aquin.
En 1930,
à Salzbourg, devant un auditoire de plus de mille personnes je
donnai une conférence sur " l'ethos des professions féminines
" où j'abordai la question difficile et fort discutée
du sacerdoce de la femme.
Du point
de vue dogmatique, rien ne me semblait s'y opposer, rien qui défende
à l'Eglise de mettre en uvre une innovation aussi inouïe.
Consacré
ou non, homme ou femme, chacun est appelé à suivre le
Christ, à devenir Christ, c'est cela l'essentiel !
L'EXPERIENCE DE BEURON
Le
Père Eric Przywara qui m'avait demandé la traduction du
" De Veritate ", m'orienta vers l'Abbaye de Beuron.
Après
ma rencontre fulgurante de sainte Thérèse et du Carmel,
après la découverte de l'idéal dominicain au contact
des soeurs de sainte Madeleine et à travers l'étude de
saint Thomas, je pénétrais maintenant avec saint Benoît
dans la majesté de Dieu vécue dans la liturgie.
Avec
les moines de Beuron, pendant plusieurs années, j'ai vécu
des Semaines Saintes inoubliables.
Ce qu'on
ramène de là-bas est durable.
En douze
jours on peut y réunir un trésor qui aide à assimiler
tout ce qui vient de l'extérieur.
J'y
passai le vendredi Saint tout entier à la chapelle.
N'est-ce
pas le jour par excellence de l'Expiation ?
Du Yom
Kippour ?
Beuron
était devenu pour moi l'antichambre du ciel.
Le cycle
liturgique me permettait de partager la continuation mystique de la
Vie du Ressuscité.
Je
pouvais être Lui dans le libre don de moi-même, être
unie à Lui dans une communion de vie durable
La liturgie
est un merveilleux chemin où le Seigneur se laisse rencontrer.
Après
huit années d'activité scolaire à Spire, réalisant
que je ne pouvais à la fois cumuler l'enseignement et le travail
scientifique qui m'était demandé et qui me passionnait,
je donnai ma démission comme enseignante, non sans un certain
déchirement de coeur.
1933
- L'ANNEE SAINTE
Depuis
le printemps 1932, j'étais un poste de Maître de Conférence
à l'Institut allemand de pédagogie scientifique au Collegium
Marianum de Munster, en Westphalie.
C'est
là que je pus achever la " Puissance et l'Acte ".
La montée
du National Socialisme, l'arrivée d'Hitler au pouvoir et le récent
congrès nazi sur l'enseignement m'inquiétaient vivement.
Le 19
avril 1933, le gérant de l'Institut me fit comprendre qu'il était
préférable que je renonce provisoirement à donner
mes cours.
L'idée
me vint alors de rencontrer le pape Pie XI.
Mais
le Père Abbé de Beuron m'en dissuada, je ne pourrai pas
obtenir une audience privée du saint Père en raison de
l'affluence des pèlerins pour l'année sainte.
Une
audience semi- privée n'aurait servi à rien.
Je renonçai
donc à faire le voyage à Rome, mais rédigeai une
lettre au saint Père.
Je sais
que cette lettre lui a été remise, scellée, en
mains propres.
Peu
de temps après, j'ai reçu pour les miens et pour moi,
la bénédiction papale.
LETTRE A PIE XI- 12 AVRIL 1933
Saint
Père !
Comme
fille du peuple juif, qui par la grâce de Dieu est devenue depuis
onze ans fille de l'Eglise catholique, j'ose exprimer au Père
de la chrétienté ce qui préoccupe des millions
d'Allemands.
Depuis
des semaines nous sommes spectateurs en Allemagne, d'événements
qui montrent un total mépris de la justice et de l'humanité,
pour ne pas parler de l'amour du prochain.
Depuis
des années, les chefs du National Socialisme ont prêché
la haine contre les juifs.
Maintenant
qu'ils ont détenu le pouvoir et armé leurs fidèles-parmi
lesquels figurent des éléments criminels connus - ils
recueillent le fruit de la haine qu'ils ont semée
Tout
ce qui est arrivé et ce qui arrive quotidiennement vient d'un
gouvernement qui se définit "chrétien".
Non
seulement les juifs, mais aussi des milliers de fidèles catholiques
de l'Allemagne - et, je pense, du monde entier - attendent depuis des
semaines et espèrent que l'Eglise du Christ fasse entendre sa
voix contre un tel abus du nom du Christ.
L'idolâtrie
de la race et du pouvoir de l'Etat, avec laquelle la radio martèle
quotidiennement les masses, n'est-elle pas une hérésie
ouverte ?
Cette
guerre d'extermination contre le sang juif n'est-elle pas un outrage
à la très sainte humanité de notre Sauveur, de
la bienheureuse Vierge et des Apôtres ?...
N'est-ce
pas une tache noire sur l'histoire de cette Année Sainte qui
aurait dû devenir l'année de la paix et de la réconciliation
?...
La guerre
contre le catholicisme se développe en sourdine et avec des moyens
moins brutaux que contre le judaïsme, mais pas moins systématiquement.
Il ne
se passera pas beaucoup de temps avant qu'aucun catholique ne puisse
plus avoir un emploi à moins qu'il ne se soumette sans conditions
au nouveau courant.
Aux
pieds de Votre Sainteté, demandant la bénédiction
apostolique.
Edith
Stein.
ENTREE AU CARMEL
La
présidente du Syndicat des professeurs de l'Institut me proposa
de rester à Munster pour l'été afin d'y poursuivre
mes recherches aux frais du bureau et d'attendre la rentrée de
l'automne.
Libre
de tout poste, je pouvais enfin réaliser mon désir secret
d'entrer au Carmel.
La supérieure
du Carmel de Cologne m'invitait à passer un mois de "
probation " au " Tour ", du 16 juillet, fête
de Notre-Dame du Mont -Carmel au 15 août.
Ce mois
fut probant pour moi.
Mon
entrée définitive fut fixée au 15 octobre, pour
la fête de sainte Thérèse d'Avila.
Je passai
mes deux derniers mois en famille.
L'atmosphère
y était plutôt tendue et les adieux furent déchirants.
Ce que
je laissais derrière moi était effrayant, mais en franchissant
le seuil du Carmel, j'étais profondément paisible.
Lorsque
je me vis pour la première fois dans une petite cellule de neuf
mètres carrés, aux murs nus, blanchis à la chaux,
sommairement meublée d'une paillasse, d'une table base et d'un
tabouret, j'eus l'impression d'avoir trouvé mon vrai "
chez moi ".
Les
six mois de postulat passèrent vite.
Je mangeais
bien, je dormais à ravir et débordais de gaieté,
trois qualités qui, selon Thérèse d'Avila, sont
des signes de vocation authentique.
Je m'adaptais
facilement à ma nouvelle vie, m'acquittant bien maladroitement
des travaux ménagers et acceptant ces leçons d'humilité
avec humour
Tout
cela largement compensé pas les longues heures de prière
et de méditation.
Le dimanche
15 avril 1934, je recevais l'habit du Carmel des mains du Père
Provincial des Carmes et devenais Sur Thérèse-Bénédicte
de la Croix.
Ce fut
un jour de fête inoubliable.
Une
profusion de fleurs couvrait l'autel.
Des
amis et connaissances innombrables remplissaient la chapelle devenue
trop petite.
Dom
Walzer, Père Abbé de Beuron célébra la messe
pontificale.
Le 21
avril 1935, jour de Pâques, je prononçai mes veux pour
trois ans.
L'ETRE FINI ET L'ETRE ETERNEL
Sur
l'invitation de Mère Supérieure, je repris ma plume.
Je commençai
par écrire une biographie de sainte Thérèse d'Avila,
puis un mémoire sur la Prière de l'Eglise.
J'ai
pu terminer l'Index de ma traduction de saint Thomas, renuancer toutes
mes notes sur "l'Acte et la Puissance" et surtout commencer
mon uvre capitale : " L'Etre fini et l'Etre éternel
" (essai d'une élévation sur le sens de l'Etre).
Saint
Thomas était parti de la Vérité et de la Science
divines pour aboutir à l'unique principe de la philosophie :
" Cognoscere sequitur esse " : le connaître résulte
de l'Etre.
Quant à moi, je voulais partir des choses qui nous sont proches,
des perceptions immédiates, de la phénoménologie
pour déboucher sur l'ontologie, sur l'Etre
Le 14
septembre 1936, au moment même où je renouvelais mes vux
temporaires, j'appris que maman âgée de 88 ans, naissait
au ciel, après de longues souffrances causées par son
cancer de l'estomac.
La Foi
inébranlable qui soutient sa vie entière lui aura valu
la miséricorde de Dieu près de qui elle est maintenant
mon soutien le plus fidèle.
PROFESSION PERPETUELLE
Le
21 avril 1938, jour de Pâques, enfin, je prononçais mes
vux perpétuels.
Ce même
jour, mon ancien Maître de philosophie, le Professeur Husserl
entrait dans le repos éternel.
A son
épouse qui lui annonçait : Aujourd'hui, c'est le Vendredi
Saint , Husserl répondit : Quelle belle journée, le Vendredi
Saint ! Oui, le Christ nous a pardonné, à nous tous .
Le soir,
il murmure : Dieu est bon, mais Il est incompréhensible, et
c'est une grande épreuve pour moi.
Et
le matin de Pâques : J'ai vu des choses merveilleuses ! Vite
Ecrivez
!... .
Ce furent
ses dernières paroles qui me remplirent de joie.
LA SCIENCE DE LA CROIX
La "
Kristallnacht ", la nuit de cristal, pleine lune du 9 novembre
1938, avec l'incendie des synagogues, les pillages chez les juifs, l'explosion
effrénée de la haine raciale décide ma mère
supérieure à m'éloigner de Cologne ainsi que ma
sur Rosa qui m'avait rejoint au couvent.
J'étais
transie de douleur.
Le 9
juin 1939, je remettai mon testament à Mère Prieure du
Carmel d'Echt en Hollande où j'étais arrivée en
secret le 31 décembre 1938.
Je terminai
ainsi ce testament :
Dès
maintenant, j'accepte la mort que Dieu a prévue pour moi, je
le fais avec joie, et en toute soumission à sa sainte Volonté.
Je demande au Seigneur que ma vie et ma mort soient agréées
par son honneur et sa gloire, pour toutes les intentions des très
saints Curs de Jésus et de Marie et celles de la Sainte
Eglise.
En expiation pour le refus de foi du peuple juif, et pour que le Seigneur
soit reçu par les siens, et que son Règne arrive, glorieux
pour le salut de l'Allemagne et la paix du monde ; et enfin pour les
miens, vivants et morts, et pour tous ceux que Dieu m'a donnés,
qu'aucun d'entre eux ne se perde.
A Echt, la prieure me libère de tout travail manuel pour que
je puisse me consacrer à mon dernier ouvrage : " La Science
de la Croix ", une étude sur saint Jean de la Croix
pour la célébration de son quatrième centenaire.
Le langage
de la Croix parlait à ma chair et à mon cur de juive
persécutée.
La "
science de la Croix "me donnait l'occasion de donner une voix
à cette mer de souffrances qui s'abattait sur le peuple juif,
une voix et une réponse dans la lumière de Dieu.
A ceux
que la douleur écrasait et qui, devant la souffrance atroce de
millions de victimes, risquaient de tomber dans le désespoir,
je demandais d'élever les yeux vers le Mystère d'amour
d'un Dieu crucifié pour le salut du monde
L'HOLOCAUSTE
En
1940, les Allemands occupent la Hollande.
En 1941,
les carmélites de Luxembourg sont expulsées, celles d'Aix-la-Chapelle
et celles de Düren sont dispersées par la Gestapo.
En juillet
1942, on lit en chaire une protestation véhémente des
évêques de Hollande contre la déportation des Juifs.
Les
nazis se vengent : le 2 août 1942, dans tous les couvents de Hollande,
les religieux juifs sont appréhendés et emmenés.
Deux
officiers SS viennent me chercher avec ma sur Rosa pour nous emmener
au camp de Westerbork.
A ma
sur tout en larmes, je dis doucement : Viens, nous allons pour
notre peuple ! .
Le n°44-074
- Edith Stein - Née le 12 octobre 1891 à Breslau, venant
d'Echt est décédée le 9 août 1942 (dans la
chambre à gaz d'Auschwitz)
La 'Scientia
Crucis' - la science de la Croix - ne peut s'acquérir que
si l'on expérimente à fond ce qu'est la Croix.
J'en
étais persuadée dès le premier instant et j'ai
dit de tout cur :
Ave,
Crux, Spes unica !
Salut,
Crois, unique Espérance !
POUR ALLER PLUS
LOIN
-" La bienheureuse
Edith STEIN " - par Maria Amata NEYER (Cerf)
-" Comme l'or purifié par le feu " Edith STEIN par
Elisabeth de Miribel - Préface de Christian CHABANIS (Plon)
-" Regards sur Edith STEIN " par Bernard MOLTER - Editions
Eglise de Metz - BP 690-v 57019 Metz Cedex 1
-" Edith STEIN, à la lumière du Ressuscité
" par Wilhelmine BOEH Médiaspaul - Paris - Ed Paulines -Montréal
Liens
sur le web