Père
Alphonse : Amba Shenouda, nous
aimerions aborder avec vous la question de l'homme. Il est un tel mystère
que l'on n'a jamais fini de le contempler. Résumé du cosmos
tout entier, il contient tout. La Bible dit de lui qu'il est créé
le sixième jour et pourtant il ne cesse de naître et d'évoluer.
Ne serait-il pas un projet grandiose qui n'a pas encore vu le jour,
un peu comme le gland promis à devenir un chêne? Devant
l'homme, on sent qu'il est à la fois si peu de chose et en même
temps qu'il est habité par une capacité d'infini... Que
de paradoxes ! Qui est cet homme?
Le prophète David s'est posé cette question dans le psaume
8, où il demande à Dieu: Qu'est donc l'homme pour que
tu penses à lui? Et un peu plus loin, David dit: L'homme n'est
que du vent (Ps. 39,6). Saint Jacques répondra de la même
façon dans le Nouveau Testament : Vous êtes une vapeur
qui paraît un instant et puis disparaît (Jc 4,14). Avec
saint Paul la réponse à notre question sera plus concrète:
l'homme est un corps, une âme et un esprit.
(1 Th. 5,23).
C'est une âme qui désire et un esprit qui s'attache à
Dieu pour prier, méditer et adorer. Et les deux s'opposent, entre
eux c'est l'antagonisme (Ga. 5,17). L'homme est un ensemble d'instincts
et d'énergies qu'il domine quelquefois et dirige. Mais ces instincts
peuvent parfois aussi dominer et diriger son énergie. L'homme
est une conscience qui légifère, qui surveille, qui ordonne
et qui juge.
Père
Alphonse : Quand vous dites
: « il domine », qui est ce « il » ?
Amba
Shenouda :
C'est sa raison. Elle est puissante car c'est par elle qu'il réalise
les vaisseaux spatiaux pour atteindre la lune ou tourner autour de la
terre... Mais l'homme est aussi un coeur qui vibre par des sensations
et des sentiments. Ceux-là le rendent sensible jusqu'aux larmes
ou cruel comme une bête féroce. Ce n'est pas tout. L'homme
est encore une pensée qui ne s'arrête jamais. Et ses pensées
sont variables et de niveaux différents: elles peuvent se hausser
jusqu'à Dieu ou s'abaisser pour se préoccuper uniquement
de la chair et de la matière. L' homme est donc tout cet ensemble.
Mais ce qui distingue un homme d'un autre, c'est que l'un de ces éléments,
ou quelques-uns d'entre eux, prédominent. Certains ont dit que
l'homme est un «microcosme». Dans ce «petit monde»
qu'il est, se trouvent la haute montagne, la mer profonde, la boue et
la marée; on y distingue l'or et les perles, le sable et les
cailloux, il s'y diffusent la lumière éclatante et les
brouillards qui voilent cette lumière, où s'harmonisent,
pour un temps, les choses qui, ensuite, s'entremêlent à
nouveau...
Rachel
:
Chacun de ces mots est un symbole extraordinaire qui ouvre à
son tour sur un univers de sens psychiques et spirituels... Pour nous
faciliter la compréhension de ce monde grouillant qu'est l'homme,
saint Paul distingue donc avec clarté «le corps, l'âme
et l'esprit». Nous avons une expérience concrète
de notre corps, mais l'âme et l'esprit sont très souvent
confondus. Cette confusion est l'un des drames de l'occident...
Amba
Shenouda :
L'âme est l'essence de la vie humaine. L'esprit est l'essence
de sa relation avec Dieu. Notre esprit est éternel, contrairement
aux animaux qui n'ont qu'une âme. C'est l'âme qui pourvoit
le corps de la vie. Le livre du Lévitique le note: La vie d'une
créature est dans le sang (Lév. 17,11-14). C'est pourquoi
Dieu interdit de consommer le sang. La vie de tout être humain
est dans le sang. Son sang versé lui retire la vie et l'âme.
Père
Alphonse :
On peut donc déjà constater au passage à quel point
l'âme et le corps sont liés, il y a une réelle compénétration
des deux, énorme de conséquences. C'est pourquoi il me
paraît important d'approfondir notre regard sur l'âme et
de discerner davantage ses composantes.
Amba
Shenouda :
Celles-ci sont d'une extrême complexité. Nous avons parlé
de la place centrale de la raison. Certains pensent que c'est elle qui
guide l'homme, mais cela n'est pas exact. L'homme peut être orienté
par des facteurs psychologiques, nerveux, sentimentaux et encore par
sa conscience. Il se peut que sa raison et sa conscience prennent des
directions tout opposées. L'homme peut également être
orienté par son caractère ou encore par ses habitudes
prédominantes. Au milieu de tout cela, la raison peut se tromper,
donner un mauvais conseil ou mal juger les faits. Si elle veut être
une servante des désirs de l'âme, elle a besoin d'entendement.
Sinon, elle tourmente l'homme par ses doutes, ses soupçons et
ses craintes. La raison entraîne parfois l'homme dans un vrai
tourbillon où il se noye, sans pouvoir prendre aucune décision.
Cela est vite dramatique si son caractère est pessimiste et scrupuleux,
ou encore si sa raison vagabonde dans de pures imaginations et des rêveries.
Dans cet ensemble complexe il ne faut pas oublier les nerfs. Quand ils
s'enflamment, toutes les forces de la raison et de la conscience sont
suspendues. C'est ainsi que l'homme agit aveuglément et sans
contrôle. Voilà pourquoi Dieu préfère soumettre
la raison à des guides spirituels: Ne t'appuie pas sur ta sagesse,
dit-Il (Pr. 3,5). Alors intervient l'esprit qui apaise l'âme et
éveille la conscience.
Père
Alphonse
:
L'esprit, c'est ce qui fait qu'un homme soit un homme et non un animal.
Autant l'âme, le psychisme, est compliquée, instable, tyrannisée
par les émotions et constamment ballottée par la complexité
dont vous avez parlé, autant l'esprit est-il simple. Il ne connaît
pas ce tiraillement, car il est non-duel, au-delà des opposés
«ça me plait - ça me déplait » ou «c'est
bien - c'est mal», «c'est beau - c'est laid»... En
lui demeurent les « fruits de l'esprit» dont parle saint
Paul: «Amour, joie, paix... » (Ga. 5,22), qui sont, en fait,
les reflets de la Présence de l'Esprit Saint et de notre relation
vivante avec Celui-ci.
Amba
Shenouda :
Oui... l'esprit est paré des vertus, comme le note aussi l'apôtre
saint Pierre: La parure personnelle inaltérable d'un esprit doux
et tranquille (1 P. 3,4). L'esprit paré des vertus est l'image
de Dieu sur la terre, que le livre des Cantiques a vue rayonnante comme
le soleil, belle comme la lune. Mais s'il en est ainsi, c'est parce
que l'homme naît de l'Esprit Saint au baptême, comme le
dit Jésus: Si un homme ne naît d'eau et d'Esprit, il ne
peut entrer dans le royaume de Dieu (Jn 3,5). Et puis, la sainte onction
fait du corps de l'homme un temple de l'Esprit Saint, selon la parole
de saint Paul: Ne savez-vous pas que vous êtes le temple de Dieu
et que l'Esprit de Dieu habite en vous ? (1 Co. 3,16). Il y a donc une
communion entre l'Esprit de Dieu et l'esprit humain.
Rachel
:Le
premier travail de l'homme sera alors d'entrer dans cette communion,
d'y consentir, de ne pas éteindre l'Esprit Saint ou de l'attrister,
comme dit aussi saint Paul (1 Th. 5,19; Ep. 4,30), mais, au contraire,
de «s'en laisser remplir»
(Ep. 5,18).
Amba
Shenouda :
C'est alors seulement que viennent les «fruits de l'Esprit»,
car ils sont l'oeuvre de l'Esprit de Dieu en nous et de notre consentement
à l'oeuvre de l'Esprit. C'est donc le fruit de deux choses ensemble.
Rachel
:
Dans cette communion réciproque notre esprit s'éveille,
il se sent exister et devient même très ardent au contact
de ce feu divin qu'est l'Esprit Saint?
Amba
Shenouda :
Loin de Dieu, l'esprit de l'homme est endormi, indifférent. Mais
dans l'association intime avec l'Esprit Saint, l'esprit de l'homme devient
fervent, ardent, il est enflammé par l'amour divin. On dit, en
effet, que Notre Dieu est un feu dévorant (He. 12,29). Il n'est
donc pas étonnant que l'Esprit de Dieu, qui remplit les disciples
le jour de la Pentecôte, soit descendu sous forme de langues de
feu (Ac. 2,3). La vie en esprit s'exprime par un grand amour divin.
C'est un feu que même les grands fleuves ne peuvent éteindre
ou submerger (Ct. 8,7). Celui qui en est saisi ne cesse de répéter:
Le zèle de ta maison me dévore
(Ps 69,10).
Rachel
:
On ressent derrière ce feu une réelle force ou une puissance,
puisqu'il « dévore » et résiste même
aux « grands fleuves »...
Amba
Shenouda :
C'est une force tout à fait effective qui donne puissance à
la parole, à la raison, au coeur de l'homme. Elle lui permet
de dominer son corps qui s'oppose à l'esprit (Ga. 5,17), et c'est
cette même force par laquelle il a le pouvoir de chasser les esprits
impurs (Mt. 10,1). L'homme habité par cette force n'a plus peur
de rien, rien ne le terrifie. Que c'est drôle de voir les peureux
s'éloigner de l'Esprit de Dieu, alors qu'Il est la source de
toute force ! Le Christ n'a-t-il pas dit : Vous recevrez une force,
celle de l'Esprit Saint qui descendra sur vous. Vous serez alors mes
témoins (Ac. 18). L'Eglise primitive était possédée
par cette force, son ministère donna naissance à un Royaume
divin plein de puissance. Souvent les ministres sont actifs, mais dans
la force de l'esprit, leur ministère est dépourvu de spiritualité,
inanimé et languissant, une routine sans influence !
Père
Alphonse :
Comme toute force, la force spirituelle doit être nourrie pour
exister et se développer. Si on avait le courage de se mettre
devant certaines évidences, on serait sans doute ahuri mais plus
étonné du tout du malheur dans lequel on se plonge soi-même.
On n'hésite jamais à donner tous les jours au corps des
heures pour manger, dormir, faire du sport et autres activités,
on n'hésite pas davantage pour nourrir son âme qui vit
des produits de la civilisation, de la culture, des arts, de l'amitié,
des lectures, de la télévision, les menus sont variés
et étendus à l'extrême, alors qu'à l'esprit,
qui est seul pourtant à pouvoir nous donner une plénitude
de vie, on lui octroie une demi-heure par jour de prière... et
l'on trouve que c'est beaucoup ! On s'y ennuie et on attend que cela
se termine au plus vite... pour replonger dans les occupations de l'âme
et du corps.
Amba
Shenouda :
L'esprit a besoin de se nourrir de lectures spirituelles, de méditation,
de la liturgie, de réunions spirituelles, de cantiques et d'hymnes,
de pensées et d'influences spirituelles... Ces éléments
sont indispensables à l'esprit, tout comme certains éléments
sont indispensables au corps: le calcium pour l'édification des
os, le fer pour fabriquer du sang, les protéines pour la constitution
des tissus, le sucre et les carbohydrates pour son énergie et
toutes sortes de vitamines ou autres espèces... Mais encore,
comme le corps a besoin de repos, l'esprit de même doit se retirer
dans des retraites spirituelles. Et si le corps souffre, on le soumet
aux médecins et on suit toutes leurs prescriptions : de même,
là aussi, doit-on soumettre l'esprit à des médecins
spirituels, les Pères ou les guides spirituels, dont on suit
les remèdes et les conseils.
Père
Alphonse
:
La différence, c'est que l'esprit est absolu comme l'Esprit de
Dieu auquel il «ressemble». Cela veut dire qu'il veut se
nourrir tout le temps, rester uni à Dieu, vingt-quatre heures
sur vingt-quatre, c'est sa nature. C'est pourquoi Jésus a dit:
Priez sans cesse. Si nous ne donnons à l'esprit qu'une demi-heure
par jour, il va hurler à l'asphyxie les autres vingt-trois heures
et demi. Notre terrible nostalgie, nos insatisfactions multiples, notre
profonde tristesse et finalement tous nos malheurs existentiels sortent
de là. L'esprit ne pouvant à aucun moment rester sans
nourriture, va se précipiter dans l'âme et parasiter celle-ci,
et l'âme, à son tour, enflamme le corps. C'est alors la
naissance de toutes les passions. L'homme, qui n'est pas uni à
Dieu, s'unit à d'autres dieux, à tous les substituts qui
lui permettent de survivre à travers des dépendances dont
il est alors l'esclave... Il ne s'agit pas d'un problème moral,
mais ontologique : c'est un déracinement de l'être. L'homme
se réduit à une vie animale...
Amba
Shenouda :
Oui... l'esprit séduit, entraîne la chair avec lui. Le
corps séduit, associe l'esprit à lui, la raison, la pensée.
Au contraire, cependant, la ferveur de l'esprit, dans sa piété
et son amour divin, entraîne le corps avec lui qui s'associe alors
à la spiritualité. Le recueillement de l'esprit entraîne
celui du corps. L'esprit enflammé par l'amour de Dieu pousse
le corps à s'incliner ou à se prosterner. Si nous cherchons
à rester en communion perpétuelle avec l'esprit de Dieu,
toute notre vie se spiritualisera. Nos paroles seront spirituelles,
notre amour pour les hommes sera spirituel, notre conduite sera spirituelle,
car nous nous conduirons selon cette sagesse spirituelle venant d'en-haut,
émanant du Père de toute lumière. Selon la parole
de saint Paul : Il n'y a donc maintenant aucune condamnation pour ceux
qui sont en Christ Jésus... qui ne vivent plus selon la chair,
mais selon l'esprit (Rom. 8,1).
Ceux
qui sont dans le Christ Jésus ne peuvent rien faire sans Lui
(Jn 15,5). Le Seigneur dit à leur propos : Moi, je suis en eux
(Jn 17,26). Croissant sans cesse en esprit, ceux-là peuvent dire
avec l'apôtre Paul: Ce n'est plus moi qui vis, c'est le Christ
qui vit en moi (Ga. 2,20). Alors si quelqu'un est en Christ, il est
une nouvelle créature (2 Co. 5,17). Il s'agit là d'une
vie de complet et perpétuel abandon à l'Esprit de Dieu.
Désormais l'Esprit Saint coopère avec l'homme dans chacun
de ses travaux, dans chacune de ses paroles, comme le Seigneur lui-même
l'a révélé : Ce n'est pas vous qui parlerez, mais
c'est l'Esprit de votre Père qui parlera en vous
(Mt. 10,20).
Rachel
:
Je peux donc lui dire «Seigneur» en toute vérité,
car je l'invite à exercer sa seigneurie sur tout ce que je suis
et sur tout ce que je fais. Cela veut dire que je veux entrer avec Lui
dans une relation de dépendance absolue et inconditionnelle,
si bien que tous les autres « seigneurs », les autres dépendances,
doivent disparaître de ma vie. Une fois que cet axe est posé
en Dieu, tout mon être s'oriente et s'unifie en Lui, mes énergies
dispersées dans le multiple se focalisent en un seul point. Il
y a alors un Chemin spirituel, avec ses étapes de croissance...
Père
Alphonse
: ...
où l'esprit est de plus en plus souvent, de plus en plus longtemps
en union avec l'Esprit Saint, et un jour c'est un état permanent
d'union. Alors tout ce que l'on fait est « spirituel »,
même ce que fait le corps. Quoi que vous fassiez, dit saint Paul,
que vous mangiez ou que vous buviez, faites-le pour la gloire de Dieu
(1 Co. 10,31). Le corps, l'âme et l'esprit sont alors tellement
un que l'un compénètre l'autre : les Pères appellent
cela une « périchorèse ». L'esprit toujours
uni à l'Esprit Saint, illumine l'âme et l'âme illumine
le corps, le rendant transparent...
Rachel
:
... et le corps en tant que «microcosme» illumine le macrocosme,
la création toute entière, qui gémit en travail
d'enfantement (Rm. 8,22). Quand l'homme entreprend un chemin de restauration,
il entraîne avec lui toute la nature à laquelle il est
intimement lié. Cela explique pourquoi les palmiers s'inclinent
au passage d'un saint et pourquoi les animaux cessent d'être sauvages
et aiment la compagnie d'un homme pacifié... C'est comme si l'univers
paradisiaque était toujours possible: la fameuse paix messianique
annoncée par le prophète Isaïe est à la portée
de notre main (is. 11,6-9).
Amba
Shenouda :
Mais le tout de l'homme se joue dans son coeur. Tout émane du
coeur, c'est le coeur qui dévoile la véritable nature
de l'homme, ses secrets et ses intentions. Le coeur est le centre de
tout. C'est la raison pour laquelle la Bible insiste: Garde ton coeur
plus que tout autre chose, car de lui viennent les sources de la vie.
La vie spirituelle n'est pas la pratique d'un culte ou de quelque vertu
ésotérique, mais une relation d'amour où le coeur
est profondément attaché à Dieu. C'est pourquoi
Il te dit: Mon fils, donne-moi ton coeur (Pr. 23,26). Dieu est Celui
qui sonde les coeurs (Ps 7,9). Et toute la gloire de l'homme est à
l'intérieur de lui.
Père
Alphonse
:
Comme le coeur est le centre du corps, le centre de l'âme et le
centre de l'esprit, c'est donc par lui, le coeur, que ces trois s'unifient
et font ainsi naître l'homme à sa véritable réalité,
au mystère de son être. Hors du coeur, dit un aphorisme
ancien, l'homme est sans domicile, mais dans son coeur il est à
la fois chez lui et chez Dieu. Saint Nicétas (ve s.) affirme
que c'est dans le coeur que se lève l'antinomie chair-esprit,
car il est, selon lui, le point de convergence de toutes les puissances,
spirituelles, psychiques et corporelles de l'homme, le moyen par lequel
il entre en contact avec tout ce qui existe au-dehors comme au-dedans,
qu'il entre en face à face avec Dieu et avec ses frères...
Amba
Shenouda :
Oui... mais aussi sur le plan négatif, ne l'oublions pas ! Si
le coeur est le centre de la tendresse et de la bonté, il l'est
également de la cruauté et de la méchanceté.
S'il est le centre de la foi et de la confiance, il l'est également
du doute et de l'absence de la paix. Le coeur est le centre de l'humilité,
mais il est aussi le centre de l'orgueil! Satan est né de ce
dernier, comme le révèle Isaïe: Tu disais en ton
coeur: je monterai au ciel, j'élèverai mon trône
au-dessus des étoiles de Dieu... Je serai semblable au Très-Haut
(14,13-14). Ainsi l'orgueil a précédé la chute
(Pr. 16,18).
Le
coeur englobe tout en nous et de nous. Toutes les vertus émanent
du coeur et tous les péchés aussi. De même toutes
les paroles de notre langue, émanent de notre coeur. La Bible
le dit: De l'abondance du coeur, la bouche parle (Mt 12,24). Et même
nos pensées secrètes viennent de là: L'homme bon
tire le bien du bon trésor de son coeur, et le mauvais tire le
mal de son mauvais trésor (Lc 6,45).
Rachel
:
Ce qui se passe à l'extérieur de moi, mon expression et
mon comportement sont donc un excellent diagnostic pour reconnaître
qui je suis en profondeur, ce que cache mon coeur...
Amba
Shenouda :
Cela est clair: si ton coeur abonde en amour, tes relations en seront
le reflet inévitable. Et si ton coeur abonde en inimitié
ou en haine, il en sera de même dans tes agissements, dans ta
manière de parler, dans ton regard. Le coeur en est la source,
sauf en cas d'hypocrisie. Mais ce mensonge est vite dépisté
aussi...
Comme on le voit la pensée et le coeur sont très intimement
liés. Le coeur est le reflet de nos pensées, comme la
pensée est le reflet de notre coeur. L'Ecriture ne s'y trompe
pas en incluant cette réalité dans le plus grand des commandements:
Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton coeur... et de toute ta
pensée
(Mt 22,37).
Pour
reformer son coeur, le renouveler, il faut commencer par la pensée.
Saint Paul le dit avec clarté: Soyez transformés par le
renouvellement de l'intelligence.
(Rm. 12,2). La pensée dirige le coeur.
Père
Alphonse :
Il
ne faut pas confondre ici la pensée avec les multiples petites
pensées qui ne cessent de traverser notre mental et dont nous
sommes tyrannisés à longueur de journée ! Celles-ci
divisent le coeur mortellement au lieu de le diriger vers la vie divine.
Comme le chemin spirituel est avant tout, dans sa méthode, une
question de direction, de focalisation extrême sur un seul point,
la pensée qui imprime cette attitude doit être plutôt
une conscience profonde, une conviction ou une «pensée-racine».
Sans cette pensée-racine, qui se trouve derrière tout
ce que l'on pense, tout ce que l'on dit, ou fait, il n'y a rien, sinon
le flou de l'amateur errant sur des chemins de traverse... La pensée
motive et mobilise puissamment le coeur; mais comme le coeur régit
sur tous les organes, une fois qu'il est possédé, son
règne s'étend sur toutes les pensées et tous les
membres. C'est un thème cher à saint Maxime le Confesseur
. II y a donc un aller-retour entre la pensée et le coeur...
Amba
Shenouda :
Tout se tient dans l'homme et il faut se méfier des distinctions
trop tranchées ! Il est vrai que la pensée de l'adultère
devient convoitise, la pensée de la colère devient irritation,
la pensée de la haine se transforme en rancune... La mauvaise
pensée est donc adaptée par le coeur, les sentiments du
coeur donnent naissance aux pensées. Il y a effectivement un
va-et-vient mutuel, chacun des deux est à la fois cause et effet.
Mais
derrière la pensée qui dirige le coeur, dont vous avez
parlé, il y a une troisième réalité : la
volonté. Une volonté irrésolue donne, comme vous
le dites, dans le flou, l'hésitation et le doute. L'Ecriture
dit clairement: Aime le Seigneur, ton Dieu de tout coeur. L'accent est
mis sur le mot «tout». Si le coeur est tout entier à
Dieu, il en sera de même de la volonté. Mais du coeur instable
provient une volonté faible. Quand l'amour de Dieu emplit le
coeur de l'homme, celui-ci ne commet aucun écart, parce que c'est
l'amour de Dieu qui dicte alors son comportement.
La
volonté tout entière est en Dieu. Si la volonté
n'est pas totalement engagée, elle sera victime des influences
extérieures. Ainsi, il y a donc une forte réciprocité
entre le coeur et la volonté, comme entre le coeur et la pensée.
Rachel
:
Pour trouver encore plus de clarté dans ce «mécanisme»
intérieur à l'homme, ne devrait-on pas dire que le lien
profond de ces trois réalités : pensée, coeur et
volonté, ce qui les unit indissociablement, c'est le désir?
Car l'homme est d'abord ce qu'est son désir. N'est-ce pas en
lui que l'on trouve le dénominateur commun?
Amba
Shenouda :
Exactement ! Quand Dieu dit, par la bouche du prophète Ezéchiel:
Je vous donnerai un cour nouveau, et je vous donnerai un esprit nouveau
(36,26), cette expression « coeur nouveau » signifie que
le coeur est renouvelé de son désir. Il se retourne vers
Dieu, ses passions, ses intentions, ses conceptions même sont
transformées. C'est ce que l'on appelle couramment le «repentir»,
exprimé par exemple par le psalmiste dans ce verset: Je t'ai
cherché de tout mon cour (Ps 119), ou encore par le prophète
Joël: Déchirez vos cours et revenez à l'Eternel votre
Dieu (11. 2,13).
Père
Alphonse :
Il
s'agit d'un retournement au sens propre du terme. Voilà à
nouveau la « direction » qui fait qu'on a un chemin spirituel,
et nous expérimentons, en effet, que ce qui dirige notre être,
ce qui l'aimante et l'oriente, c'est bien le désir. Tant que
le désir n'a pas de direction, si Dieu ne l'attire pas profondément,
alors il tombe dans le multiple et s'atomise dans les mille et un besoins
que lui inculque la société de consommation...
Amba
Shenouda :
C'est pourquoi David s'écrie dans son fameux psaume du repentir:
O Dieu, crée en moi un cour pur! (Ps 50). La multiplicité
et la division c'est le contraire d'un coeur pur. Un coeur pur n'est
pas partagé, il est totalement donné à Dieu, sans
aucune division. Seul celui-là peut rencontrer et voir Dieu.
Jésus le dit dans les Béatitudes : Heureux les cours purs,
car ils verront Dieu (Mt. 5,8). C'est ici donc que nous avons la racine.
Le désir du coeur déclenche celui des sens. Le Christ
est très clair dans le Sermon sur la Montagne : Quiconque regarde
une femme en la désirant, a déjà, dans son cour,
commis l'adultère avec elle (Mt. 5,28). L'adultère en
acte a sa racine dans le coeur. C'est là qu'il commence. Si le
coeur est pur, le regard ne convoite et ne désire pas une autre
direction. Parce qu'il est totalement en Dieu, son désir est
comblé...
Rachel: C'est l'état de prière par excellence, où
les mots ne sont pas toujours nécessaires...
Père
Alphonse
:
... une simple conscience lumineuse ou plutôt une réciprocité
de conscience divino-humaine, une inhabitation silencieuse de Dieu dans
l'homme et de l'homme de Dieu. C'est ce que l'Évangile appelle
la «virginité», dont Marie est la plus belle réalisation...
Cette conscience ouvre à une approche radicalement nouvelle du
monde. A mon avis tout est là: ce ne sont pas les événements
qui nous transforment, mais notre manière de les approcher. Et,
selon la force de cette approche, l'événement le plus
insignifiant trouve encore une résonance au fond de nous et nous
éveille...
Amba Shenouda: Cela revient donc à dire, il faut y insister,
que tout dépend de notre manière de penser. Celle-ci plonge
jusque dans l'inconscient, qui devient alors une source d'idées,
de désirs, de sentiments... et se répand même dans
les rêves. Selon précisément la direction donnée
à la pensée elle peut être obsessionnelle et tragique,
entraîner la maladie ou même la mort, ou alors elle est
spirituelle et conduit l'être à la sainteté.
Rachel
:
Les Pères disent que l'on doit exercer la vigilance comme une
douane qui interroge chaque pensée: es-tu des nôtres ou
non?
Amba
Shenouda :
Devant une pensée mauvaise on peut faire le signe de croix et
dire: Arrière Satan! comme le Christ l'a fait (Mt. 4,10). Il
faut bannir cette pensée dès qu'elle se présente,
car si on la laisse pénétrer en son for intérieur,
elle est très dangereuse pour soi. C'est une vraie trahison de
l'Esprit Saint qu'elle chasse de sa demeure (1 Co. 3,16) pour s'enraciner
dans le coeur où elle va attiser les passions.
Dans la vie spirituelle, il est de la plus haute importance de mener
le combat contre les pensées, c'est une véritable guerre
sainte, dont les armes peuvent varier. Saint Aigris, par exemple, propose
avec d'autres Pères de répliquer à chaque pensée
par un verset de l'Ecriture sainte. Quand on est assailli par les idées
de colère, on peut répéter: La colère de
l'homme n'accomplit pas la justice de Dieu (Jc. 1,20). Accablé
par des pensées d'adultère, la phrase de saint Paul: Ne
vous y trompez pas: ni les débauchés, ni les adultères...
n'hériteront le Royaume de Dieu (1 Co. 6,910) peut remplir notre
esprit... Cela suppose, bien sûr, une familiarité avec
l'Écriture.
Mais, mieux que ce combat au coup par coup, c'est d'immuniser sa nature
contre les pensées de l'Adversaire par l'amour constant de Dieu.
Si notre raison et notre coeur sont occupés par la Présence
divine, Satan n'y trouvera aucune place ! D'où la nécessité
de la prière continuelle, comme la pratiquaient nos saints Pères.
Il n'y a rien de plus dangereux que de laisser sa maison inoccupée!
Le Démon est toujours à l'affût des paresseux et
oisifs...
Père
Alphonse: Il fait son appât des énergies dispersées
et sans but... Comment les galvaniser et leur donner une puissante orientation
qui les met hors de danger?
Amba
Shenouda :Il
faut lire la biographie des saints, cela est très stimulant dans
ce combat. Notre nourriture continuelle et indispensable, c'est surtout
l'Ecriture sainte. En lire un chapitre tous les matins et se laisser
accompagner durant la journée par ce qui nous a touchés,
tel sens, telle phrase. On ne peut pas non plus se passer des Psaumes
: en prendre un, le lire, le relire, se laisser habiter par la parole
de Dieu... L'esprit qui n'est pas nourri est en état de béance,
à ses risques et périls...
Rachel
:
Les Psaumes sont une véritable thérapie de l'âme.
Ils révèlent à la fois nos ombres et la lumière
qui brille dans nos ténèbres : J'enfonce dans la boue
sans pouvoir me tenir, je suis tombé dans un gouffre et le flot
me submerge (Ps 69,3), mais: Le Seigneur est ma lumière et mon
salut, de qui aurai-je crainte? Le Seigneur est le rempart de ma vie!
Qui me fera trembler? (Ps 27,1-2). Le mieux serait de cantiler le Psaume
sur une note, sa puissance de pénétration est alors beaucoup
plus forte et la mémorisation bien plus facile...
Amba
Shenouda :
Si la mémoire n'est pas suffisante, il peut être très
utile de se confectionner un aide-mémoire spirituel où
l'on enregistre les idées-forces qui nous ont le plus impressionnés.
On l'ouvre de temps à autre pour méditer ces phrases,
les ruminer... Cela purifie la raison et le coeur! C'est un puissant
outil pour ce «renouvellement» de l'esprit dont nous avons
parlé. Par cette rumination des textes, l'homme acquiert une
nouvelle manière de percevoir et une certaine force. Isaïe
le prophète en parle : Ceux qui se confient dans le Seigneur
renouvellent leur force. Ils prennent le vol comme les aigles, ils courent
et ne se lassent point, ils marchent et ne se fatiguent point (40,31).
Tant que notre pensée n'est pas transformée, nous ne sommes
jamais à l'abri des chutes et aucun progrès n'est possible.
Par contre une pensée illuminée voit la transparence de
toutes choses et agit en conséquence...
Prenons
pour exemple le corps. Le vieil homme le perçoit comme un moyen
de jouissance et de volupté, il est toujours aux aguets d'un
plaisir, esclave de ses besoins, alors que l'homme nouveau voit le corps
et surtout le vit comme le temple de l'Esprit Saint (1 Co. 6,19). Le
corps devient alors un extraordinaire instrument sur le Chemin spirituel,
car, par tout ce qu'il fait, il rend gloire à Dieu, ainsi que
nous y invite saint Paul: Glorifiez donc Dieu dans votre corps (1 Co.
6,20). Il ne convoitera pas la femme qu'il voit (Mat. 5,28), mais il
contemple en elle aussi la Présence de l'Esprit Saint et vénère
son corps comme un temple de Dieu...
Père
Alphonse
:
Saint Jean Climaque (VIIe s.) dit que celui qui, à la vue d'un
corps d'une singulière beauté, glorifie le créateur
et se comporte toujours ainsi en de pareilles circonstances, est déjà
ressuscité incorruptible avant la commune résurrection.
Et il ajoute : Ce qui peut être un gouffre pour l'un devient pour
l'autre une occasion de couronnes. On illustre parfois ce texte par
l'événement qui est arrivé à l'évêque
Nommus. Celui-ci voit passer Pélagie, la plus fameuse comédienne
d'Antioche, il la regarde longuement, puis reproche aux autres évêques
qui l'entourent: Pourquoi n'avez-vous pas pris grand plaisir à
voir l'extrême beauté de cette femme? Moi, j'y ai pris
un très grand plaisir, d'autant que Dieu la mettra un jour devant
son trône pour juger nos personnes... («L'Echelle Sainte»,
Bellefontaine, pp. 168 et 340).
Amba
Shenouda :
Quand on sait ce que l'on veut, on est à l'abri du péché.
Il s'agit d'incarner sa décision. En rejetant la mauvaise pensée,
la volonté se fortifie à chaque fois un peu plus, l'orientation
de tout l'être s'approfondit sans cesse et au sein des circonstances
les plus adverses. L'homme coopère intimement avec la grâce
qui l'accompagne à chacun de ses pas pour mouvoir sa volonté
de l'intérieur. Mais, à l'inverse, chez un homme hésitant
ou s'intéressant aux propositions du Démon, la grâce
ne force rien et respecte toujours la liberté de cet homme...
La volonté de celui-ci s'affaiblit alors, se divise et tombe
dans le multiple à cause de sa non-décision, pour finir
dans la ruine du péché...
Rachel
:
Le péché, c'est «manquer la cible» au sens
étymologique du terme... Il faut donc non seulement bien cibler,
mais encore veiller à la force de départ de la flèche
que l'on tire !
Père
Alphonse
:
C'est effectivement dès le départ de la pensée
mauvaise qu'il faut agir très rapidement et avec force. Si on
laisse errer la pensée en soi, elle va chatouiller nos sens,
se jouer de nos sentiments, séduire notre âme et finalement
prendre racine. Au commencement la pensée n'est qu'une petite
herbe en terre facile à extirper, mais quand elle a jeté
ses racines profondes en soi et que son tronc s'élève
comme un arbre solidement implanté, comment s'en débarrasser?
Parfois, comme dit l'Apôtre Paul, il faut résister jusqu'au
sang (He. 12,4).
Rachel: Pécher n'est donc pas un affront à la morale !
Amba
Shenouda :
C'est un affront à la vie elle-même. Le pécheur
est un homme mort, même s'il semble vivre dans son corps. Le Christ
le dit dans la parabole de l'Enfant Prodigue: Mon fils que voici était
mort et il est revenu à la vie (Lc 15,24). De même saint
Paul: Vous étiez morts par vos péchés (Ep. 2,1).
Jésus
révèle dans l'Evangile que la vie c'est Lui-même:
Je suis la vie (Jn 14,6), et que vivre pleinement, hors du péché,
c'est de demeurer en Lui: Celui qui demeure en moi et moi en lui porte
beaucoup de fruits (Jn 15,5). Si le Christ est la vie, quiconque est
fixé en Lui est fixé dans la vie, il est spirituellement
vivant. Et si le Christ vit en nous, tout ce que nous faisons sera l'oeuvre
du Christ en nous. C'est ce que certifie saint Paul par ces paroles
si profondes: Ce n'est plus moi qui vis, c'est le Christ qui vit en
moi (Ga. 2,20). Là, nous ne pécherons plus
(1 Jn 3,9).
Rachel
:
L'essentiel de notre travail, c'est donc de mourir à une vie
morte par le péché et de laisser advenir en nous la surabondance
de vie qu'est le Christ...
Père
Alphonse
:
Cela commence par la pensée juste et lumineuse, qui est l'esprit
du Christ. Comment acquérir l'esprit du Christ pour penser comme
Lui, pour agir en Lui et avec Lui?
Amba
Shenouda :
Nous en avons reçu la grâce au baptême. C'est par
cette force divine que nous pensons, agissons, vivons. Dans le baptême
nous mourons avec le Christ et ressuscitons avec Lui à une nouvelle
vie (Rm. 6,25). Le vieil homme est mort, l'homme nouveau est revêtu
du Christ (Ga. 3,27). Tout cela n'est évidemment pas magique
et demande à l'homme une intime collaboration avec la grâce
que Dieu lui offre. Notre travail est effectivement celui du repentir
ou de la conversion incessante qui nous fait passer toujours plus de
la mort à la vie en Christ. Cela est très concret et implique
la vie du corps lui-même. C'est pourquoi la réalisation
du baptême culmine dans l'eucharistie, où le Christ nous
transfuse sa chair et son sang: Celui qui mange ma chair et boit mon
sang a la vie éternelle... Il demeure en moi et moi en lui, dit
le Christ (Jn 6,41-58).
Père
Alphonse
:
Le réalisme spirituel des Pères concernant l'incorporation
de l'homme au Christ est absolument stupéfiant. Un Père
laïc du XVe siècle, saint Nicolas Cabasilas dit : Le sang
dont nous vivons est actuellement le sang du Christ, et la chair qu'insère
en nous le sacrement est le corps du Christ, et communs sont les membres
et la vie. Saint Paul nous avait déjà prévenus
que nous étions « conformes » au Christ, que son
corps et ses membres étaient les nôtres. Les saints prennent
au sérieux la parole de Dieu et cherchent à y entrer par
l'expérience la plus concrète. C'est cohérent avec
l'Incarnation du Christ, notre foi ne peut être une abstraction.
J'aime ce cri de saint Grégoire Palamas (XIXe s.) disant du Christ:
Chair de ma chair, os de mes os! et cet autre pur émerveillement
de saint Syméon le nouveau Théologien (XIe s.) : L'Esprit
fait pénétrer en nous le Christ jusqu'au bout de nos doigts,
il pénètre notre corps... Je meus ma main et ma main est
tout Christ, car la divinité de Dieu s'est unie à moi
indivisiblement. Il y aurait tant de perles à citer, aptes à
bouleverser notre vie tout entière. Je pense encore à
saint Macaire, l'Egyptien (IVe s.) qui disait que nous sommes en Christ
comme le feu est dans le fer, rougi par sa présence, une fusion
totale, sans confusion. Alors, si telle est la réalité,
proprement inouïe, il faut tout sentir en Dieu, dit saint Isaac
le Syrien (VIe s.), et sentir d'abord notre propre corps, puisque nous
sommes à ce point co-corporels au Christ. Nous pouvons un peu
entrevoir pourquoi et comment l'Incarnation ouvre, pour celui qui le
désire, à une vie radicalement neuve et à une joie
sans limites, ici et maintenant...
Amba
Shenouda :
Le corps prend la direction que l'âme lui imprime, nous l'avons
dit. Pour qu'il soit à ce point rempli de l'Esprit Saint, il
faut une rude ascèse. Comme le dit saint Paul lui-même,
lui qui, pourtant, a été élevé jusqu'au
troisième ciel (1 Cor. 12,2): Je traite durement mon corps et
je le tiens assujetti (1 Co. 9,27); et ce message, il le prêche
aussi aux autres : Ceux qui sont en Christ Jésus ont crucifié
la chair avec ses passions et ses désirs (Ga. 5,24).
L'un
des plus grand moyens pour assujettir le corps, c'est le jeûne.
En effet, par le jeûne, on touche à la racine de l'homme,
son désir. C'est pourquoi le jeûne ne s'applique pas seulement
au boire et au manger, mais aussi à tous les sens, à la
langue et même au contrôle des pensées... Nous aurons
à en reparler plus longuement. Une puissante maîtrise du
corps s'exerce encore par les veilles prolongées dans la prière
et les prosternations. Le fait d'associer le corps à l'esprit
au sein de ces pratiques le spiritualise en profondeur. C'est ce que
saint Paul appelle Glorifiez Dieu dans votre corps (1 Co. 6,20). Le
corps devient alors porteur de la gloire divine et, sur ce chemin, il
n'y a aucune limite à sa transparence croissante. Le mystère
de la Transfiguration du Christ sur le Mont Thabor le révèle
avec éclat et souvent les saints le manifestent de leur vivant.
Certains parmi eux ont été des êtres de feu rayonnant,
d'autres comme des soleils que l'on pouvait à peine regarder,
tel Moïse descendant du Sinaï (Ex. 34,38-35) ou saint Etienne
pendant son procès (Ac 6,15)...
Ainsi,
par sa grâce et notre coopération par l'ascèse,
Jésus transfigure nos corps de misère en son Corps de
gloire avec cette force qu'Il a de pouvoir même se soumettre tout
l'univers (Ph 3,17).
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