DÉMARCHES
ECCLÉSIOLOGIQUES PRATIQUES DANS LE DIALOGUE ENTRE ÉGLISES ORTHODOXES
CHALCEDONIENNES
ET PRECHALCEDONIENNES :
Rencontres,
informations et voyage de deux moniales coptes en Grèce
par
Christine Chaillot
À
la suite des rencontres non officielles entre l'Église orthodoxe
et les Églises orthodoxes orientales non chalcédoniennes (Aarhus
1964, Bristol 1967, Genève 1970, Addis Abeba 1971 ; consultations
à Balamant 1972 et Pendeli 1978), le dialogue théologique officiel
a été inauguré en décembre 1985 à Chambésy. Ce caractère officiel
ouvrait les portes pour approfondir, créer de nouveaux contacts
et pour multiplier toute information concernant ce dialogue.
Déjà,
dans le rapport publié après la conférence de Genève (1970) (dans
« Does Chalcedon divide or unite ? » World Council of Churches,
Genève 1981, p. 12 et 13) on parlait, dans le chapitre sur les
mesures pratiques, des contacts et des visites réciproques qui
s'étaient développés entre les Églises des deux familles et qui
avaient contribué « à réaliser de nouveaux progrès dans l'accroissement
de la confiance, de la compréhension mutuelle et de l'entente
, » On donnait l'exemple des échanges d'étudiants en théologie.
On souhaitait de plus nombreux contacts au niveau des professeurs
de théologie et des dignitaires ecclésiastiques. On se proposait
d'étudier selon les sources originales l'évolution historique
de la théologie, bien sûr, mais aussi de la spiritualité.
Après
la réunion de la commission théologique inter-orthodoxe pour le
dialogue avec les Églises anciennes d'Orient à Addis Abeba du
18 au 28 août 1971 (Actes complets publiés dans la revue Abba
Salama VI, 1975, p. 233 à 254 et VII, p. 93-227), un communiqué
exprima « sa conviction profonde que les points de contact entre
les deux familles d'Églises étaient nombreux sur la doctrine concernant
la tradition, le culte, la vie spirituelle, la succession apostolique,
les sacrements, la piété ... l'ascèse monastique, la vénération
des saints, de leurs reliques et des icônes, ainsi que l'observance
de maintes coutumes et traditions identiques »
Tout
cela nous avons essayé de le partager et de le vérifier lors de
la visite de l'higoumène et d'une moniale coptes du monastère
de Sainte Demiana (dans le Delta égyptien), visite effectuée en
Grèce en septembre 1985. Ce fut Saint Patapios (IVe-Ve
siècle) de Loutraki, originaire d'Égypte, qui nous inspira cette
philoxenia ( = rencontre fraternelle) entre moniales coptes et
grecques. Précisons qu'une vingtaine de moniales de Saint Patapios
avaient déjà eu des contacts très positifs avec le monachisme
égyptien au retour de pèlerinages en Terre Sainte. Les responsables
du monastère de Saint Patapios ayant donné leur autorisation,
une lettre d'invitation fut envoyée au monastère de Sainte Demiana,
qui dépend d'ailleurs de l'évêque Bichoï, secrétaire responsable
du dialogue officiel pour les préchalcédoniens. Finalement on
organisa les visites d'une douzaine de monastères dans toute la
Grèce. J'essayerai de résumer ici ces rencontres puisque j'ai
eu le privilège d'accompagner en voiture les moniales coptes pendant
leurs deux semaines de séjour.
Pour
se familiariser avec la vie quotidienne d'un monastère grec, les
moniales coptes passèrent les trois premiers jours au petit monastère
de Saint Paul à Lavrion. Leurs premières questions concernèrent
les prières liturgiques conservées mot à mot en grec dans les
offices coptes jusqu'à ce jour. Il s'agissait des tropaires des
grandes fêtes! On chercha ensuite d'autres textes imprimés en
grec dans les livres de prières coptes et l'on trouva en particulier
le chant du Monogenis. Lorsque les moniales coptes chantèrent
ces tropaires et le Monogenis pour démontrer leur tradition liturgique
dans les monastères visités par la suite, ce fut toujours une
grande surprise et la joie de découvrir des points liturgiques
communs et combien orthodoxes!
En
se montrant les différents livres utilisés on expliqua et on compara
les offices quotidiens. Notons, en passant, les très intéressantes
études comparatives des offices grecs et coptes faites par O.H.E.
Burmester (voir Orientalia Christiana Periodica, volume 2 (1936)
pp. 84 à 93, « The canonical hours in the coptic church "
et WCC, 1981, « Does Chalcedon divide or unite », pp. 107
à 120 : H. Amin, « The orthodox faith and prayers of the coptic
church ». Les moniales coptes n'avaient aucune difficulté
à lire les textes grecs aux offices qui ont été suivis quotidiennement
puisque l'alphabet copte n'a rajouté que sept lettres à l'alphabet
grec; de plus la plupart des termes liturgiques ont été conservés
en grec dans les traductions coptes. Pour que les moniales coptes
comprennent tout à fait les offices, on leur avait préparé également
des traductions en anglais. Comme dans tous les monastères visités,
on vit les différentes activités du monastère de Lavrion, on demanda
des explications concernant par exemple la peinture des icônes,
la broderie, la coupe des vêtements monastiques etc.
Les
moniales coptes posèrent aussi de nombreuses questions sur la
vie spirituelle et la vie de prière, en particulier sur la prière
du cœur. Signalons à ce sujet la découverte faite par le Professeur
A. Guillaumont aux Kellia en 1964 d'un texte sur la prière de
Jésus daté du VIIe ou VIIIe siècle (Aux
origines du monachisme chrétien, «La prière de Jésus chez les
moines d'Égypte », p. 127 à 135, et « Une inscription copte
sur la prière de Jésus », p. 168 à 184, Spiritualité orientale
n° 30, Bellefontaine 1979). Dans tous les monastères les higoumènes
et moniales coptes et grecques se posèrent des questions sur leurs
typikons ( = règles) et leurs programmes quotidiens respectifs.
Le
programme monastique est fort semblable en Grèce et en Égypte,
même en ce qui concerne les temps de repos, d'étude et de prière
en cellules.
D'après
la tradition des Pères, les moniales se posèrent aussi beaucoup
de questions réciproques sur le but de la vie monastique. Par
exemple: que demande-t-on à une novice ? Les réponses sont toujours
les mêmes: obéissance et humilité.
Les
moniales grecques et coptes comprirent surtout qu'au-delà des
formes d'organisation si semblables, elles comprenaient toutes
la vie monastique avec le même esprit que les premiers moines
d'Égypte. Concluons en disant qu'il y a eu échange de cadeaux
en particulier sous forme d'icônes. Après avoir prié ardemment
dans la grotte de Saint Patapios, elles ont vénéré avec amour
les reliques du saint.
Après
avoir été témoin de cette rencontre je crois que le face à face
personnel est nécessaire pour vraiment se connaître tel qu'on
est au-delà de tous les malentendus et de toutes les étiquettes
qu'on pourra coller sur l'autre! C'est là une occasion unique
pour laisser chacun parler librement et en vérité de son Église,
de ses traditions, mieux qu'aucun dictionnaire ne pourrait le
faire! L'erreur ne serait-elle pas de définir l'autre à sa place
? Le risque ne consiste-t-il pas à couper, par exemple, la formule
de saint Cyrille pour ne plus retenir que « mia physis "
? Formulée complètement et plus simplement dans l'accord de foi
christologique signé le 19 novembre 1987 au monastère d'Amba Bichoï
(Égypte) par quatre patriarches du Moyen-Orient (Patriarches Shenouda
III, Parthenios III d'Alexandrie, Ignace IV d'Antioche, le Catholicos
Karekin Il de Cilicie ; le Patriarche syrien Ignace Zakka Ivas
d'Antioche a également exprimé son accord), la foi christologique
ne prêtera plus à confusion :
«
Étant Dieu de Dieu, fils unique engendré par le Père, il est devenu
véritablement homme, il a assumé pleinement notre nature humaine
sans perdre ni diminuer ni changer sa nature divine. Étant le
Dieu parfait, il est devenu homme parfait sans confusion, ni séparation
" (SOP n° 126 p. 28, Paris, mars 1988).
Le
texte d'accord christologique signé le 19 novembre 1987 nous dit
encore: « Nous exhortons nos fidèles à approfondir davantage la
conscience qu'ils ont de la profonde communion de foi qui existe
entre eux ».
Les
lignes qui suivent invitent le lecteur à ouvrir son cœur et son
intelligence à d'autres possibilités de vivre une ecclésiologie
pratique du dialogue entre Églises orthodoxes, chalcédoniennes
et préchalcédoniennes. Je relève ici certains points qui ont été
formulés soit à la rencontre de Genève en 1970 (cf. WGG « Does
Chalcedon ... ", 1981, pp. 8 à 13), soit à la rencontre d'Addis
Abeba en 1971 (cf. WGG « Does Chalcedon " pp. 14 à 16).
1)
« Chaque Église devrait utiliser ses revues ecclésiastiques et
les autres moyens de communication dont elle dispose pour la préparation
pastorale de son peuple " (Addis 1971). À ce sujet relevons,
par exemple, l'interview donnée par le Patriarche Shenouda qui
fut retransmise à l'émission radiophonique d'Apostoliki Diakonia
et publiée dans Ekklisiastiki Alethia en décembre 1986 où le Patriarche
proclamait avoir la même foi que les grecs orthodoxes. Signalons
aussi l'effort du Père Tadros Malaty qui à son retour en Égypte,
après l'ouverture du dialogue officiel en 1985, fit paraître au
Patriarcat copte du Caire une brochure en arabe et en anglais
expliquant aux chrétiens coptes les malentendus de Chalcédoine.
Les
points suivants sont, à ma connaissance, à développer :
2)
« Révision de l'Histoire de l'Église, des ouvrages théologiques
et des documents catéchétiques ... pour aboutir à des textes communs
" (Addis 1971).
3)
« Réédition des textes
liturgiques pour en expurger les condamnations ... et pour mettre
à profit la variété et la richesse infinie de nos traditions liturgiques
afin que chaque Église puisse s'enrichir de l'héritage des autres
Églises " (Addis 1971).
4)
« Constituer une association
d'écoles de Théologie dont tous les séminaires, académies et facultés
de Théologie des diverses Églises autocéphales des deux familles
seraient membres " (Genève 1970). Cela se vit indirectement
grâce aux réunions organisées par Syndesmos.
5)
« Faire paraître un périodique qui continuera à fournir des informations
sur les Églises autocéphales et poursuivra l'étude des questions
théologiques, historiques et ecclésiologiques » (Genève 1970).
6)
« Créer un ou plusieurs centres de recherches communs » (Genève
1970).
7)
« Étudier la possibilité de produire des textes communs en vue
de la formation des fidèles ... ainsi que des manuels de théologie »
(Genève 1970).
J'ajouterai
à cela quelques informations générales supplémentaires qui devront
être complétées grâce aux découvertes de chacun !
Connaissons-nous
l'existence du centre patristique copte au Caire qui désire à
l'avenir faire des traductions en arabe ? (cf. Le Monde Copte
Na 13, p. 50). Sommes-nous au courant des nombreuses découvertes
d'archéologie chrétienne au Moyen-Orient et de leurs publications
? Savons-nous que Madame Langen (Hollande) est en train de préparer
le catalogue des icônes du Musée Copte au Caire? En effet il s'agit
d'être parfaitement informés si l'on veut vivre la métanoia historique
sans laquelle l'unité ne pourra se faire. Chacun peut contribuer
à ce dialogue, ne serait-ce qu'en s'informant, en posant des
gestes d'amitié. À Noël 1985 une centaine « d'Amis du Mont Athos »
visitent les monastères coptes. L'évêque grec d'Addis Abeba fournit
des vêtements aux orphelines élevées par les moniales de Sabata
(près d'Addis Abeba). En Grèce, des familles offrent l'hospitalité
à des étudiants préchalcédoniens.
Toute
cette ecclésiologie pratique est bien entendu parallèle au dialogue
théologique officiel, mais le dialogue théologique peut-il avoir
un sens à lui seul s'il n'est pas alimenté par la vie et la conscience
de tous les membres de ses communautés ? Comme l'a dit le Métropolite
Damaskinos dans son exposé liminaire à l'ouverture du dialogue
officiel en 1985 : « En acceptant d'entrer en dialogue théologique
officiel, les Églises participantes expriment solennellement leur
désir - mûri après de longues années de préparation - d'entreprendre
une marche commune et responsable vers l'unité. Cette action revêt
ainsi un caractère éminemment ecclésiologique et doit sans aucun
doute devenir la référence suprême des travaux de la commission
théologique mixte ... Toutefois, même cette voie - si courte soit-elle
- ne peut être parcourue qu'avec l'aide d'un dialogue mené dans
l'amour et la vérité ».
Pour
terminer demandons l'intercession de Saint Patapios et de Sainte
Demiana (morte martyre en 303) pour la réussite de ce dialogue,
puisque tous deux appartiennent à l'Église indivise d'avant Chalcédoine.
(Cet
article a été publié en grec, en juin 1989, dans la revue Synaxi,
Athènes).