EDITORIAL
Dans
les plus anciennes traditions bibliques du peuple au désert,
ce lieu est l'espace du désir et de l'épreuve, en même
temps que celui du don de la vie et de la Loi.
Du désert,
notre mémoire religieuse n' a souvent gardé qu'une vision
délicieuse et mélancolique, très éloignée
de l' espace ambivalent des premiers ermitages, notre fascination contemporaine
pour le désert ayant plutôt appauvri la diversité
des représentations forgées par le monde antique.
Une
autre énigme: on ne trouvera dans aucun texte de la Bible la
proposition explicite du renoncement et de la vie au désert.
Il faut
alors distinguer les sources littéraires, bibliques -principalement
élaborées par Philon d'Alexandrie sous l'influence d'idées
hellénistiques- des représentations héritées
des Égyptiens et des anciens Sémites.
Ceux
que l'on a appelés, dès le Ve siècle, les Pères
du Désert se référaient non seulement à
la mémoire et au passé d'Israël, aux représentations
des temps eschatologiques, mais étaient les héritiers
d'autres traditions.
L'Égypte
devint ainsi une terre de prédilection du monachisme.
Dès
le IVe siècle apparaissent d'importants ensembles monastiques
chrétiens dans les déserts de Scété (aujourd'hui
le Ouadi Natroun), de Nitrie, des Kellia...
Parmi
ces premiers moines, de nombreux Égyptiens du terroir, des paysans
nés dans les villages de la vallée du Nil ou du Delta.
Pour retrouver leur conception originale du désert, nous devons
affronter une sorte de feuilleté de significations culturelles,
religieuses, et d'expériences humaines.
La multiplication
des vocations érémitiques (dérivé du grec
" erêmos ", désert), dans des oasis au milieu
du désert égyptien, se fait sous l' empreinte de l' étonnante
civilisation pharaonique.
Cette
greffe, en quelque sorte, du message chrétien sur la culture
ancienne de l'Égypte a permis la fécondation, précisément,
d'idées et de pratiques nouvelles.
Or le
désert des Pharaons n'est pas une réalité unique
mais le lieu paradoxal, intense, où se projettent les tensions,
les peurs intimes et collectives, tous les désirs.
C'est
un espace mouvant, complexe, à la fois effrayant et attirant,
vide et hanté, peuplé de divinités, de démons.
Espace
de dénuement et de trésors cachés.
De véritables
expéditions sont menées pour creuser ses montagnes rocailleuses
et extirper les richesses indispensables à la gloire des dieux
et des princes: pierres précieuses, métaux et matériaux
de construction.
Se risquer
ml désert, c' est donc parfois entreprendre la quête d'un
trésor.
On élève
des tombeaux, des temples à des divinités inquiétantes
mais adorées, respectées.
Le désert
est bien le domaine des morts, mais les vivants s'y aventurent régulièrement
pour communiquer avec eux.
Prières,
invocations, malédictions. . .
Espace
de peur et de répulsion où l'on chasse les proscrits,
les indésirables, le désert apparaît du même
coup comme le lieu d'une évasion possible, d'une libération,
voire d'une initiation.
Dans
les plus anciennes traditions bibliques du peuple au désert,
ce lieu est l'espace du désir et de l' épreuve, en même
temps que celui du don de la vie et de la Loi. Lieu des représentations
spirituelles et anthropologiques d'un véritable " roman
de formation " du peuple de l' Alliance, le désert a
été ce creuset des désirs et des peurs de différentes
traditions, sans lesquelles on ne peut entendre l' appel des Pères
à suivre le Christ au désert.
Frédéric
Boyer, rédacteur en chef