«C’est
à toi de faire l’effort, l’éveillé indique
seulement le chemin. Ceux qui se sont engagés sur le chemin et
qui méditent se libèrent des liens de l’illusion.
Tout change. Tout apparaît et disparaît. Celui qui comprend
cela est libéré de la tristesse. Ceci est le chemin éclatant.
Exister, c’est connaître la souffrance. Comprends cela et
libère-toi de la souffrance. C’est le chemin radieux.
Il n’y a pas de moi séparé qui souffre. Celui qui
comprend cela est libre. Ceci est le chemin de la clarté.»
Extrait
du Dhammapada, « Le Chemin », verset 276-279 (traduit de l’édition
anglaise d’Anne Bancroft, Rockport, MA, Element, 1997, p. 81)
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[L’une]
des raisons pour lesquelles le silence nous paraît si dérangeant
[est la suivante] : dès que nous commençons à devenir
silencieux, nous éprouvons la relativité de notre mental
ordinaire et quotidien. Avec ce mental, nous mesurons nos coordonnées
de temps et d’espace, nous calculons des probabilités et
nous comptons nos erreurs et nos succès. C’est un niveau
de conscience très important et très utile. C’est
un état d’esprit si utile et si familier qu’il est
tentant de penser que nous ne sommes que cela : c’est là
toute notre âme, notre vrai moi, le sens complet de ce que nous
sommes.
Très souvent, la vie, l’amour et la mort se chargent de nous
apprendre qu’il en va autrement. La vie, dans ses détours,
nous amène à rencontrer le silence dans des circonstances
imprévisibles, chez des gens inattendus. Son accueil a un effet
à la fois excitant, merveilleux, et souvent terrifiant. Nos pensées,
nos peurs, nos rêves, nos espoirs, nos colères et nos attirances
vont et viennent, fluctuent d’instant en instant. Nous nous identifions
automatiquement avec ces états inconstants ou qui reviennent compulsivement,
sans penser à ce que nous pensons. Lorsque le silence nous apprend
combien ces états sont en réalité passagers, nous
sommes face à la terrible question : qui sommes-nous donc ? Dans
le silence, nous devons lutter avec la possibilité de notre propre
irréalité.
Les bouddhistes ont fait de cette expérience – qu’ils
appellent l’anatman ou « l’absence de soi » –
l’un des piliers centraux de leur sagesse sur le chemin de la libération
de la souffrance et l’un de leurs moyens essentiels d’illumination.
Le pratiquant bouddhiste est encouragé à rechercher ce sentiment
de l’évanescence intérieur et plutôt que de
le fuir, d’y plonger tête baissée, à l’instar
de Maître Eckhart et des grands mystiques chrétiens.
On comprend que l’anatman soit l’idée bouddhiste qui
pose le plus de problème aux non-bouddhistes. N’est-il pas
absurde, n’est-il pas terrible, n’est-il pas sacrilège
de dire que je n’existe pas ? En fait, l’opposition chrétienne
à l’anatman est pour l’essentiel infondée ou
fondée sur une méprise. Il ne s’agit pas d’affirmer
que nous n’existons pas, mais que nous n’existons pas de manière
autonome, indépendante, qui est la sorte d’existence que
l’ego aime imaginer détenir, la sorte de rêve d’être
Dieu avec lequel le serpent tenta Ève. C’est l’orgueil
démesuré auquel succombe nombre de personnes religieuses.
Je n’existe pas par moi-même parce que Dieu est le fondement
de mon être. À la lumière de cette intuition, nous
lisons les paroles de Jésus avec une perception plus profonde.
« Si quelqu’un veut venir à ma suite, qu’il s’abandonne
et prenne sa croix chaque jour, et qu’il me suive. Qui perd sa vie
à cause de moi la sauvera » (Luc 9, 23-24).
Si,
grâce au silence, nous parvenons à saisir cette vérité
de l’anatman, nous faisons d’importantes découvertes
sur la nature de la conscience. Nous découvrons que la conscience,
l’âme, est plus que le stupéfiant système de
calcul, d’évaluation et de jugement du cerveau. Nous sommes
plus que ce que nous croyons être. La méditation n’est
pas ce que nous pensons.
Laurence
Freeman o.s.b., extrait du « Silence de l’âme »,
paru dans The Tablet du 10 mai 1997.

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