Le renoncement à soi
par John Main
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«Si
quelqu'un veut venir à ma suite,
qu'il se renie lui-même, qu'il se charge de sa croix et qu'il me suive.»
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La répétition du mantra est une discipline qui nous aide à transcender toutes les limitations de notre ego étroit et isolé. Le mantra nous amène à faire l'expérience de la liberté qui règne au centre de notre être. « Car le Seigneur, c'est l'Esprit, et où est l Esprit du Seigneur, là est la liberté », nous dit saint Paul. La méditation nous initie à cette liberté en nous aidant à nous en remettre à l'Autre, à ne plus penser à soi. C'est ce que Jésus veut dire par renoncer à soi-même. Aujourd'hui, nous ne savons plus vraiment ce que cela signifie que de renoncer à soi. En effet, le renoncement à soi n'est pas une expérience familière ou même tout à fait compréhensible à nos contemporains, principalement parce que notre société met plutôt l'accent sur la réussite personnelle, sur des principes et des comportements qui relèvent de l'individualisme. Le matérialisme de notre société de consommation établit le «ce que je veux» au centre de notre vie, et ramène «l'autre» à la qualité de simple objet dont nous pouvons disposer selon notre plaisir ou à notre avantage. Toutefois, l'autre n'est réellement Autre que si nous l'approchons avec révérence pour lui-même et en tant que lui-même. Nous devons apprendre à lui porter une attention complète, plutôt que de s'intéresser seulement à l'effet qu'il peut avoir sur nous. Si nous commençons à faire de l'autre un objet, alors sa réalité, son caractère unique et sa valeur essentielle nous échappent. Il devient non pas l'autre, mais une projection de nous-mêmes. De nombreuses personnes, aujourd'hui comme hier, ont confondu renoncement à soi et rejet de soi. Or, la méditation n'est pas une fuite de soi, une tentative d'échapper à la responsabilité de son être, de sa vie et de ses rapports avec autrui. La méditation est davantage une affirmation de soi-même, non pas du soi engagé dans telle ou telle responsabilité particulière, ou du soi qui désire ceci ou cela - ces aspects du soi sont illusoires; ils deviennent de petits ego lorsque nous les isolons du point central de notre être - mais du soi où notre être irréductible existe en complète harmonie avec l'Autre, cet Autre qui est la source de notre être et celui par qui nous existons. C'est ce véritable soi, le soi complet que nous affirmons dans le silence de la méditation. Cependant, on ne peut affirmer notre véritable soi par la force, en essayant de le posséder ou de le maîtriser. Nous nous mettrions alors dans une position absurde où notre ego tenterait de commander au soi, où l'irréel régenterait la réalité. C'est ce que signifient ces paroles de Niebuhr: «Le soi ne se réalise pas pleinement lorsque la réalisation du soi constitue le but visé.» Dans la méditation, nous nous affirmons en devenant calmes, silencieux; nous permettons ainsi à la réalité de notre véritable soi de devenir de plus en plus apparente, et nous permettons à sa lumière de rayonner dans tout notre être au cours d'un processus naturel de croissance spirituelle. Nous ne cherchons pas à faire quoi que ce soit. Nous nous permettons simplement d'être. Lorsque nous renonçons à nous-mêmes, nous nous trouvons dans un état de liberté et de réceptivité qui nous permet d'entrer en relation avec l'Autre - condition nécessaire à notre prise de position en sa faveur - et de lui dire, autrement qu'avec des paroles, «je t'aime». Mais ce mouvement du soi vers l'Autre n'est possible que lorsque l'on se détache de soi, que lorsque notre conscience ne se porte plus vers le moi, mais plutôt vers le toi. L'obsession de soi-même restreint et limite le soi. Au contraire, le renoncement à soi le libère afin qu'il puisse atteindre son véritable objectif: aimer l'Autre. La méditation est un processus simple et naturel par lequel notre être véritable se révèle par une sincère réceptivité à l'Esprit de jésus qui habite nos coeurs. Cette révélation se fait jour lorsque nous renonçons aux manifestations extérieures de notre conscience telles que les pensées, les paroles et les images. En nous détachant de celles-ci, nous atteignons la conscience même. Nous devenons alors silencieux parce que nous sommes entrés dans le silence et sommes entièrement tournés vers l'Autre. Dans ce silence parfaitement conscient, entièrement libre, nous nous ouvrons naturellement au Verbe qui procède du silence, le Verbe même de Dieu, en qui nous sommes appelés à être et en qui le Créateur nous fait exister. Il est le Verbe vivant à l'intérieur de nous. Notre foi nous affirme que nous sommes totalement incorporés à lui, mais nous avons besoin de le savoir parfaitement, dans la largeur, la longueur, la hauteur et la profondeur de notre esprit, de le savoir quoique cela dépasse toute connaissance. Le silence nous mène à cette connaissance dont la simplicité est telle qu'aucune pensée ou image ne pourra jamais la contenir ou la représenter. En renonçant à soi, nous entrons dans le silence et portons toute notre attention vers l'Autre. La vérité qui nous sera révélée, c'est l'harmonie de notre Soi avec l'Autre. Le poète adepte du soufisme exprime cela dans ces mots: «J'ai vu mon Seigneur avec les yeux de mon coeur et lui ai demandé: "Qui es-tu Seigneur?" "Toi-même", répliqua-t-il.». John Main, extrait de "Un mot dans le silence, un mot pour méditer" |
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