
Au début de la vie intérieure, le désir de Dieu
est faible. C'est quelque chose de sourd qu'on perçoit à
peine. L' âme éprouve comme un malaise mystérieux
et doux qu'elle ne parvient pas à préciser. Elle se sent
travaillée au plus intime d'elle-même. Par quoi ? Elle ne
saisit pas nettement. L'amour de Dieu est à l'oeuvre dans son coeur,
mais à la manière d'un feu qui couve sous la cendre...
Robert de Langeac, La vie cachée en Dieu
Ami
lecteur, sans doute reconnaissez-vous ce malaise mystérieux et
doux, ce feu qui couve sous la cendre... Les pages que vous ouvrez ne
sont pas tombées dans vos mains par hasard : elles sont pour guérir
ce malaise, pour libérer ce feu, pour dilater votre vie chrétienne,
pour vous donner la joie d'aller jusqu'au bout de ce désir de Lui
que le Seigneur a mis en votre coeur.
"Voici
que je me tiens à la porte et que je frappe, dit le Seigneur. Si
quelqu'un entend ma voix et s'il m'ouvre, j'entrerai chez lui, je prendrai
mon repas avec lui, et lui avec moi... "Apocalypse 3, 20
Comment
lui ouvrir? Par l'oraison.
Mode d'emploi
"Pour
toi, quand tu pries, retire-toi dans ta chambre, ferme sur toi la porte,
et prie ton Père qui est là, dans le secret ; et ton Père,
qui voit dans le secret, te le rendra. " Évangile
selon saint Matthieu, 6, 6
Concrètement
- Je repère le meilleur moment de mes journées et le meilleur
endroit pour être seul avec le Seigneur. Ce peut être dans
ma chambre ou dans une pièce tranquille, dans une église
ou dans la nature, assis ou à genoux... Et je décide d'y
prendre quotidiennement rendez-vous avec le Seigneur.
- Combien de temps chaque jour? "Tu aimeras le Seigneur ton Dieu
de tout ton coeur, de toute ton âme, de tout ton esprit."
... et donc vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Mais pour cela, je commence
par lui réserver un quart d'heure chaque jour. Si je peux et souhaite
le prolonger, très bien, mais ce quart d'heure là sera de
toute façon intouchable.
Créés en oraison, créés
pour l'oraison
Pour comprendre
Qu'est-ce
que l'oraison ? Dans un des livres les plus lus du Moyen-Âge, Guillaume
de SaintThierry, ami de saint Bernard, nous répond :
L'oraison
est l'affection que l'homme ressent pour Dieu quand il s'attache à
lui ; elle est comme une conversation sainte et familière avec
lui, une pause de l'esprit recevant sa lumière, lui donnant de
jouir de lui, aussi longtemps qu'il est permis.
Lettre aux Frères du Mont-Dieu, I, V
Complétons
avec Thérèse d'Avila, qui a certainement lu Guillaume :
L'oraison
n'est pas autre chose qu'un commerce d'amitié, un entretien fréquent
et intime avec Celui dont nous savons qu'Il nous aime. Autobiographie,
8
Définitions
tout en nuances : l'oraison est d'abord un attachement amoureux à
Dieu. Cet attachement nous porte à converser avec lui, à
cultiver son amitié et à en jouir, à donner libre
cours à cet élan qui nous porte vers lui, et dont nous pressentons
qu'il est tout notre bonheur. Pour aller au coeur de l'oraison, remontons
à la racine du mot : oraison vient du latin os, la bouche, le visage.
Os ad ora (littéralement : bouche à bouche), qui
a donné le français adorer, et de là oraison,
indique exactement la situation dans laquelle Adam vient à la vie
au livre de la Genèse :
Dieu
modela l'homme avec la glaise du sol, et il insuffla dans ses narines
une haleine de vie, et l'homme devint un être vivant. Livre de
la Genèse, 2, 7
Autrement
dit, l'homme vient à l'existence en oraison : c'est là qu'il
trouve son équilibre profond, c'est là qu'est sa vocation.
Et en même temps, tout ce que Dieu réalise s'explique par
sa volonté de nous partager son intimité, partage dans lequel
il trouve son bonheur autant et plus que nous :
Il
faut savoir que si l'âme cherche Dieu, son Bien-aimé la
cherche beaucoup plus ! Et si elle lui envoie ses désirs amoureux,...
il lui envoie, lui, "l'odeur de ses onguents, avec laquelle il
l'attire et la fait courir jusqu'à lui"', c'est-à-dire
ses inspirations et ses attouchements divins. Saint jean de la Croix,
Vive Flamme, III, 28
Dieu
nous cherche bien plus que nous ne le chercherons jamais : par mille chemins,
il éveille en nous ces désirs de Lui qui sont d'abord les
siens, et auxquels nous allons donner libre cours durant cet apprentissage,
que nous allons vivre comme l'arrivée du Bien-aimé. Et cette
sollicitation divine ne sera pas encombrante, mais pleine de prévenance
et de douceur :
Il
y a des amis obligeants, Philothée, qui ont renoncé aux
compliments et à la cérémonie avec leurs amis.
On ne perd point de temps à leur faire des civilités étudiées
et incommodes. Ils se présentent d'eux-mêmes et ils se
laissent voir en toute liberté. Il en est ainsi de Dieu qui nous
cherche avec plus de foi et plus d'ardeur que nous ne le cherchons nous-mêmes,
n'étant venu au monde que pour habiter en nous...
Dieu pense continuellement à chacun de nous comme s'il n'y avait
que nous. Il est bien plus juste que nous pensions continuellement à
lui comme s'il n'y avait que lui.
Quel aveuglement des hommes, Philothée, qui n'ayant pas encore
compris qu'ils n'ont été créés que pour
Dieu, osent trouver étrange que l'on pense toujours à
Dieu et que l'on n'ait point de familier objet que Dieu...
La compagnie de Dieu ne trouble ni n'embarrasse jamais. Elle n'est ni
fâcheuse, ni amère, ni incommode. Et quand nous le portons
avec nous par la pensée familière, il a la bonté
de se mêler à tout ce que nous faisons, et il ne se sépare
jamais de nos affaires ni de nos plus menues conversations...
La pensée de Dieu n'est pas un fardeau, c'est un vent qui nous
porte, c'est une main qui nous soutient et qui nous élève,
c'est une lumière qui nous guide, c'est un Esprit qui nous vivifie
quoique nous ne sentions pas son opération.
François Malaval, Pratique facile de la contemplation, II, 2
Le
conseil
Toutes les fois que je commence un temps d'oraison,
je commence par cette prise de conscience de l'amour de Dieu pour moi.
Un signe de croix bien fait, un Notre Père dit calmement ou un
petit texte peuvent m'y aider ; mais il est inutile d'aller plus loin
tant que je n'ai pas présent à l'esprit que je suis là
pour un rendez-vous d'amour.
Une promenade d'amoureux
Pour comprendre
Continuons
de comprendre ce qu'est l'oraison. Restons pour cela au paradis terrestre
: si l'homme a été créé en oraison, il va
la vivre en cultivant le jardin dans lequel Dieu l'a placé. Et
ce jardin, c'est d'abord son âme, lieu de son union à Dieu
:
Celui qui commence une vie d'oraison doit se figurer qu'il entreprend
de faire, dans un sol ingrat et couvert de mauvaises herbes, un jardin
tel que le Seigneur y trouvera ses délices. C'est Sa Majesté
elle-même qui arrache les mauvaises herbes et doit planter les
bonnes. Or, nous supposons cela fait, quand une âme est résolue
de se livrer à l'oraison, et que déjà elle s'y
exerce. C'est maintenant à nous, comme bons jardiniers, de faire
en sorte, avec le secours de Dieu, que ces plantes croissent. Nous devons
les arroser avec le plus grand soin ; alors, loin de se flétrir,
elles porteront des fleurs dont le merveilleux parfum plaira à
ce Seigneur. Souvent pour son plaisir il visitera ce jardin, et il y
prendra ses délices au milieu de ces vertus.
Sainte Thérèse d' Avila, Autobiographie, 11
Remarquons
que si l'homme cultive, c'est Dieu qui "arrache les mauvaises
herbes et plante les bonnes": l'oraison ne suppose pas de grandes
forces, mais un peu de soin et beaucoup d'amour. Et si nous voulons faire
oraison, n'en doutons pas, c'est que le plus dur est fait, que les mauvaises
herbes sont arrachées, et que déjà nous appartenons
au Christ. Qu'il serait dommage de nous priver de ses visites !
Mais
ce jardin est aussi un château, dans lequel va se jouer une merveilleuse
histoire d'amour :
Pour
parler de l'oraison, l'idée m'est venue de considérer
notre âme comme un château fait tout entier d'un seul diamant,
ou d'un très clair cristal, où il y a beaucoup de chambres,
de même qu'il y a beaucoup de demeures au ciel. Car à bien
y songer, mes sueurs, l'âme du juste n'est rien d'autre qu'un
paradis où Dieu dit trouver ses délices... Ce château
a de nombreuses demeures, les unes en haut, les autres en bas, les autres
sur les côtés ; et au centre, au milieu de toutes, se trouve
la plus importante, où se passent les choses de grand secret
entre Dieu et l'âme.
Voyons comment pénétrer dans ce château. J'ai l'air
de dire une sottise : si ce château est l'âme elle-même,
il est clair qu'elle n'a pas à y pénétrer ; mais
vous devez comprendre qu'il y a des manières très différentes
d'y être : bien des âmes sont sur le chemin de ronde du
château, où se tiennent les gardes, et peu leur importe
d'y entrer ; elles ne savent pas ce qu'il y a en un lieu si précieux,
ni qui l'habite, ni quelles pièces le composent. Vous aurez lu
en quelque livre sur l'oraison que l'on conseille à l'âme
d'entrer en elle-même : c'est bien de cela qu'il s'agit.
Sainte Thérèse d' Avila, Château de l'âme,
I, 1
L'
image est claire : notre âme avec toutes ses facultés, son
intelligence, sa sensibilité, son imagination, va peu à
peu s'habituer à vivre en compagnie de Dieu. Conte de fées
? Non, mais apprentissage de la vie divine de l'homme, pour lequel il
va suffire de nous laisser conduire par le maître des lieux.
Pour
méditer
Me mettre en présence de Dieu
Pour nous laisser conduire, il nous faut nous présenter à
l'entrée du jardin ou à la porte du château, c'est-à-dire
nous mettre en présence de Dieu.
Le
premier moyen pour se mettre en présence de Dieu consiste en
une vive et attentive appréhension de la toute présence
de Dieu, c'est-à-dire que Dieu est en tout et partout, et qu'il
n'y a lieu ni chose en ce monde où il ne soit d'une très
aimable présence... Car encore que nous sachions bien qu'il est
présent à toutes choses, si est-ce que n'y pensant point,
c'est tout comme si nous ne le savions point. C'est pourquoi toujours,
avant l'oraison, il faut provoquer notre âme à une attentive
pensée et considération de cette présence de Dieu...
Le second moyen de se mettre en cette sacrée présence,
c'est de penser que non seulement Dieu est au lieu où vous êtes,
mais qu'il est très particulièrement en votre coeur et
au fond de votre esprit, lequel il vivifie et anime de sa divine présence,
étant là comme le coeur de votre coeur et l'esprit de
votre esprit...
Le troisième moyen, c'est de considérer notre Sauveur,
lequel en son humanité regarde depuis le ciel toutes les personnes
du monde, mais particulièrement les chrétiens qui sont
ses enfants, et plus spécialement ceux qui sont en prière.
La quatrième façon consiste à se servir de la simple
imagination, nous représentant le Sauveur en son humanité
sacrée somme s'il était près de nous...
Vous userez donc de l'un de ces quatre moyens, pour mettre votre âme
en la présence de Dieu avant l'oraison ; et il ne faut pas les
vouloir employer tous ensemble, mais seulement un à la fois,
et cela brièvement et simplement.
Saint François de Sales, Introduction à la Vie dévote,
II, 2
Le conseil
Si le premier pas de l'oraison est de prendre
conscience de son amour pour moi, le second est de prendre conscience
de sa présence effective auprès de moi et en moi. Et là
encore, inutile d'aller plus loin tant que mille choses qui me passent
par la tête m'empêchent de m'intéresser à
cette présence. Et il est sûr que certains jours, il me
faudra tout mon temps d'oraison pour trouver cette présence.
Mais au fond, y a-t-il une autre oraison que celle-là ? Y a-t-il
meilleure façon d'aimer que de chercher à aimer ? Apprenons
déjà à recevoir aujourd'hui l'oraison que Dieu
me donne aujourd'hui c'est celle-là la bonne, puisque c'est la
sienne.
Max
de Longchamp
L'oraison
... à l'école des saints
Centre Saint Jean de la Croix

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