Un évêque égyptien apôtre d'une Eglise
languedocienne ?
Saint APHRODYSE Aphrodise/ 28 avril
Beaucoup d'Églises du midi de la France s'honorent d'avoir été fondées par le ministère des familiers du Seigneur ou de leurs disciples. La Provence et la Narbonnaise semblent bien avec la ville de Lyon avoir reçu très tôt la prédication évangélique. La ville de Béziers vénère saint Aphrodyse en qualité d'apôtre et premier évêque. Sa fête, le 28 avril, est l'occasion d'un pèlerinage et donne lieu à une manifestation populaire fameuse: la procession du camèou = chameau (en fait, il s'agit d'un dromadaire). C'est que saint Aphrodyse, originaire d'Egypte, serait arrivé à Béziers sur cette monture qui a marqué l'imagination des autochtones.
Ce que dit la légende
D'après une version, préfet d'Héliopolis, selon une autre,
grand-prêtre d'Héliopolis, Aphrodyse aurait vu s'ébranler
les idoles devant l'enfant Jésus pendant la fuite en Egypte. Il aurait
alors donné l'hospitalité à la Sainte Famille pendant
son séjour à Héliopolis. D'Egypte, Dieu rappelle son
Fils. Les années s'écoulent. Aphrodyse, par l'intermédiaire
des juifs alexandrins de retour de pèlerinage à Jérusalem,
apprend les miracles de Jésus. Il abandonne tout pour rencontrer le
Messie et se rend en Palestine. En Judée, il reçoit le baptême
de Jean, puis s'attache à Jésus pour devenir son disciple. Après
la mort et la résurrection du Sauveur, Aphrodyse fait partie des disciples
du cénacle qui reçoivent le Saint Esprit à la divine
Pentecôte. Il est embarqué de force sur un vaisseau comme la
famille de Béthanie, et conduit en Provence. Là, il apprend
le projet de voyage en Espagne de l'apôtre Paul. Accompagné de
son premier converti Paul-Serge, il quitte la Provence pour la Septimanie.
Paul-Serge et Aphrodyse évangélisent les campagnes de la Narbonnaise
puis Paul-Serge s'installe à Narbonne et devient l'apôtre et
le pasteur de la ville. Aphrodyse s'arrête à Béziers dans
un bois proche de la ville où il vécut dans une grotte d'où
il ne sortait que pour apporter la Bonne Nouvelle aux citadins. Son apostolat
fructueux n'a, semble-t-il, pas recueilli l'enthousiasme des autorités,
et il fut condamné à avoir la tête tranchée. L'exécution
eu lieu dans la ville, sur l'actuelle place saint Cyr (encore un nom de saint
vénéré en Égypte). A la confusion des bourreaux,
saint Aphrodyse prit sa tête dans ses mains et revint dans sa grotte
hors les murs, où s'élève aujourd'hui la basilique qui
porte son nom.
Cela se serait passé sous Nèron, le 28 avril 65.
Ce que peut dire l'historien :
Les vestiges archéologiques témoignent d'une présence
de chrétiens disséminés dans le midi de la France au
cours des premiers siècles de l'ère chrétienne, mais
il est impossible de savoir s'il existait alors des communautés organisées.
Il semble plutôt que le christianisme était représenté
par des marchands, des rhéteurs ou professeurs venus d'Orient, surtout
de Syrie et d'Asie Mineure. Alexandrie est le lieu de passage obligé
de l'élite intellectuelle.
L'histoire ne peut constater la première manifestation de la présence ecclésiale en Gaule qu'en l'an 177. Saint Pothin venant de Smyrne installe l'Eglise de Lyon et veille sur une communauté à Vienne. Saint Irénée lui succède comme évêque en 204. Si nous sommes certains de la christianisation du midi de la Gaule à la troisième génération depuis la résurrection du Sauveur ( Saint Jean -> Saint Polycarpe -* Saint Pothin), tous les détails de la légende de saint Aphrodyse ainsi que la date de son martyre ne sont pas vraisemblables.
Les synaxaires et martyrologues anciens connaissent cinq saints
portant le nom d'Aphrodyse : le nôtre, un martyr à Tarse en Cilicie
fêté le 21 juin, un autre martyr vers 86, aussi en Cilicie avec
170 compagnons le 28 avril, un quatrième à Scytopolis en Palestine
honoré le 4 mai, le dernier, martyr à Alexandrie avec d'autres
compagnons, et fêté le 13 mai.
Il faut aussi mentionner un Aphrodyse, évêque d'Hellespont au
début du 4ème siècle et connu pour sa défense
de la réalité de la résurrection contre une secte dirigée
par un certain Hiérax.
Le premier témoignage littéraire de la vie de saint Aphrodyse de Béziers est probablement celui d'Adon, auteur carolingien, qui introduit la mission d'Aphrodyse dans les actes de saint Paul de Narbonne.
Grégoire de Tours, (+ circa 594) dans son « Histoire des Francs », (vaste apologie des barbares devenus chrétiens sous la houlette des évêques qui s'appuyaient sur l'évêque de Rome pour asseoir leur autorité, justifier leurs prétentions au pouvoir métropolitain et contrebalancer l'autorité civile), fait remonter la création des grands sièges épiscopaux des Gaules par l'envoi, au 3ème siècle, de six missionnaires « par les évêques de Rome », parmi lesquels saint Trophime en Arles, Paul-Serge à Narbonne, Austremoine à Clermont, Denis à Paris, auxquels il ajoute effrontément saint Cernin (Saturnin) à Toulouse. Comme les actes authentiques de saint Cernin datent son martyre en l'an 250, Grégoire de Tours date la mission romaine à cette période.
Bien que toutes ses affirmations ne soient pas toujours fiables, confortés par les vestiges archéologiques, nous pouvons accepter la datation de Grégoire sur l'étendue de l'évangélisation des Gaules, dans le courant du 3ème siècle, et donc situer l'épiscopat de saint Aphrodyse à cette période.
La première mention du sanctuaire dédié à saint Aphrodyse est celle du moine Usuard, moine de saint Germain des Prés à Paris qui entreprit un voyage au printemps 858 pour ramener d'Espagne des reliques pour son abbaye. Dans sa relation du voyage, il nous dit qu'après « avoir quitté Cordoue, il revint par Gérone, Narbonne et Béziers, ville illustre en raison des reliques du bienheureux Aphrodyse ».
Les fouilles entreprises autour et dans le sous-sol de la basilique ont permis de constater que le monument roman fut construit sur un bâtiment plus ancien dont on a retrouvé un dallage composé de larges briques romaines à rebord, posé sur une couche de béton composé de chaux, de fragments de marbre, de débris de briques et de tuiles. On a aussi retrouvé des urnes cinéraires, des tombes à « tegulae » ( = couvertes de tuiles) et plusieurs sarcophages de pierre. L'un d'eux contenait selon le témoignage en 1870 d'un érudit local, M. Noguier, une monnaie de Constance 1er, fils de Constantin, soit du 4ème siècle. Nous pouvons donc estimer que le site de notre sanctuaire correspond à celui d'une nécropole du bas-empire. Les chrétiens auraient utilisé le cimetière païen hors les murs et édifié le monument dédié à leur apôtre qui avait là sa sépulture. Le sanctuaire, pense-t-on, en raison du sceau du chapitre portant gravé les deux saints, aurait été consacré conjointement à l'apôtre Pierre et saint Aphrodyse. L'origine égyptienne de saint Aphrodyse est cautionnée par un bréviaire manuscrit du 14ème siècle qui contient la légende rapportée plus haut, et aussi un fragment de synaxaire dont la sobriété garantit l'antiquité et l'authenticité. On y apprend qu'Aphrodyse est égyptien, qu'il occupait un rang important dans l'administration, qu'après être arrivé à la maturité des années, il est devenu « disciple des apôtres».
Ce que le croyant doit retenir
Après les invasions barbares du cinquième siècle, la
civilisation gallo-romaine fut détruite et beaucoup de villes du midi
furent dévastées : les populations entrent dans la décadence
culturelle et économique, elles oublient les détails de leur
origine, et il faut attendre les réformes de Charlemagne pour que les
évêques se préoccupent de l'histoire de leurs prédécesseurs.
La doctrine de la foi n'est pas génération spontanée
et versatile au gré des modes de pensée, elle est tradition,
c'est à dire transmise par les apôtres et leurs successeurs.
Pour beaucoup de nos diocèses d'Occident, la lumière de la foi
est venue d'Orient. Aphrodyse est certainement l'apôtre de Béziers
dans le courant du 3ème siècle. La tradition orale, puis légendaire,
en mêlant le merveilleux à la réalité, a retenu
son origine égyptienne affirmée par le plus ancien synaxaire.
Si tous les détails de la vie de saint Aphrodyse ne sont pas garantis,
nous sommes assurés de l'historicité du fondateur de l'Eglise
de Béziers, la communauté, malgré les temps barbares,
ayant gardé pieusement la mémoire de son nom, de son origine
et de l'emplacement de son tombeau. Le sanctuaire Saint Elie vénère
avec reconnaissance une parcelle des reliques qui hélas ont été
brûlées en partie lors de la révolution française.
Père Eliyâs-Patrick
Sanctuaire de Saint Elie, 34150 Montpeyroux
http://site.voila.fr/eucharistie
elias-patrick.leroy@culture.fr
Bibliographie
Mss. B.N. latin 1059
Eusèbe, Histoire Ecclésiastique Grégoire de Tours, Historia
francorum
Dom Devic & Vaissette, Histoire générale du Languedoc, Edit.
Privat, 1874 Acta Sanctorum
J Rouquette, article, Aphrodyse, in Dictionnaire d'Histoire et de Géographie
Ecclésiastique, 1924
Yves Esquieu, la basilique Saint Aphrodyse et les débuts de l'art roman
à Béziers, in Bulletin archéologique, Paris B.N. 1977