Les Elégies spirituelles ou Livre des Prières
de Saint Grégoire de Narek

 

Saint Grégoire de Narek

(Erivan Bib. Nat. Arm. Ms 1568 vers 1173)

 

Parmi les littératures chrétiennes très méconnues des Européens se place sans doute en tête la littérature chrétienne arménienne. Cette antique Eglise a produit un très grand nombre de saints moines et théologiens féconds en écrits. Parmi ceux-ci il ne faut pas manquer de connaître saint Grégoire de Narek qui, avec ses 95 « Prières » et ses autres écrits, est le plus grand poète mystique que l’Eglise d’Arménie ait donnée à la chrétienté.

 

Ce saint moine vécut de 944 à 1010 environ au monastère de Narek sur la rive sud du lac de Van (actuellement en Turquie).

Son père, veuf, était devenu évêque alors que Grégoire et ses frères étaient encore dans leur très jeune âge. Ils furent donc confiés aux soins du monastère où ils vécurent, semble-t-il, toute leur vie. On ne connaît guère de détails de la vie de saint Grégoire. Il devint prêtre et peut-être higoumène de son monastère. Il eut, d’après le synaxaire arménien une grande influence comme réformateur de son monastère ce qui lui valut quelques ennuis avec les autorités allant jusqu’à le faire soupçonner d’hérésie comme le montre cette gracieuse légende :

Les évêques et les princes envoyèrent une délégation d’hommes sûrs auprès de Grégoire afin qu’ils l’amènent à leur tribunal pour être interrogé sur sa foi.

Les délégués arrivés à Narek, Grégoire comprit immédiatement leurs intentions. Il leur dit : « Mettons-nous d’abord à table, avant de prendre la route. » Il fait rôtir deux pigeons et les place devant ses hôtes. Or c’était un vendredi. Ceux-ci, scandalisés, furent plus convaincus que jamais que ce qu’on rapportait de Grégoire était vrai.

Ils lui dirent donc : « Maître n’est-ce pas vendredi aujourd’hui ? » Le Saint, comme s’il l’ignorait, leur répond : « Excusez-moi, mes frères. » Et se tournant vers les pigeons : « Levez-vous, dit-il, retournez à votre volière, car aujourd’hui c’est jour d’abstinence. » Et les oiseaux, retrouvant vie et plumes, s’envolèrent. A ce spectacle, les envoyés tombèrent aux pieds du saint pour lui demander pardon. Et ils s’en furent raconter le prodige à ceux qui les avaient délégués.

L’œuvre complète de saint Grégoire de Narek a été éditée à Venise en 1840 par les Pères Méchitaristes. Outre le Livre des Elégies Sacrées il faut noter :

- Les Hymnes : une vingtaine en tout pour toutes les fêtes liturgiques

- Commentaire sur le Cantique des cantiques

- Histoire de la Croix d’Aparanq : sur la demande de l’évêque de Mokq Grégoire a raconté l’Histoire du transfert de la relique de la Vraie Croix de Constantinople en Arménie en 983.

- Trois discours en forme de litanies

- Panégyrique des saints apôtres et des 70 disciples

- Panégyrique de Saint Jacques de Nisibe

Le livre des Elégies Sacrées, composé en l’an 1002, fut sans doute le dernier ouvrage de saint Grégoire. Un colloque international a célébré en 2002 le Millénaire de ce texte. Nous présentons ici les deux dernières élégies, il s’agit certainement de son testament spirituel. Sa mémoire est célébrée dans l’Eglise d’Arménie le 25 février.


Prière 94

Du fond du coeur

Colloque avec Dieu.

Dieu éternel, Bienfaiteur et Tout-Puissant,

Toi qui as créé la lumière et façonné la nuit,

Vie dans la mort et Lumière dans les ténèbres,

Espoir pour ceux qui attendent.

et Longanimité pour ceux qui doutent,

 

Toi qui par ta sagesse très industrieuse

changes en aurore les ombres de la mort,

Orient sans déclin et Soleil sans couchant

L'obscurité de la nuit ne peut voiler la gloire de ta Puissance ;

devant qui fléchit dans l’adoration le genou de tous les êtres créés, au ciel, sur la terre et dans les enfers.

 

Toi qui entends le gémissement des captifs,

Qui regardes la prière des humbles et accueilles leurs demandes,

mon Dieu et mon Roi,

ma Vie et mon Refuge,

mon Espoir et ma Confiance,

JÉSUS-CHRIST, Toi Dieu de tous,

Saint qui reposes dans les âmes des saints,

Consolation des affligés et Réconciliation des pécheurs,

Toi qui connais toutes choses avant qu’elles ne viennent à l’existence,

 

envoie la puissance protectrice de ta droite

et délivre-moi des affres de la nuit et du démon pervers,

afin que, baisant toujours le souvenir de ton Nom saint et redoutable

par les lèvres de l’âme et le désir de mon souffle,

je vive protégé avec ceux qui T’invoquent de tout leur coeur !

 

*

 

Et par le sceau du signe de ta Croix,

que Tu as renouvelée en la teignant de ton Sang divin,

par laquelle Tu nous as baptisés en vue de la grâce de l’adoption

et Tu nous as façonnés en nous formant à l’image de ta gloire,

 

que par ces dons divins Satan soit confondu,

détruites les machinations, écartés les pièges,

vaincus les ennemis, rejetées les armes effilées ;

que soit levée la brume, dissipées les ténèbres,

que s’évanouisse le brouillard !

 

Que ton bras nous protège sous son ombre

et que ta droite nous appose son sceau !

Tu es, en effet, compatissant et miséricordieux,

et ton Nom a été invoqué sur tes serviteurs.

 

A Toi

avec le Père

par ton Esprit-Saint,

gloire et domination

dans les siècles des siècles !

Amen.

 

Prière 95

Du fond du coeur

colloque avec Dieu.

 

O Soleil de justice, Rayon béni, Archétype de la lumière ;

ardemment Désiré, Élevé, Impénétrable, Puissant, Inénarrable ;

 

Allégresse du bien, Espoir réalisé, ô Loué, Céleste ;

Roi de gloire, Christ créateur, Vie proclamée !

 

Et maintenant les lacunes et les erreurs de ma voix si faillible,

" miséra­ble que je suis ! "veuille par ta parole toute-puissante les combler

et présenter comme supplications agréables mes prières à ton Père Très-Haut.

 

Car pour moi Tu es venu subir l’épreuve de la malédiction,

ayant pris en vérité ma ressemblance,

ô totale Bénédiction de vie, Providence attentive pour tous les êtres :

ceux d’en haut et ceux d’en bas.

 

Si, en effet, Tu as accepté de mourir pour moi, ô Toi, Dieu et Seigneur de tous,

combien plus consentiras-Tu maintenant aussi à compatir à mes faiblesses, pleines de péril,

en intercédant toujours pour moi, coupable que je suis,

par le corps que Tu as pris de notre race,

auprès de ton Père, pareil à Toi en honneur.

 

*

 

Et à cause de ton précieux Sang toujours offert pour plaire à la volonté de Celui qui T’a envoyé,

que soient écartés de moi les dangers, pécheur condamné que je suis,

remises les dettes,

effacée la honte,

oubliés les opprobres,

réformée la sentence du jugement,

exterminés les vers,

séchés les pleurs,

calmé le grincement des dents,

terminées les lamentations,

taries les larmes,

 

que prenne fin le deuil,

se dissipent les ténèbres,

s’éteigne le feu de la colère,

que soient rejetés tous les instruments de supplice !

 

*

Que viennent tes compassions,

ô Toi qui veux et dispenses la vie à tous.

 

Fais lever ta lumière, hâte ta rédemption, envoie ton secours ;

devance l’heure de ta visite, répands promptement la rosée de ta miséricorde :

qu’elle descende pour abreuver le champ altéré de mes os, plongés par le malheur dans l’abîme de la mort !

 

Que la Coupe céleste de ton Sang vivifiant fasse fleurir et fructifier la terre de mon corps, préparée pour le jour de la lumière,

 

Sang qui, inépuisable, est toujours offert en sacrifice comme mémorial de vie et de Rédemption pour les âmes qui se sont endormies.

 

Ainsi mon âme, pleinement mortifiée par mon corps de péché, sera affermie en Toi par ta Grâce, ô Compatissant,

 

et je serai par Toi renouvelé, retranché du péché par la vie immortelle au temps de la Résurrection des Justes et béni par ton Père.

 

Avec Lui

à Toi gloire,

et à ton Esprit-Saint louange

par une juste reconnaissance,

maintenant et toujours et dans les siècles des siècles.

Amen.

 

 

__________________________________________

Liens :

http://www.armenianprelacy.org/nareksym.htm

 

http://armenianstudies.csufresno.edu

 

bibliographie :

http://www.acam-france.org/contacts/livres/gregoire_narek.htm