Notre cheminement s'établit sur un fondement qui demande à
être dégagé aussi bien pour les débutants
que pour ceux qui déjà se sont décidés à
poursuivre cette marche jusqu'au bout.
Ce fondement,
c'est la découverte d'un réel et ardent amour envers Dieu;
une foi dépourvue de toute sollicitude en dehors de Dieu seul;
un tranquille abandon à la volonté de Dieu; une constante
disposition au renoncement à soi.
Cette
base est en réalité le contenu des commandements de Dieu.
C'est
l'évangile devenu règle de vie.
Ces
quatre points ne sont pas obligatoirement et intégralement des
conditions qui doivent figurer dans notre existence avant que commence
le cheminement, il est cependant nécessaire d'en disposer d'une
certaine façon dans notre âme et d'en éprouver le
désir.
Mais
ce fondement en soi ne suffit pas pour former notre esprit ni pour garantir
un cheminement sans danger.
Il est
encore autant difficile de parvenir au but du cheminement: l'aboutissement
au royaume de Dieu et l'union avec Dieu.
Sur
ce fondement, il y a donc lieu d'établir une action qui serait
de même nature que le fondement et au jaillissement continuel.
Une
action qui s'accomplit dans l'homme grâce à Dieu.
Une
action menée à travers les tentations, les épreuves
et les multiples peines qui, du dedans ou du dehors, atteignent l'homme.
Une
action qui s'accomplit, tout au long du chemin, par la pratique de la
pénitence, par la soumission et l'abandon à Dieu de la
volonté. Cette action met ainsi à l'épreuve la
puissance et la solidité de ce fondement.
Elle
en affermit l'emprise et accroît l'étendue de sa base.
Peut-on oublier comment le Christ a exprimé l'amour qui lui a
fait accepter les souffrances et comment il a appris l'obéissance
par la souffrance?
L'obéissance
jusqu'à la mort?
Comment
son plein abandon à été encore une fois mis à
l'épreuve quand il s'en dégagea du haut de la croix: "Mon
Dieu, mon Dieu, pourquoi m'as-tu abandonné?".
Comment
il exerça le renoncement à soi dans les souffrances volontaires
de Gethsémani: "Que ce soit ta volonté et non
la mienne", pour aboutir enfin à "tout est consommé".
Tout
au long de sa vie, il est clair que le Christ, sur terre, ne cherchait
pas à s'asseoir à la droite de la grandeur du Père,
mais plutôt à accomplir sa volonté.
C'est
pourquoi il ne faut pas, tant que nous sommes en chemin, fixer nos regards
sur des faveurs ou des dons de Dieu à obtenir.
Même
de simples faveurs ne doivent être un objet de demande instante
dans notre prière. Il suffit d'accomplir de tout son coeur la
volonté de Dieu et de donner pour but à notre action sa
volonté, en toute soumission et avec reconnaissance, quelle que
soit la situation par lui permise; quelle que soit l'occasion qu'il
choisisse pour nous, en ayant confiance d'être sous sa protection
quoi qu'il advienne.
Ce dont
nous avons besoin dans notre action, c'est d'un grand attrait pour la
perfection chrétienne, - elle seule plaît à Dieu
- mais un attrait conforme à son désir à lui et
la manière qu'il choisit.
La perfection
n'est pas l'objet d'un souhait projeté dans un avenir obscur
mais plutôt un besoin de l'esprit, dans le moment même actuellement
vécu.
Maintenant
nous possédons nos intentions et nous pouvons les offrir à
Dieu, tandis que l'avenir, Dieu le possède en totalité
et nous n'en possédons absolument rien que nous pourrions lui
donner.
Qui
croît pouvoir offrir son avenir à Dieu demeure semblable
à celui qui ferait don d'un capital illusoire.
On ne
connaît rien de l'avenir; il n'est pas dans le champ de notre
pouvoir, et spirituellement, il est indiscernable. L'instant que nous
vivons maintenant est tout ce que nous possédons de l'existence.
Dans
l'instant présent, nous prenons conscience de nous-mêmes,
nous pouvons discerner avec clarté ce qu'il y a en nous de défectueux,
mais aussi, ce qu'il y a de moyens inexploités.
Là
aussi, nous pouvons contempler, selon ce qui est réellement en
nous, la volonté de Dieu vis-à-vis de ce que nous avons
à faire.
La perfection
chrétienne se précise pour nous à présent
en fonction de la réalité que nous percevons; parce qu'elle
existe en nous et que nous la voyons si nous le voulons, aussi clairement
qu'à présent le ciel est au-dessus de nous et la terre
en dessous...
Mais
si nous prenons du recul pour examiner notre passé, nous l'apercevons
enténébré et dispersé comme par un vent
qui nous prend et nous dépasse sans que nous puissions le poursuivre
ou savoir où il est allé.
Si nous
portons là notre imagination, nous nous enfonçons dans
nos pensées, nous allons à l'échec ou du moins
à l'imperfection.
Et si
nous essayons de percevoir l'avenir; nous nous enfermons dans la prévision
de pensées embrumées et obscures qui gênent notre
vision et nous privent de discerner la perfection que Dieu souhaite
pour nous.
Ainsi
notre espérance ne porte que sur la réalité établie
devant nous en vue de l'action lucide; car si nous perdons la finesse
du présent en nous et manquons, par indolence, d'agir en ce moment
seul opportun, c'est la vie entière qui nous échappe.
Nos
actions cependant, bien qu'elles puissent enfermer un amour, une foi,
un renoncement à soi, un abandon à la volonté de
Dieu, ne nous amènent pas par elles-mêmes à un état
de sainteté; elles ne nous disposent à aucun don; elles
ne peuvent même pas nous introduire dans un état de pleine
sécurité et de paix.
Qui
donc peut accorder tous ces donc? C'est Dieu... Le Dieu qui ne cesse
de conduire l'âme docile dans les chemins difficiles et les épreuves,
d'obscurité en obscurité, parmi les inquiétudes
provoquées par des faits qui n'ont apparemment aucun but.
Cela
pour la mener, par l'affrontement au réel et l'acceptation de
pénibles épreuves à passer à travers le
drame du monde et l'inimitié des méchants; par là,
Dieu l'initie à des dons inaperçus et au maintien d'une
haute spiritualité.
Les
dons de Dieu ne sont pas entre les mains des anges ni dans les hauteurs
des cieux. Ils se rencontrent dans les confrontations quotidiennes qu'occasionnent
pour nous la chair, le monde et les hommes.
A elles
seules, ces confrontations ne procurent pas le don de Dieu; mais c'est
pour Dieu que nous nous abstenons des fautes de la chair, que nous affrontons
le mal qui existe dans le monde et qui existe dans l'homme.
Le don
de la lucidité spirituelle découlant seulement des obscures
ténèbres que l'esprit traverse dans l'inquiétude
et l'étonnement de ses épreuves, aux prises avec le réel
où se trouve cachée la vérité.
La vraie
joie et la fidèle persévérance ont pour source
voilée les peines et les douleurs que l'homme est d'abord porté
à repousser.
Mais
avec la patience, l'homme finit par découvrir qu'il n'y avait
là qu'une fausse contrainte masquant une vérité
ferme et constante, et rayonnant dans l'esprit d'une joie divine non
menteuse. L'amour divin, dans sa grâce et son immensité,
l'homme ne peut le savourer qu'après le passage de son esprit
sous le pressoir de l'inimitié, de la haine, de l'exaspération
des hommes.
Mais
de soi, l'obscurité ne produit pas de la lumière, et de
soi la tristesse n'établit pas la joie, pas plus que la haine
ne fonde pas l'amour. Ainsi de soi, la terre ne produit pas les plantes,
il faut la graine, semée avec attention et soins.
Et même,
ce n'est pas n'importe quelle graine mise en terre qui germe, mais seulement
celle qui contient la vie!
Pareillement,
faut-il que l'esprit soit vivant et dans un état de parfaite
soumission à Dieu pour que la main de miséricorde le place
dans la terre des épreuves avec les soins et de la manière
qui l'aideront à profiter de l'obscurité, de la douleur,
de l'écrasement et lui communiquer ainsi le mouvement de vie
éternelle, où se manifestent les attributs de l'éternité:
joie, amour, paix et persévérance.
Nous
constatons ainsi qu'à l'homme en chemin, il est recommandé
d'être en état d'éveil permanent à l'égard
de toute la réalité de sa vie, portant son regard attentif
sur ce qu'il y a en lui de vérité omniprésente,
exigeante d'action et de labeur.
Il lui
est recommandé d'être prêt à affronter toute
circonstance incommode et tout antagonisme, dans une attitude positive
qui sait voir les dangers réels, tirant profit de tout ce qui
s'effectue en lui ou pour lui, s'unissant à Dieu en toute tentative,
lui soumettant entièrement sa volonté, sans inquiétude
ou trouble, quelle que soit la situation et sans angoisse ni hésitation,
si longue que soit l'épreuve.
Cela
sans se hâter de présumer la cause et sans se presser non
plus de connaître les conséquences...