Cette lettre, originellement éerite en arabe le 7 juillet 1985, est
extraite de Saint Marc, revue du monastère de Saint-Macaire (Egypte)
Traduction de l'anglais par Subala Aubertin et Alain Chevillat.
LA VERITABLE INDIGNITE
par le Père MATTA EL-MASKINE
Ce texte est une lettre écrite en réponse à des questions
posées par un jeune Egyptien résidant en Allemagne pour ses études.
Il avouait être fort troublé à l'idée que Dieu pût
permettre les terribles sécheresses, et leurs conséquences catastrophiques,
dont étaient accablés les peuples d'Afrique.
Il exprimait également son ardent désir de faire quelque chose
pour venir en aide aux victimes.
Il demandait enfin comment il pouvait discerner ce que Dieu attendait de lui
concernant sa future carrière.
Puissent la grâce, la bénédiction et la paix de Dieu être
accordées à votre chère personne.
Il existe en l 'homme plusieurs facultés, mais il en est une essentielle
qui régit toutes les autres et préside à leur fonctionnement
harmonieux. Pour prendre un exemple, pensez au corps humain qui contient de
nombreuses glandes, chacune dotée d'une fonction particulière.
Il en est une parmi elles qui contrôle et dirige toutes les autres, assurant
leur harmonieux fonctionnement. C'est la pituitaire, également nommée
" glande maîtresse " par les médecins.
Le don qui, en l 'homme, contrôle tous les autres dons, a pour nom le
discernement Si ce don est authentique, et s'il fonctionne correctement, ayant
pour fondement la connaissance, la compréhension et un juste enseignement,
l 'homme se percevra en harmonie avec le monde et avec tous les êtres.
Il s'éprouvera heureux, malgré l'existence de l'adversité
et d'obstacles en tous genres. Il verra un monde harmonieux - où règnent
ordre, équilibre et beauté - en dépit de la souffrance,
de l'affliction, de la maladie, de la pauvreté et de diverses calamités
qu'il porte en son sein. Ce qui importe, c'est la très nette prédominance
de toutes les choses positives qui contrebalancent les faiblesses du monde.
Avec le discernement l 'homme verra en Dieu splendeur et beauté, ainsi
que sagesse, bienveillance et bonté.
Lorsque le don du discernement faiblit en l 'homme, plus rien n'est bon à
ses yeux, pas même Dieu. Vous pouvez rencontrer au coeur de l'Afrique
un homme opprimé, affamé, dénudé, et qui reste joyeux
même face à la mort et ne cesse de louer Dieu, car il se satisfait
de la situation telle qu'elle est Par contre vous pouvez rencontrer un riche
philosophe qui jouit d'une situation opulente en Europe et qui néanmoins
se pendra par ennui de vivre.
Par conséquent, la source de la souffrance humaine n'est ni le monde
ni Dieu. C'est plutôt l'homme lui-même qui est à l'origine
de sa propre misère et de celle de ses semblables, et qui est une cause
de honte pour Dieu Lui-même, A mon avis, l'Afrique centrale et les contrées
plus au sud s'en sortent mieux que l'Europe centrale et les contrées
plus au nord, si l'on considère la situation de ces régions en
regard de l'âme et de Dieu. Car si n'avoir point de pain n'est pas une
honte pour l 'homme, sa véritable indignité réside dans
le manque de chasteté, de vertu et de sainteté. Ce n'est pas une
catastrophe que les gens meurent en Afrique par suite de la sécheresse.
La véritable catastrophe est celle qui viendra des mains des savants
et des hommes riches et importants des pays civilisés lorsqu'en l'espace
de quelques heures ils feront fondre la destruction sur eux-mêmes, sur
leurs nations, sur leur richesse et leur héritage, avec leurs épouvantables
bombes. Quant à la mort des peuples affamés d'Afrique et d'Asie,
c'est à Dieu qu'en incombe la responsabilité, et Il est en mesure
d'y remédier; en revanche, la mort de l'Europe et de l'Amérique
viendra de l'ignorance de I 'homme, de sa haine, de sa folie, de son égoïsme
et de son manque de foi en Dieu.
Les recherches et les études nous apprennent que le monde a traversé
d'innombrables époques de pluies, d'inondations, de sécheresses
et de famines. Mais cela fait partie de l'équation qui maintient l'équilibre
du monde afin de préserver les supérieurs gènes pour le
bien ultime de l 'humanité. Historiquement, cependant, nous savons de
façon certaine que la perversité de l 'homme et ses écarts
des normes de la vérité et de la vertu n'ont jamais pu échapper
à un châtiment global de la main de Dieu, par lequel la race humaine
dans son ensemble supporte les désastres subséquents et en paye
le prix. Le coût de ces désastres est infiniment, infiniment supérieur
à celui des catastrophes naturelles. Il faut noter également que
les actions des gouvernements riches ne sauraient passer inaperçues aux
yeux de Dieu, à savoir le fait qu'ils convertissent tout leur capital
en armes de destruction, au lieu d'empêcher des nations entières
de mourir de faim.
Considérant tout cela, il faut désormais que l'homme comprenne
qu'il a été créé pour vivre heureux et goûter
à une vie meilleure, garantie par Dieu, si seulement il Le loue, s'il
Lui rend grâce et s'il adopte une attitude intérieure de contentement
pour la situation présente, si pauvre soit-elle. Alors il recevra de
Dieu tout ce dont il a besoin, et bien plus encore; et Dieu se portera garant
de lui. En d'autres termes, si l'homme vit en harmonie avec lui-même et
avec le monde qui l'entoure, en accord avec Dieu qui oeuvre et qui exerce Sa
volonté en nous, alors ni la pauvreté, ni la faim, ni l'oppression
ne pourront ravir son sentiment de contentement, de reconnaissance et de bonheur.
Ainsi, le bonheur n'est autre chose que le résultat de l'action de grâces
et de l'acceptation du sort que chacun a reçu des mains de Dieu.
Cependant le mystère du bonheur dépasse la condition présente
de l 'homme. Car si l'on parvient à rendre quelqu'un heureux (et cela
est en notre pouvoir), en donnant de la joie à son coeur et en le soulageant
de ses soucis et de ses peines, c'est là un bonheur d'une nature plus
raffinée et plus élevée que celui que l'on peut atteindre
en oeuvrant pour soi-même. Apporter consolation à autrui est à
l'origine l'oeuvre de Dieu Lui-même. Et si un homme entreprend une tâche
qui est originairement celle de Dieu, il lui sera donné de dépasser
les limites de son moi; un dépassement qui est la source et le point
de départ de l'union potentielle de l 'homme avec les autres et avec
Dieu.
Pour ce qui est du choix d'une carrière, tout ce qui pourra rendre les
autres et Dieu heureux sera la meilleure solution. Cependant l'on ne peut travailler,
satisfaire et honorer Dieu à partir de rien; il nous faut fournir des
efforts, nous donner du mal, veiller, mettre en oeuvre tout ce dont Dieu nous
a doté pour réussir dans les domaines de l'érudition, de
la philosophie ou de la littérature. Nous maîtrisons alors ces
domaines pour l'amour de Dieu et pour les autres, afin de devenir une source
de bonheur pour eux. Ici, il semble que l 'homme n'ait pas beaucoup de libre
arbitre dans son choix. Car celui-ci doit porter sur une seule chose: ce pour
quoi Dieu lui a fait don d'une capacité particulière. Et quand
bien même il en posséderait plusieurs, il n'a d'autre possibilité
que de choisir la plus éminente, afin d'être en conformité
avec la volonté de Dieu et avec Son choix préalable.
Je ne dois pas ici négliger de faire remarquer que l 'homme passe par
différentes étapes, chacune comportant ses propres droits et obligations.
Le droit de l' enfance est qu'on en prenne soin, et son obligation est l'obéissance;
le droit de la jeunesse est de recevoir en partage, et son obligation est d'étudier
; le droit de l'âge d'homme est la liberté, et son obligation est
le sacrifice. Par conséquent, si un jeune homme demande la liberté,
il manque à son devoir qui est l'éducation, et à son âge
d'homme se retrouve sans ressources. Je dis cela afin que les jeunes gens ne
se préoccupent pas de la destinée du monde et de ses peuples,
négligeant par là leur devoir qui est d'étudier. En fait,
les jeunes gens peuvent devenir (et c'est d'ailleurs le cas) la principale cause
de la faillite de leur génération, et donc, du monde entier; car
ils ne se sont pas préparés à affronter le rude avenir
de leur monde, tout occupés qu'ils étaient à rechercher
la liberté et d'autres satisfactions. De même, si le sentiment
de sacrifice s'empare d'un jeune homme alors qu'il est encore dans l'obligation
d'étudier, les rênes du temps lui glisseront inévitablement
des mains; des heures seront perdues et des jours balayés, passés
à penser à des questions hors de propos. Car le sacrifice, le
don de soi et la rédemption sont des obligations qui ne devraient commencer
que lorsque l'éducation a atteint son plein développement sur
les plans de la science, de la littérature, de la finance et de l'art.
Il est légitime que ces nobles sentiments adviennent à de nobles
jeunes gens - à savoir l'élan impétueux du don de soi,
de la rédemption et du sacrifice du sang. Mais de tels sentiments sont
alors prématurés; il faut les honorer et les respecter, mais en
les laissant de côté jusqu'à ce que leur heure soit venue,
c'est-à-dire jusqu'au moment où l'on est en mesure de parler,
d'agir, de penser et d'accomplir. Sinon, le temps se perd en simples paroles
et en idées, mais sans que rien ne soit accompli.
Malheureusement, les gouvernements ont exploité le zèle des jeunes
gens attirés par le sacrifice de soi, s'emparant d'eux sans qu'ils aient
achevé leurs études et les jetant dans des guerres pour racheter
les autres. Telle fut la grande catastrophe de l'Europe, à savoir la
perte d'une jeune génération, enthousiaste et éclairée.
C'est pourquoi, dans l'après-guerre, les gouvernements se sont trouvés
engagés dans un déficit qu'ils ne purent pas et ne pourront jamais
combler, même en cent ans: la perte de la partie la plus vitale et la
plus précieuse de leur peuple. Ainsi l'Europe, et plus particulièrement
l'Allemagne, est-elle restée et restera-telle toujours affectée
par ces conséquences de la guerre, bien plus que par les calamités
de la guerre elle-même.
Telle est la loi précise de la nature, que Dieu a assignée à
la nature de I 'homme, de sorte que le monde s'améliore. Mais les nations
ont toujours tenté d'en abuser et I 'humanité tout entière
l'a chèrement payé.
Pour terminer, je vous envoie mon amour en Christ .