Méditation
chrétienne :
"le corps soit avec vous"
«
Donner un sens à son corps. c'est donner un sens à sa vie.
Nous tentons de ne plus laisser le cerveau s'embrayer dans tous les sens.
afin de développer en chacun une intelligence profonde. »
Jean-Gabriel
Boulanger |
Chrétiens,
ils ont souhaité approfondir leur foi en allant chercher Dieu dans
la méditation. Des prêtres ont été capables
de leur indiquer le chemin. Au passage, ils se sont ouverts à d'autres
traditions et réconciliés avec leur corps. Son but ? « Réconcilier les gens avec leur propre corps et développer en eux une spiritualité plus intérieure. » Des objectifs qui paraissent insolites dans la bouche d'un homme d'Église. Et des méthodes qui ne le sont pas moins, on pratique entre autres, « l'éveil corporel », un ensemble exercices variés qui proviennent la tradition bouddhiste, comme tai chi chuan, le zen ou le qi cong, mêlés à des pratiques d'automassages et de relaxologie. La prière et la messe pour les participants ne se déroulent pas seulement sur chaises et prie-Dieu. Ils se recueillent en carré dans une salle plutôt nue - moquette et murs blancs - et en position du tailleur sur des petits bancs ou des coussins ronds qui rappellent le za fu zen. Tous ensemble, yeux mi-clos, ils méditent, encore habités par un texte de la Bible qui leur a été lu dans la matinée. Un texte qui, c'est le principe, a dû éveiller en eux des souvenirs puisés dans leur propre expérience, des sensations... Bref, une parole qui échappe au mental pour être réappropriée par le corps. Donner un sens à son corps Les membres de la Maison de Tobie ne sont pas les seuls chrétiens à s'ouvrir à d'autres spiritualités pour vivre plus pleinement la leur. En France, près d'une demi-douzaine de centres de ce type ont choisi la voie du développement de soi. On y mêle les exercices énergétiques et les « nouvelles thérapies » aux pratiques plus classiquement chrétiennes, comme l'eucharistie ou l'étude des évangiles. Partout ces fidèles cherchent à s' échapper à « une société de stress et de panique », selon l'expression de jean-Gabriel Boulanger, animateur à la Maison de Tobie. Lui leur apprend « à être attentifs à leur respiration, à sert.leurs muscles et leurs articulations ». Mais il y a plus qu'une simple « gymnastique » « Donner un sens à son corps. c'est donner un sens à sa vie. Nous tentons de ne plus laisser le cerveau s'embrayer dans tous les sens. afin de développer en chacun une intelligence profonde. » Faire taire le tumulte «
On est tous d'accord pour dire que notre vie spirituelle est à
consolider », explique Bill, soixante ans, qui fréquente
la Maison de Tobie depuis quatre ans. « Moi, j'essaye de faire
taire le tumulte, chasser les pensées parasites pour être
simplement là. Et que Dieu soit présent en moi. »
Ce catholique d'origine britannique qui, de son propre aveu, aurait endossé
l'habit de prêtre s'il avait été moins « indécis
», raconte : « J'étais allergique à la discipline
prônée par l'Eglise. Je la prenais pour une contrainte, alors
que c'est moi qui étais trop obéissant. Aujourd'hui, je
sens cette discipline comme bienfaisante, structurante, par la confiance
qui s'est instaurée avec les autres membres du groupe. »
Il s'impose chaque jour vingt minutes de méditation silencieuse.
« J'ai un mal fou », confie-t-il, tout en sachant
que c'est cette difficulté qui donne le sel de ces exercices. Aujourd'hui,
il a le sentiment de « mieux cerner les mystères chrétiens
», dont il ne goûtait pas pleinement le sens auparavant. Mais
attention, précise-t-il, pointant un doigt vers le ciel : «
Ce n'est pas une échappatoire vers là-haut. On progresse
dans un sens terrestre. » Un avis partagé par Agnès, membre du Centre « de cheminement » Assise, à Saint-Gervais (Val d'Oise). Il y a douze ans, elle a trouvé le zen « sur (son) chemin de chrétienne » grâce à l'enseignement d'un frère dominicain. Sans cette tutelle chrétienne, elle l'admet, jamais elle n'aurait osé franchir le pas. Aujourd'hui, au quotidien, cette informaticienne ressent une vraie évolution dans son rapport au monde . « J'ai une plus grande capacité de concentration, plus à l'écoute des autres. » Ces groupes sont nés du dynamisme et de l'audace de membres du clergé régulier et séculier. Des hommes comme le père Jacques Breton, qui a ouvert le Centre Assise en 1987. Comme beaucoup d'autres, il fustige la « négation du corps par l'Eglise », cette grande peur de la chair qui l'a conduit depuis des siècles à privilégier « l'aspect cérébral et collectif de la chrétienté au détriment d'une recherche à l'intérieur de soi ». Une carence à laquelle il tente de remédier, pour « ramener les gens à l'Eglise » en empruntant les voies de l'ouverture et de la modernité. Point notable : nul dans sa hiérarchie ne l'empêche d'exercer son singulier apostolat, même s'il est conscient que certains ne sont pas le moins du monde « convertis » à sa conception des choses. Car tous ceux qui, comme lui, ont voulu faire évoluer les pratiques au sein de l'Église se sont exposés de près ou de loin à de suspicieuses frilosités. Un membre de la Maison de Tobie se souvient des pressions exercées par certains bénédictins pour leur faire quitter un bâtiment de Choisy-le-Roy, aujourd'hui réintégré. « On ne faisait pas assez de bruit, alors sans doute, on les dérangeait », ironise-t-il. Mais, dans l'ensemble, l'Église regarde avec une relative bienveillance l'activité de ces pionniers. Même si elle condamne les dérapages possibles des « nouvelles thérapies » souvent pratiquées dans les centres : « Il ne faut pas que la dépendance momentanée d'un pratiquant tourne à l'aliénation durable, ou se transforme en fixation sur le formateur ». précise Jean Vernette, délégué épiscopal aux nouvelles spiritualités . « Et pour ce qui est des techniques empruntées aux autres traditions religieuses il faut être conscient qu'elles atteignent le plus intime de l'être et ne sont a jamais tout à fait neutres, poursuit-il. Et ne pas faire une fin de ce qui est un moyen. » En clair : conserver dans le zen ou le tai chi chuan le caractère strictement « technique » et mettre de côté les connotations religieuses qu'ils induisent. Etre plus « incarnée »... Une position partagée par le père Breton, qui pratique et enseigne zen depuis des décennies, sans jamais affirme-t-il, avoir vacillé dans sa foi. Bien plus, affirme Jean-Gabriel Boulanger de la Maison de Tobie. « nous essayons de renouer avec tout un aspect méditatif qui était probablement contenu à l'origine, dans la pratique des premiers chrétiens. Avant qu'on ne "cérébralise" tout ». Un attachement profond à l'identité chrétienne qui est au coeur de la recherche même d'un grand nombre d'adeptes du développement personnel. « L'idée de renoncer à ma religion ne m'a jamais traversée, souligne Agnès. La vie m'a mise là, cette terre chrétienne me nourrit. Il était très important pour moi de m'ouvrir aux autres traditions. Me convertir, non.» D'ailleurs, la pratique du zazen, la méditation zen, ne l'a jamais fait renoncer aux messes « classiques ». «
C'est important, c'est un partage et j'ai le sentiment d'appartenir
à une communauté. » Et plus que ça, le
zen lui fait vivre cet événement de chrétien «
de façon plus incarnée, pas uniquement dans le mental ».
Bill non plus n'a jamais envisagé de quitter les rangs du christianisme
: « Je dois soigner la rencontre que j'ai avec Dieu en moi,
c'est déjà énorme, alors Bouddha, ce n'est pas pour
tout de suite. » Car, il ne l'oublie pas: Une ouverture précipitée
peut aussi être une dispersion. Article paru dans "Actualité des religions" N°17 juin 2000 |