L'incessante répétition du Nom de Dieu
dans les traditions spirituelles...
Père François


"La répétition du mantra est une discipline

qui nous aide à transcender toutes les limitations

de notre ego étroit et isolé"

John Main

 

Au carrefour des religions se croisent les mêmes techniques...preuve s'il en était de la similitude des hommes...et de l'unicité de Dieu...

L' incessante répétition du Nom de Dieu en est une...les vocables qui la désignent sont multiples...c'est le Dhikr en Islam... le Japa-Yoga des brahmanes ou des bouddhistes... mais aussi le shomyo au Japon... et l' inlassable litanie du Nembutsu...

En Occident c'est la prière de Jésus et la pratique de l'Hésychasme...plus près de nous la récitation du rosaire relève de la même logique... même celle des Litanies...ou la prière des Psaumes...

On peut rapprocher de ces techniques " la descente dans la Merkabah" de la Spiritualité Juive...aidée et provoquée par une méthode corporelle de concentration et de répétition... des formules dont la vertu ne réside pas tant dans le sens que dans la monotonie et le pouvoir de fixation...

Plus loin encore les Psalmodies qu'elles soient celles des Védas...des Sutras...des Psaumes...ou de Versets Coraniques obéit à la même logique...

L'étude qui suit n'est pas exhaustive...j'en suis bien incapable... elle se veut simplement témoignage et mise en exergue de quelques convergences...de quelques confluences......et autres anastomoses...

Dhikr

En terre d' Islam le Dhikr signifie tout à la fois souvenir de Dieu et technique servant à mentionner ce souvenir ...
Les réunions de Dhikr des confréries musulmanes sont choses bien connues... sous la forme de cercles...ou de séances ...des croyants désireux de prier se réunissent ... et avec des attitudes prescrites et bien définies ...réglant le rythme respiratoire aussi bien que l'attitude extérieure...invoquent dans une inlassable répétition le Nom du Dieu Très Haut et Miséricordieux...

"après une préparation silencieuse pour que rien ne vienne à l'esprit sinon le Dieu Très Haut elles consistent à dire Dieu par la bouche ...continuellement... et avec la présence du coeur...
et celà jusqu'à ce que l'on parvienne à un état où l'on abandonne le mouvement de la langue...le mot coulant alors naturellement sur celle-ci... On en vient ensuite au point d'effacer la trace du mot sur la langue et l'on trouve alors son coeur continuellement appliqué au Dikr...

On y persévère assiduement jusqu'à ce que l'on arrive à effacer de son coeur l'image de la locution, des lettres et de la forme du mot...et que le sens du mot demeure seul dans le coeur... présent en lui, comme joint à lui... et ne le quittant pas... Il est au pouvoir du priant de parvenir à cette limite et de faire durer cet état tout en repoussant les tentations... par contre il n'est pas en son pouvoir d'attirer à lui la miséricorde de Dieu Très Haut..."( Ghazzali)

On pourrait trouver différentes écoles...différents rites...différents modes...certaines utilisant même un chapelet pour aider la répétition...

Nembutsu

Ce mot Japonais qui vient en fait du Chinois... signifie " penser au Bouddha"...

Il s'agit au départ de réciter une formule venue du sanscrit : " adoration au Bouddha de Lumière Infinie= nan-O-mi-to-fo..." repris dans le Bouddhisme Japonais par "Namu Amida Butsu"..."je crois dans le Bouddha Amida..." moyen facile selon Hônen de pénétrer simplement et rapidement dans la Terre Pure...ce Paradis de l'Ouest où l'on attend la Délivrance...

Cependant dès ce monde la méthode peut conduire au Samâdhi ( expérience de l'ineffable...de l'Eveil à la Bouddhéité...)

" Si les fils et les filles de bonne famille désirent entrer dans ce Samâdhi de l'Unité, qu'ils s'assoient dans un endroit solitaire, abandonnant toute pensée qui peut déranger, ne s'attachant pas aux formes et aux figures... qu'ils aient l'esprit fixé sur un Bouddha unique et se consacrent exclusivement à réciter son Nom, assis de manière correcte , tournés dans la direction où est le Bouddha et le regardant bien en face"...

L'enseignement de Hônen est allé plus loin encore dans un sens d'atténuation et de simplification de la techniques...

" En prononçant Son Nom, en quelque posture que l'on fût avec dévotion ...assis, debout, couché ou en marchant... on peut être sûr d'être reçu par Amida au bout d'un certain temps dans son séjour de félicité..."

La récitation le plus souvent individuelle peut cependant être collective ...s'aidant même du chapelet à 108 grains ...et atteindre des chiffres allant de 300 à 70000 invocations par jour !!...


Japa -Yoga

Yoga ( exercice) qui consiste en la répétition d'une formule pieuse...au contraire du Yoga royal (Raja-Yoga )...celui que l'on pratique le plus souvent en occident ...et qui suppose dès le début l'acquisition délibérée et progressive d'une technique fort aiguisée de postures...de respiration...de concentration et d'ascèse...

Cette forme" adoucie "est une technique incoahative qui agit sur ce plan la répétition... laquelle bien rythmée peut favoriser un certain recueillement... technique de prière au départ... elle est parfois beaucoup plus... car elle permet elle aussi l'Eveil...


Descente dans la Merkabah

aidée et provoquée par une méthode corporelle de concentration et de répétition de formules dont la vertu ne réside pas dans le sens mais dans la monotonie et le pouvoir de fixation...son aboutisssement en est la levée du "voile des Réalités Célestes"...et la contemplation du trône divin...

Elle constitue une des voies essentielles de la Mystique Juive ( que nous détaillerons par ailleurs)


Prière de Jésus

Les moines du Sinaï et leurs adeptes aimaient à pratiquer la prière du seul mot (monologistos)... La formule peut varier : " Jésus" ou " Seigneur Jésus" ... St Jean de Climaque indiquant même que le nom de Jésus devait s'unir au souffle...

Plus tard la formule s'enrichit... "Kyrie Jésus éleison me" ( Seigneur Jésus prend pitié de moi !) auquel on ajoute ou combine parfois " Gie ton Théos éleison me"...
... les églises russes proposeront " Seigneur Jésus-Christ fils de Dieu aie pitié de moi pécheur !"

Au Sinaï puis au mont Athos se développa aussi la technique de l'Hésychasme où le contrôle du coeur physique et spirituel est atteint par une concentration et une régulation du souffle... et Siméon le Nouveau Théologien de dire:

" Avant tout il te faut acquérir trois choses...la mort à toute chose, une conscience pure te gardant de toute condamnation de ta propre conscience et la liberté de toute passion qui te ferait pencher vers le le siècle présent ou même vers ton propre corps...

Ensuite, assis dans une cellule tranquille à l'écart et dans un coin, fais ce que je te dis: ferme la porte et élève ton esprit au dessus de tout objet vain et temporel,... ensuite appuyant ta barbe sur la poitrine et tournant l'oeil temporel avec tout l'esprit sur le milieu du ventre, autrement dit le nombril, comprime l'aspiration d'air qui passe par le nez de façon à ne pas respirer à l'aise, et explore mentalement le dedans des entrailles pour y trouver le lieu du coeur où aiment à fréquenter toutes les puissances de l'âme...

Dans les débuts tu trouveras une ténèbre et une épaisseur opiniatre... mais en persévérant et en pratiquant cette opération de jour et de nuit, tu trouveras ô merveille ! une félicité sans borne...

Si tôt en effet que l'esprit trouve le lieu du coeur... il aperçoit tout à coup ce qu'il n'avait jamais su:...car il apercoit l'air existant au centre du coeur et il se voit lui même tout entier et plein de discernement ... et dorénavant dès qu'une pensée pointe avant qu'elle ne s'achève et ne prenne forme par l'invocation de J-C il la pourchasse et l'anéantit... le reste tu l'apprendras avec l'aide de Dieu en pratiquant la garde de l'esprit et retenant Jésus dans le coeur..."

Plus tard dans le célèbre texte du Pélerin Russe la technique préparatoire ou concomitante du souffle s'atténue...mais la technique de répétition verbale se précise...

" Après quelques temps j'éprouvais le sentiment que ma prière pour ainsi dire avait passé d'elle même de mes lèvres à mon coeur,...c'est à dire que je sentais que mon coeur à chacun de ses coups répétait lui-même les paroles de la prière
1) Seigneur...
2)Jésus...
3) Christ...
...je cessais alors de prononcer la prière avec mes lèvres et ne faisais que d'écouter attentivement ce que disait mon coeur..."

Les répétitions préconisées d'abord modestes peuvent atteindre 3000 à 12000...le but étant de parvenir à une invocation continue...de jour ...comme de nuit...!

Notons enfin que cette technique fut partiellement reprise par Saint Ignace de Loyola lorqu'il préconisa le versellement du Pater ... chaque mot étant récité et séparé par une respiration...

Rappelons encore ici la technique du Rosaire et la méditation des Mystères.

Convergences...

De toutes ces technique nous pouvons relever des convergences...

Tout d'abord pour chacunes le disciple doit être préparé... réelle préparation du coeur... parfois un effort ascétique ... pour se détacher de tout le créé environnant... un vide du coeur est nécessaire... que la technique ne saurait réaliser seule...

Même dans la facilité apparente du Nembutsu les Maitres Jodo insistent sur la sincérité du coeur...la nécessaire profondeur de la Foi... le désir de la terre d'Amida comme devant précéder sa récitation... les mêmes règles étant valables pour l'oraison hésychaste...

Il n'empêche que la répétition du Nom a une valeur en soi... équivalente à ce que l'on trouve dans le Japa-Yoga ou les Mantras de l'Inde... on rejoint ainsi les forces spirituelles de la Mystique Juive de la Merkabbah...

L'élocution du Nom donne pouvoir sur le Nommé...mise en communication directe avec l'intime de l'Invoqué... garantissant ainsi un certain mode de Sa Présence...

Suzuki dit ainsi à propos du Nembutsu :

" Prononcer le Nom contient davantage et agit plus efficacement que penser à toutes les excellentes vertus spirituelles dont est doué le Bouddha... Le Nom représente tout ce qui peut être dit du Bouddha... il y a 2 attitudes possibles...
dans un cas l'évocation a lieu sous l'idée que nom est "numen,"... Le nom est considéré alors comme ayant quelque mystérieux pouvoir d'opérer des miracles... dans le second cas le nom est prononcé non pas nécessairement comme indiquant les choses que son sens suggère... mais afin de provoquer et de faire aboutir un certain processus psychologique menant à la visualisation du Bouddha"

Mais ne nous y trompons pas... lorsque les chiffres des répétitions deviennent par trop importants des risques de déviations apparaissent... et ce qui est recherché est le plus souvent, consciement ou non, un état "pré -hypnotique" ... ou parfois même une "transe" extatique...

" La répétition mécanique du Nembutsu, c'est à dire la répétition rythmique bien monotone du nom de Bouddha...des dizaines de milliers de fois crèe un état de conscience qui tend à assoupir toutes les fonctions ordinaires de l'esprit... Cet état est apparenté de près à la transe hypnotique ...mais il en diffère totalement en ceci que de l'état de conscience du Nembutsu surgit une vision pénétrante de la nature de la Réalité...

Cependant...

Les Maitres dans leur désir trop ardent de propager la méthode dite "facile" de Salut...paraissent quelque fois laisser de côté ces conditions subjectives importantes. Le résultat en est que les disciples des écoles du " Pays Pur"sont souvent trop irrésistiblement attirés vers le nembutsu vocal au préjudice des conditions subjectives nécessaires...

Quand le Nembutsu se change ainsi en une récitation forcée sans relation consciente avec sa signification littérale et dévotionnelle ,son effet psychologique est de créer un état d'inconscience dans lequel les idées et sentiments qui flottaient à la surface se trouvent balayés..."

Les Maitres musulmans qui recommandent le Dhikr et les Chrétiens orientaux prédicateurs de la prière de Jésus ne disent pas autre chose...

Il ne s'agit nullement d'arriver à une technique de pur automatisme... il s'agit d'atteindre une technique finalisée par une "attention du coeur" sur l'Objet mentionné dans la formule...en l'occurence l'Invoqué...

C'est à ce prix que l'on peut parler d'expérience intérieure...

Suzuki ajoute même :

" La seule prononciation serait sans conséquence étant dépourvue de sens...elle doit être l'aboutissement d'une profonde réflexion, d'une recherche ardente et d'une grande foi... si elle n'est pas le résultat d'intenses aspirations elle doit du moins être continuellement renforcée par celle-ci... lèvres et coeur doivent être en complet accord...

Supposez un homme chapelet à la main récitant le nom de Bouddha avec ses lèvres...si en même temps ses pensées sont en état de confusion, courant à leur guise dans toutes les directions, il est de ceux chez qui l'invocation n'est que sur les lèvres et non dans l'esprit...il se fatigue inutilement, toute sa peine se réduit à néant..."

Chez les musulmans al Ghazzali disait lui aussi :

" le dhikr en sa réalité c'est la progression de l'emprise du Mentionné sur le coeur tandis que le dhikr lui même s'efface et disparait... ainsi selon lui le dhikr a 3 écorces qui vont se rapprochant du noyau... le noyau est derrière elles et les écorces n'ont d'autre mérite que de conduire à LUI.... L'écorce extérieure n'est que le dhikr de la langue..."

Il serait cependant inexact de penser les 3 écorces comme 3 étapes que sont la langue, le coeur, l'intime ...

Kitabl- al -minah précise :
" la première écorce est le dhikr de qui l'expérimente sans pratiquer la Présence de Dieu... la deuxième de qui prie avec sa langue et s'applique à la Présence du coeur... la troisième de qui pratique continuellement la Présence sans effort de manière que son coeur s'associe avec sa langue"

Car c'est bien cela qui dans toutes les religions est recherché ...le désir de cette Présence... il faut donc au départ en avoir le désir... et les distractions involontaires ne sont pas motif de renoncement...bien au contraire... c'est la pratique qui finira par en avoir raison...

La Présence recherchée du coeur est nécessaire au départ de l'expérience au moins quant au désir de l'effort... mais c'est l'Expérience seule qui en assurera la parfaite réalisation...

Hônen lui même conseillait de poursuivre le Nembutsu à travers toutes les dispersions de l'esprit et la méthode hésychaste enseignait elle aussi à chasser les distractions par le prière de Jésus...
et... une fois l'harmonie assurée elle ne peut plus être détruite... nous sommes alors au delà du dhikr de la langue...


Une occupation extérieure intellectuelle ou manuelle ne l'atteint pas car l'harmonie devient une Réalité telle ...que l'effet bienfaisant de la prière se poursuit... l'être tout entier répète la prière sans voix alors même que l'esprit en son activité superficielle s'applique à un autre objet...y compris la lecture ou la réflexion...emprise décisive de tout l'être par la formule...

Cependant

Dans le Japa-Yoga et le Nembutsu il ne s'agit évidement pas d'un aboutissement à une saisie de pure Transcendance Divine...orientés qu'ils sont par le " Toi tu es cela" indien ou par l'entrée dans la Terre Pure Bouddhiste...
il y a donc seulement là mainmise monoïdéique du Mentionné sur le mentionnant...

Ainsi quelque soit la formule ou la foi prononcée ... monisme absolu de l'"Aum "indien... Amida Bouddha du Nembutsu... Allah du dhikr musulman... Jésus Verbe incarné de la prière hésychaste...la répétition aboutit à une véritable prise de possession de l'intélect de l'orant par Celui qui est invoqué...et qui est vraissemblablement le même saisit qu'Il est sou sdifférentes structures de pensée...


Approfondissements...

Toutes ces méthodes ne semblent à priori que des techniques de prières...méthodes adaptées à certains tempéraments.. et tout aussi valables que la méditation discursive...

Elles semblent cependant faire peu de cas de la Grâce et s'efforcer de parvenir à un certain état...par elles mêmes...
ce n'est qu'une approche superficielle... en fait elles sont passives...mues en fait par Dieu...et permettant seulement d'entrer par nescience...par intuition et sans raisonnement... et par Amour gratuit dans les profondeurs de Son Mystère...

Car ce n'est point la répétition de la formule qui déclenche ni même qui appelle de soi la Grâce divine... la formule en est seulement la préparation pour mieux la recevoir...

Si l'âme progresse et que l'oraison infuse devienne son état habituel elle peut et c'est ce qui se passe... abandonner d'elle même la prière invocatoire... Il convient donc d'évacuer cette sorte de mépris à priori que tant d'auteurs occidentaux ont professés pour la prière de Jésus...et plus encore pour le dhikr... pour certains tempéraments elle garde sa grande valeur...

Mais peut-on suivre les orientaux quand ils reconnaissent à la prière de Jésus une valeur directement réalisatrice en raison du Nom prononcé ?...une action presque "magique"... même si bien sûr le Nom renferme toutes les potentialités d'une grâce sanctifiante à venir...

La Grâce de Dieu est gratuite et ne saurait être commandée ...même par la répétition fervente de la prière... même si cette répétition permet à l'âme de se recentrer en Dieu...

En est-il autrement en terre bouddhique...?

" Quand un certain état de conscience a été provoqué par la répétition du Nom de Bouddha il est vraissemblable que le Bouddha lui-même vienne prendre possession de l'esprit et par cela le fidèle est assuré de sa destinée future..."

Cependant en milieu chrétien ou musulman rien n'empêche bien au contraire que cette expérience conduite pour elle même et aussi loin que possible soit là encore le fait d'une âme en état de Grâce...

Alors ... le mouvement de l'âme vers Dieu et en Dieu prime...la technique pouvant crééer seulement des illusions...des états de conscience... et il sera bien difficile à l'âme de ne pas attribuer à Dieu qu'elle aime par dessus tout certains effets très profonds ...pouvant aller jusqu'à une unification de son moi avec la technique...

Il y a alors comme un conflit entre deux mouvements de l'âme... l'un qui par les actes de foi et d'amour va vers un Autre...le Dieu Personnel...sous la seule impulsion de la Grâce... le second qui par une pure rétorsion sur soi... tend à se vider de toute saisie intelligible... tend à se replier par un mode naturel bien qu'à contre pente de la nature... sur l'intime le plus intime de sa propre existence...

Si le premier mouvement prime... le second ne pourra que se trouver arrêté ...la technique n'allant pas jusqu'à ses limites de possibilités...elle sera renoncée inconsciement... mais en définitive dans les deux cas les rapports avec l'élan d'Amour surnaturel seront sensiblement analogues... simplement dans le cas où la technique prime, les risques d'erreurs et d'illusions sont plus grands... mais l'aide apportée par la méthode peut être plus grande aussi... aide bien sûr toujours inefficace en soi...

En effet quand la technique est poussée très loin les risques de rétorsion sur soi deviennent très grand... les effets rapportés à une action divine spéciale... et les états atteints et interprétés comme union spirituelle à Dieu... illusoires... et véritables dangers d'orgueil... qui risquent de détruire le véritable" état de grâce"...

Le but de ces " expériences" mystiques ne recoupe cependant pas celui du Yoga... ce dernier cherche une délivrance de toutes les conditions de l'existence... alors qu'en "climat monothéiste" le but est la prière continuelle...

Hommage continuel à Celui que mentionne le Dhikr ou la Prière... ...désir que seul le Mentionné s'empare du coeur de l'orant...
...l'ascèse demeure accessoire...et ce qui reste premier c'est la répétition de la formule...puis la captation de la pensée...puis du coeur...puis de l'intime... par Celui auquel la formule s'adresse...

Pour que tout cela se réalise il faut que la répétition soit liée à certaines conditions... soumis à un certain rythme verbo moteur... qui déclenche à son tour explicitement l'adjuvant de rythmes respiratoires puis circulatoires...

A mesure que la répétition se poursuit il se produit entre cette répétition et les influx nerveux qui parcourent le corps, des connexions nouvelles par où serait rejointe la parfaite maitrise recherchée en Yoga ... mainmise sur tous les apétits et instincts... mêmes les plus inconscients...

Si nous prenons l'exemple de ce qui se passe dans le dhikr
..la 1e phase le dhikr de la langue... nous montre une étape où l'expérience tend vers un monoïdéisme portant sur un nom ou un attribut divin... cela est obtenu non pas par un vidage délibéré du cerveau , ni par une concentration du mental comme en râja-yoga ... mais par un ensemble de moyens verbo-moteurs et respiratoires...qui agissent sur le système cérébro-spinal ( le conscient) et le mettent en harmonie explicite avec le sub-conscient... lui imposant le monoïdéisme recherché...

la 2e phase le dhikr du coeur ...
représente lui la mainmise sur le système végétatif...( qui régit les automatismes de l'organisme) à ce stade le subconscient se vide de toute image ou représentation et est comme actualisé et lié par le même monïdéisme...

la 3e phase dhikr de l'intime... correspondrait à la mainmise directe sur l'ensembles des systèmes ortho et parasympathiques du système neuro-végétatif dans leurs connexions avec l'ensemble des organes effecteurs végétatifs... elle se situe donc "au delà" du monoïdéisme ... qui est comme évacué... le dhikr est alors caché ou absent... Ce n'est plus alors l'objet du dhikr qui est atteint... ou plutôt il n'est atteint que négativement par abolition et annihilation de la personne ( Fana)... qui ne doit pas être saisie comme telle... mais "non-saisie"...

Que reste-t-il alors ?...un état de vide ?...
...une désagrégation de la personnalité ?...un état végétatif coupé de toute relation avec l'extérieur ???

Tout cela constitue des explications simplistes... car les mystiques eux parlent alors d'absorption en un monde supérieur d'existence... l'être humain dispersé se nouant en quelque nouvelle unité non exprimable...

On ne peut ne pas penser ici au grand Yoga..le Yoga royal... Raja yoga... qui tend lui aussi à une mainmise de toutes les fonctions psycho-physiologiques par une dure ascèse qui conduit à commander la respiration...la circulation ... et toutes les fonctions végétatives..

L'on peut mettre ainsi en concordance le dhikr de la langue avec le dhâranâ: étape de concentration et de fixation mentale du Yoga... le dhikr du coeur avec l'étape de dhyâna: recueillement et absorption où la conscience physiologique du moi s'absorbe tout entière dans l'acte de connaissance... comme le dhikr s'absorbe tout entier dans le Signifié de la formule...

Peut-on le comparer à un intense recueillement poétique ?... ou une intense contemplation philosophique... voire mathématique ou artistique ?

Un changement de plan s'opère en samâdhi, étape suivante qui correspond au dhikr de l'intime... extase psychologique... puis pure enstase du du sujet dans l'acte d'abolition de tout acte second...ce qui le fait coïncider avec son acte premier d'existence...
extase psychologique où la conscience se vide de soi... le dualisme de la connaissance et de l'objet disparaissant lui aussi... l'objet choisi pouvant être gradué et varié... être Suprème ou Seigneur dans la Bhakti et dans certaines formes de Bouddhisme Tantrique...

Quand à la phase d'absorption elle se réalise elle même en trois mouvements d'un même acte de rétorsion que je ne détaillerai pas...( à quoi bon découper...il vaut beaucoup mieux éprouver...)

Il ne s'agit là que du samadhi avec support ( 1er stade de samâhdi). Car ans le second samâdhi indifférencié la phase d'absorption est encore plus abrupte...l'extase devant s'abolir elle même en enstase...où toute qualification, toute distinction, toute détermination devient alors impossible... il n'y a plus d'objet différencié...
pur purusa...pur acte d'être du je... ou pure existence de l'Absolu indifférencié...absorption dans l'Atman ...qui est le Brahman...
... retirement et esseulement dans une Plénitude d'Être qui est un Tout...

Technique la plus adaptée certainement à la saisie par nescience intellectuelle de l'Esse subtantiel de l'Être qui constitue l'aboutissement la Mystique naturelle...

Mystique "naturelle" close sur elle même... ni le but recherché... ni le le mode... ni la lumière ne sont les mêmes que pour la Mystique surnaturelle... elle a sa complétude sur terre au niveau d'être de l'existence créée... grande richesse certes... mais qui n'atteint pas le Dieu Créateur et Rédempteur qui a appelé la créature à son amitié...

L'extase et l'enstase restent ici au seul plan de la créature...tout reste en langage d'objet... l'extase fait place à l'enstase qui saisit le pur exister du sujet... c'est par voie de nescience ...en faisant le vide... et par anéantissement de tout acte et de tout objet de pensée venue du dehors que progresse l'expérience...ainsi vidé de tout apport conscient et inconscient du monde extérieur et du monde interne... l'âme saisit le Pur Exister sans concept ...c'est à dire négativement...et c'est vers cette pratique que semble également tendre le dhikr... dans sa pénétration progressive de toutes les zones du sujet humain... pour le conduire au silence...et à l'évacuation de toute multiplicité...

En climat indien quand l'accent est mis sur l'esseulement... sur la solitude comblée de soi en Soi..., libéré par la saisie de l'acte d'être atteint au terme du samâdhi... on aboutit à la multiplicité des purusa... " je nouménal, pure lumière incoloreé" car toute existence est limitée par une essence... l'existence du minéral n'étant pas celle de l'homme... mais de cette essence qui est là...dans la profondeur existentielle de l'être... rien n'est saisi par l'existence terrestre du Soi...

D'où une autre ligne de conceptualisation qui met l'accent sur l'Absolu indifférencié...tout en Tout...totale complétude... ainsi si tout cela est vrai... si il y a ainsi une immense richesse d'exister...elle sera traversée par l'influx créateur divin... ainsi ce qui est atteint par les "techniques" n'est pas la Présence d'Immensité comme telle...mais les effets créés par la pPésence de l'Immensité...pas Dieu lui même impossible à attteindre par sa propre volonté... mais les effets de Sa Présence...effets non en eux mêmes ...mais reflétés dans le médium de l'âme...d'où la dérive moniste...tentation qui consiste en l'absence de toute saisie intelligible possible... de saisir cet esse comme un infini...absolu indifférencié... le grand " TOI TU ES CELA " ...le Brahman

Mais en climat monothéiste ?

Que ce soit dans les voies bhakti ou véda où le salut ne peut être aquis que par l'intemédiaire de la dévotion et de la grâce,...
en climat Islamique ou le Salut est demandé à la foi nue en un Dieu transcendant et séparé communiquant cependant par la Parole...ou en climat Chrétien ou c'est la foi formée par l'Amour qui rend participant..par pure grâce d'un Dieu Transcendant et Immanent...

Dans tous ces cas la technique n'est qu'un stade préparatoire et non efficace en soi en laquelle on se remet au bon plaisir divin d'une communication ineffable... seule capable de combler le désir d'Union... mais ces efforts eux mêmes ne font-ils pas partie de la Grâce ?

Grâce qui permet avec l'aide de la technique d'amener l'orant à "sentir" d'une manière physique que le centre de la personnalité ne se trouve pas dans le cerveau... point d'intersection des forces spirituelles de la personne avec le monde extérieur... mais dans le coeur...dans les profondeurs mystérieuses de l'être dont le coeur physique est le symbole...
le rôle de la technique est purement instrumental... instrumental mais qui opère des effets spirituels...et qui rejoint alors la spiritualité naturelle.. Ici il y a descente du cerveau dans le coeur.. alors que dans le yoga tantrique on parle de la montée de la "kudalini" ( force vitale) de plexus en plexus jusqu'au cerveau vers l'union avec "sakti" ( mère universelle du cosmos)... ultime lieu de rencontre

Conclusion

Pour le Mystique qui cherche une communication d'amour avec un Dieu personnel de tels exercices de concentration, même fixés sur un objet divin de dévotion peuvent sembler assez peu de chose ......d'où le mépris de certains chrétiens ou musulmans pour ceux-ci...

Cependant Mystique naturelle et Mystique surnaturelle ne s'excluent pas...le registre en est seulement différent...

Une technique ,... un résultat obtenu par une technique même spirituelle est de soi indifférent au registre surnaturel... à la limite il y aurait comme un conflit entre 2 modes de passivité...la passivité acquise de la Mystique naturelle ... où dans le vide total l'âme est comme possédée par elle même en son pur exister...et la passivité infuse de la mystique surnaturelle ...sur-activité où l'âme selon un mode humano-divin est mue par Dieu...

Dans les deux cas on ne saurait trop insister sur l'importance de la mise en harmonie des zones. du conscient et des zones profondes du subconscient de l'individu pour aider à la disponibilité de l'être...et des dangers de l'utilisation de la technique pour elle même: pouvoirs, hypnose, décontraction, bien-être... etc...

Il y a bien un absolu auquel l'âme peut atteindre par elle même non point aisément mais par une ascèse rude de renoncement et de vide.. mais cet absolu créé ... quelque soit sa richesse ontologique ...n'est point l'Absolu de Dieu postulé par les Mystiques monothéistes... celles ci ne peuvent se consummer que dans l'Amour et se proposent un but qui échappe aux seuls forces de l'homme... aucune technique ne peut la leur livrer... même si elle peuvent les y préparer...

Vous pouvez retrouver les analyses çi-dessus dans les ouvrages de Gardet sur la Mystique

Louis Gardet (1904 - Toulouse, 1986) est un philosophe thomiste, spécialiste de l'islam.
http://fr.wikipedia.org/wiki/Louis_Gardet



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