Postures du corps pour la méditation...

extrait du livre d'Alphonse et Rachel Goettmann "Prière de Jésus, Prière du coeur"


" Sois comme une corde de violon réglée sur une note juste,
sans alanguissement ni surtension,
le corps droit, les épaules effacées, le port de tête aisé.
"

Théophane le Reclus

 

Posture recommandée pour la méditation et la prière

A genoux sur une couverture étendue, les pointes des pieds se recouvrant légèrement l'une l'autre, s'asseoir entre les deux talons. Les genoux peuvent être réunis ou écartés. Au début, un coussin ou une couverture posés entre les talons et les fesses rendra l'assise moins douloureuse, ou encore « un siège bas, d'une demi-coudée », c'est-à-dire de 20 centimètres de haut et que l'on peut couper de quelques centimètres à mesure que l'expérience progresse, jusqu'à ce que l'on puisse s'asseoir sans difficulté sur les talons (sauf en cas de varices, bien sûr). Le tabouret peut aussi être un cube en bois ou en mousse dure, ou encore une couverture enroulée, sur lesquels on s'assied à cheval.

Cette façon de s'asseoir est sans doute la plus traditionnelle et peut-être la plus agréable pour tous. Ce qui importe avant tout ici c'est la bonne verticale: « »

Le plus simple, pour trouver la verticale juste avec son centre de gravité dans le ventre et non dans la poitrine ou les épaules (partie volontaire), c'est de s'incliner profondément jusque front contre terre, puis de reconstruire la verticale par le bas, en déroulant la colonne, vertèbre après vertèbre à partir du coccyx. Arrivé à la tête, étirer un peu la colonne vers le haut, et la laisser « s'asseoir » ensuite sur elle-même, sans avachissement vers le bas, ni raideur vers le haut, « sans alanguissement ni surtension » dit Théophane dans son vocabulaire. La colonne est droite mais souple. Le bassin légèrement basculé vers l'avant, sans cambrure exagérée au niveau des reins.

Dans cette posture, l'homme est un arbre solidement enraciné en terre. Toute la verticale repose sur une base : les fondations. Mais l'enracinement en terre dépend entièrement du bon lâcher prise du haut du corps, siège de l'ego : il s'agit d'abord, sans s'affaisser sur soi-même, de se décrisper et se détendre en profondeur dans la nuque et les épaules au début de chaque expiration. Ce lâcher prise de soi dans les épaules au début de l'expiration est suivi automatiquement alors d'un grand mouvement de confiance vers le bas : à la fin de l'expiration, on est littéralement assis dans son bassin qui, à son tour, se dilate, se détend, s'enracine de plus en plus. Si l'expiration est dirigée doucement mais fermement vers le bas, sans effort aucun, le bas-ventre se libère facilement. En prolongeant un peu l'expiration à la fin de son parcours normal, la paroi abdominale est légèrement tendue, ce qui permet de ressentir une force dans toute la région du bassin, mais surtout sous le nombril. L'ensemble acquiert maintenant une stabilité inébranlable, dans le centre de gravité, et tout le corps peut se détendre, dans l'attitude d'écoute et d'accueil.

L'expérience nous montrera que cette assise signifie beaucoup plus qu'une façon de se tenir physiquement et qu'elle conduit à toute une évolution de la personne, voire à une transformation profonde. L'esprit de la Prière s'incarne dans la matière, l'homme devient une forme conforme à son appel, le Verbe devient chair..., c'est une attitude de transparence à l'Invisible, qui permet à Dieu d'agir, synergie indispensable. Sans enracinement dans notre humanité profonde, le coeur ne s'ouvre pas. Mais trouver ses racines terrestres, c'est le travail de l'homme ; ouvrir le coeur, c'est le travail de Dieu.

La Bible est remplie de la nécessité d'un enracinement terrestre pour que la Prière « porte du fruit ». Un des textes les plus extraordinaires à ce sujet est la parabole du semeur où Jésus donne toute une anthropologie de l'homme en prière et montre qu'il ne se passe rien ou pas grand-chose chez l'homme qui « n'a pas de profondeur de terre » ni « de racine en lui-même ». Saint Paul en bon sémite utilise le même langage réaliste et charnel où jamais le corps n'est exclu du Chemin : « soyez enracinés et fondés dans l'amour »

Cette conscience prend évidemment son relief maximal dans l'assise silencieuse où rien n'échappe à l'attention, surtout pas les blocages et tensions qui n'offrent à la Prière qu'un « roc », la laissant à l'extérieur, loin de la « bonne terre »29. En prenant « comme point d'appui le nombril » car « la loi de mon Dieu est au milieu de mon ventre » et en proposant de ralentir le souffle et même de le retenir un peu, les Pères de la Philocalie ne donnent pas de recettes, mais sont tout simplement honnêtes avec le mouvement de l'Incarnation qui transforme les entrailles de l'homme en matrice de vie".

Il y a là, en tout cas, quelque chose à redécouvrir par un christianisme tombé dans l'abstraction intellectuelle, alors que son Dieu lui-même a pris un corps... « Tous ceux qui ont de l'expérience ne peuvent que rire lorsqu'on les contredit par l'inexpérience..., propos stériles des chicaneurs". » Nous retrouvons d'ailleurs cette même anthropologie biblique, occultée maintenant, sur l'iconographie très ancienne, tant en Orient qu'en Occident. Plus personne ne sait nous expliquer de quoi il s'agit quant à ces Christ ou ces saints au ventre protubérant à la manière de Bouddha, ou ces cercles concentriques sur l'abdomen, sinon celui qui est allé pratiquer le Hara au Japon ...

« Le critère corporel est supérieur à tous les critères psychologiques car, simple et complètement objectif, il n'est pas comme eux sujet à des interprétations et des erreurs dont seul le devenir apprend - mais souvent trop tard - la nature vraie et la valeur !»

Autres postures

Pour ceux qui auraient du mal à prendre l'une des postures décrites, il est parfaitement possible de méditer sur une chaise. Ne pas s'adosser, mais s'asseoir sur le bord avant, les jambes perpendiculaires au sol, les pieds parallèles, la plante fermement posée à plat ou, de préférence, croiser les chevilles, les genoux toujours plus bas que le bassin, sinon le centre vital ne se libère pas et le processus d'enracinement décrit plus haut est difficile à atteindre.

Aucune contre-indication non plus à rester debout pendant ce temps fort. Certains saints hésychastes se tenaient debout au même endroit pendant des heures. On peut les imiter pourvu que l'on trouve l'immobilité totale, comme dans chaque posture, bien d'aplomb sur les deux pieds, sans raidir les genoux, le bassin ici légèrement basculé vers l'arrière; procéder alors comme pour l'assise verticale.

Dans la station debout, les bras sont ballants le long du corps ; dans l'assise (sauf la posture d'Élie) les mains peuvent prendre plusieurs positions : soit posées sur les jambes, paumes vers le ciel - soit les mains tombent librement entre les jambes, les avant-bras reposant sur le haut des cuisses - ou encore le dos d'une main reposant dans la paume de l'autre, les deux mains posées dans le giron forment avec les avant-bras une grande coupe, symbole de la coupe intérieure.

Dans les postures verticales, le port de la tête est très important. Trop en avant ou trop en arrière, la nuque brise la continuité de la verticale et empêche la descente en soi. La qualité de la circulation sanguine est d'ailleurs très différente dans la tête suivant sa tenue. Il suffit, pour mettre la nuque dans le prolongement de la colonne vertébrale, de rentrer un peu le menton, ce qui étire les cervicales, et de ne pas perdre avec le sommet arrière de la tête le contact avec le plafond ou le ciel. Enraciné en ciel, enraciné en terre, c'est la double polarité de l'homme.

Quant aux yeux enfin, ils restent mi-clos ou entrouverts pendant la Prière. On en prendra vite le pli en constatant combien les progrès sont plus rapides que lorsque les yeux sont complètement fermés : la somnolence ne l'emporte plus ; de même, les distractions de tous ordres et l'évasion rêveuse tendent à disparaître. En outre, le maintien du contact avec le monde extérieur est de rigueur dans une spiritualité de l'Incarnation : on ne vit pas les yeux fermés ! Donc, yeux entrouverts, paupières détendues, regard neutre posé sur un point, à une distance d'un mètre environ devant soi, sans rien fixer.

Quelle que soit l'assise choisie, commencer le temps de prière par une métanie, une inclinaison profonde pendant laquelle on invoque l'Esprit Saint : « Nul ne peut dire "Jésus est Seigneur" que sous l'action de l'Esprit Saint », c'est Lui notre Maître intérieur et Lui seul qui prie en nous, et nous nous joignons à sa prière. Chacun peut appeler l'Esprit Saint à sa manière, simplement, avec ses mots d'amitié et de confiance qui sont sans doute les meilleurs. Mais on peut aussi se servir d'une invocation de l'Église, comme par exemple

Roi du Ciel, Consolateur, Esprit de Vérité
Toi qui es partout présent et qui remplis tout,
Trésor des biens et Donateur de Vie,
Viens et demeure en nous,
Purifie-nous de toute souillure
Et sauve nos âmes,
Toi qui es bonté !

Cette invocation que nous faisons est une véritable «épiclèse » en continuité directe avec celle de la liturgie". Comme nous appelons le Feu de l'Esprit sur le pain et le vin, nous l'appelons aussi sur nous, afin que par la Prière de Jésus Il nous transforme en corps et en sang du Christ. Nous le verrons d'ailleurs, cette Prière est profondément eucharistique.

Ensuite, il est indispensable de déposer sur la croix du Christ tout ce qui ne va pas en nous et autour de nous : nos soucis et problèmes, nos fardeaux quels qu'ils soient : « Venez à moi, vous tous qui peinez et ployez sous le fardeau et je vous soulagerai », sinon il est impossible de prier, le souci est notre premier ennemi : il peut assiéger totalement la conscience et la rendre imperméable à Dieu : comme des « épines », les soucis « étouffent » la Prière « qui demeure sans fruit ».

Quel paradoxe à vouloir prier le Père infiniment miséricordieux sans Lui faire confiance et à s'agripper encore à ses problèmes ! Mais ce qui obstrue le plus le coeur de l'homme, c'est le manque de pardon. Inutile même de commencer notre Prière tant que nous n'avons pas pardonné « du fond du coeur ». Jésus est clair à ce sujet : « Si tu te souviens que ton frère a quelque chose contre toi, laisse là ton offrande et va d'abord te réconcilier avec ton frère », parole qui s'inscrit dans la virulence de tous les prophètes contre les « vaines oblations », tel Isaïe : « Que m'importent vos innombrables sacrifices, dit le Seigneur, je suis rassasié... c'est pour moi une fumée insupportable... mon âme les hait... je détourne les yeux, vous avez beau multiplier les prières, moi je n'écoute pas. Vos mains sont pleines de sang, lavez-vous, purifiez-vous ! ôtez de ma vue vos actions perverses". » Qui oserait alors le blasphème de prier malgré tout ?

II faut pardonner à tous ceux qui, dans notre vie, de près ou de loin, nous ont blessés, consciemment ou inconsciemment, et quelle que soit l'importance du grief. Pardonner, mais aussi demander pardon pour les blessures que nous avons portées. Face à Dieu, la meilleure façon de pardonner, c'est de demander au Seigneur qu'il bénisse telle ou telle personne". Avant de commencer la Prière, il faudrait pouvoir traiter n'importe quelle personne comme l'être qui nous est le plus cher sur la planète, et il faut pardonner tous les jours jusqu'à ce que cela soit ! Cette liberté intérieure est un chemin, elle ne cesse de s'approfondir. Nos haines sont si cachées en nous qu'il vaut mieux ne pas se bercer d'illusions et recommencer à pardonner, et à pardonner encore...

La Prière nous fera entrer alors dans le mouvement même de la rédemption où tout est lavé dans le sang du Christ : « aie pitié de moi pécheur ! ».

Tout cela ne prend que peu de temps, quelques minutes au plus. On se relève donc de sa prosternation, selon la posture choisie, et puisque notre âme est maintenant en paix, notre corps peut y entrer, lui aussi. Commencer par se détendre dans tout son corps « Avant de prier, dit Origène, détends-toi et retrouve le silence. »

Une contraction dans une partie du corps est toujours un blocage sur le Chemin intérieur : elle traduit, en fait, une distorsion de la personnalité tout entière, une crispation du moi sur ses positions acquises ou une volonté de s'affirmer contre toutes les peurs et insécurités. Tant que mon corps est encore tendu cela signifie que mon âme n'est pas vraiment dans la paix. Le moindre souci me contracte, le non-pardon me ferme, physiquement. Le corps me permet ici de lire ma vérité intérieure, il va contribuer puissamment à lâcher prise.

Le plus simple c'est de parcourir lentement son corps de la tête aux pieds ou des pieds à la tête, et de sentir de l'intérieur chaque partie, demeurer un peu à chaque endroit et prendre conscience de la profondeur de la sensation, même si à ce stade, notre conscience n'est pas encore illuminée par l'Esprit. Le corps devient ainsi perméable à la conscience, « il résonne en accord avec l'âme » et ses parties inconscientes ou obscures deviennent de plus en plus conscientes, parce que « nous y plaçons la loi de la conscience intelligente qui combat cet empire ».

Une fois le parcours terminé, sentir tout son corps à la fois, se sentir de l'intérieur dans son corps. Chaque expiration approfondit la détente •dans tout mon être. Tout mon être respire, je suis respiré, il faut bien en prendre conscience, le sentir
Ce qui, au début, semblera n'être qu'un exercice de détente nous mènera très vite vers la mise en Présence, la prière elle-même et jusqu'aux portes du silence-hesychia.

Les formidables découvertes des Pères du Désert, qui sont parvenus par le silence de l'âme et du corps à cette « inviolable tranquillité du coeur » et à une « souveraine liberté », le savaient déjà près de deux mille ans avant nous. Aujourd'hui, les travaux des neurophysiologues nous confirment scientifiquement leur expérience spirituelle : une sensation reçue à l'état pur opère une déconnexion immédiate des centres nerveux et met l'âme et le corps en silence. A tous les autres moments nous pouvons être dissociés, le moment de la sensation est nécessairement celui de la présence psychologique. L'homme ne peut pas à la fois sentir et penser, voilà un grand secret qui devient du coup un grand moyen. De surcroît, l'attention est en proportion directe de la détente. Plus on est crispé, plus on est distrait, tiré dehors... « La sensation régularise et harmonise les fonctions du cerveau, dit le Docteur Vittoz, elle stimule et régénère la cellule nerveuse ; peu à peu s'établit une sorte de silence du cerveau, il est au repos... C'est une re-création, une marche vers la liberté. »

Ne pas mettre à l'oeuvre les extraordinaires richesses qui sont en nous, c'est mépriser les dons que Dieu nous a faits et poser le levier de l'ascèse à un mauvais point d'application... C'est à la fois ironique et inconscient que de prier Dieu pour lui demander ce qu'Il nous a déjà donné ! « Offrez vos corps à Dieu... Le corps est pour le Seigneur et le Seigneur est pour le corps... Ne savez-vous pas que vos corps sont des membres du Christ ?... Glorifiez donc Dieu dans votre corps ! »

Plus sur Alphonse et Rachel Goettmann
http://www.centre-bethanie.org/livres_goettmann.htm