par le Professeur OLEG V. VOLKOFF Ci-dessous, nos lecteurs apprécieront une étude du Professeur O. V. VOLKOFF, qu'avec l'autorisation de son auteur, nous extrayons du tome XXII du Bulletin de la Société d'Archéologie Copte. L'intérêt de cette étude ne réside pas seulement dans le récit authentique fait par l' envoyé du St Synode de l' Eglise Orthodoxe Russe: l' archimandrite Porphyre Ouspensky.[1] A notre avis, cette étude revêt une grande importance par la mention faite de la décision du St Synode de l' Eglise Orthodoxe Russe reconnaissant les Coptes et les Arméniens comme des frères en la foi et approuvant les conclusions du livre de l'archimandrite dans lequel il « expose et démontre » qu'ils ne sont pas hérétiques. Le projet d'union et l'envoi de l'émissaire en sont d'ailleurs les preuves tangibles. En 1858, le St. Synode de l'Eglise Orthodoxe Russe chargea l'archimandrite Porphyre Ouspensky de se rendre au Caire pour sonder les autorités de l'Eglise Copte au sujet d'une éventuelle union entre les deux Eglises. Pendant longtemps, Ouspensky, pris par d'autres obligations, ne put satisfaire à la demande du St. Synode. Mais vers la fin de l'année 1860, étant en congé, il résolut de se rendre au Caire pour discuter avec le patriarche copte les possibilités d'une telle union, ainsi que le rang et le titre à attribuer au patriarche s'il prenait place parmi les hiérarques russes[2], Le 30 novembre 1860 l'auteur quitte Constantinople sur un bateau autrichien et s'arrête le 12 décembre à Jaffa d'où il expédie une lettre au chef de la Mission Ecclésiastique Russe à Jérusalem, l'évêque Cyrille, le priant d'envoyer pour dix jours au Caire l'interprète de la Mission, un certain Fadlalla Sarouf, indispensable pour les entretiensentre Ouspensky et le patriarche copte. (Ouspensky attendra longtemps, mais malheureusement l'évêque ne pourra lui envoyer son interprète, en ayant lui-même un besoin urgent). Le 14 décembre, Ouspensky arrive à Alexandrie, et le 24 se rend dans la capitale de l'Egypte. ARRIVEE AU CAIRE Ayant appris l'arrivée d'Ouspensky au Caire, et son intention de lui rendre visite, le patriarche copte Cyrille le prévint et, accompagné de quelques Arméniens dont l'un parlait français et l'autre arabe, se présenta lui-même, le 26 décembre, chez l'archimandrite. Dans sa relation, Ouspensky nous explique la présence de ces Arméniens: prudent, le patriarche désirait avoir des témoins impartiaux pendant ses entretiens avec l'ecclésiastique russe, afin que certains membres de la communauté copte ne l'accusent ensuite d'avoir voulu mener tout seul des pourparlers d'ordre politique ou religieux avec l'envoyé du St. Synode. « Au cours de cette première entrevue, nous confie Ouspensky, aucun de nous deux ne dit mot de ce qui faisait le fond de sa pensée ». La conversation roula surtout sur le voyage accompli par Ouspensky en 1850 aux monastères de St, Antoine et de St. Paul près de la mer Rouge. Le lendemain, 27 décembre, un évêque et un élève de l'école copte, parlant français, tous les deux envoyés par le patriarche, arrivèrent chez Ouspensky pour l'accompagner dans sa visite chez le chef de l'Eglise Copte. En leur compagnie, Ouspensky se rend au patriarcat où il est reçu en grande pompe: sept jeunes sous-diacres, tenant à la main d'énormes cierges allumés et des branches de palmiers, avec des flabella et des bannières, l'accueillent en chantant, en grec axion esgin. Une procession se forme, le patriarche copte marchant à côté de l'archimandrite, et tout le monde se rend dans les appartements du prélat où se trouve déjà l'évêque arménien du Caire, Gabriel. Les sous-diacres continuent à chanter, d'abord en copte, puis en grec. « Je compris, écrit Ouspensky, pourquoi cela avait été fait ainsi. Le patriarche, au lieu de parler d'une union avec nous, avait préféré célébrer la messe d'après le rite orthodoxe, et ainsi il faisait allusion à son désir d'un rapprochement avec l'Eglise Orthodoxe » . La conversation s'engage sur des sujets divers. Ouspensky mentionna qu'il avait publié un livre dans lequel il expliquait que les Arméniens et les Coptes professaient la même religion que les Russes, et étaient donc des frères en Christ. Le patriarche copte s'informa de la date de l'arrivée de l'interprète, dont il désirait, lui aussi, vivement la venue au Caire. (Comme nous l'avons vu, ce dernier ne pourra pas venir en Egypte). Puis les deux ecclésiastiques se quittèrent, Le lendemain, 28 décembre, Ouspensky reçut la visite de l'évêque arménien Gabriel. « Je louai sincèrement devant lui le patriarche copte, écrit Ouspensky, son esprit d'initiative et son désir d'instruire ses ouailles, et je n'oubliai pas de mentionner que le clergé grec, aussi bien celui du Sinaï que celui du patriarcat, s'exprimait à son sujet d'une façon excellente. L'éminent hôte me raconta comment s'était passée l'élection de ce prélat au patriarcat, et les difficultés et les obstacles qui avaient été surmontés grâce à son assistance à lui, Gabriel. (...) Quand l'évêque Gabriel conclut son récit par les mots : « Longtemps de nombreux prélats [coptes] ne reconnurent pas Sa Béatitude comme leur patriarche, mais maintenant ils le reconnaissent tous », alors moi, voulant découvrir un peu [mes intentions] et [désireux de connaître] au moins un peu [la pensée de] mon interlocuteur, je dis: « Comment ne pas le reconnaître, quand il a tant de belles qualités d'intelligence et de cœur, [il] respire l'amour pour ses ouailles, leur veut du bien, leur donne la lumière, [il] jouit de la bienveillance du gouvernement local! Dieu aide de tels prélats. Même les Grecs le respectent. Quant à moi, je le connais depuis longtemps et je l'aime cordialement. La Russie le connaît aussi, ayant lu la description de mon voyage aux monastères de St, Antoine et de St. Paul, où sont exposés tous mes entretiens avec lui. Grâce à moi, elle sait aussi que les Coptes et les Arméniens ne sont pas des hérétiques ». « Vous nous en avez parlé, et vous nous avez beaucoup réjoui par cette nouvelle », [répondit l'évêque]. IDENTITE DE LA FOI « Permettez-moi donc de répéter ce qui vous est agréable et utile. En Russie j'ai été le premier à mentionner dans un livre que les Coptes et les Arméniens ne sont pas des hérétiques. Mon livre, dans lequel c'est exposé et démontré, a été approuvé par le St. Synode. Depuis lors, toute l'Eglise russe reconnaît en vous des frères aînés en Dieu et est prête à vous tendre la main », « Le temps viendra où les Coptes et nous, nous nous joindrons à vous », [dit l'évêque]. « De quelle union future parlez-vous ? lui répliquai-je vivement. Je ne veux pas entendre un tel mot. Ne dites pas: nous nous unirons à vous. Dites plutôt: nous avons avec vous un seul Dieu, une seule foi, un seul baptême, une seule espérance. Qu'est-ce qui nous sépare ? La différence des cérémonies religieuses ? Mais elle existait aussi dans les premiers siècles du christianisme et pourtant tous les chrétiens formaient alors une seule Eglise indivise. Pourquoi elle seule [la différence des cérémonies religieuses] nous empêcherait-elle d'être les membres d'une seule Eglise Œcuménique? Qu'est-ce qui nous sépare ? La différence des dogmes ? Mais elle n'existe pas! Les Coptes, vous, nous tous, nous professons le même Credo de Nicée et de Constantinople sans aucune altération. En ce qui concerne la doctrine de la personnalité de l'Homme-Dieu, chez vous et chez nous, seule la lettre de cette doctrine est différente, mais le sens est le même. Cessons d'employer dans les catéchismes, dans les systèmes théologiques, dans les sermons, dans les conversations, les expressions vieillies et indistinctes : deux natures dans le Christ forment une nature, ou une hypostase; dans le Christ il y a deux volontés et deux activités, ou bien : l'identité de deux volontés et de deux activités. Disons plus simplement et plus exactement ainsi: le Christ est le Dieu parfait et l'homme parfait, dans lequel se sont conservées toutes les caractéristiques de la Divinité et de l 'humanité sans se fondre et sans changer après leur réunion, comme vous le professez et comme nous le professons aussi. Alors disparaîtra toute méfiance entre vous et nous, alors nous verrons que nous avons un [seul] Dieu et une [seule] foi, et qu'il n'y a aucun besoin de réunion, et qu'il faut seulement renouveler l'ancienne alliance d'amour fraternel ». « Exactement! Bien! Juste! [répliqua l'évêque]. Mais la politique et les préjugés populaires font obstacle au renouvellement de cette alliance. En voilà la preuve: l'archevêque copte Cyrille est allé avec le patriarche grec Callixte au monastère de St. Antoine, et l'invita là à la consécration de la première pierre de la nouvelle église, et, à l'école, il se mit à enseigner aux enfants à chanter en grec. Ceci déplut à Saïd pacha [3]qui lui fit comprendre qu'il vaudrait mieux ne pas se lancer dans des innovations. Et les Coptes locaux l'ont obligé à renvoyer le professeur de chant grec. Notre catholicos Matthieu a prescrit à tous ses évêques de fêter Noël non pas le 6 janvier, mais le 25 décembre, avec vous. Mais son ordonnance n'a pas été exécutée ici, pour qu'il n'y ait pas de querelles dans le peuple et des commentaires [d'ordre] politique ». « Ces arguments ne me plurent pas, continue Ouspensky; j'aurais voulu dire: " Cependant la politique de Néron, de Caligula, de Dioclétien n'empêchait pas les premiers chrétiens de confesser en cachette et ouvertement Jésus-Christ comme le Dieu parfait et l'homme parfait, et [la politique de Néron, etc.] fut remplacée par la politique de Constantin, de Tiridate; et pour séparer les préjugés populaires - cette ivraie - de la vérité, ce blé nourrissant, il y a le fléau villageois, c'est-à-dire l'évêque, comme l'a appelé St. Grégoire de Naziance ». « Mais l'arrivée des marguilliers de l'Eglise grecque patriarcale qui venaient me souhaiter la fête, m'empêcha de prononcer un discours. L'évêque Gabriel me laissa avec eux, après s'être entendu avec moi au sujet du jour et de l'heure pour une nouvelle entrevue dans son évêché ». UN DIPLOMATE N'EST PAS UN THEOLOGIEN Le 29 décembre, le patriarche copte invite Ouspensky à dîner. Après le repas, ils reprennent leur entretien. « L'empereur de Russie sait-il qu'il y a au monde des Coptes, me demanda-t-il (c.à.d. le patriarche copte] , avec une expression de tristesse sur son visage ? ». « Il le sait, répondis-je avec fermeté. Et il sait aussi qu'ils ne sont pas des hérétiques ». « Pourquoi donc votre consul-général Lagovsky nous dit-il que nous n'avons pas une seule foi avec vous, que nous sommes des schismatiques, et ne nous défend-il pas volontiers auprès du pacha ? Pourquoi n'a-t-il accepté qu'avec difficulté d'envoyer ma lettre à votre ministre Lobanoff, dans laquelle je demandai la protection de la Russie ? Pourquoi, ayant accepté ma lettre, me dit-il [c.à.d. Lagovsky] qu'elle n'aurait pas de succès par suite de la différence de [nos] croyances ? ». « Alors je livrai Lagovsky pieds et poings liés [et] je dis au patriarche: Lagovsky est un consul et non un théologien. Malheureusement il n'avait pas les connaissances requises concernant votre religion. Mais je lui ai déjà inculqué que les Coptes sont nos frères en la foi et qu'entre nous et vous il n'y a pas de différence dans l'interprétation des dogmes, et qu'une petite différence dans les rites ne mérite aucune attention ». (...) Ouspensky visite ensuite l'école copte et fait aux élèves une petite dictée, examen dont ceux-ci se tirent très bien. Enfin il quitte le patriarche, mais quelque temps après on l'informe que le prélat désirerait se rendre avec lui chez le consul-général russe. « Alors je compris à quoi il pensait lorsqu'il s'était tu après notre conversation au sujet de ce consul ». Le 30 décembre, Ouspensky est reçu chez les Arméniens avec les mêmes honneurs avec lesquels il avait été accueilli par les Coptes. Le 2 janvier 1861, Ouspensky tombe malade. Peu après il apprend que le patriarche copte, lui aussi est souffrant, et le 18 du même mois, l'archimandrite reçoit un faire-part lui annonçant la mort du chef de l'Eglise Copte. ********************************************************************************* « Il était écrit que je reprendrai nos relations avec les Coptes, constate Ouspensky dans son récit, mais il n'était pas écrit que je renouvellerai leur union avec notre Eglise. Toutefois je pense et j'espère que notre St. Synode continuera cette œuvre importante ». Mais ce dernier ne montra aucun empressement à reprendre les négociations, attitude vivement regrettée par Ouspensky, car, dit-il, le moment était particulièrement favorable : j'abord les Coptes eux-mêmes cherchaient un rapprochement avec la Russie; ensuite, l'amitié existant entre Ouspensky et le patriarche facilitait les pourparlers; enfin, le patriarche copte jouissait, en ce moment, de la bienveillance de Saïd pacha par suite de l'achèvement heureux d'une mission politique que ce dernier lui avait confiée en Abyssinie. MEME CREDO Ouspensky termine sa relation en expliquant ce qu'il « aurait fait si on lui avait envoyé l'interprète Fadlalla ». " J'aurais posé les fondements d'un rapprochement entre l'Eglise Copte et la nôtre en le bornant au seul patriarche copte. Au nom de la vérité, je lui aurais dit avec fermeté que le St. Synode de toutes les Russies m'avait envoyé auprès de Sa Béatitude avec une bonne nouvelle : que ce Synode et avec lui toute l’église russe ne considèrent ni lui, ni les évêques et les prêtres qui relèvent de lui, ni ses ouailles, comme des hérétiques monophysites (sic), mais les reconnaît comme des frères, en la foi et par les cérémonies du service divin, malgré une petite différence dans les rites religieux qui ne rompt pas l'unité de la foi et de la charité. Je lui aurais indiqué dans mon livre consacré aux dogmes et aux rites des Coptes, les prières du soir, de minuit, du matin, de chaque heure, qui nous sont communes à tous les deux; j'aurais loué toutes leurs quatre liturgies qui ne se distinguent nullement des nôtres par leur sens et leur dogme; je lui aurais rappelé que chez eux sont célébrés les mêmes sacrements et sont observées les mêmes règles des SS. Apôtres et des Conciles Œcuméniques de Nicée et de Constantinople « la même vénération des icônes approuvée par le 7e Concile Œcuménique ; je lui aurais expliqué que, de même qu'eux, nous maudissons les hérésies de Nestor et d'Eutychus, et que le 4e Concile Œcuménique de Chalcédoine contenait l'enseignement de St. Cyrille d'Alexandrie au sujet de la personnalité de l'Homme-Dieu et s'exprima par ses propres paroles à lui [St. Cyrille] ; je l'aurais persuadé d'envoyer un message à notre St. Synode et d'y exprimer que toute l'Eglise égyptienne et lui aussi, professent dès les temps anciens, par leur cœur et leur bouche, le Credo de Nicée et de Constantinople sans aucune addition ou altération, qu'ils anathématisent les hérésies de Nestor et d'Eutychus et croient que Jésus-Christ, fils unique du Dieu vivant est le Dieu parfait et l'homme parfait dans lequel la nature de la Divinité et la nature de l'humanité sont conservées sans être confondues. indivisibles, immuables - et pour terminer [je lui aurais conseillé] de demander que de vives prières soient adressées à Dieu et [qu'il demande] la protection de l'Eglise et de l'Empire russes pour le christianisme qui dépérit en Egypte. Ce message aurait couronné mon œuvre de missionnaire en Egypte. En tant que messager d'une bonne nouvelle, envoyé par notre Synode, je n'aurais sollicité que cette couronne du patriarche copte. En tant que son ami, je lui aurais conseillé de faire venir de Jérusalem tous nos rituels et notre catéchisme en [langue] arabe et de penser à l'envoi en Russie de jeunes Coptes pour l'étude de l'architecture sacrée, de la peinture [des icônes] et de toutes sortes de sciences ". L'archimandrite termine sa relation par un reproche amer adressé au Ministère des Affaires Etrangères russe et à la Mission russe de Jérusalem qui ne l'avaient pas suffisamment soutenu. N°5 2ème trimestre 1978
[1]Archimandrite Porphyre Ouspensky, Le Patriarcat d'Alexandrie. Recueil de matériaux, de recherches et de notes concernant l'histoire du Patriarcat d'Alexandrie, T. I. St. Petersbourg, 1898 (en russe). [2] Lettre d' Ouspensky au premier procureur du St. Synode, le comte Tolstoï, du 17 mars 1861. [3]Vice-roi d'Egypte (1822-1863). |
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