Il y eut
un temps
où la
France, à son tour, a rencontré l'Évangile comme
une lumière d'intelligence et une force de bonté.
Ce sont
les siècles -IIIe, IVe, Ve et VIe siècle- où elle
est devenue chrétienne.
De cette
Gaule qui se convertit une région est ici présentée
la Provence.
Un reportage
à plusieurs voix - extrêmement vivant - nous livre quelques
secrets de ce qui s'est passé en ce temps-là.
Rien
qui sente, sur les populations, quelque contrainte que ce soit.
Rien
non plus qui ressemble à de la propagande, avec la présentation
d'un christianisme au rabais.
Non,
mais la simple beauté provençale de l'Évangile,
des figures de moines, de moniales, de clercs, avec un arrière-fond
de princes, de commerçants, de lettrés, d'années
victorieuses ou
en déroute, de réfugiés.
Et ces
peuples que rassemblent les grands évêques de ce temps.
Tout
se concentre ici sur le visage et les mains de l'un d'entre eux.
Sa culture,
son intelligence pastorale, sa bonté lumineuse.
Une
dense époque, rude, mais fondatrice, s'exprime en ce portrait
contrasté de Césaire d'Arles
Dans
Arles, où sont les Aliscans,
Quand l'aube est rouge, sous les roses,
Et clair le temps,
Prends garde à la douceur des choses
(Paul-Jean
Toulet, Contre-rimes)
ISBN
2-204-05030-X
La
vie de Césaire
(Extraits)
Rappelons-nous
que Césaire est né en 470 à Chalon-sur-Saône,
qu'il a passé deux ans dans le clergé de Chalon - de 487
à 489.
Puis
il entre à Lérins, qui est dirigé par l'abbé
Porcaire, et y reste dix ans; le temps de se détruire la santé,
car c'est un jeune moine très zélé pour la règle
et très austère pour lui-même, à tel point
que, à force de jeûnes, il s'est rendu malade.
Son
abbé l'a donc envoyé pour se soigner à Arles, et
c'est là que, reconnu par son parent, l'évêque Eonius,
il est ordonné prêtre et devient abbé d'un monastère
dans une île près d'Arles qu'il gouverne pendant trois
ans (500-502).
Il devient
évêque en 502, et un de ses grands soucis dans toute sa
carrière épiscopale, qui va durer quarante ans, est de
fonder et d'assurer la subsistance d'un monastère de moniales
qui sera dédié à saint Jean.
Il s'agit
évidemment de saint Jean-Baptiste : ce nom provient probablement
d'un ancien baptistère qui avait été inclus dans
les bâtiments conventuels.
Il fonde
ce monastère de Saint-Jean pour sa soeur et deux ou trois compagnes,
et à la fin de sa vie, en 542, le succès de cette fondation
est tel que celle-ci compte plus de deux cents moniales.
Ecrits
(Extraits)
Après
avoir feuilleté sommairement les oeuvres monastiques, pour en
dresser le catalogue, attachons-nous à mieux cerner les plus
importantes.
Les
Sermons aux moines (quatre sur six au moins) sont adressés à
des communautés à l'invitation des abbés.
Le 4e
sermon (236), est adressé aux moines de Lérins, c'est-à-dire
à la communauté d'où sortait Césaire.
C'est
un magnifique éloge de Lérins.
Le sermon
237, sur le bon exemple, est très général; il s'adresse
aussi bien aux moines qu'aux vierges et aux clercs.
Le sermon
238, au contraire, traite d'un point tout à fait particulier
: c'est un sermon sur le carême, comportant la recommandation
très soulignée de lire, d'apprendre et de répéter
les Psaumes.
Ce qui
est frappant dans ces six sermons, c'est qu'ils s'adressent apparemment
à des communautés bien constituées, qui n'ont pas
de problèmes spéciaux importants, et auxquelles on se
contente de donner quelques exhortations à persévérer
dans les grandes vertus monastiques, qui sont pour Césaire au
nombre de trois: l'humilité, l'obéissance et la charité.
"
Ce sont les ailes de l'âme ", dit-il.
Tantôt
les ailes sont l'humilité et l'obéissance, tantôt
c'est l'humilité et la charité, tantôt l'obéissance
et la charité, parce qu'un oiseau n'a que deux ailes!
Mais
il y a tout de même trois ailes en tout: l'humilité, l'obéissance
et la charité.
La Lettre
aux moniales, quant à elle, n'est pas bâtie sur un schème
bipartite, mais sur un schème finalement tripartite.
Il y
a certes deux questions majeures.
Avant
tout, la sauvegarde de la chasteté par la limitation des relations
avec les hommes.
Ceci
est bien dans la ligne de toute la littérature pour les vierges
de l'Antiquité : Tertullien, Cyprien, Pélage, Jérôme,
Augustin.
L'axe
de la vie consacrée féminine est la sauvegarde de la chasteté.
Voilà
le problème principal.
Le second
est celui du renoncement aux biens matériels, qui doit être
rapide et complet.
Nous
pouvons encore noter que Césaire, sur le premier point, a un
mot clé, jamiliaritas, qui désigne le danger majeur: la
familiarité entre les deux sexes.
Il faut
éviter toute familiarité avec les hommes.
Quant
au deuxième point, Césaire insiste sur la nécessité
de ne pas laisser ses biens à la famille, qui n'en a pas besoin,
en général, mais de les laisser aux pauvres, car le Seigneur
a dit: " Donne tes biens, vends tes biens et donne-les aux pauvres
" et non pas à tes parents riches.
Voilà
les deux points essentiels.
Mais
à côté de ces points majeurs on trouve dans la Lettre
aux moniales quelques éléments d'observance qui en font
une sorte de première règle préparant la Règle
des vierges.
Voici
quelques-uns de ces points: la lecture jusqu'à tierce, selon
une prescription reprise de Pélage; la simplicité du vêtement
- avec les femmes, même consacrées, il faut toujours faire
attention à ne pas tomber dans le luxe de la toilette; pour la
nourriture, elle doit être mesurée.
Chose
curieuse: presque rien n'est dit sur l'obéissance (une phrase
seulement) et presque rien non plus sur la charité fraternelle.
On a
l'impression que Césaire s'adresse à une communauté
à peine constituée.
C'est
un des indices qui font penser que cette lettre aux moniales date tout
à fait des débuts de la fondation de Saint-Jean, si même
elle est vraiment destinée, comme le titre l'indique, à
cette communauté.
En tout
cas, Saint-Jean n'est alors qu'une communauté tout à ses
débuts .
Une
lettre de Césaire à ses moniales
(Extraits)
" Gaudete
ergo et exultate in Domino ", réjouissez-vous donc et exultez
dans le Seigneur, vénérables filles, et rendez-lui constamment
d'abondantes actions de grâces.
À
lui qui, de la vie ténébreuse de ce monde, a daigné
vous attirer et vous appeler au port tranquille de la vie religieuse.
Rappelez-vous
constamment d'où vous êtes sorties et où vous avez
mérité d'arriver.
Vous avez
laissé avec foi les ténèbres du monde, et vous
avez commencé à voir avec bonheur la lumière du
Christ.
Vous avez
maîtrisé le feu des passions, et vous êtes parvenues
à la fraîcheur de la chasteté.
Vous avez
rejeté la gourmandise, et vous avez choisi l'abstinence.
Vous avez
répudié l'avarice et la luxure, et vous avez gardé
la chasteté et la miséricorde.
Et, bien
que jusqu'à la fin de votre vie, le combat ne doive pas vous
manquer, cependant, Dieu aidant, nous sommes sûrs de votre victoire.
Mais je vous
prie, vénérables filles, autant vous êtes sûres
du passé, autant vous devez être vigilantes pour l'avenir.
En effet,
tous les crimes et péchés reviennent vite en nous, si
chaque jour nous n'en triomphons pas par de bonnes oeuvres.
Écoutez
l'apôtre Pierre dire: " Soyez sobres et vigilantes car votre
adversaire le Diable rôde autour de vous comme un lion rugissant
cherchant à dévorer quelqu'un. "
Aussi longtemps
que nous vivons dans ce corps, jour et nuit, avec l'aide et sous la
conduite du Christ, résistons au diable .
La
méditation du moine
(Extraits)
Le travail
s'accomplit non seulement dans l'obéissance, mais en silence.
Ceci
est très important.
Il n'y
a pas ici une simple interdiction, toute négative, de parler,
mais, positivement, la pratique capitale de la " méditation
" au sens ancien du terme.
Il ne
s'agit pas là de ce que nous entendons aujourd'hui par méditation,
c'est-à-dire une cogitation, une réflexion qui se fait
juste avec la tête; il s'agit de la répétition orale
d'un texte de l'Écriture appris par coeur.
Le mot
meditari, dans l'usage séculier, s'appliquait à l'exercice
de l'avocat par exemple, du rhéteur , qui prépare son
discours en le répétant.
Ce terme
de " méditation " a été repris par les
moines pour signifier l'exercice capital de la vie monastique qui est
la répétition continuelle de textes de l'Écriture
appris par coeur.
Je vous
disais tout à l'heure que les heures de lectio du début
de la journée étaient employées non seulement à
lire, mais encore à apprendre par coeur.
Il s'agit
de se meubler la mémoire de l'Écriture, de façon
à pouvoir continuer, en dehors des heures de lecture, à
écouter la Parole de Dieu - ce qui doit être l' occupation
continuelle du moine et du chrétien.
Ainsi,
tout en travaillant manuellement, on répète oralement
et dans son coeur ces paroles de l'Écriture qu'on a apprises
par coeur : " méditation de la Parole de Dieu ",
ou encore selon une autre expression, " rumination des Saintes
Écritures ".
Elle
est très jolie, l'image de la rumination.
Il y
a deux façons de manger, pour le moine comme pour l'animal.
L'une,
qui consiste à prendre sa nourriture de l'extérieur; l'autre,
qui consiste à ramener de sa panse dans sa bouche la nourriture
déjà triturée.
Le moine
pratique ces deux façons de se nourrir.
Il lit
avec ses yeux, donc il prend du dehors sa nourriture; et puis il ramène
de la panse de sa mémoire à son esprit et à sa
bouche la parole qui y était contenue, et il la savoure, la rumine
de nouveau.
Pour
employer une métaphore moins pastorale et plus moderne, nous
pourrions prendre l'image du transistor, ou plutôt de l'ouvrier
qui part pour le travail avec son transistor.
Une
fois sur son chantier, il ouvre son transistor et il écoute les
choses plus ou moins intelligentes que lui dit la radio.
Le moine
fait de même ; il arrive dans son atelier de travail avec son
transistor intérieur, qui est sa mémoire meublée
de l'Écriture, et, dès qu'il se met au travail, il ouvre
son transistor et il écoute la Parole de Dieu d'un bout à
l'autre de son travail.
Et non
seulement il l'écoute mais il y répond, car toute méditation
de la Parole de Dieu est ponctuée d'oraisons.
On ne
peut pas s'arrêter longtemps, mais on essaie le plus souvent possible,
même régulièrement, d'interrompre son travail par
une oraison.
Et c'est
très facile, si on rumine, si on médite la Parole de Dieu.
On entend
Dieu continuellement, et, de temps en temps, on lui répond par
la prière.
Voilà
l'occupation fondamentale du moine toute la journée: le travail
manuel et l'occupation spirituelle qui accompagne le travail des mains,
et qui consiste tantôt à écouter la Parole de Dieu,
tantôt à y répondre par l'oraison.